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Essays

“Ne me dis pas que tu crois aux signes”: formes et métamorphoses des Formidables aventures de Lapinot de Lewis Trondheim

 

ABSTRACT

Framing Lewis Trondheim’s Formidables aventures de Lapinot as a critical take on Franco-Belgian serial bandes dessinées, this article examines how Trondheim explores and exhausts the constraints associated with the medium, and particularly the notions of forms, characters, and roles. Changing, unstable, and reimagined character-spaces and character-systems suggest the metamorphosis of the eponymous character from a function into a sign. The character not only operates within the formal and narrative systems of classic bandes dessinées but also acts, through a series of transformations, as a sign of these systems.

Notes

1 Notes

Les deux chercheurs dressent un utile état des lieux de l’oeuvre de celui en qui ils voient par ailleurs un “des acteurs les plus dynamiques de ces 25 dernières années dans le monde de la bande dessinée” (1). Voir également le chapitre que Bart Beaty consacre à Trondheim dans son Unpopular Culture pour une analyse plus développée de l’oeuvre de Trondheim. Voir aussi deux numéros de Neuvième Art 2.0 publiés en janvier 2007 et janvier 2020. Voir enfin le volume des Entretiens avec Lewis Trondheim menés par Thierry Groensteen, publié par L’Association en parallèle à l’importante exposition consacrée à l’auteur dans le cadre du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en janvier 2020.

2 Voir à ce propos ce qu’écrivaient Gerbier et Ottaviani en 2001, divisant l’oeuvre de Trondheim en deux courants: “d'une part, une tendance à la narration jouissive d'histoires au scénario très travaillé […] d'autre part de la bande dessinée expérimentale, dans laquelle le rôle des contraintes techniques semble prédominant”. On se permettra de relativiser cette affirmation, qui a probablement une valeur moindre aujourd’hui, mais les choix de maisons et de formats d’édition faits par Trondheim dans les décennies 1990–2000 confirment que l’auteur envisage différemment les diverses facettes de sa production d’alors.

3 Éditorial, Lapin no. 7, 6. Le terme “48 CC” est proposé par Jean-Christophe Menu, qui le définit comme le “moule de l’Album-standard 48 pages cartonné couleur” (Plates-bandes 25). La comparaison entre le 48 CC et les formats variables choisis par L’Association n’est pas anodine quand on sait que Trondheim a participé à la fondation de la structure, et donc aux choix de ces formats. Voir aussi Beaty (particulièrement ses chapitres “sur la nouvelle bande dessinée” et, toujours, sur Trondheim).

4 Voir à ce sujet le texte que Gilles Ciment a consacré à la contrainte chez Trondheim. Sur la genèse des Carottes de Patagonie, l’exercice que la création du livre a pu constituer pour Trondheim et un inventaire des contraintes qui le structurent, voir David Turgeon.

5 Le signifiant “Richard” a déjà été associé au signifié que constitue cette silhouette dans la première version de Slaloms, publiée l’année précédente à L’Association.

6 Les modèles de cette bande dessinée sont multiples et Menu consacre plusieurs pages à la définir dans ses Plates-Bandes: “obligations du héros, de la série, et la plupart du temps d’un genre bien déterminé” (27). La bande dessinée de personnages, telle qu’on l’entend ici, reste organisée autour de la représentation d’un héros central lancé dans une quête dont la résolution marque la fin du récit. Les exemples en sont nombreux (et anciens): les premiers Tintin, les Spirou de Franquin, Astérix

7 A propos de Blacktown, Beaty écrit de Trondheim que l’auteur “transferred the Lapinot stories to a large publishing house, Dargaud, seemingly removing one of the most visible independent comic successes from the small press. Second, he worked entirely within the traditions of the established houses, producing a forty-six page, full-colour, hardcover album as part of an ongoing series with recurrent characters” (217).

8 Sur le “plaisir de la bande dessinée”, voir l’article de Thierry Groensteen du même titre.

9 Gerbier et Ottaviani rapportent les propos suivants de Trondheim sur ce rapport entre l’album et la série: “Il faut qu'un album isolément soit intéressant, mais il faut aussi que l'ensemble des albums ait une richesse supplémentaire, et que ce ne soit pas une simple répétition d'actions et de scénarios.”

10 Il faut ici mentionner la planche ouvrant Pichenettes: Trondheim y juxtapose les codes référentiels de Blacktown et des aventures contemporaines. Le système de Lapinot est poreux.

11 Trondheim proposerait ainsi une réconciliation de ce que Baroni décrit comme la “distinction entre la logique sérielle canonique des albums et la narration linéaire.”

12 L’arthrologie est “articulation”: ”Toute image dessinée s’incarne, existe, se déploie dans un espace” (Système 25). Cette arthrologie peut être “restreinte” (au niveau du découpage) ou générale (au niveau des relations entre le narratif et le spatio-topique) (27).

13 Groensteen parle bien de “série”, mais comme de la “succession continue ou discontinue d’images liées par un système de correspondances iconiques, plastiques, ou sémantiques” (173). Tout comme l’acception proposée plus haut de la notion d’arthrologie, l’emploi qui est fait ici du concept s’inspire des mécanismes identifiés par Groensteen mais l’applique à un cadre différent.

14 Woloch envisage le rapport entre espace et système de personnages ainsi: “by character-system, however, I don’t mean the interlocking of a number of distinct fictional individuals within a narrative totality but rather the combination of different character-spaces or various modes through which specific human figures are inflected into the narrative” (32).

15 S’il conteste l’inévitabilité de la redondance comme mécanisme narratif, Groensteen reconnaît tout de même qu’elle est un “principe de la majorité des bandes dessinées, […] une conséquence directe de l’organisation du récit autour d’un personnage central”, organisation que nous proposons justement de vérifier dans Lapinot (135). Sur “la répétition comme principe narratif en bande dessinée”, voir l’article de Pilau Daures du même titre.

16 Ce postulat peut évidemment poser problème et est contesté en partie par Groensteen quand il rejette l’affirmation que “la permanence, au fil des vignettes, d’au moins un personnage identique” soit constitutif de la bande dessinée (17). Pourtant, si la permanence, et plus encore la récurrence d’un personnage ne peut définir la bande dessinée, elle participe largement, majoritairement peut-être, à l’établissement du cadre de cette analyse, qui reste celui de la série: les représentations du personnage éponyme y dominent presque entièrement celles des autres personnages. C’est cette “ubiquité” du “héros” que reconnaît ailleurs Groensteen (135). Catherine Mao rappelle l’héritage légué par Töpffer qui voit dans la bande dessinée “un art du personnage”, personnage en qui Vincent Jouve voyait “matière à aventures” (15, 17). Sur le même sujet, voir enfin “Acteurs de papier” de Thierry Groensteen.

17 Dans les Cigares du pharaon, exemple choisi parce que le héros y est encore privé des personnages secondaires récurrents qui viendront se greffer à ses aventures, Tintin apparaît dans 71% des cases d’une quête effrénée.

18 “The hero not as the central person whose story the literary text elaborates but rather as a central device that acts as glue for the text itself” (15).

19 Blacktown, par exemple, peut être lu comme une reprise du modèle narratif de Mildiou: le personnage court, saute et esquive une série d’adversaires qui cristallisent sur lui diverses projections.

20 Ce système de connexion entre les personnages, source de conflits, est par ailleurs établi dès la troisième bande de la première planche, dans la séparation formelle qui est faite entre Thierry et Serge: les angles changent, la conversation se poursuit, en dépit d’une barrière bien matérielle. Comme le suggère cette bande, on ne discute pas avec, mais contre l’autre (3).

21 Ce commentaire, prononcé par Lapinot, annonce l’éclatement du système Lapinot-Nadia que sanctionnera une autre remarque du même personnage: “notre couple ne fonctionne plus, je sais” (24).

22 A l’orée de cet élan se trouve une “case mémorable”, située dans le coin inférieur droit de la page 33. Lapinot, à présent libéré du cadre de la case, s’y élance vers le bord de la page, vers le blanc, vers le vide. Cette case, où Lapinot semble en apesanteur, cite par sa forme les irruptions de l’onirique dans la série. Comme l’a montré Fabrice Leroy dans sa lecture des Carottes de Patagonie, le rêve est étroitement lié à la chute chez Trondheim, et la chute est elle-même associée à la mort. L’irruption de la verticalité brouille la lecture: la chute est psychopompe, elle semble projeter le personnage hors de la case, hors de la page, vers le vide. Mais ici, le personnage ne rêve pas, et la chute qu’il entame ne pourra plus être stoppée par la fin du rêve. Pour citer le titre d’un autre album de la série, Lapinot tombe, et meurt, à présent “pour de vrai”.

23 Le rapport entre les représentations autobiographiques de Trondheim, la notion d’acteur et le masque a par ailleurs été analysé par Chantal Cointot.

24 Cette confusion est entretenue par le personnage qui ne se nomme jamais et ne fournit que de très sommaires informations biographiques (30).

25 Confirmation de ce principe, Lapinot quitte son traditionnel imperméable au milieu de la Couleur de l’Enfer (35).

26 Dans Galopinot, court récit publié à L’Association en 1998, Lapinot va jusqu’à suggérer à son créateur “de dormir pendant 16 pages” (17). Le livre offre par ailleurs une réflexion riche sur le statut du personnage de bande dessinée, peut-être justement parce qu’il n’appartient pas directement au corpus des Formidables aventures.

27 McCloud nomme “gouttière” l’espace interstitiel qui sépare deux cases (66). Voir aussi Groensteen (Système 131–135), Peeters (38–43).

Additional information

Notes on contributors

Denis Dépinoy

Denis Dépinoy is Assistant Professor of French at High Point University. His recent work examines questions of narration and representation in Franco-Belgian bandes dessinées. He is the author of “Cowboys en bermudas et cavalier blanc: Lutte et narration dans Le Petit Christian de Blutch” published in Nouvelles Études Francophones.

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