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Précaution ou prévention? Des responsabilités de la politique et de la société pendant la gestion de la pandémie de COVID-19 au Bénin

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Pages 332-347 | Received 31 Jan 2023, Accepted 02 Oct 2023, Published online: 04 Jan 2024

RÉSUMÉ

L’une des stratégies clés retenues pour la lutte contre la COVID-19 au Bénin a consisté en la vaccination progressive des populations. Mais la campagne de vaccination déployée n’a pas emporté l’adhésion des populations cibles au point de faire émerger la problématique de l’acceptabilité vaccinale. Cet article a pour objectif d’appréhender les controverses suscitées à cet effet, partant de l’analyse des données d’entretiens collectées auprès de ces dernières. Il s’ensuit que les stratégies politiques mises en place manquent d’efficacité parce qu’elles sont peu adaptées à l’historicité des contextes d’implémentation et demeurent du reste empreintes d’une approche top-down. Cela a entretenu des imputations populaires variées et nourri un continuum de suspicions vis-à-vis du process vaccinal au point de faire apparaître les enjeux de prévention et de précaution comme l’objet de cristallisation de la marque distinctive entre gouvernants et populations.

ABSTRACT

One of the key strategies adopted in the fight against COVID-19 in Benin was the gradual vaccination of the population. However, the vaccination campaign did not run smoothly; many issues surfaced regarding the vaccine sentiment and acceptability. This article aims to analyse and understand such controversies and motivations through data collected via interviews with the local population. The analysis of the interviews shows that the political strategies requiring collaboration with the population lack effectiveness because they are not adapted to the local context, leading to possible confusion, distrust, and the generation of conspiracy theories that have hindered the fight against COVID-19 since the very beginning.

Introduction

Qualifiée de pandémie en mars 2020 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (Maccaro, Piaggio, Vignigbé, et al. Citation2022), la COVID-19 constitue de par sa vulnérabilité humaine et socio-économique, l’un des défis importants de santé publique auquel la planète est confrontée. Afin d’y faire face, suivant les procédés de contrôles les plus efficaces du Centers of Disease Control and Prevention du National Institute for Occupational Safety and Health, les priorités de la recherche sanitaire internationale sont principalement axées sur le développement de vaccins stérilisants (c’est-à-dire, des vaccins qui pourraient prévenir l’infection) (Huang et al. Citation2020; Yang et al. Citation2020). En parallèle, une dynamique de solidarité mondiale est mise en place à l’initiative des institutions onusiennes (OMS, UNICEF, etc.) et de leurs partenaires (Alliance vaccin, GAVI, CEPI,Footnote1 etc.) en vue d’accélérer la fabrication des vaccins contre la COVID-19 et d’en faire un bien public d’accès équitable à tous les pays, indépendamment de leur niveau de développement.Footnote2

Ainsi mis en place, le mécanisme COVAX a, au cours du mois de mars 2021, accompagné le démarrage du programme national de vaccination et favorisé l’introduction des premières doses vaccinales AstraZeneca/Oxford et Sinovac au Bénin conjointement à l’édiction des sites de vaccination dédiés, la définition des cibles prioritaires et le protocole d’administration des doses vaccinales, etc.:

Le Bénin est très heureux de recevoir ses premiers vaccins contre la COVID-19 à travers l’initiative COVAX. La réception des vaccins marque un tournant dans la riposte nationale contre la pandémie. Nous sommes confiants qu’avec ces vaccins, nos efforts pour protéger la population contre le virus seront renforcés.Footnote3

Seulement, trois mois après le démarrage de cette première phase de vaccination, les populations n’ont pas embrayé sur ce principe de l’action publique. Par conséquent, le défi de l’acceptabilité sociale des vaccins reste entier à l’échéance de la fin du trimestre III de l’an 2021 exigée par COVAX pour l’atteinte du taux de 10 pour cent de couverture vaccinale de la population.Footnote4 Comme le rapporte le site officiel du gouvernement béninois:

Une campagne accélérée de vaccination a été lancée à cet effet le mardi 16 novembre 2021. Mais malgré la disponibilité d’au moins cinq vaccins et le déploiement des équipes dans toutes les communes, arrondissements et villages, il se note une couverture vaccinale globale insuffisante pour assurer une immunité collective à la population en général. À la date du 27 février 2022, le nombre de doses de vaccins administrées est de 2.897.882, soit un taux de vaccination d’environ 27 % sur une prévision de 60 %.Footnote5

Plus récemment, en octobre 2022, 3,69 millions de doses ont été administrées.Footnote6

En effet, au Bénin et un peu partout dans le monde, la disponibilité du vaccin anti-COVID-19 ne se traduit pas systématiquement par une adhésion populaire à l’administration des doses de vaccins. Elle est plutôt accueillie de sentiments mitigés (Dror et al. Citation2020; Jones et Roy Citation2021; Shaw et al. Citation2021) comme c’était naguère le cas de différents contextes d’urgence sanitaire rapportés par des travaux des sciences sociales (Eastwood et al. Citation2010; Maurer et al. Citation2009; Maurer, Uscher-Pines, et Harris Citation2010; Schwarzinger et al. Citation2010; Seale et al. Citation2010; Zijtregtop et al. Citation2009). En définitive, les controverses ressortent que les campagnes de vaccination sont susceptibles de remettre en scène des préoccupations d’ordre éthique, des perceptions populaires des cultures, etc. qui s’inscrivent en porte-à-faux avec les dispositifs de riposte biomédicale et pour lesquelles les sciences sociales offriraient des perspectives éclairantes. Toutefois, ces données n’épuisent pas l’actualité béninoise de la pandémie notamment dans sa « zone rouge », à la confluence des trois villes (Cotonou, Abomey Calavi et Seme Pkodji). Elles se particularisent par la sévérité de la prévalence qui y prévaut et comptabilisent, à elles trois, 38/78 sites de vaccination érigés sur le territoire national.Footnote7 À propos, l’hypothèse de recherche formulée pour la circonstance repose sur les facteurs sociaux qui interfèrent avec l’acceptabilité sociale de la vaccination anti-COVID-19. L’approche théorique adoptée est compréhensive, au sens où l’entend Corcuff (Corcuff Citation2011). Le choix de cette approche se justifie par la recherche du sens que les acteurs sociaux accordent aux réticences arrimées à l’acceptabilité vaccinale.

Méthodologie

La présente recherche est développée selon une approche qualitative, inductive. Le choix des populations d’enquête est fait à partir des techniques d’échantillonnage non-probabiliste du choix raisonné, à l’accidentel et de la boule de neige. L’échantillonnage non-probabiliste s’oppose à celui probabiliste par le tirage non aléatoire et non probabiliste, non statistique des populations d’enquêtes. Il est plutôt conduit de façon empirique de manière à fournir une représentation la plus fidèle possible de la population étudiée assortie des vues sémiques correspondantes. En effet, tous les sous-groupes vulnérables auxquels le vaccin est destiné en priorité sont donc pris en compte.

Aussi, la technique du choix raisonné a-t-elle permis de mettre en exergue les critères de sélection des différentes catégories d’acteurs concernés, à savoir les soignants et les praticiens de la médecine traditionnelle, puis les porteurs de comorbidité et les personnes âgées de plus de 60 ans, cibles prioritaires de la vaccination. Quant aux techniques du choix à l’accidentel et de la boule de neige, elles sont mobilisées pour assurer la prise en main des acteurs cibles à interviewer. Cela s’est effectué soit de manière accidentelle au fur et à mesure que ceux-ci se présentent à l’enquêteur, soit par boule de neige, sous la forme d’une succession de recrutement des enquêtés par leurs pairs, au fur et à mesure de leurs entretiens.

Le processus est ainsi conduit durant la période d’enquête (juin–août 2021) à l’aide des entretiens individuels semi-directifs jusqu’à ce que les données collectées aient atteint le seuil de saturation (Baker et Edwards Citation2012; Guest, Bunce, et Johnson Citation2006; Marshall et al. Citation2013). Celui-ci est déterminé infine à une taille de l’échantillon estimée à 34 enquêtés.

Dans le déroulement des entretiens, une attention particulière est accordée à la dimension genre afin de trouver un équilibre entre les réponses obtenues (13/34 enquêtés). En plus des entretiens réalisés, l’observation directe est retenue comme une technique de collecte supplémentaire. Le site d’investigation est la capitale Cotonou, élargi aux villes attenantes que sont Abomey-Calavi et Seme-Pkodji. Ce choix intègre également, aux raisons évoquées précédemment, la sensibilité du milieu urbain à la vaccination. En fin de compte, les données d’enquête sont transcrites et triangulées. Le corpus obtenu a fait l’objet de tri thématique suivi d’une analyse de contenu. En parallèle, une attention particulière est portée aux modalités de restitution des résultats, en termes de confidentialité des données et d’anonymat de l’identité des personnes interrogées. En plus des aspects éthiques, les gestes barrières sont demeurés de rigueur durant la phase d’enquête.

Résultats

Au dépouillement du matériel empirique, plusieurs points d’achoppement à l’acceptabilité de la vaccination émergent. Les résistances populaires enregistrées puisent leurs argumentaires dans les ressorts sociaux de déconstruction des registres du dispositif de riposte en place.

Des imputations étiologiques négationnistes aux revendications locales de prise en charge des manifestations symptomatiques de COVID-19

Au sujet de l’étiologie de la pandémie à la COVID-19 et de sa prévalence en Afrique et plus précisément au Bénin, se rapportent majoritairement l’altérité et le déni puis la thèse de complots énoncés, sans grandes nuances. Aussi, les propos tenus par les interviewés, s’arriment-ils substantiellement au registre de l’altérité, voire du déni comme illustré ci-après : « Ce n’est pas une maladie de chez nous »; « Cela vient d’ailleurs, COVID-19 n’existe pas »; « Ces maladies compliquées viennent des blancs ». En dehors de l’extranéité du foyer pandémique Wuhan à Hubei en Chine, ces allégations populaires sont en concordance avec l’évolution du contexte socioépidémiologique national marqué par une faible prévalence pandémique avec un taux de positivité de 2,9 pour cent. À la date du 8 novembre 2022, le Bénin compte au total 2 090,34 cas confirmés et 12,21 décès par million d’habitants. Ces chiffres sont beaucoup plus faibles que ceux des pays développés (par exemple, le Royaume-Uni [354 830 cas confirmés et 3 120,77 décès par million d’habitants]).Footnote8 De multiples tentatives ont été faites pour expliquer ces différences, à savoir l’immunité génétique, les conditions climatiques, l’âge de la population, les différentes activités de dépistage (Maccaro, Piaggio, Vignigbé, et al. Citation2022).

Le nombre limité de cas d’infections et d’hospitalisations relevés des investigations épidémiologiques, en contradiction avec les rapports officiels et alarmistes de l’OMS publiés au sujet de la pandémie, ont alimenté la conviction de la population locale qu’il s’agissait de théories du complot alimentées par des intérêts politiques, non orientés vers le bien-être sanitaire des pays africains. Cela a conduit à un rejet des gestes barrières, des doses de vaccins et à un déni généralisé du virus de la COVID-19.

En cela, les interviewés sont unanimes à reconnaitre l’appropriation inachevée des gestes-barrière avec le port du masque, ordinairement d’usage qu’en présence de normative dissuasive, la distanciation sanitaire mise en mal par les civilités sociales assumées au quotidien ainsi que le dispositif de lavage des mains, hors d’usage presque partout ailleurs. Pourtant, ces observations effectuées in situ qui sont auteurs de facteurs de risque auxquels s’exposent quotidiennement les populations ne sont pas corrélées de facto aux tendances épidémiologiques correspondantes des messages de santé publique. Pour les populations, cette ambivalence met en scène le supposé complot qui entoure l’initiative vaccinale et la rhétorique correspondante qui va avec. Car, soutiennent-elles, « Les vrais problèmes de société sont là et maintenant on vient faire de la diversion pour nous parler du vaccin ». Pour ces dernières, l’urgence des problèmes de société se trouve dans « la faim du ventre, le chômage »; « l’insécurité grandissante, la fatalité chronique du paludisme ».

Quant au registre sémiologique de la maladie de la COVID-19, décrit par le système biomédical (toux, céphalée, fièvre, perte du goût et de l’odorat, déficience immunitaire, troubles respiratoires, etc.), les tradithérapeutes prétextent y disposer des compétences de sa prise en charge médicale du point de vue tant des manifestations somatiques que de leur prévention. Les compétences en jeu prendraient en charge le renforcement du système immunitaire des patients, excepté les cas de détresse respiratoire qui s’observent aux phases critiques de la COVID-19. Aussi, peut-on les entendre s’exclamer de la sorte : « Si la maladie est proche du paludisme, on peut donc bien s’inspirer des plantes basées sur le traitement du paludisme pour traiter le coronavirus! » En réalité, le tableau sémiologique de la maladie de la COVID-19 correspond à plusieurs égards aux symptômes courants des patients du paludisme, première cause de mortalité du pays. Cette similitude symptomatologique n’est pas de nature à favoriser auprès de ces derniers, y compris les populations destinataires de soins, une dissociation des signes cliniques en lien avec ces différents états de morbidité, à peine énoncés à propos de la pandémie à la COVID-19. Il en est autant des manifestations post-injections développées sur les sujets vaccinés avec la récurrence des cas de thromboses et d’embolies pulmonaires (Brazete et al. Citation2021; Fanni et al. Citation2021). Partant, les acteurs de la médecine locale se portent garants à offrir une alternative viable à la vaccination contre la COVID-19 qu’ils considèrent être une opportunité pour promouvoir les savoirs thérapeutiques locaux, booster l’économie nationale et assurer un pôle de positionnement stratégique pour le pays.

Comme l'ont rapporté les interviewés :

Le remède au coronavirus est bien possible si une bonne organisation se met en place avec les vrais savants endogènes.

Les différentes associations de tradithérapeutes sont en mesure de produire des recettes efficaces contre le coronavirus.

En conséquence, il va s’en dire du diagnostic dans un contexte de pluralisme thérapeutique marqué du sceau de l’automédication et de l’alternative médicale au système de santé biomédical.

Cette conviction affichée par les tradithérapeutes et les cibles de vaccination tire, de leurs aveux, son ressort, des figures locales dédiées à la prise en charge thérapeutique des infortunes biologiques, y compris les maladies à potentiel épidémique; soient-elles d’ordre naturel ou supposées d’origine magico-religieuse. En la matière, les procédés d’usage ajoutés aux savoirs séculaires pharmacologiques des herbacées et des ligneux (feuilles, écorces, racines), des épices (ail, gingembre, clou de girofle, etc.), des agrumes (citron, oranges, etc.) réputés pour leur forte teneur d’antibiotique sont cités en référence et pour lesquels des figures socio-professionnelles sont dédiées :

Depuis la nuit des temps, les populations africaines se sont maintenues à base de plantes.

Les plantes nous parlent et si tu sais lui tenir son langage, elle te donne une réponse satisfaisante dans l’immédiat.

De toute façon, nous trouvons plus ou bien satisfaction à nos maux même là où l’hôpital se perd et se montre défaillant.

Ainsi en est-il également des rituels expiatoires, à l’instar du tokplopklo ou du soudjo,Footnote9 souvent exécutés dans le secret des cercles initiatiques pour conjurer les potentielles infortunes qui s’abattent sur les populations, soient-elles d’origine biologique ou non. C’était naguère le cas avec la divinité Sapkata,Footnote10 réputée être la régente des maladies éruptives des groupes sociolinguistiques du sud-Bénin. À en croire aux interviewés, tout déséquilibre de l’organisme biologique ou social est sous la régence d’un esprit de la cosmogonie. « La maladie est un esprit. Il suffit de faire le Soudjo pour conjurer les esprits responsables de la maladie afin qu’ils ne viennent pas dans notre environnement. » En dernière instance, le retour à la normalité ex-ante pandémique passe par le rétablissement de l’ordre spirituel qui meut antérieurement le corps biologique et social.

Un continuum de suspicions entretenues vis-à-vis du process vaccinal et de ses effets rémanents

À ce niveau, entrent en ligne de compte des vues mitigées des soignants quant à l’acceptabilité des doses vaccinales. Dans un premier temps, l’on retient une attitude favorable à la vaccination fondée sur la présomption que, en absence de traitement spécifique, le vaccin est le meilleur remède au mal pandémique. À cela s’ajoute une confiance persuasive portée au dispositif de riposte mis en place par l’action publique. Si le statut de soignants militerait en faveur du discours pro-vaccinal, cette vue n’emporte pas toutefois l’adhésion de l’ensemble de la corporation des soignants. Des opinions dissonantes font plutôt échos aux manifestations post-injections apparues sur des sujets vaccinés, vécues indirectement par voie de presse ou directement au contact des sujets de l’environnement social, ayant parfois connu des fins de vie tragique ou subi de maladies opportunistes, attribuées à tort ou à raison à la vaccination. En substance, les doses de vaccins font l’objet de défiance quant à leur innocuité sur l’organisme humain; la qualité expérimentale des vaccins telle que perçue et le délai jugé court de leur élaboration sont constamment référencés à propos.

En revanche, la défiance soulevée est unanime dans le rang des soignants pour ce qui concerne les clauses du consentement éclairé requis pour la vaccination. Ce préalable éthique fait explicitement mention d’une de-responsabilité de l’action publique en ligne de mire de la promotion vaccinale, à savoir (i) l’État béninois en tant qu’autorité politique suprême garante de la sécurité humaine, (ii) les firmes pharmaceutiques assurant la production des vaccins censés être au bénéfice de la santé humaine, (iii) le mécanisme COVAX incarnant la solidarité internationale qui fait des vaccins anti-COVID-19 un bien mondial gracieusement accessible aux pays à faible revenu. Aussi, les préjudices éventuels enregistrés sur les sujets vaccinés sont dépouillés ex-ante de toute légalité de revendication. Autrement dit, la gestion des manifestations post-injections n’engage que ces derniers. « Ça, ça décourage! » s’exclame un soignant avant d’en rajouter en ces termes ces propos emblématiques : « Je me suis dit mais vers qui iras-tu te plaindre? Tu vas tout subir et mourir tout bêtement seulement. » Cette lecture des soignants intègre également l’opinion des tradithérapeutes ainsi que celle des porteurs de comorbidité et des personnes de plus de 60 ans; tous entrevoyant au détour de la vaccination une entreprise politique aux finalités encore non-avouées.

L’on assiste à une surenchère des spéculations relatives à la vaccination, parfois exprimées en des termes de déstabilisation de la dynamique démographique africaine : « Il se vend la mort »; « une mort programmée »; « pour réduire la démographie africaine »; « pour éliminer majoritairement la race africaine »; « pour décimer le continent par tous les moyens » ou encore se servir de l’Afrique comme « tournevis testeur » avec des doses de vaccins encore à l’étape d’essai expérimental comme ce fut le cas par le passé. En réalité, de la présence en Afrique des firmes pharmaceutiques occidentales, certaines populations en gardent la mémoire de terrain d’essai expérimental, sous le couvert de la charité et de la solidarité internationale. « Qu’on nous dise qu’il y a don de vaccin! Il faut savoir qu’il y a quelque chose de caché en dessous »; « Le blanc ne fait jamais rien sans intérêt. Il fait toutes ses choses sur intérêt », entend-on dire des populations. L’histoire sociale controversée des vaccins en Afrique pourra étayer davantage de telles allégations populaires contre les vaccins anti-COVID-19 et la posture de défiance populaire qui va avec.

Certains enquêtés renchérissent leur argumentaire à partir du présupposé selon lequel la catastrophe humaine attendue des populations africaines, conséquemment à la crise pandémique et annoncée à grand renfort médiatique par l’OMS, étant avortée, la communauté internationale s’est trouvé une nouvelle trouvaille. Celle-ci s’illustre à travers la marche progressive vers l’obligation vaccinale généralisée en vue du dépeuplement du continent et de l’affermissement de sa mise sous tutelle aux puissances impérialistes. À leur fort défendant, les pouvoirs politiques établis en Afrique répercutent la pression qu’ils subissent de cet ordre international sur leurs populations par une série de normatives contraignantes, allant de la recommandation à l’obligation vaccinale, en cours de généralisation. C’est ce qui ressort des propos illustratifs ci-après:

Ils se sont mis ensemble pour décider de comment tuer les gens afin d’avoir d’argent.

Malheureusement, nos chefs d’États sont acquis à la cause à coup d’argent et de pression. Ils l’en imposent à leur tour à leurs populations.

Ainsi se construit également la conviction populaire selon laquelle au détour de l’enjeu vaccinal se joue délibérément un complot contre le dynamisme démographique de l’Afrique. Ces allégations peuvent être mieux saisies dans le contexte global des rapports de force à visée hégémonique qui ont caractérisé le contact de l’Afrique avec les puissances impérialistes occidentales. En tout état de cause, à l’état actuel des connaissances scientifiques relatives à la vaccination, l’incertitude est plus que d’actualité, faisant le lit à la désinformation et à la mésinformation.

Enfin, certains interviewés dans le rang des cibles vaccinales ont évoqué l’inaccoutumance de leur organisme à la vaccination, voire de leur non-adhésion à l’offre des services biomédicaux. « À l’instar de mes parents, je n’ai jamais été vaccinée contre quoique ce soit. Je ne connais pas l’hôpital. »

Les limites institutionnelles de l’action publique et la perte des faveurs du public

Les limites institutionnelles intègrent les données communicationnelles contre-productives et les effets télématiques induits par les réseaux sociaux sur la communication officielle. La stratégie de mobilisation sociale mise en place par le gouvernement dans le cadre de la campagne de vaccination contre la COVID-19, a consisté au ciblage des bénéficiaires de la vaccination (soignants, personnes âgées de plus de 60 ans, personnes à comorbidité) assorti de communiqués officiels radiotélévisés sur les bienfaits de la vaccination, diffusés en boucle, exhortant les populations à faire le déplacement sur les sites dédiés, érigés dans les centres de santé. Une cérémonie officielle a été consacrée au lancement de la vaccination. De l’avis des soignants, peu d’effets d’entrainement sont résultés de cette stratégie de mobilisation sociale :

Les gens n’ont pas accès à l’information même au niveau des soignants. Je sais seulement que le lancement de la vaccination a été fait au palais des congrès. […] Ceux qui étaient intéressés ont répondu présents et c’est tout.

Au niveau des soignants, on n’a pas discuté de la question nous-mêmes. […] Il n’y a pas eu un cadre de concertation élargie à l’ensemble des agents de santé.

Il ressort donc que la communication officielle est limitée au lancement officiel de la campagne de vaccination suivi du relais des canaux officiels de communication, sans occasionner un effet d’entraînement des cibles visées.

En parallèle, les réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook, Instagram, etc.) faisaient le lit aux bruits et rumeurs, distillant dans le public sous des formats variables (textes, images, audio, vidéo, etc.) des messages à controverses en lien avec des aspects variés de la pandémie, en l’occurrence la vaccination. Du moins, c’est ce que l’on peut retenir de la grande majorité des interviewés quant aux principaux canaux d’informations qui alimentent leurs connaissances de la pandémie et de sa gestion subséquente, en plus d’entretenir leur défiance vis-à-vis de la vaccination. Ainsi avisées, les populations se réjouissent de l’accessibilité des informations rendues disponibles grâce aux réseaux sociaux et surtout du dévoilement de la trame qui se joue au détour de la pandémie concurremment à l’économie de vérité supposée être la marque des canaux officiels des messages de santé publique. « Heureusement qu’il y a les réseaux sociaux. Sinon, ils allaient démarquer un beau matin avec les vaccins et nous emmener tous dans la vaccination. »

De la gestion pandémique ainsi mise à l’œuvre, une bonne partie des populations suspectent une collusion d’intérêts des dirigeants africains, arrimés de force ou de gré à l’ordre mondial dominant, en marche au travers de la vaccination. À propos, des accords tacites sont évoqués par ces dernières pour soutenir les vues émises : « C’est un deal négocié au plus haut niveau »; « Il s’agit au fait d’un complot fomenté contre l’humanité »; « Il y a une chaîne de solidarité entre les dirigeants de ce monde. » De l’avis des tradithérapeutes, cela est rendu perceptible à travers les décrets du gouvernement et les circulaires administratifs autorisant le retrait du marché pharmaceutique de produits locaux précédemment en vente dans les officines. C’est le cas de l’artémisiana pour le traitement du paludisme ainsi que de l’ApiViril et du Vita Iron utilisés couramment comme des réparateurs de déficience immunitaire. Une mesure de restriction similaire est édictée pour mettre temporairement l’embargo sur les campagnes publicitaires ainsi que les émissions radiotélévisées ordinairement animées par les tradithérapeutes, en l’occurrence celles portant sur les spéculations de recettes anti-COVID-19. Ce faisant, ces derniers considèrent que l’autorité publique a résolument pris « le parti des firmes pharmaceutiques contre son propre peuple […] au lieu d’en assumer le leadership ainsi que la promotion des innovations médicinales! » ; « Sous d’autres cieux, c’est l’État qui apporte assistance spontanée aux phytothérapeutes. »

D’après les entretiens, les accords que l’État béninois a signés avec le mécanisme COVAX sont guidés par des intérêts d’ordre politique plutôt que par ceux de santé publique. En revanche, d’autres personnes, dont des professionnels de la santé, sont confiantes dans la bonne foi de ces accords. Toute proportion gardée, de nombreuses personnes interrogées estiment que la santé des populations doit être préservée par alignement à la fois sur les politiques internationales et la promotion des traitements locaux. À cet égard, pour rappel, la controverse entre les autorités politiques et les experts en médecine traditionnelle porte sur la certification des procédés de transformation, les méthodes d’administration, la détermination des causes de guérison, non-encore élucidées, de l’avis de l’autorité publique, suivant les canons de la démarche expérimentale biomédicale, etc. Ces raisons sont constamment invoquées par les autorités publiques pour justifier la marginalisation officielle des prescriptions de la médecine locale par rapport aux protocoles biomédicaux. Cette situation qui prévaut a conduit au choix politique presque forcé de donner la priorité à la promotion des vaccins conséquemment à la ratification des accords du bien-être international plutôt que de s’appuyer sur les innovations médicinales locales. Cette posture ne dédouane aucunement l’État, de projeter à l’avenir, des études et essais de recherche pour prouver cliniquement l’efficacité et la sécurité de thérapies locales, en promouvant ainsi les approches de la culture et de la médecine locales.

Par ailleurs, en dehors de la non-complémentarité des approches de l’offre biomédicale et de l’offre médicale endogène, la promotion de cette dernière se trouve également handicapée par un problème d’organisation corporatiste en dépit des tentatives de formalisation, de regroupement entrepris par les pouvoirs publics par le passé et de la légitimité sociale que revendiquent les tradithérapeutes.

Tout le monde est guérisseur.

Tout le monde est chef.

[Il n’y a pas] de champs de spécialisation bien définis où chacun pourra revendiquer son exclusivité.

Il n’y a pas une instance organisationnelle pour les acteurs de la médecine locale.

De la sorte, la marche en rangs dispersés des acteurs demeure la norme aux fins de tirer des bénéfices individuels immédiats, mais empreints de précarité. Cette situation a atteint son paroxysme au cours de la pandémie, lorsqu’un appel à proposition à l’endroit de la médecine traditionnelle a été initié au sein du comité des experts de COVID-19 chargé d’appuyer le Ministère de la Santé dans la gestion de la pandémie. En lieu et place d’une réponse coordonnée de la corporation assortie de propositions structurantes de thérapies à la pandémie, l’on a assisté à une marche en rang dispersé des tradithérapeutes, contribuant même à la confusion généralisée du genre sur les traitements en jeu, au point de porter obstacle à l’aboutissement du processus.

Discussion

Cet article a analysé la problématique de l’acceptabilité du vaccin COVID-19 au Bénin. Il convient de mentionner que sa pertinence et son actualité ne sont pas exclusives du contexte national béninois. À propos, les travaux de Troiano et Nardi (Troiano et Nardi Citation2021) soulignent les déterminants sociaux qui entrent en ligne de compte de l’acceptabilité vaccinale, à savoir le groupe sociolinguistique, le statut professionnel, les croyances personnelles, la religiosité, la politique, le sexe, l’éducation, l’âge, le revenu, les préoccupations concernant la COVID-19 et le travail dans les établissements de santé.

Aussi, à la fin de 2022, consécutivement à la fin officielle des campagnes nationales de vaccination contre la COVID-19, les taux de vaccination enregistrés dans la plupart des pays africains demeuraient faibles. Cela laisse entrevoir des perspectives pour la recherche en sciences sociales en lien avec les déterminants sociaux de l’acceptabilité vaccinale, les perceptions y afférant, les facteurs d’influence des communautés et des cultures locales, etc. (Chen Citation2022). En retour, cela permettrait d’améliorer l’efficacité des campagnes de vaccination en les rendant plus inclusives et plus adaptées aux normes sociales des contextes locaux d’implémentation. Du reste, la présente étude a permis de souligner comment une campagne de vaccination non contextualisée ajoutée à une absence des représentations symboliques de la communauté locale dans le dispositif de la gestion pandémique ont fortement joué en faveur de l’hésitation vaccinale généralisée, observée à cet égard.

Comme par le passé Shaibu (Shaibu Citation2007) l’a clairement souligné au sujet des normes éthiques, la forte empreinte de leur occidentalité est toujours d’actualité, autant leur opérationnalité demeure éprouvée, une fois mises en oeuvre à l’échelle des cultures locales des différents pays africains. En conséquence, la prise en charge des cibles bénéficiaires s’en trouve entravée. Dans les faits, le format textuel du consentement éclairé n’est pas exclu de ce registre de même que la jouissance des principes éthiques d’autonomie, de confidentialité et de bienfaisance associés (Saidu et al. Citation2013; Shaibu Citation2007) pour les raisons ci-après énumérées :

  1. La prévalence de la culture orale sur l’écriture, toujours d’actualité dans de nombreuses régions d’Afrique.

  2. Autant, la prédominance du groupe social sur les choix individuels.

  3. La prédisposition des chefs de ménages à avoir voix au chapitre sur les décisions qui engagent leurs épouses.

  4. Le faible niveau d’alphabétisation des populations qui plus est de leur scolarisation.

  5. Le manque d’accoutumance de ces dernières aux procédures de recherche clinique.

  6. Leur accès limité aux soins de santé biomédicaux.

Pour les raisons sus-évoquées, il va s’en dire la pertinence de la configuration que doit assumer le format du consentement éclairé dans les pays non occidentaux, sous des angles qui en garantissent un plus haut niveau de compréhension aux populations. À propos, Afolabi et al. (Citation2014) ont souligné l’importance de mettre au point des outils télématiques adaptés qui prennent appui sur des messages audio-visuels à concevoir en langues locales. À leur suite s’inscrivent les travaux de génie biomédical conduits par certains des auteurs de cet article dans le cadre de la conception de dispositifs médicaux (Piaggio et al. Citation2021) et de la réglementation de leur fonctionnement (Maccaro, Piaggio, Leesurakarn et al. Citation2022) ainsi que de la préparation aux catastrophes et de leur gestion (Maccaro, Piaggio, Oronti, et al. Citation2022; Pecchia et al. Citation2020). Une mobilisation conséquente de l’approche contextualisée par les gouvernements aurait pu susciter une plus grande implication de la population au processus vaccinal. Cela aurait contribué à assurer la médiation entre ces deux acteurs stratégiques en présence, auteurs des enjeux de prévention et de précaution ayant fait l’objet de cristallisation de leurs marques distinctives.

La prévention repose sur la notion de danger par rapport à un événement futur, relativement imminent et suffisamment probable à la lumière des connaissances scientifiques et techniques disponibles. En revanche, la précaution est fondée sur le concept de risque par rapport à un événement dommageable futur, mais incertain en raison de l’absence de connaissances scientifiques (Jonas Citation2001). De toute évidence, l’épidémie de COVID-19 constitue cependant un danger, au sens juridique du terme, mais non pas un risque actuellement, au regard du niveau de connaissances acquises sur les modalités de transmission du virus et les mesures appropriées de rupture de sa chaîne de progression.

À y voir de près, entre autres facteurs décisifs qui ont engagé la décision gouvernementale, il apparaît que le principe de prévention a caractérisé la logique de l’action publique qui s’est proposée de vacciner la population comme étant l’option la plus adaptée pour répondre à l’urgence de la situation pandémique, en alignement aux recommandations de l’OMS et du mécanisme COVAX. En effet, dans certains pays, la faible diffusion du virus a fait penser plus à un risque éventuel qu’à un danger réel, ce qui a conduit la population à considérer les décisions de l’État comme inspirées par une logique de précaution plutôt que de prévention. Il est certain qu’en dépit de l’interprétation populaire, les gouvernements ont dû faire une évaluation globale, consciente de la difficulté de contenir, compte tenu des faibles systèmes de santé, une vague de pandémie qui aurait pu être encore plus dramatique que dans d’autres parties du monde. C’est donc bien une logique de prévention qui a motivé l’action gouvernementale au choix du déploiement de la prévention vaccinale. La décision politique d’agir en procédant à une campagne de vaccination, face à une menace de pandémie alarmante et crédible aux conséquences absolument imprévisibles, l’emporte donc sur la décision de s’y abstenir.

Mais c’est sans compter que la décision du gouvernement, ses modalités d’actions, ont eu un impact non négligeable sur la réaction observée en retour de la population. Évoquant la médiatisation de la pandémie, l’effet d’annonce de l’extraordinaire écho médiatique à la situation d’urgence sanitaire a sans doute contribué à, pour paraphraser Godin (Godin Citation2009) et Debray (Debray Citation2011), jouer la trame d’une catastrophe majeure, d’un renversement soudain et irrémédiable de la relative quiétude de la population en termes de santé publique. Comme le font signifier Thoreau, Cheneviere et Rossignol (Thoreau, Cheneviere, et Rossignol Citation2012) en pareille situation, l’action publique peut difficilement faire l’économie d’une solution existante. Les auteurs ajoutent que lorsqu’une telle solution se présente, elle commande dès lors une décision rapide. Partant, le gouvernement adopte des mesures de prévention à partir des moyens immédiatement mobilisables, de la stabilisation d’une solution concrète et à portée immédiate.

Dans le cas présent, la population n’a pas partagé les choix du gouvernement et la politique inspirée par le principe de prévention, qui a entraîné l’imitation des politiques internationales et l’adoption d’actions et de mesures contre la menace annoncée. Pour sa part, la population a interprété l’action préventive du gouvernement comme un choix inspiré plutôt par le principe de précaution, c’est-à-dire lié à des actions non strictement nécessaires en raison d’un risque incertain, futur et seulement probable (pour cette région du monde).

Ainsi pourrait-on comprendre, l’échec temporaire des campagnes de vaccination, bien en-deçà des 10 pour cent de taux de couverture vaccinale exigée par COVAX pour la fin du trimestre III de l’an 2021 en dépit des investissements publics consentis.

Par ailleurs, comme l’a fait observer également MacDonald (MacDonald Citation2020), en présence de maladies à potentiel épidémique, génératrices de rumeurs et de doutes, les fausses nouvelles, connaissent une flambée de leur production. En la matière, la mésinformation et la désinformation générées ont la spécificité, d’être contagieuses en plus de se déplacer plus vite que les évidences scientifiques, avec pour implication des effets négatifs sur les décisions en matière de santé, y compris la défiance de l’acceptation des vaccins. À l’ère des technologiques télématiques de communication, cela se trouve renchéri sur les réseaux sociaux à partir desquels les négateurs de la pandémie et des vaccins promeuvent leur propagande, ajoute-t-il. Ce qui a permis aux populations de s’approprier le risque, d’échanger au sujet de la pandémie et des vaccins et de faire valoir leurs expressions. Comme le soulignaient une décennie plus tôt Thoreau, Cheneviere et Rossignol (Thoreau, Cheneviere, et Rossignol Citation2012) évoquant le contexte belge de la survenance d’une pandémie à forte létalité, cela survient surtout en absence d’une parade appropriée de contre-désinformation, d’une information claire et bien recoupée dans le temps, de manière à inverser les liens de causalité établis dans les coïncidences des évènements anecdotiques allégués inconséquemment aux évidences scientifiques.

Ce manque dans le dispositif institutionnel de prévention vaccinale a fait le chou gras aux messages sur les interfaces de programmation d’applications de messagerie des personnes vaccinées, la sécurité des vaccins, les controverses suscitées, les exemptions d’autorisation de leur mise sur le marché, des polémiques suscitées à propos entre chercheurs, etc. portés sur les réseaux sociaux. Naturellement, une réaction tout à fait différente entre les gouvernements, qui cherchent à protéger les populations, et lesdites populations, qui à leur tour se montrent peu convaincues par le mode de protection qui leur est proposé, s’observe. Celles-ci situent leur démarche dans une logique de précaution, consistant à prendre de plus amples informations avant de se prononcer, quant à l’innocuité des vaccins, l’étiologie de la pandémie. Ce qui amène à déduire que, autour de l’enjeu vaccinal, l’on se trouve en présence d’une rationalité propre à la décision gouvernementale diversement des impératifs qui prévalent au niveau des populations cibles.

En outre, l’analyse sociologique de la confiance, proposée par Sarradon et al. (Citation2008) à propos des déterminants de l’observance, apparait également comme un élément structurant la relation sociale, au sujet de l’acceptabilité ou non des vaccins. Dans cette optique se situe la perspective basée sur l’engagement communautaire comme préalable au succès de la prévention vaccinale. Une telle approche est déjà adoptée en contexte post-Ebola en Guinée Conakry en Afrique de l’Ouest avec la définition des modèles « champions » en vue d’engager les communautés dans un essai vaccinal (Faye et al. Citation2018). Cette approche met en avant la reconnaissance des capacités d’acteurs communautaires pour valoriser les activités qu’ils sont censés promouvoir en vue de solliciter différents niveaux de consentement et faciliter l’appropriation de la prévention vaccinale. Cette démarche est en résonnance avec l’exhortation de Keusch et Zhang (Citation2017) qui, en présence des maladies à potentiel épidémique, génératrices de rumeurs et de doutes, font du recours à l’engagement des leaders communautaires une inconditionnalité en vue de s’assurer de la confiance des populations.

Cependant, de nombreuses questions restées en suspens et qui n’ont pas fait l’objet d’une prise en considération suffisante mériteraient à l’avenir une investigation plus approfondie. Plus encore, pourquoi ne faudrait-il pas se demander comment la situation vaccinale a évolué à moyen et long terme et comment elle évoluera en cas de nouvelles doses de vaccin à administrer. Cependant, même s’il reste encore beaucoup à faire, cette étude jette les bases d’une réflexion plus large sur la préparation aux futures pandémies ou catastrophes prévisibles dans notre contemporanéité faites d’épidémies émergentes et de leur endémicité (Antia et Halloran Citation2021; Torjesen Citation2021).

Conclusion

Trois ans après le début de la pandémie de la COVID-19, notre quotidien n’en est pas toujours exempté et la pandémie devient endémique. Grâce aux nouvelles technologies, il a été possible de développer rapidement des vaccins, initialement produits et distribués par les pays développés. Il y a cependant eu des tentatives de développement de certaines formules de ces vaccins sur place par des pays africains en voie de développement comme l’Égypte et l’Afrique du Sud. Toutefois, la dynamique de ces initiatives a été atténuée par plusieurs défis (Lamptey et al. Citation2022). Comme analysé par ces auteurs, le manque de vaccins initiaux ne s’avère plus être la barrière principale à la vaccination populaire. En effet, un faible engagement de la population, dû certainement à une autoréférentialité entre les actions des gouvernements et les perceptions et traditions des peuples a représenté la véritable limite à la vaccination. Des enquêtes interdisciplinaires telles que la présente ne mettent pas seulement en lumière une évidence, mais proposent des clés d’interprétation et des grilles de lecture sensibles, en particulier à l’écoute de la voix populaire et des cultures locales. Toute chose qui pourra être rendue opérationnelle à l’aune de la contextualisation des réponses et des politiques nationales sensibles aux réalités socioculturelles du public destinataire et inductrices de l’instauration de la confiance. La médiation à assurer du dialogue entre les scientifiques et les décideurs politiques ne sera pas du reste.

Déclaration

Aucun conflit d’intérêt potentiel n’a été rapporté par les auteur(s).

Additional information

Notes on contributors

Marius Vignigbé

Marius Vignigbé, Docteur en Sociologie de l'action publique, chargé de cours au Département de Sociologie-Anthropologie de l'Université d'Abomey-Calavi (UAC/Bénin), Chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Médicale Appliquée (LAMA/UAC/Bénin), spécialiste en Anthropologie des épidémies émergentes et en analyse des politiques publiques en contextes d’urgence sanitaire.

Alessia Maccaro

Alessia Maccaro, Docteur en Bioéthique, Chercheure à l'École d'ingénierie de l'Université de Warwick (Royaume-Uni), spécialiste en bioéthique interculturelle, éthique et réglementation de l'intelligence artificielle, technologies de la santé.

Pedro Checa Rifà

Pedro Checa Rifa, Ingénieur en Génie des systèmes biomédicaux, Assistant de recherche au Laboratoire E-Santé pour le Traitement Intelligent des Signaux Biomédicaux Appliqués (Université de Warwick), centres d’intérêts : le traitement des signaux biomédicaux, la conception et la maintenance des dispositifs médicaux, l'impression 3D.

Davide Piaggio

Davide Piaggio, Docteur en Génie biomédical, Professeur adjoint et co-directeur du Laboratoire E-Santé pour le Traitement Intelligent des Signaux Biomédicaux Appliqués (Université de Warwick), expert en conception et réglementation des dispositifs médicaux et en ingénierie frugale.

Leandro Pecchia

Leandro Pecchia, Professeur titulaire en Génie biomédical à l'Université Campus Bio-Médical de Rome (Italie), responsable de « l'innovation pour les technologies non pharmacologiques COVID-19 au sein de l’Unité de Prévention et de Contrôle des Infections du programme d'urgence de l'Organisation Mondiale de la Santé » (OMS).

Notes

1 Coalition for Epidemic Preparedness Innovation.

7 Cf. le site officiel du gouvernement dédié à la gestion de la COVID-19 : www.gouv.bj/coronavirus

9 Il est question de rites expiatoires littéralement connus, respectivement, sous la dénomination de bain de purification du cadre de vie communautaire pour ostraciser le mal du groupe socio-linguistique.

10 Sapkata est une divinité du sud-Bénin, d’origine Yoruba, réputée être l’une des figures dominantes du panthéon vodun. Elle est considérée comme la régente sur terre et le Dieu des maladies éruptives, à l’instar de la variole qui décimait autrefois les populations, sollicitée en cas d’épidémie pour l’exécution des rites expiatoires.

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