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Un exemple de Question mathématique au Moyen Âge

Pages 425-445 | Received 22 Feb 2006, Published online: 02 Feb 2007
 

Summary

The practice of the disputatio in the medieval universities gave rise to a particular literary genre, the questio. This genre is caracterised by the production of arguments in favour of or against the thesis submitted for questio, before the author develops his own answer. This genre is common to philosophy and theology. But to present a mathematical problem in the form of the questio may seem paradoxical since it leads to the production of false proofs. We shall examine three texts of the 14th and 15th centuries in which is raised the question of the incommensurability of the diagonal and the side of a square: Nicole Oresme's Questions on the geometry of Euclid, an anonymous question from a 15th century manuscript and Blasius of Parma's Questions on Thomas Bradwardine's treatise on ratios. We shall establish a relationship between these three texts. We will show how the mathematical content is combined with the literary genre of the questio. We shall particularly concentrate on the false proofs and consider their status. Finally, we shall ask ourselves how these texts are linked with a possible didactic purpose.

Résumé

La pratique de la «dispute» dans les universités médiévales a donné lieu à un genre littéraire particulier, la Question. Ce genre est caractérisé par la production d'arguments pour ou contre la thèse soumise à questionnement, avant que l'auteur ne développe sa propre réponse. Ce genre est courant en philosophie et en théologie. Mais présenter un problème mathématique sous la forme d'une Question peut sembler paradoxal: cela conduit en effet à la production de démonstrations fausses. Nous examinerons trois textes des xiv e et xv e siècles dans lesquels est posée la question de l'incommensurabilité de la diagonale et du côté d'un même carré: Les questions sur la géométrie d'Euclide de Nicole Oresme, une question anonyme dont le manuscrit est daté du xv e siècle et les Questions sur le traité des rapports de Thomas Bradwardine rédigées par Blaise de Parme. Nous établirons une filiation entre ces trois textes. Nous montrerons comment s'articule le contenu mathématique avec le genre littéraire de la Question. Nous porterons une attention particulière aux démonstrations fausses sur le statut desquelles nous nous interrogerons. Et nous nous demanderons quel lien entretiennent ces textes avec un éventuel enseignement.

Notes

1[Agrave] propos de l'organisation de l'enseignement dans les universités médiévales, et la description des différents genres discursifs qui en découlèrent, de nombreux ouvrages et articles ont été produits. Pour la faculté des arts, on citera, par exemple, Olga Weijers, «L'enseignement du trivium à la Faculté des arts de Paris: la “questio”», in Manuels, programmes de cours et techniques d'enseignement dans les universités médiévales, édité par Jacqueline Hamesse (Louvain-la-Neuve, 1994), 57–74; du même auteur, La “disputatio” à la faculté des arts de Paris (1200–1350 environ): Esquisse d'une typologie (Turnhout, 1995), part. I, vol. 2, p. 25 sqq; du même auteur, Le Maniement du savoir. Pratiques intellectuelles à l’époque des premières universités (xiii e xiv e siècles) (Turnhout, 1996). On trouvera aussi une bonne synthèse accompagnée d'une bibliographie, dans Jean-Luc Solère, «Scolastique», dans Dictionnaire du Moyen Âge, sous la direction de Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink (Paris, 2002), pp. 1299–1310.

2Le traité de Thomas Bradwardine a été édité par H. Lamar Crosby dans Thomas Bradwardine. His Tractatus de Proportionibus. Its Significance for the Development of Mathematical Physics (Madison: University of Wisconsin Press, 1955). Pour les questions de Blaise, voir Blaise de Parme, Questiones circa Tractatum proportionum magistri Thome Braduardini, introduction et édition critique de Joël Biard et Sabine Rommevaux (Paris, 2005), dorénavant cité: Blaise de Parme, Qu. prop.

3Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction, pp. 11–46.

4Nicole Oresme, Questiones super geometriam Euclidis, édition critique de Hubert L. L. Busard, (Leiden, 1961), dorénavant cité: Nicole Oresme, Qu. geom. [Agrave] compléter par la recension que John E. Murdoch a fait de l’édition critique de H. Busard, dans laquelle il corrige certaines erreurs et donne certaines leçons du manuscrit de Séville, Colombina, 7-7-13 fos 102v–112r, qui n'a pas été utilisé par H. Busard (Scripta Mathematica, 27 (1964), 67–91; dorénavant cité comme la recension de J. Murdoch).

5Pour une description de ce traité voir Olga Weijers, La “disputatio” … , op. cit. in n. 1, part. I, vol. 2, p. 171.

6Ce traité est édité dans Marshall Clagett, Nicole Oresme and the Medieval Geometry of Qualities and Motions (Madison, 1968).

7Pour une description de ces questions, voir la recension de J. Murdoch, pp. 68–79. Les questions 1 et 2 ont été analysées par Edmond Mazet, «La théorie des séries de Nicole Oresme dans sa perspective aristotélicienne. ‘Questions 1 et 2 sur la Géométrie d'Euclide’», Revue d'histoire des mathématiques, 9/1 (2003), 33–80.

8«[…] dyameter non est aliud quam superficies quadrata et similiter costa» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 13). Sauf mention du contraire, les traductions françaises sont de moi.

9Voir Jean Celeyrette et Edmond Mazet, «La hiérarchie des degrés d’être chez Nicole Oresme», Arabic Sciences and Philosophy, 8 (1998), 45–65.

10«Et dico quod quamvis dyameter sit illa res, que est costa, tamen illa res est longior et dyameter quam ipsamet costa, ut patet inspicienti exemplum in margine subiunctum et subscriptum» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 16).

11«Oppositum patet per geometrias, que dicunt, quod sunt incommensurabilia» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 13). Le manuscrit de Séville évoque ici le livre X des Éléments d'Euclide (voir la recension de John Murdoch, p. 80).

12«Notandum, quod quadratum est superficies habens quattuor angulos equales et quattuor latera equalia; et dyameter est linea dividens istam per medium» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 14).

13«Notandum, quod quadratum est superficies habens quattuor angulos equales et quattuor latera equalia; et dyameter est linea dividens istam per medium» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 14).

14Voir la variante du manuscrit de Séville, recension de J. Murdoch, p. 81: «Unde non sequitur sicud linee ad lineas ita superficies ad superficies […]».

15Nicole Oresme, Qu. geom., pp. 14–15.

16Nicole Oresme, Qu. geom, p. 15.

17Boèce, Institution arithmétique, édition et traduction française de Jean-Yves Guillaumin (Paris, 1995); pour les nombres figurés, voir pp. 92–107.

18«Ad hoc respondetur negando similitudinem et causa est, quia vel ille unitates proiecte replerent unam superficiem quadratam, vel non. Si non, ergo nihil est ad propositum; si sic, sequitur, quod cuiuslibet unitatis dyameter sit longior sua costa, cuiuslibet numeri quadrati dyameter est plus quam una costa» (Nicole Oresme, Qu. geom., qu. 6, p. 16). Voir aussi, Joël Biard, «Mathématiques et philosophie dans les Questions de Blaise de Parme sur le Traité des rapports de Thomas Bradwardine», Revue d'histoire des sciences, numéro spécial «La réception des Éléments d'Euclide au Moyen Age et à la Renaissance», 56-2 (2003), 383–400; en particulier, pp. 307–308.

19Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 7, p. 16.

20Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 7, p. 19.

21Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 7, p. 22.

22«velocitas, qua b movetur, motu proprio et <motu> ipsius linee est causata, ergo velocitas aggregata est dupla, igitur b movetur velocius in duplo quam ista linea movetur vel quam a movetur» (Ibid., p. 25).

23«Si aliquid moveatur motu proprio <aliqua velocitate> et eciam motu alicuius alterius equaliter, […] si unus esset ad unam partem et alter ad partem diversam, non tamen ad contrariam, tunc hoc, quod movetur ad latus, movebitur tardius quam in duplo» (Ibid., p. 25).

24«[…] quantitates, quibus fuerit una quantitas communis numerans istas, dicentur communicantes. […] quibus non fuerit una quantitas communis eas numerans, dicentur incommensurabiles» (Ibid., pp. 16–17). Nicole Oresme utilise la version de Campanus des Éléments d'Euclide, comme tous les maîtres de cette époque (on signale à ce sujet l’édition de H. L. L. Busard, Campanus of Novara and Euclid's Elements, Boethius Band 51, 1 et 2, (Wiesbaden: Franz Steiner Verlag, 2005), qui permet d'avoir un texte de Campanus plus proche de celui que pouvaient posséder les érudits du Moyen Âge que l’édition renaissante que nous connaissons). Suivant Campanus, Nicole emploie indifféremment les termes «commnunicantes» et «commensurabiles» pour qualifier les grandeurs commensurables.

25Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 7, p. 17.

26Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 7, p. 18.

27On retrouve cette préoccupation dans son traité [Agrave] ceux dont l'attention se porte sur un petit nombre de sujets, puis dans son traité Des rapports de rapports, et enfin dans son Traité sur la commensurabilité et l'incommensurabilité des mouvements du ciel. Voir Nicole Oresme, De proportionibus proportionum and Ad pauca respicientes, English Translations and Critical Notes by Edward Grant edited with Introductions (Madison, 1966) et Edward Grant, Nicole Oresme and the Kinematics of Circular Motion, «Tractatus de commensurabilitate vel incommensurabilitate motuum celi» (Madison, 1971).

28Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 8, pp. 19–21. Voir aussi les propositions 1 et 2 du livre X des Éléments d'Euclide.

29Bizarrement, Nicole Oresme se trompe en ajoutant que l'autre nombre est pair («[…] omnium commensurabilium ad invicem proporcio est sicut numeri paris ad numerem imparem», Ibid., p. 20).

30Nicole n'envisage que le cas o[ugrave] le côté est pair (Ibid., p. 20, l. 26–27).

31Voir le commentaire de J. Murdoch dans sa recension, p. 71.

32Thomas Bradwardine est plus précis puisqu'il explique qu'un rapport irrationnel est médiatement dénommé par un nombre, puisque immédiatement dénommé par un rapport rationnel, qui lui-même est immédiatement dénommé par un nombre (Tractatus de proportionibus, éd. cit., p. 66, l. 10–19). Nicole Oresme reviendra sur cette notion de dénomination d'un rapport irrationnel dans son traité Des rapports de rapports. [Agrave] ce sujet, voir Sabine Rommevaux, «Aperçu sur la notion de dénomination d'un rapport numérique au Moyen Âge et à la Renaissance», Methodos, 1 (2001), 223–243.

33Pour des carrés, on a, en termes modernes: .

34En termes modernes, .

35Appelons D la diagonale et C le côté, en termes modernes: Donc c'est-à-dire que

36«[…] ex hoc sequitur, quod iudicia astrologorum sunt valde incerta» (Nicole Oresme, Qu. geom., Qu. 9, p. 25).

37Heinrich Suter, «Die Quaestio De proportione dyametri quadrati ad costam ejusdem des Albertus de Saxiona», Zeitschrift für Mathematik und Physik, 32 (1887), 41–56.

38V. P. Zoubov, «Quelques observations sur l'auteur du traité anonyme “Utrum dyameter alicuius quadrati sit commensurabilis costae ejusdem”», Isis, 50 (1959), 130–134; Pierre Duhem, Etudes sur Léonard de Vinci (Paris: A. Hermann, 1906), 1re série, pp. 341–344.

39V. P. Zoubov, art. cit. in note 38, p. 134.

40«In oppositum sunt omnes geometrae» (Ibid., p. 44).

41«proportio irrationalis non potest denominari immediate a numero, sed denominatur immediate a proportione quae ulterius a numero appellatur» (Ibid., p. 45)

42Voir la note 32.

43H. Suter, art. cit. in note 37, p. 45.

44H. Suter, art. cit. in note 37, p. 45.

45H. Suter, art. cit. in note 37, pp. 45–47.

46H. Suter, art. cit. in note 37., p. 47.

47H. Suter, art. cit. in note 37, p. 48.

48«Ex quibus sequitur quod judicia astrologorum sunt aliquando valde incerta» (Ibid., p. 50).

51«Et haec est duplex; nam rationalis, et in primo gradu proportionalitatis, est illa quae immediate denominatur ab aliquo numero: sicut proportio dupla, et tripla, et sic de aliis. Secundum vero gradum illa tenet quae irrationalis vocatur, quae non immediate denominatur ab aliquo numero, sed mediate tantum (quia immediate denominatur ab aliqua proportione, quae immediate denominatur a numero: sicut medietas duplae proportionis, quae est proportio diametri ad costam […]» (Thomas Bradwardine, Tractatus de proportionibus, ed. cit. in note 2, p. 66).

49Voir Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction, p. 48.

50Voir Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction, pp. 75–86.

52«Quantitates autem non-communicantes seu incommensurabiles sive irrationales sunt quibus non est aliqua mensura communis, quamlibet illarum praecise mensurans: cuiusmodi sunt diameter et costa quadrati» (Ibid., p. 66).

54Blaise de Parme, Qu. prop., Qu 4, p. 85. La traduction française est de Joël Biard («Mathématiques et philosophie …», art. cit. in n. 18, p. 396).

53Blaise de Parme, Qu. prop., Qu 4, pp. 75–76.

55«Sed alius est modus mathematicorum ymaginantium lineas indivisibiles secundum latitudinem, et per hoc non procedit argumentum» (Blaise de Parme, Qu. prop., Qu 4, p. 86).

56Voir à ce sujet, Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction, p. 18.

57Voir à ce sujet, Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction., p. 76.

58Voir à ce sujet, Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction., p. 76.

59Voir à ce sujet, Blaise de Parme, Qu. prop., Introduction, p. 77.

60Ceci est affirmé sans démonstration. Je ne vois pas bien par quel raisonnement erroné on peut arriver à cette conclusion.

61«In oppositum huius questionis sunt omnes proportioniste et specialiter Euclidis et eius commentator Campanus Xo Elementorum et specialiter commento 7e conclusionis» (Ibid., p. 77).

62«In ista questione erunt tres articuli: in primo ponam expositiones quorumdam vocabulorum cum aliquibus suppositionibus; in secundo conclusiones cum aliquibus corollariis; in tertio ad rationes in oppositum» (Ibid., p. 77).

63«In ista questione erunt tres articuli: in primo ponam expositiones quorumdam vocabulorum cum aliquibus suppositionibus; in secundo conclusiones cum aliquibus corollariis; in tertio ad rationes in oppositum», pp. 78–80.

64«In ista questione erunt tres articuli: in primo ponam expositiones quorumdam vocabulorum cum aliquibus suppositionibus; in secundo conclusiones cum aliquibus corollariis; in tertio ad rationes in oppositum», pp. 80–85.

65«Et dico “secundum longitudinem” quia secundum quantitatem discretam non oportet, quia in numeris semper reperitur quod dyameter adequatur coste, ut dictum fuit prius» (Ibid., p. 80).

66«[…] equalium quadratorum equales sunt radices, et inequalium inequales» (Ibid., p. 80).

67«[…] equalium quadratorum equales sunt radices, et inequalium inequales», pp. 80–81.

68H. Suter, art. cit. in note 37, p. 46.

69Blaise de Parme, Qu. prop., p. 81.

71«Sit ergo, gratia argumenti, dyameter quadrati sicut numerus par et costa sicut impar. Tunc sic, dyameter quadrati est sicut numerus par, ergo quadratum eius est sicut numerus par. Et costa est sicut numerus impar, ergo quadratum eius est sicut numerus impar. Ergo dabuntur duo numeri quorum unus erit duplus ad alterum et tamen duplus ad alterum erit numerus impar, quod est contra suppositionem unam» (Ibid., p. 82).

70Blaise de Parme, Qu. prop., p. 81.

72«Eodem modo procedam si dyameter signetur sicut numerus impar» (Ibid., p. 82).

73«Eodem modo procedam si dyameter signetur sicut numerus impar», p. 82.

74«Eodem modo procedam si dyameter signetur sicut numerus impar», p. 83.

75On peut ainsi lire au début de la question 20: «Consequenter queritur que res sit angulus, et sine argumentis pono conclusiones» (Nicole Oresme, Qu. geom., p. 62).

76Voir la deuxième partie du troisième chapitre du Traité des rapports de Thomas Bradwardine dans lequel il discute un certain nombre d'arguments contre la règle du mouvement qu'il vient d’énoncer.

77Joël Biard, art. cit. in note 18.

78Voir Sabine Rommevaux, «“La sphère touche le plan en un point seulement”: un problème mathématique ?», Revue d'histoire des sciences (à paraître).

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