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Pour une approche interdisciplinaire de la qualité de l’emploi en Amérique latine

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Pages 478-498 | Received 16 Sep 2019, Accepted 15 Jun 2020, Published online: 12 Aug 2020

RÉSUMÉ

Les transformations à l’œuvre sur les marchés du travail latino-américain tendent à rendre de plus en plus inopérantes les dichotomies traditionnellement utilisées pour décrire les situations au travail. Nous proposons le concept interdisciplinaire de qualité d’emploi qui, par sa nature multidimensionnelle et contextualisée, permet de saisir toute cette diversité et d’évaluer les déficits qualitatifs sur les marchés du travail. La qualité d’emploi présente les caractéristiques nécessaires pour devenir un instrument indispensable pour orienter les politiques publiques en Amérique latine, à condition d’être véritablement interdisciplinaire.

ABSTRACT

The transformations occurring in Latin American labour markets tend to make the traditional dichotomies used to describe work situations increasingly ineffective. The authors propose the interdisciplinary concept of quality of employment, which, regarding its multidimensional and contextualised nature, allows us to comprehend all its diversity and to evaluate the qualitative deficits on the labour markets. Finally, quality of employment has the characteristics required to become an indispensable instrument for guiding public policies in Latin America, provided that it is truly interdisciplinary.

Introduction

Bien que la notion d’emploi ait une définition claire et acceptée au niveau international – « tout travail exécuté contre une rémunération ou un bénéfice » (OIT Citation2013, 19) – il n’en reste pas moins que l’emploi en lui-même constitue l’une des « expériences sociales centrales » pour chaque individu à la fois en âge d’avoir et ayant une activité socioprofessionnelle (Maruani et Reynaud Citation2004, 4). À partir de cette acception, force est de constater que la caractérisation de l’emploi se transforme quelque peu et nous engage à réaliser un travail de réflexion afin de comprendre comment et sous quelles formes cette expérience est susceptible de se matérialiser en condition sociale pour les actifs occupés (Edgell, Gottfried, et Granter Citation2015). La célèbre formule que nous devons à Marx ([Citation1872] Citation2008, 274) est assez éclairante à ce propos, mettant en exergue que chaque activité – salariée ou indépendante – suppose que les acteurs « portent leur propre peau au marché ». Cette conception implique de facto de partir du postulat que l’emploi n’est en aucun cas séparable des individus qui l’occupent et du reste de leur vie. Ainsi, réfléchir à ces questions nous pousse à envisager toute activité comme un rapport social composé d’un ensemble d’éléments qui encadrent intrinsèquement son expression (Lallement Citation2007, 13–33). À travers cette prise en compte de la dimension institutionnelle de l’emploi, nous reconsidérons alors la variété de ses formes combinant le statut, les conditions matérielles, les protections, et plus généralement, les supports juridiques et socioéconomiques.

Sur le sous-continent latino-américain, la perspective d’une compréhension multidimensionnelle des qualités de l’emploi apparaît comme fondamentale. Elle permet en effet de saisir le mouvement de recomposition du rapport social initié dans les années 1990, par lequel les formes de mise à l’emploi tendent à s’hybrider, brouillant les frontières longtemps perçues comme imperméables (Dieuaide Citation2017).Footnote1 En d’autres termes, si les dichotomies sont toujours nombreuses pour décrire le marché du travail, de quelle manière pouvons-nous réexaminer ces « zones grises » qui émergent dans la région (Azaïs et Carleial Citation2017), révélant un véritable continuum de situations entre salariat et indépendance, et entre formalité et informalité? Face à cet enjeu d’ordre conceptuel et analytique placé au cœur de l’appréhension macro et micro des rapports sociaux d’emploi, cet article propose de se saisir de la notion de qualité de l’emploi (QdE). Bien que ce concept de qualité de l’emploi ne soit pas totalement nouveau dans la région (Farné Citation2003, Citation2012; Infante et Sunkel Citation2004; Ramos, Sehnbruch, et Weller Citation2015), les quelques travaux développés depuis le début des années 2000 ont chacun mis en avant et insisté sur différentes dimensions ne se recoupant que partiellement (Burchell et al. Citation2014).

Malgré ce constat d’un éclatement a priori des travaux académiques ou institutionnels, une revue systématique de la littérature en Amérique latine nous permet in fine de dégager six grandes dimensions articulant socioéconomie et droit. De cette manière, cette recaractérisation tend à définir un socle commun, autorisant une analyse précise des dynamiques propres aux marchés du travail inscrits dans des systèmes institutionnels tout en transcendant les typologies traditionnelles (Combarnous et Deguilhem Citation2019). Ainsi retravaillée et revue, cette notion de qualité de l’emploi devient tout d’abord plus fonctionnelle en se dotant d’un contenu multidimensionnel et contextualisé par la prise en compte des dispositifs institutionnels, d’ordre socioéconomique et juridique. Structurée à partir d’une approche nécessairement interdisciplinaire, ce concept révisé présente en définitive toutes les caractéristiques pour s’imposer comme un instrument d’analyse et une mesure indispensable à l’orientation des politiques publiques d’emploi en Amérique latine (Ocampo et Sehnbruch Citation2015; Deguilhem et Vernot-López Citation2020; Sehnbruch et al. Citation2020).

Ainsi, nous proposons de décrire dans un premier temps les transformations du rapport social d’emploi afin de saisir précisément le processus d’hybridation à l’œuvre dans les pays latino-américains entre 1990 et 2010 (Section 2). Dans un second temps, nous revenons sur les difficultés à caractériser et à mesurer cette variété du et au travail, en retraçant les controverses qui ont jalonné les discussions autour de la notion d’informalité dans la région durant les 40 dernières années (Section 3). Par la suite, après avoir passé en revue la diversité des travaux empiriques menés en Amérique latine visant à produire et à appliquer une mesure de la qualité de l’emploi, nous proposons de retenir six grandes dimensions systématisant cette nouvelle métrologie qualitative de l’emploi plus à même de saisir les spécificités des formes de mises à l’emploi dans la région; tout en s’inscrivant dans une démarche nécessairement interdisciplinaire entre socioéconomie et droit (Section 4). Nous discutons enfin quelques implications de ce renouvellement en matière de politiques publiques (Section 5).

Hybridation des formes d’emploi au niveau régional

Transformations du rapport social d’emploi en Amérique latine (1990–2010)

À travers une monographie régionale de l’application des politiques de déréglementation associées au « plaidoyer néolibéral » entre 1985 et 2000, Klein et Tokman (Citation2000) constatent que la création d’emplois a été faible par rapport à l’augmentation de la population active (PA) dans les années 1990, favorisant ainsi l’accroissement du chômage. L’exode rural, bien que relativement faible dans la région, et la meilleure incorporation des femmes sur le marché du travail stimulent la croissance de la PA à un rythme de 3 pour cent par an tandis que dans le même temps la création d’emplois a été ralentie du fait de la volatilité de l’évolution du PIB. Cependant, l’utilisation de l’indicateur de chômage appelle à des précautions dans les pays en développement (PED). En effet, certaines enquêtes se sont attachées à recenser les chômeurs découragés,Footnote2 mettant alors en évidence que leur inclusion contribue à détériorer fortement les chiffres du chômage. En Amérique latine, l’exemple le plus marquant reste celui de la République dominicaine où ces chiffres étaient respectivement en 2010 de 14,3 pour cent pour les chômeurs et 24,1 pour cent en incluant les découragés (Phélinas Citation2014). De plus, les taux de chômage dans les PED, en général, et en Amérique latine, en particulier, apparaissent structurellement faibles. Toutefois, « ces chiffres ne signifient hélas pas que les problèmes d’emploi soient résolus », bien au contraire (Phélinas Citation2014, 19). En effet, en l’absence de protection sociale garantie contre le risque chômage, le statut d’actif inoccupé et disponible constitue un « luxe » que les pauvres ne peuvent bien souvent pas se permettre (Ghose Citation2004). En dépit de ces précautions nécessaires quant à la mesure du chômage et à son interprétation dans les PED, l’augmentation du taux de chômage affecte l’ensemble des pays latino-américains, pour atteindre parfois un niveau légèrement inférieur à celui du début des années 1980 ().

Figure 1. Taux de chômage et croissance du PIB en Amérique latine (1992–2001). Source : Auteurs, données CEPALC

Note : Le taux de chômage annuel moyen apparaît en bleu et le taux de croissance annuel moyen en rouge.

Figure 1. Taux de chômage et croissance du PIB en Amérique latine (1992–2001). Source : Auteurs, données CEPALCNote : Le taux de chômage annuel moyen apparaît en bleu et le taux de croissance annuel moyen en rouge.

Au-delà de ce constat général, nous remarquons que cette augmentation du taux de chômage s’est tout particulièrement répercutée sur les populations vulnérables. Le chômage des femmes est 30 pour cent supérieur à celui des hommes sur la période considérée; celui des jeunes correspond en moyenne au double des taux nationaux et au triple pour les ménages pauvres (Tokman Citation2007a, 75). Du début des années 2000 et jusqu’en 2008, un processus de rattrapage s’engage, durant lequel la croissance annuelle moyenne du PIB et de l’emploi sont positives et corrélées (OIT Citation2013). Toutefois, cette dynamique ne résiste pas à la crise de 2008–2009,Footnote3 et malgré des taux de croissance moyens du PIB élevés, les taux moyens de création d’emplois demeurent faibles entre 2008 et 2011 (OIT Citation2014).

Par ailleurs, les privatisations massives durant les années 1990 impliquent une diminution proportionnelle du stock de fonctionnaires dans l’emploi urbain au sein de la région, passant de 15,5 pour cent en 1990 à 13 pour cent en 2000 (Tokman Citation2007a, 75). Une partie des postes a été directement transférée au secteur privé : un nouvel emploi sur deux est créé dans les microentreprises ou les activités pour compte propre entre 1990 et 1999. On assiste aussi à la création de postes précaires :

entre 65 % et 95 % des travailleurs des microentreprises ne présentent pas de contrats écrits, entre 65 % et 80 % n’ont pas de protection santé, ils travaillent plus d’heures, ils souffrent plus d’accidents du travail et de violation du droit du travail en vigueur. (76)

Au niveau des conditions de rémunération, on constate qu’entre 1995 et 2005, les salaires réels stagnent, ou reculent en Argentine, au Pérou, au Venezuela et au Mexique. Au milieu des années 2000, le rapport entre les forces sociales se transforme au sein des différents régimes d’emploi, les salaires et la productivité vont alors bénéficier d’un effet de rattrapage. Cependant, ce constat n’est pas vérifié dans toute la région. Entre 2004 et 2011, certains pays (Colombie, Panama, Équateur, République dominicaine) ont connu une croissance de la productivité sans que cela ne se reflète sur les salaires. Dans le même temps, malgré la mise en place de politiques de transferts sociaux dans certains États de la région, nous observons un creusement des inégalités de revenus et de patrimoines sur la période au sein d’autres pays tels que la Colombie (Alvaredo et al. Citation2018).

Enfin, une vague d’informatisation affecte l’Amérique latine où nous observons qu’entre 40 pour cent et 60 pour cent de la population urbaine active occupée était dans le secteur informel au début des années 2000, à l’exception du Chili (). Entre 1990 et 2003, l’informalité a très nettement progressé dans l’ensemble des pays de la région (Patroni et Poitras Citation2002, 211). Après le tournant des années 2000, malgré le développement de politiques d’inclusion sociale, les logiques d’informalisation des postes de travail et des activités constituent un phénomène socioéconomique structurant et d’une relative stabilité entre 2003 et 2009.

Tableau 1. Poids du secteur informel en Amérique latine (1990–2009).

En outre, ces grandes tendances ont été accompagnées par le développement de normes favorables aux formes atypiques d’emploi (FAE) (OIT Citation2015).

Le développement des formes atypiques d’emploi dans la région

Bien qu’il n’existe pas de définition officielle, l’Organisation internationale du travail (OIT) désigne les formes atypiques d’emploi (FAE) comme « celles qui, au sein du secteur moderne, ne relèvent pas d’une relation de travail type, à savoir un plein temps, à durée indéterminée et inscrite dans le cadre d’une relation de subordination régie par le droit du travail en vigueur » (OIT Citation2015, 1). Cette définition vient d’emblée questionner la notion d’institutions du marché du travail dans la mesure où ce sont les règles, les pratiques et les politiques publiques qui vont permettre ou restreindre le développement de ces différentes catégories de FAE (Berg et Kucera Citation2008, 12). Ainsi, la transformation du rapport social d’emploi en Amérique latine a fait apparaître plusieurs types de FAE par rapport : (i) au travail temporaire ou à temps partiel, (ii) au travail intérimaire et/ou (iii) à une relation de travail ambiguë.

Pour les travailleurs atypiques, malgré leur formalisation, la couverture en matière de sécurité sociale est fréquemment inadéquate, soit parce qu’ils en sont expressément exclus par la législation, soit parce qu’ils voient leurs droits restreints en raison de leur courte ancienneté, la brièveté de leur période de cotisation ou leurs faibles revenus, lorsque les contributions sont à leur charge (Kalleberg Citation2000). Par ailleurs, ces travailleurs rencontrent de grandes difficultés pour se syndiquer ou bénéficier des conventions collectives (Kalleberg Citation2003). De plus, la dangerosité des tâches et les faibles garanties offertes pour les réaliser peuvent augmenter l’intensité du travail, les accidents professionnels, le stress et les maladies professionnelles chez ces travailleurs (Piasna Citation2017). Enfin, les FAE sont associées à des rémunérations inférieures, ce qui tend à aggraver la polarisation salariale, lorsque les institutions structurant le rapport d’emploi sont peu protectrices (Cazes et De Laiglesia Citation2015). Le constat est clair dans la région, les droits et les garanties légales des travailleurs atypiques sont peu protecteurs et favorisent l’instabilité et la vulnérabilité socioprofessionnelles, en dépit de leur inscription dans le secteur formel ().

Tableau 2. Normes légales applicables aux FAE pour travail temporaire en Amérique latine.

En ce qui concerne le travail temporaire, la région se caractérise par une prédominance des contrats à durée déterminée (CDD) (OIT Citation2015). Selon les données disponibles, le travail temporaire et le travail à temps partiel connaissent une relative stabilité sur les périodes considérées (a et c). Dans certains pays latino-américains, la détention d’un contrat écritFootnote4 n’est pas synonyme d’une relation de travail stable, loin s’en faut. Au Mexique notamment, près du quart des hommes et du cinquième des femmes possédant un contrat écrit sont en CDD, sans limites de durée ni de renouvellement (). En Bolivie et en Équateur, plus de 45 pour cent des femmes titulaires d’un contrat écrit sont également en CDD (b). En outre, le temps partiel affecte majoritairement les femmes qui représentent entre 60 pour cent et 75 pour cent de l’ensemble des travailleurs à temps partiel dans les pays latino-américains considérés (d). Bien que ce type d’emploi puisse offrir une certaine forme de flexibilité pour les femmes en fonction de leurs responsabilités familiales (Booth et al. Citation2002), il reste très largement « subi » et non-négocié avec l’employeur (OIT Citation2015), ce qui a tendance à accentuer les situations peu protectrices pour les femmes face aux risques socioprofessionnels.

Figure 2. FAE pour travail temporaire en Amérique latine. Source : Auteurs, adapté de OIT (Citation2015).

Note : +Données CEPALC. ++ Temps partiel correspondant à moins de 35 heures/semaine.

Figure 2. FAE pour travail temporaire en Amérique latine. Source : Auteurs, adapté de OIT (Citation2015).Note : +Données CEPALC. ++ Temps partiel correspondant à moins de 35 heures/semaine.

In fine, les principes généraux en droit du travail international et les caractérisations statistiques de l’emploi ne sont plus aussi évidents ni systématiques même dans l’économie formelle depuis les années 1990. De ce fait, il est nécessaire de s’intéresser aux instruments analytiques qui tentent de rendre compte cette vaste « zone grise » avec un succès somme toute mitigé (Azaïs et Carleial Citation2017).

Affaiblissement des typologies classiques : un continuum insaisissable de situations dans l’emploi?

Le débat originel entre les trois visions de l’informalité

Longtemps considérés comme des travaux pionniers en matière d’analyse des spécificités du marché du travail des PED, l’article de Hart (Citation1973) et la mission Kenya de l’OIT en 1972 apportent les premières pierres à l’approche dualiste (Portes et Schauffler Citation1993). D’une part, la notion d’informalité remet en question l’idée même de chômage révélant les capacités autonomes du marché du travail à produire les ressources nécessaires aux besoins d’une nouvelle population urbaine affluente sous l’effet de l’exode rural (Hart Citation1973). D’autre part, l’idée de dualisme du marché du travail, pour l’OIT comme pour la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), distingue initialement un segment formel productif, doté d’un contenu technologique important, caractérisé par l’existence de fortes barrières à l’entrée en termes de capital pour les entrepreneurs et de compétences pour les employés, d’un secteur informel regroupant de petites activités familiales à la production erratique, sans processus d’accumulation, et se contentant d’assurer la survie de ménages pauvres en l’absence de filet de protection sociale.

Au cours des années 1980, le changement de paradigme dominant pousse les économistes à construire une approche utilitariste de l’existence et de la prolifération des petites activités informelles. Réunis autour du péruvien De Soto et de l’Institute for Liberty and Democracy, les légalistes définissent l’informel comme une réponse « populaire » et « spontanée » à l’excès de régulation étatique (De Soto Citation1994). Ainsi, les activités informelles traduisent une « éruption des forces réelles du marché » dont les petits entrepreneurs sont alors les acteurs essentiels et le moteur principal (Portes et Schauffler Citation1993, 40). Cette critique radicale du dualisme sert de justification microéconomique aux politiques publiques promues par le « plaidoyer néolibéral » dans la région.

Malgré quelques efforts de synthèse, les deux approches restent antinomiques et sont toutes les deux renvoyées dos à dos par l’école structuraliste au début des années 1990 (Portes et Schauffler Citation1993, 45–47). D’une part, en considérant l’informalité comme un strict processus d’exclusion, les dualistes négligent ĺhétérogénéité interne et ses dynamiques propres au sein des régimes capitalistes des PED. D’autre part, l’approche légaliste refuse de considérer l’encastrement social de toutes les activités, formelles comme informelles (Portes et Haller Citation2005), et converge paradoxalement avec les résultats de l’approche dualiste en validant l’existence de « travailleurs intégrés » et de « travailleurs exclus ». L‘économie informelle vise ainsi à répondre à la demande de faibles coûts de production émanant du secteur moderne et de services provenant des classes aisées, tirant ainsi avantage de sa position. Plusieurs mécanismes propres aux régimes capitalistes des PED sont alors identifiés, parmi lesquels l’informalisation des contrats de travail au sein du secteur formel, dans la même logique de maximisation des profits par un abaissement des coûts salariaux et non-salariaux (Hart Citation2006). Portes, Castells, et Benton (Citation1989) mettent en évidence l’hétérogénéité des pratiques et établissent une typologie en trois classes : les activités de subsistance, les activités subordonnées au secteur formel et les entreprises autonomes disposant de technologies modernes et de capacités d’accumulation.

Au terme de 20 ans de travaux et de débats, la complexité des différentes situations dans l’emploi et leur transformation dépasse les capacités explicatives des concepts existants, et l’analyse des marchés du travail des PED en devient assez insatisfaisante (Mead et Morrisson Citation1996). Face à cette impasse conceptuelle, deux organisations internationales distinctes tentent alors de revisiter ces caractérisations à partir des années 2000.

La relecture de la controverse et les nouvelles interrogations : les enjeux pour l’Amérique latine

Dans un premier temps, l’OIT offre une approche synthétique mixant les définitions canoniques de l’informalité avec une vision normative privilégiant la protection des travailleurs. Deux approches sont alors combinées et croisées () : l’une par l’unité de production informelle et l’autre par l’emploi. Ce changement majeur adopté lors de la 91ème Conférence Internationale du Travail (CIT) tente de reconnaître toute la complexité des pratiques informelles au sein et en dehors du secteur informel. Tout en réaffirmant le caractère dynamique des activités non déclarées, l’OIT considère alors la vulnérabilité de tous les travailleurs « informalisés », quels que soient leur lieu d’exercice et leur statut (Maurizio Citation2012).

Tableau 3. Composantes de l’économie informelle.

À travers le , Hussmanns (Citation2004) schématise la définition statistique retenue internationalement depuis la CIT de 2003. La catégorie (B) des emplois formels dans les entreprises du secteur informel identifie des salariés pouvant être protégés individuellement et indépendamment du statut de leur entreprise. Cette catégorie tend à s’élargir en Amérique latine sous l’effet des politiques publiques d’universalisation des systèmes de protection contre le risque maladie et des multiples programmes de transferts sociaux, tout en restant parcellaire en raison de la faiblesse de la protection contre les risques chômage et vieillesse (Baduel Citation2011). La catégorie (C) constitue un des enjeux principaux du débat en Amérique latine, dans la mesure où cette catégorie tend à saisir les FAE, l’externalisation des emplois et les relations de subordination « sous-contractualisées » dans le secteur formel (Tokman Citation2007b; Cazes et De Laiglesia Citation2015). Or, l’OIT relève notamment qu’au sein de nombreux pays latino-américains (Argentine, Brésil, Bolivie, Équateur, Mexique, Paraguay, Pérou), plus de 20 pour cent des personnes employées dans le secteur formel occupent in fine des emplois informels (Phélinas Citation2014).

De son côté, l’approche de la Banque mondiale considère un partage de l’informel en deux sous-ensembles. Pour cette organisation, les individus appartenant au « segment supérieur » de l’informalité font le « choix » de celle-ci, ce qui n’exclut pas nécessairement l’existence à la marge de travailleurs précaires et exclus (Perry et al. Citation2007). Sans se poser la question du processus massif d’informalisation ayant conduit à leur apparition, Cunningham et Maloney (Citation2001) s’intéressent aux petites activités informelles mexicaines dont seulement 20 pour cent sont considérées comme vulnérables, en raison de l’hétérogénéité et de l’éventail des productivités qui caractérisaient l’informel (Falco et al. Citation2011). Ils établissent une typologie en cinq groupes d’entrepreneurs dont les dynamiques apparaissent meilleures que celles des employés ou des petites entreprises formelles. À travers ces travaux, la dichotomie entre micro-entrepreneur (informel) et salariat mise en avant sur la base du statut dans l’emploi se replace au cœur du débat. Encore aujourd’hui l’importance relative de l’emploi indépendant, représentant respectivement 78 pour cent en Bolivie, 55 pour cent en Colombie et 39 pour cent au Chili (Phélinas Citation2014, 29), reste considéré comme un signe de mauvaise qualité des emplois (Bocquier, Nordman, et Vescovo Citation2010). Or, force est de constater qu’avec le travail de la Banque mondiale mené sous la coordination de Maloney, l’auto-emploi n’est plus le simple résultat d’une inhabilité à occuper un emploi salarié dans le secteur formel ou encore de barrières à l’accès à ces emplois. Le fait de développer sa propre entreprise constitue une « véritable » opportunité,Footnote5 pouvant être la conséquence d’une « orientation consciente » de ceux qui aspirent à ce statut d’entrepreneur, et/ou ont besoin de combiner leurs activités professionnelles avec des tâches domestiques, notamment dans le cas des femmes.

Ainsi, cette approche souvent appelée « néo-légaliste » se concentre tout particulièrement sur la « razón de ser » de ces micro-activités. Contrairement au légalisme « classique », l’origine du choix de l’informalité ne réside plus dans les coûts de la formalisation, mais dans la faiblesse des bénéfices non salariaux attendus d’un État-providence désorganisé et inefficace. Dans une telle perspective, l’informalité est envisagée comme le résultat d’un arbitrage utilitariste d’acteurs minimisant leurs coûts non salariaux permettant une maximisation de leur bien-être dans l’informel (Maloney Citation2004). Autrement dit, lorsque ces coûts sont trop élevés au regard des prestations sociales escomptées, les politiques publiques doivent diminuer ces coûts afin d’encourager à la formalisation sur le marché du travail.

Bien qu’elles reconnaissent l’une et l’autre l’hétérogénéité interne de l’informel et sa continuité avec l’économie formelle, la Banque mondiale et l’OIT s’opposent fermement sur la question de savoir si les travailleurs informels sont majoritairement volontaires et correctement protégés ou bel et bien exclus des emplois formels (Günther et Launov Citation2012). Kucera et Roncolato (Citation2008) apportent des éléments de réponse à travers une critique de l’approche « néo-légaliste ». En premier lieu, ils rejoignent les doutes de Fields concernant les résultats de Maloney (Citation2004) et montrent que la prévalence d’un « segment supérieur » de l’informel (informalité par « choix ») ne peut être démontrée que dans les plus développés des PED, mais ne se vérifie pas ailleurs. Ils font également apparaître, sur la base d’un ensemble de résultats empiriques, une relation entre le processus de développement et l’émergence d’attentes fortes concernant les systèmes de protection sociale. Enfin, ils maintiennent que la promotion des institutions et les réglementations sur le marché du travail conduisent à une réduction de l’emploi informel tout en développant la qualité générale des emplois considérés.

Après plusieurs décennies de controverses sur la caractérisation du marché du travail urbain dans les PED, la question du continuum à travers l’hybridation des formes d’emploi ne semble pas vraiment résolue à travers cette notion d’informalité. En effet, le continuum entre salariat et indépendance, formel et informel, n’a cessé de gagner du terrain depuis les changements structurels opérés à partir des années 1990, laissant apparaître des situations d’enchevêtrement entre les différentes formes de mise à l’emploi. Ces situations mixtes ou indéterminées superposent des pratiques sociales et des normes légales peu protectrices, insaisissables par les oppositions communément utilisées en Amérique latine. « Au total, les dichotomies habituelles […] n’apparaissent pas les plus appropriées pour départager les “bons” emplois des emplois peu ou “moins désirables” » (Phélinas Citation2014, 27). Or, si certaines extensions apportées à ces catégories duales nous aident partiellement à dépasser la rigidité d’un dualisme en faisant davantage référence aux pratiques sociales et aux actions « procédurales » plutôt que « substantielles », le recours à des outils plus à même de saisir cette multiplicité demeure crucial pour appréhender les qualités des emplois et leur évolution récente dans la région.

La qualité de l’emploi pour revisiter l’analyse du marché du travail : un outil multidimensionnel, contextualisé et nécessairement interdisciplinaire

L’importance du concept de qualité de l’emploi dans la compréhension des marchés du travail : proposition d’un socle commun

Bien que le concept de qualité de l’emploi s’impose petit à petit comme un outil important pour l’analyse des marchés du travail dans la littérature socioéconomique (Piasna et al. Citation2017), il est resté éclaté depuis le début des années 2000 dans différentes publications institutionnelles et académiques mais aussi relativement flou quant à sa définition ou son niveau d’analyse (Burchell et al. Citation2014). Pourtant, une revue systématique des travaux utilisant cette notion permet de donner corps à un outil pertinent pour appréhender les marchés du travail en Amérique latine.

Dans un premier temps, la perspective macro-socioéconomique est favorisée afin de mettre en lumière les liens entre les marchés du travail, la variété des capitalismes et le changement technologique (Gallie Citation2007), analyser la polarisation dans la structure d’emploi (Goos, Manning, et Salomons Citation2009), ou construire une typologie des marchés du travail européens (Green et al. Citation2013). Dans les pays émergents, cette approche vient très naturellement s’articuler avec des approches d’économie politique telles que la variété des capitalismes et la théorie de la régulation dans la région (Boyer Citation2012; Bizberg Citation2019). Dans cette perspective, le travail de Deguilhem et Frontenaud (Citation2016) identifie quatre types de régimes de qualité de l’emploi parmi les pays émergents, au sein desquels les pays latino-américains apparaissent très éclatés. En Amérique latine comme en Europe le constat reste le même, ce sont les institutions socioéconomiques et les normes juridiques de l’emploi qui façonnent les marchés du travail et se révèlent essentielles pour définir la qualité de l'emploi (Weller et Roethlisberger Citation2012). Dans cette perspective, l’analyse macro-comparative récente conduite sur neuf pays d’Amérique latine par Sehnbruch et al. (Citation2020) utilise cette approche pour identifier les déficits de qualité de l’emploi, révélant souvent les fragilités institutionnelles des marchés du travail des pays andins (Pérou et Bolivie par exemple).

Dans un second temps, à côté de la multiplication de ces travaux d’ordre institutionnaliste et des comparaisons internationales, la qualité de l’emploi se révèle également comme un outil d’analyse tout à fait pertinent pour étudier les caractéristiques individuelles des emplois (Floro et Messier Citation2011; Roncolato et Willoughby Citation2017). Cette perspective micro-socioéconomique plus récente donne au concept un autre champ d’application avec une entrée par les conditions de travail et de vie des actifs. En ce sens, Van Bastelaer et Hussmanns ([Citation2000] dans Farné Citation2003) montrent que la QdE renvoie intrinsèquement à un ensemble d’éléments déterminant la capacité de l’emploi à satisfaire certains besoins sociaux et individuels (Ramos, Sehnbruch, et Weller Citation2015). Traduisant cet intérêt croissant, plusieurs stratégies ont été envisagées afin de saisir les nombreuses dimensions qui composent la qualité des emplois.

Une première approche repose sur une mesure unidimensionnelle, considérant le revenu comme une approximation valable de la QdE (Fernández-Macías Citation2012). Un tel choix se justifie par l’absence de données et par la corrélation entre le niveau de revenu et les différentes composantes de la qualité de l’emploi. En contrepoint de cette idée, le caractère fondamentalement multidimensionnel de la QdE fait aujourd’hui largement consensus dans la littérature (Sengupta, Edwards, et Tsai Citation2009; Green et al. Citation2013).

Une seconde approche aborde cet instrument du point de vue socio-psychologique à travers la mesure de la satisfaction professionnelle des individus (Rose Citation2005). De façon générale, nous constatons que lorsque les obstacles à l’amélioration des conditions de travail sont forts, les revendications sont faibles et le niveau de satisfaction est alors élevé. Une telle situation explique pourquoi ces indicateurs de satisfaction sont plus élevés pour les femmes que pour les hommes (Clark Citation1997). Sur la base de cette ambiguïté, Bustillo et al. (Citation2011) proposent d’exclure toute forme de subjectivité dans la mesure de la QdE. Toutefois, la satisfaction qu’un individu retire de son activité peut significativement diverger de ses composantes objectives. Ainsi, Guergoat-Lariviere et Marchand (Citation2012) jugent que l’expression de la subjectivité, identifiant le « sens » donné par un individu à son emploi, ne peut pas être complètement écartée de l’analyse, ce qui constitue par ailleurs un bon indicateur de la qualité de l’emploi notamment en Afrique subsaharienne (Razafindrakoto et Roubaud Citation2013).

La dernière stratégie, prédominante dans les études socioéconomiques, consiste à identifier cet aspect multidimensionnel en rassemblant des caractéristiques objectives des emplois (Floro et Messier Citation2011). Aux États-Unis, Kalleberg, Reskin, et Hudson (Citation2000) identifient notamment les individus pourvus de « mauvais emplois » par la faiblesse des revenus, l’absence de couverture santé et/ou l’absence de couverture par un système de retraite. Parallèlement, sur le même terrain, Johnson et Corcoran (Citation2003) perçoivent la QdE comme une combinaison du salaire, du temps de travail et de la protection contre les risques liés à la situation professionnelle (accidents du travail en particulier). Notons que cette approche objective reçoit un écho considérable en Amérique latine, où elle a permis une analyse précise de la diversité des formes d’emplois et de leurs évolutions (Farné et Vergara Citation2015). Le offre une revue systématique des critères utilisés par les travaux sur la qualité de l’emploi dans la région. Nous constatons bien que s’il semblerait y avoir un consensus quant à la prise en compte de certaines variables pour déterminer la QdE, d’autres critères échappent à la plupart des travaux effectués dans la région. Effectivement, le revenu et la stabilité dans l’emploi apparaissent comme indispensables pour définir une bonne qualité d’emploi, alors que la pluriactivité et la formation professionnelle ne semblent souvent pas nécessaire en dépit de son importance.

Tableau 4. Les critères de la qualité de l’emploi en Amérique latine.

Au Chili, trois indicateurs différents ont été défini en 2004, 2010 et 2012, chacun prenant en compte des critères distincts pour mesurer la QdE. Infante et Sunkel (Citation2004) définissent la QdE comme la convergence de trois variables : le revenu, le temps de travail et la protection sociale. Alors que pour Cassar (Citation2010), ce concept serait défini par le revenu, le temps de travail, la protection sociales et le fait d’avoir ou non plusieurs activités. Enfin, les travaux de Ruiz-Tagle et Sehnbruch (Citation2015), plus complets que les antérieurs, tiennent compte du revenu, de la stabilité de l’emploi, de la protection sociale, des différents bénéfices existants pour les travailleurs ainsi que du fait de pouvoir accéder à une formation professionnelle. Pour la Colombie, Farné (Citation2003) établit un indice synthétique de QdE propre à ce pays en combinant le type de contrat, la couverture sociale, le revenu, le temps de travail et la formation professionnelle. Floro et Messier (Citation2011) en Équateur définissent leur indice de QdE comme une combinaison du revenu, du temps de travail, de la pluriactivité, du lieu de travail, de la sécurité de l’emploi et des ressources non salariales.

Malgré cet éparpillement à première vue des approches et des dimensions invoquées pour saisir un concept aussi vaste que la qualité de l’emploi, l’essentiel de ces travaux mettent toutefois en évidence que le fait d’avoir un emploi, qu’il soit formel ou informel, ne signifie pas mécaniquement que ce dernier satisfasse la multiplicité des besoins économiques et sociaux des actifs occupés et de leur famille. Cette idée est cruciale tout particulièrement en Amérique latine où de larges pans des marchés du travail traduisent des tendances à l’exclusion dans le processus productif. Désormais ces derniers peuvent être identifiés à travers les dérogations partielles ou totales au socle commun de la qualité de l’emploi (Ramos, Sehnbruch, et Weller Citation2015). Au-delà de ce premier constat, deux grandes conclusions peuvent être tirées de cette revue systématique de la littérature.

Tout d’abord, il existe bien une pluralité d’approches pour déterminer la QdE en Amérique latine. De cette diversité vient l’idée que les variables permettant de caractériser statistiquement l’idée de qualité de l’emploi ne doivent pas être définies a priori. En effet, ces critères spécifiques doivent revêtir un caractère flexible afin de s’adapter de manière pertinente au contexte social et juridique étudié (). De ce point de vue, la contextualisation juridique est aussi importante que celle socioéconomique dans la mesure où, au-delà de la faiblesse du contrôle du respect de la norme,Footnote6 nous ne pouvons que constater la soumission dans la région de l’applicabilité de plusieurs dispositions légales à des critères basés soit sur la taille de l'entreprise, soit sur l’ancienneté, soit sur le secteur d’activité concerné, voire sur l’activité elle-même (Isaza Cadavid Citation2014).

En complément de cette nécessaire contextualisation, à l’instar des travaux menés en Europe particulièrement par Guergoat-Lariviere et Marchand (Citation2012), cette revue systématique et offre finalement la possibilité de faire émerger un socle commun de six dimensions fondamentales pour donner du corps au concept de qualité de l’emploi : le niveau de revenu, les conditions de travail, la sécurité et le statut légal de l’emploi, l’existence et le respect des droits collectifs, la possibilité de concilier vie familiale et vie professionnelle et la satisfaction retirée de son activité. Ainsi, c’est bien à travers cette multidimensionnalité reposant sur ces six piliers, adaptables à la variété des contextes institutionnels, que ce concept trouve toute sa puissance analytique pour devenir une mesure permettant l’étude précise des marchés du travail situés au sein de formes spécifiques de capitalisme (Deguilhem et Frontenaud Citation2016). Or, nous le voyons déjà se dessiner, si cette notion peut devenir une mesure multidimensionnelle et contextuelle, elle n’est pertinente qu’à condition de saisir dans le même mouvement les approches socioéconomique et juridique, particulièrement dans les pays en développement où la règle de droit reste faible tout comme son contrôle.

Une carence à combler : associer systématiquement les approches socioéconomique et juridique de la relation de travail

En dépit de la convergence des travaux et d’un possible raffinement progressif du concept de qualité de l’emploi dans la littérature, l’approche juridique, et donc interdisciplinaire, de la relation de travail, est encore trop souvent mise de côté au profit de l’approche socioéconomique. Plusieurs exemples peuvent être donnés. Dans sa révision des indicateurs de la qualité de l’emploi en 2017, l’Institut syndical européen en Europe ou le travail de Sehnbruch et al. (Citation2020) en Amérique latine s’en tiennent encore à une analyse purement socioéconomique de la qualité de l’emploi. Le gain économique tiré de leur activité par les travailleurs est ainsi limité au revenu net mensuel en Europe ou à l’équivalent monétaire d’un nombre de fois le panier de biens de premières nécessités. La législation du travail peut pourtant offrir un cadre d’analyse plus fin : sur ce revenu net, quelle est la part respective du salaire dont dépend la plupart des cotisations sociales, et de la rémunération constituée de primes et gratifications qui n’entrent pas dans le calcul de ces cotisations? Ce revenu net dépend-il d’un accord collectif d’entreprise ou d’une réglementation homogène s’appliquant à tous les travailleurs? De ce point de vue, la tendance lourde à l’œuvre en Europe comme en Amérique latine ces dernières années renvoyant au niveau de l’entreprise la fonction normative de définition des conditions de travail est sûrement un phénomène à prendre en compte. La qualité de l’emploi ne sera pas la même selon que le droit autorise les entreprises à déterminer le montant de l’heure supplémentaire ou non. Par ailleurs, que signifie le revenu net mensuel lorsque la législation autorise à tri-annualiser l’activité et donc, par voie de conséquence, à lisser la rémunération de l’activité sur ces trois années? Plus proche de notre sujet car concernant l’Amérique latine, la plupart des études portant sur la qualité de l’emploi n’intègrent pas le droit des relations collectives de travail. Le taux de couverture des conventions collectives et le taux d’adhésion syndicale ne suffisent pas. En effet, que faire, par exemple, des législations nationales qui conditionnent l’exercice de la liberté syndicale à un nombre de travailleurs syndiqués au sein d’une unité de production alors même que l’écrasante majorité des micros et petites entreprises atteignent rarement le seuil fixéFootnote7 (Isaza Cadavid Citation2014)? Enfin, comment considérer la faiblesse des politiques sociales chargées de promouvoir l’égalité de genre en réglementant notamment les congés parentaux et l’accès au service pour la petite enfance, mais qui pèse sur les possibilités de conciliation entre la vie familiale et professionnelle des femmes (Amarante et Rossel Citation2017)?

C’est donc à un dialogue interdisciplinaire entre droit et socioéconomie en général, et droit du travail et socioéconomie appliqué au développement en particulier, qu’il faut appeler (Marshall et Fenwick Citation2016). La tâche n’est pas aisée mais n’est pas impossible. Il faut d’abord résister à deux tentations. La première serait celle de prétendre à un langage commun entre ces disciplines que traduirait le concept de transdisciplinarité (Ost et Van De Kerchove Citation1987). Bien que généreuse, cette idée se heurte à un obstacle de taille qui est celui de sa réalisation. En fonction de l’objectif recherché, une discipline l’emporte nécessairement sur l’autre. En l’occurrence, il s’agit de réintégrer l’approche juridique du travail dans l’analyse de la qualité d’un emploi. La visée est donc fondamentalement descriptive et non pas normative. Cela explique pourquoi, en l’espèce, l’approche socioéconomique l’emporte. Ce qui nous amène au rejet de la seconde tentation : celle du positivisme idéologique. L’approche interdisciplinaire de la qualité de l’emploi ne peut se concrétiser sans une conception ouverte et plurielle des disciplines en jeu. Plusieurs cadres conceptuels peuvent être invoqués, en droit et en socioéconomie, pour ce faire (par exemple : Luhmann Citation1995; Supiot Citation2005; Deakin Citation2006; Hellmich Citation2017). Elles renvoient, in fine, au point commun des sciences humaines et sociales : l’interprétation nécessaire – des textes et/ou des faits économiques considérés comme des faits sociaux – afin d’établir la représentation la plus précise possible d’une réalité complexe qui n’est jamais donnée a priori (Potter Citation1996). En d’autres termes, les deux discours se réclament d’une double approche à la fois constructiviste et interprétative (Berger et Luckmann Citation1966).

L’intérêt de la prise en compte de l’approche juridique du travail va, selon nous, plus loin qu’une simple description de la qualité de l’emploi. Le droit – et en particulier le droit du travail – est aussi un observatoire privilégié des sociétés (Supiot Citation1990; Commaille Citation2015) et des capitalismes (Castree Citation2004; Muir-Watt Citation2004; Neethi Citation2016). Il faut, de ce point de vue, abandonner l’idée selon laquelle le droit n’a qu’une fonction normative abstraite. Il est, de même que d’autres institutions, représentatif des rapports de force à l’œuvre et des choix politiques du moment. Prendre en compte la l’approche juridique de la qualité de l’emploi revient par conséquent, aussi, à mettre un pied dans une analyse plus fine de l’évolution et de la diversité des capitalismes.

Afin de résumer schématiquement le propos tenu dans cette sous-section, c’est bien à l’intersection entre les règles en matière de droit du travail, de droit social et les normes socioéconomiques régissant l’identité collective et le statut individuel que nous situons cette approche interdisciplinaire nécessaire de la qualité des emplois ().

Figure 3. Les facteurs qui composent la qualité de l’emploi.

Source : Auteurs.

Figure 3. Les facteurs qui composent la qualité de l’emploi.Source : Auteurs.

Discussion et conclusion

Au cours de ce cheminement allant d’un panorama des bouleversements survenus dans le monde de l’emploi en Amérique latine à la définition d’une approche interdisciplinaire et multidimensionnelle de la qualité de l’emploi à partir d’une revue des travaux existants dans la région, nous avons soulevé plusieurs éléments fondamentaux. Le fait d’être indépendant ou employé, formel ou informel, ne constitue plus désormais une catégorie à part entière, séparée des autres et permettant d’identifier des logiques propres. En effet, ces observations, quant au statut vis-à-vis de l’emploi, doivent être reconsidérées au prisme des conditions sociales et juridiques nécessaires à leur propre réalisation. Ainsi, les résultats obtenus en matière de qualité de l’emploi sur le marché du travail dépendent de conditions institutionnelles dans lesquelles ils s’obtiennent, et à travers lesquels ils peuvent désormais être saisis et mesurés. Le recours à une approche interdisciplinaire offre alors la possibilité d’articuler et de combiner six grandes dimensions, nécessairement socioéconomiques et juridiques dans l’analyse du marché du travail. Leur réintégration au cœur du concept de qualité de l’emploi nous permet dans le contexte particulier de l’Amérique latine d’appréhender d’un point de vue multidimensionnel la diversité et la transformation des rapports d’emploi (Farné et Vergara Citation2015), mais aussi de transcender les oppositions peu adaptées entre formalité et informalité ou entre salariat et indépendance (Floro et Messier Citation2011; Roncolato et Willoughby Citation2017; Combarnous et Deguilhem Citation2019).

Ainsi reconstituée, cette notion peut alors être pleinement envisagée d’un point de vue fonctionnel pour la définition et l’orientation de politiques d’emploi, permettant de mesurer et d’évaluer rigoureusement les déficits qualitatifs que subissent les actifs occupés en Amérique latine au niveau micro-socioéconomique (Floro et Messier Citation2011) comme macro-institutionnel (Ramos, Sehnbruch, et Weller Citation2015; Sehnbruch et al. Citation2020). Sans adopter l’approche nouvelle proposée ici, le rapport régional de l’OIT (Citation2017, 13) indique que la qualité de l’emploi a eu tendance à se dégrader ces dernières années. Or, en réarticulant désormais cet intérêt institutionnel croissant, en phase avec la perspective ouverte par les Objectifs de Développement Durable (Oudin Citation2017), avec cette approche redonnant un contenu à cette notion, nous pouvons raisonnablement penser que la qualité de l’emploi acquiert la légitimité nécessaire pour se poser en centre de gravité de la formulation des politiques publiques. De cette façon, en déplaçant le niveau d’analyse des objectifs vers celui des outils, nous partageons le sentiment de Burchell et al. (Citation2014, 460) qui estiment que les « agendas politiques ont une probabilité supérieure de succès ». Ainsi, ce concept multidimensionnel et contextualisé via cette approche interdisciplinaire pourrait enfin se révéler comme un objectif structurant des États et des organisations internationales dans la région (Ocampo et Sehnbruch Citation2015; Deguilhem et Vernot-López Citation2020), en particulier s’agissant de la promotion d’un « marché du travail inclusif » vis-à-vis des conditions de travail et des attentes des jeunes actifs ou de ceux contraints dans des formes de travail atypiques (OIT Citation2017; CEPALC Citation2018).

Remerciements

Les auteurs remercient les rapporteurs anonymes dont les suggestions ont aidé à améliorer le texte original. Les auteurs souhaitent également remercier les participants à la 4ème Conférence de l’OIT Regulating for Decent Work à Genève pour leurs commentaires sur une version préliminaire du manuscrit.

Additional information

Notes on contributors

Thibaud Deguilhem

Thibaud Deguilhem est actuellement Maître de Conférences en Sciences Économiques à l'Université de Paris et chercheur au laboratoire pluridisciplinaire LADYSS UMR 7533 (Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces).

Michelle Vernot-López

Michelle Vernot-López est actuellement doctorante en Sociologie à l´Université de Barcelone et chercheuse associée au CIPE (Centro de Investigación y Proyectos Especiales) de l´Université Externado de Colombia.

Baptiste Delmas

Baptiste Delmas est actuellement doctorant en Droit au COMPTRASEC UMR 5114 (Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale) à l'Université de Bordeaux et au CRIMT (Centre de Recherche Interuniversitaire sur la Mondialisation et le Travail) à l'Université Laval.

Notes

1 À la suite de la première vague de plans d’ajustement structurel dans les années 1980, une seconde génération du « consensus de Washington » est mise en place à partir des années 1990. À propos du marché du travail, ce « plaidoyer » reposait alors sur l’hypothèse selon laquelle, sous certaines conditions de libéralisation, les employeurs pourraient créer de nouveaux emplois, plus productifs, générant ainsi une diminution générale des taux de chômage et de sous-emploi à moyen terme. Cependant, ce cadre ignorait les conséquences sur les conditions de travail, les types de contrats, la stabilité et la régularité de l’emploi, les horaires de travail ou encore les protections contre les risques socioprofessionnels (Ramos, Sehnbruch, et Weller Citation2015).

2 Personnes qui déclarent vouloir travailler et être disponibles pour le faire, mais ne cherchant néanmoins pas d’emploi sur une période de référence.

3 La croissance économique pour l’ensemble des pays latino-américains recule de 1,6 pour cent en 2009 et le taux de chômage passe de 7,3 pour cent à 8,1 pour cent entre 2008 et 2009 (OIT Citation2014).

4 Les contrats permanents comme les CDD peuvent être écrits ou verbaux.

5 Nous reprenons ici à dessein les termes utilisés dans les études et les articles appartenant à ce courant de pensée (Maloney Citation2004; Perry et al. Citation2007).

6 En Colombie par exemple, le renforcement de l’inspection du travail constitue une question importante. Ce service, rattaché au ministère du Travail, a pour fonction de « développer des campagnes de promotion et d’assistance préventive sur le respect des normes du travail, la sécurité sociale dans les pensions et les risques professionnels, l’emploi et la protection des travailleurs, ainsi que l’inspection et le contrôle du respect des normes du travail » (Ministerio del trabajo Citation2014, 11). Devant cette longue liste de compétences, l’inspection fait face à de fortes faiblesses institutionnelles et a longtemps stagné autour du nombre de 400 inspecteurs avant de passer à 900 (dont 190 postes non-pourvus) en 2013 grâce à la loi 1610 de 2013. En outre, les recours à l’inspection avant le décret 1867 de 2014 étaient tout à fait limités, dans la mesure où elle ne garantissait pas l’anonymat du salarié à l’origine de la saisie ni n’autorisait un syndicat à porter une demande pour les affiliés comme les non-affiliés. En 2013, ces obstacles se traduisent statistiquement : un peu plus de 40 pour cent des travailleurs sont affiliés au régime de sécurité contre les risques du travail, un peu plus de 15 000 unités de production ont fait l’objet d’une inspection pour seulement 1 500 condamnations dont plus de 60 pour cent pour non-conformité avec les exigences du ministère (Ministerio del trabajo Citation2014, 25–36).

7 En Colombie, il n’est possible de former une section syndicale qu’à partir de 25 travailleurs affiliés (Article 359 de la Código Sustantivo del Trabajo, Décision de la Cour Constitutionnel No. C-201-02 du 19 mars 2002). Au Pérou, les syndicats doivent compter au moins 20 travailleurs afin d’être considérés comme légaux (Decreto Supremo N° 010-2003-TR).

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