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Salinisation de l’aquifère libre de la Chaouia côtière (Azemmour-Tnine Chtouka), Maroc

Salinization of the unconfined aquifer of coastal Chaouia (Azemmour-Tnine Chtouka), Morocco

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Pages 749-759 | Received 01 Oct 2013, Accepted 11 Jan 2016, Published online: 12 Dec 2016

RÉSUMÉ

L’aquifère libre de la Chaouia côtière constitue un exemple des aquifères les plus exploités au Maroc. Ce travail est consacré à l’étude des processus de la salinisation des eaux souterraines par l’analyse physico-chimique de 39 puits répartis dans la zone. Deux types de faciès ont été révélés, l’un est chloruré-sodique dans la frange côtière ; l’autre faciès est de type chloruré bicarbonaté-calcique caractérisant les eaux exploitées dans les calcaires marneux du Crétacé. L’influence marine (aérosols et intrusion marine), la dissolution/précipitation de la roche aquifère et l’infiltration des eaux d’irrigation, sont parmi les causes de l’augmentation de la salinité des eaux souterraines, en plus de l’exploitation excessive de l’eau souterraine.

ABSTRACT

The unconfined aquifer of coastal Chaouia is an example of groundwater resources subjected to intensive withdrawals in Morocco. In this study, we focus on the salinization of groundwater in coastal aquifers, by physic-chemical analysis of 39 groundwater samples collected from wells during May 2011. The hydrochemical results show two facies types, the first is chloride-sodium, caracterizing the wells in the coastal fringe; the second is chloride bicarbonate-calcium characterizing waters exploited in marly limestone of the Cretaceous. The marine influence (aerosols and seawater intrusion), aquifer rock dissolution/precipitation and infiltration of irrigation water are among the causes of the increase in the salinity of groundwater, in addition to the excessive exploitation of groundwater in the study area.

EDITEUR Z.W. Kundzewicz

EDITEUR ASSOCIÉ M. Besbes

Introduction

La dégradation de la qualité des ressources hydriques souterraines en zones côtières devient un sujet inquiétant, résultant de multiples actions naturelles et anthropiques. La salinisation constitue la principale cause de cette dégradation dans le domaine côtier marocain.

La salinisation des nappes côtières affecte plusieurs zones dans le monde. La nappe côtière de Korba en Tunisie (Kouzana et al. Citation2010), la nappe côtière de Gaza (Yakirevich et al. Citation1998), et les nappes côtières marocaines (Zouhri et al. Citation2010, Fadili et al. Citation2015) ont connu une forte salinisation à cause de l’intrusion de l’eau de mer suite à l’exploitation excessive de l’eau souterraine.

L’aquifère côtier de la Chaouia en constitue un exemple. Situé sur le littoral atlantique marocain sous un climat semi-aride, cet aquifère correspond à un système hétérogène complexe formé par les grès-calcaires du Plioquaternaire, les calcaires marneux du Crétacé et les schistes altérés du Paléozoïque. L’intense exploitation par pompage pour l’irrigation des cultures maraichères a entrainé une grande vulnérabilité à la salinisation de cet aquifère (Marjoua Citation1995, Younsi Citation2001).

La Chaouia côtière a fait l’objet de plusieurs études portant sur l’hydrogéologie de la nappe depuis le début de son exploitation en 1971 (Bentayeb Citation1972, Marjoua Citation1995, Fakir et al. Citation2001, Younsi Citation2001, Zerouali et al. Citation2001, Moustadraf et al. Citation2008, Najib Citation2014). La présente étude a pour objectif de contribuer à la compréhension du phénomène de la salinisation de la nappe (Azemmour-Tnine Chtouka) d’une part par la caractérisation hydrochimique, et d’autre part, par l’étude des mécanismes et des processus de la minéralisation notamment l’appauvrissement et l’enrichissement en éléments chimiques.

Contexte geologique et hydrogéologique

La nappe de la Chaouia côtière constitue une importante unité hydrogéologique dans la meseta côtière marocaine. Elle s’étend d’Azemmour à Casablanca et jusqu’à Berrechid à l’intérieur de la plaine sur une superficie totale de 1200 km2. La zone concernée par la présente étude, est située au Sud-Ouest de la plaine de la Chaouia côtière sur une superficie de 400 km2. Elle est limitée au Nord par l’océan Atlantique, au Sud-Ouest par l’oued d’Oum Er-Rbia et à l’Est par la plaine de Berrechid ().

Figure 1. Localisation géographique et géologique de la Chaouia côtière.

Figure 1. Localisation géographique et géologique de la Chaouia côtière.

Les formations géologiques sont constituées d’un socle primaire paléozoïque formé par des schistes et des quartzites acadiens et ordoviciens (Lecointre and Gigout Citation1950) qui affleurent au Nord-Est dans la zone de Bir Jdid et au Sud de Casablanca. Dans la zone Sud-Ouest (entre Azemmour et Tnine Chtouka), des dépôts marno-calcaires du Cénomanien affleurent dans la basse vallée de l’Oum Er-Rbia et dans la pointe d’Azemmour. La couverture Plioquaternaire est généralement composée de grès marins et des dunes consolidées ().

Figure 2. Coupes hydrogéologiques AB et CD de l’aquifère de la Chaouia côtière sur la base de forages réalisés par l’agence du bassin hydraulique de Bouregreg et Chaouia en 2000.

Figure 2. Coupes hydrogéologiques AB et CD de l’aquifère de la Chaouia côtière sur la base de forages réalisés par l’agence du bassin hydraulique de Bouregreg et Chaouia en 2000.

La nappe de la Chaouia côtière est une nappe libre constituée par un système hétérogène qui se développe dans les grés-calcaires du Plioquaternaire et dans les schistes altérés du Primaire dans la partie Nord-Est (). Au niveau de la partie Sud-Ouest de la région, la nappe s’écoule dans les calcaires marneux du Cénomanien qui s’intercalent entre les formations primaires et plioquaternaires. L’ensemble de ces niveaux aquifères est en communication hydraulique latérale et verticale () (Younsi Citation2001, Moustadraf et al. Citation2008). L’hétérogénéité lithologique de l’aquifère a pour conséquence une variabilité des perméabilités qui s’échelonnent entre 10–6 et 10–3 m/s. La plage de plus grande perméabilité (>3 × 10–4 m/s) correspond à celle des terrains gréso-calcaires du Plioquaternaire. Les autres plages représentent les différents stades d’altération et de fissuration respectivement pour des formations du Primaire et du Cénomanien (Younsi Citation2001).

L’état piézométrique est établi en mai 2011 (fin des hautes eaux) à partir d’un réseau de quatre-vingt-dix-huit puits couvrant tout le système aquifère. La carte piézométrique () montre que la nappe de la Chaouia côtière s’écoule vers l’océan qui constitue son exutoire principal. Au Sud-Ouest une ligne de partage des eaux passant par Tnine Chtouka sépare les eaux allant vers la mer de celles s’écoulant vers l’oued Oum Er-Rbia (drainage). Les mesures piézométriques ont montré que les faibles profondeurs de la nappe (entre 1 et 20 m) sont observées dans les secteurs côtiers, on note la présence de l’isopièze 0 m à l’intérieur des terres. En allant vers l’amont, la nappe devient de plus en plus profonde (entre 10 et 50 m). Le gradient hydraulique est relativement fort au Nord-Est (1,6‰) et faible au Sud-Ouest (0,3‰). Cette variation latérale du gradient hydraulique est attribuée à la surexploitation de la nappe dans ce secteur et à la variation de la perméabilité des terrains aquifères.

Figure 3. Carte piézométrique du complexe aquifère de la Chaouia côtière (mai 2011).

Figure 3. Carte piézométrique du complexe aquifère de la Chaouia côtière (mai 2011).

Materiels et methodes

Pour la caractérisation hydrochimique, une campagne d’échantillonnage pendant le mois de mai 2011 a concerné trente-neuf puits () captant l’aquifère du Cénomanien et destiné à l’usage domestique et agricole.

Le pH, la température (T), la conductivité électrique (CE) et les bicarbonates HCO3 ont été mesurés in situ immédiatement après le prélèvement. Les prélèvements sont effectués sur le terrain dans deux flacons après filtration à 0,45 µm l’un pour les anions et l’autre pour les cations acidifiés. Pour les puits équipés d’une pompe les prélèvements sont effectués après pompage.

Les mesures des cations (Na+, K+, Mg2+, et Ca2+), et des anions (Cl, SO42-, HCO3, Br et NO3) des eaux prélevées et de l’eau de mer ont été réalisées par un chromatographe Dionex ICS-1500 au laboratoire I2M GCE de Bordeaux (France). Une colonne AS15 de 4 mm a été utilisée pour les anions à faible conductivité électrique et une colonne AS19 de 4 mm pour les anions à forte conductivité électrique avec un éluant à base de soude (KOH). Pour les cations nous avons utilisé une colonne CS12 avec un éluant à base d’acide méta-sulfonique. L’incertitude sur la mesure est estimée à 2% par les tests de répétitivité effectués sur les échantillons.

L’indice de saturation (SI) a été calculé par le programme WateqF (Plummer et al. Citation1992) pour évaluer le degré d’équilibre entre l’eau et le minéral ce qui permet de mettre en évidence les différents stades de l’évolution géochimique de ces eaux et les phénomènes d’échange. Le SI est calculé en utilisant l’équation SI = log(IAP/Ks) (Drever Citation1997) où IAP est le produit d’activité ionique (ion activity product) et Ks le produit de solubilité du minéral. Si SI < 0, l’eau est en état de sous saturation (dissolution du minéral), si le SI = 0, l’eau est à l’équilibre avec le minéral et si SI > 0, l’eau est en état de sursaturation (précipitation du minéral).

Résultats et discussion

Hydrochimie et faciès chimique

Les résultats de la caractérisation physico-chimique sont résumés dans le . L’étude statistique des différents paramètres analysés montre une large variation latérale de la composition chimique des eaux de l’aquifère cénomanien. Le pH des eaux souterraines est légèrement basique et varie entre 6,9 et 8,3 avec une moyenne de 7,5. Les ions Cl et HCO3 sont les principaux anions dans les eaux avec des concentrations moyennes respectives de 717,5 et 290,3 mg/L. Les ions Na et Ca sont les principaux cations dans les eaux souterraines de l’aquifère de la Chaouia côtière avec des teneurs moyennes de 247,7 mg/L pour Na+K et 196,3 mg/L pour le calcium.

Tableau 1. Caractéristiques physico-chimiques des eaux souterraines échantillonnées de la Chaouia côtière (Azemmour-Tnine Chtouka).

La représentation graphique des eaux de la nappe cénomanienne de la Chaouia côtière sur le diagramme de Piper () (Piper Citation1944) montre la présence d’un faciès de type chloruré sodique dans la bande côtière et d’un un faciès bicarbonaté à chloruré calcique en s’éloignant vers l’amont. Le premier faciès pourrait être dû à la proximité des puits à la mer, le deuxième faciès traduit la nature carbonatée de l’aquifère crétacé.

Figure 4. Diagramme de Piper (Citation1944) des eaux souterraines de l’aquifère crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

Figure 4. Diagramme de Piper (Citation1944) des eaux souterraines de l’aquifère crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

La distribution spatiale de la conductivité électrique () montre que les eaux situées dans la bande côtière sont caractérisées par une conductivité électrique supérieure à 3 mS/cm. La bonne perméabilité des calcaires dans cette zone permettant de faciliter l’intrusion des eaux marines dans l’aquifère libre de la Chaouia côtière pourrait expliquer ces fortes minéralisations. En effet l’étude de la variation de la conductivité électrique en fonction de la distance à la mer () montre qu’en s’éloignant de la frange côtière sur environ 2 km, la conductivité électrique s’atténue pour atteindre des valeurs minimales de 0,6 mS/cm.

Figure 5. Distribution spatiale de la conductivité électrique et TDS dans l’aquifère Crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

Figure 5. Distribution spatiale de la conductivité électrique et TDS dans l’aquifère Crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

Figure 6. Variation de la conductivité électrique en fonction de la distance par rapport à la mer.

Figure 6. Variation de la conductivité électrique en fonction de la distance par rapport à la mer.

Le TDS (solides totaux dissous) varie entre 464 mg/L et 7786 mg/L avec une valeur moyenne de 1788,5 mg/L. Environ 60% des échantillons sont très minéralisés (entre 1 000 et 7 786 mg/L). La répartition spatiale () de TDS plaide en faveur de l’augmentation de la charge saline vers les exutoires (océan et oued Oum Er-Rbia) avec des concentrations supérieures à 2000 mg/L. La présence de l’isopièze 0 m à l’intérieur des terres () montre la contribution de l’intrusion marine dans la salinisation des eaux de la bande côtière.

La distribution des chlorures et sodium () est en parfaite corrélation avec celle de la conductivité électrique, en effet les fortes teneurs sont enregistrées dans la bande côtière où les valeurs dépassent 3000 mg/L pour les chlorures et 1000 mg/L pour le sodium. Vers la zone intérieure ces concentrations diminuent progressivement.

Figure 7. Distribution spatiale des chlorures, du sodium, du calcium et du magnésium dans l’aquifère crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

Figure 7. Distribution spatiale des chlorures, du sodium, du calcium et du magnésium dans l’aquifère crétacé de la Chaouia côtière (mai 2011).

Les teneurs en calcium et en magnésium montrent une grande variabilité de 46,2 à 780,1 mg/L pour Ca2+ et de 22, à 679 mg/L pour Mg2+. Les fortes teneurs pour ces deux cations sont enregistrées dans la bande côtière (), et reflètent un échange actif entre l’eau de mer et l’aquifère carbonaté du Cénomanien. Les sulfates oscillent entre 17,9 et 492 mg/L (). Ces cations ont probablement pour origine la dissolution du gypse, et le phénomène d’échange cationique entre l’eau souterraine et l’aquifère.

Tableau 2. Résumé statistique des paramètres physico-chimiques analysés.

Les eaux de la nappe cénomanienne sont très riches en nitrates, 90% des échantillons dépassent la limite admissible (50 mg/L) de potabilité (WHO Citation2008). Les plus fortes concentrations sont rencontrées au niveau des zones maraichères d’agriculture intensive avec un maximum de 521,1 mg/L.

Mécanisme de l’acquisition de la charge saline

L’ion chlorure est considéré comme un élément conservatif et non influencé par le processus redox et les minéraux de faible solubilité (Hsissou et al. Citation1999). Ainsi la réalisation des diagrammes binaires des ions majeurs en fonction de cet ion nous a permis d’étudier les processus de minéralisation des eaux.

Ces diagrammes sont utilisés comme élément de référence auquel on ajoute la droite de mélange eau de pluie (ED) eau de mer (EM) pour étudier l’appauvrissement et l’enrichissement des eaux souterraines en ces ions. Les valeurs élevées des chlorures pour les puits côtiers se rapprochent de plus en plus de la teneur du pôle «eau marine» (). Ceci plaide en faveur d’une contribution de l’eau de mer par un mélange aux eaux douces et donc à l’augmentation de la salinité de l’aquifère. En effet, la surexploitation de l’aquifère pendant les saisons sèches, l’usage irrationnel des engrais, les embruns et les aérosols constituent les principales origines des chlorures dans la zone d’étude.

Figure 8. Relation entre Na+, Ca2+, Mg2+ et SO42- et le Cl en méq/L des eaux souterraines et de l’eau de mer.

Figure 8. Relation entre Na+, Ca2+, Mg2+ et SO42- et le Cl− en méq/L des eaux souterraines et de l’eau de mer.

Les ions Na+ et Cl constituent les ions majeurs, une corrélation positive existe entre les chlorures et le sodium avec un coefficient de détermination (R2) égal à 0,95 (). Tous les puits échantillonnés se trouvent en dessous de la droite de mélange ED-EM ce qui indique un appauvrissement en sodium par rapport à la droite de mélange ED-EM. En revanche les concentrations en calcium et magnésium versus les chlorures montrent que tous les points sont au-dessus de la droite de mélange eau douce-eau salée indiquant un enrichissement en magnésium et en calcium. Les réactions majeures responsables de l’enrichissement de l’eau en magnésium et en calcium sont les échanges Ca-Mg, dus à l’interaction eau-roche carbonatée, Na-Ca ou Na-Mg par les échanges de base qui se traduisent par une adsorption de Na+ et la libération de Ca2+ et Mg2+ (Fidelibus and Tulipano Citation1996, El Achheb et al. Citation2003).

Le déficit en sodium pourrait s’expliquer par la réaction d’échange cationique dans la zone saturée par l’échange du calcium de la fraction argileuse avec le sodium de l’eau provoquant ainsi une augmentation du calcium et une réduction du sodium dans l’eau de la nappe. Dans les aquifères côtiers, lorsque l’eau de mer (riche en Na+) pénètre dans l’aquifère, le Na remplace le Ca libéré selon (Jones et al. Citation1997) l’équation suivante:

Na++12CaXNaX+12Ca2+

X représente l’échangeur normal. Les échantillons affectés par ce processus indiquent un déficit du Na et l’excès de Ca dans l’eau de la nappe ().

Le graphique des concentrations des sulfates en fonction des chlorures () montre que 87% des points se trouvent en dessous de la droite de mélange eau douce-eau marine. L’apport de sulfates pourrait provenir de l’intrusion marine (), des bancs salifères riches en gypse de la nappe cénomanienne () et de l’infiltration des eaux d’irrigation riches en fertilisants (fumier et sulfate d’ammonium (NH4)3SO4). La réduction des sulfates favorise la dissolution des minéraux carbonatés et pourrait changer d’avantage le rapport Mg/Ca (El Achheb et al. Citation2003).

Dans toutes les relations entre le Cl et les éléments majeurs, les échantillons de la frange côtière ont toujours tendance à s’éloigner de ceux de l’intérieur de la Chaouia montrant que les eaux de la bande côtière sont très influencées par la proximité de l’océan.

L’indice de saturation

Le calcul des indices de saturation des minéraux de gypse et de la calcite () montre que tous les échantillons des eaux souterraines de l’aquifère cénomanien de la Chaouia côtière sont sous-saturés (SI < 0) vis-à-vis du gypse et sursaturés (SI > 0) par rapport à la calcite.

Figure 9. Relation entre Ca2+ et SO42- en méq/L des eaux souterraines.

Figure 9. Relation entre Ca2+ et SO42- en méq/L des eaux souterraines.

Figure 10. Relation entre les indices de saturation des eaux vis-à-vis du gypse et de la calcite en fonction respectivement de: (a) Ca+SO4 et (b) Ca+HCO3.

Figure 10. Relation entre les indices de saturation des eaux vis-à-vis du gypse et de la calcite en fonction respectivement de: (a) Ca+SO4 et (b) Ca+HCO3.

La participation des ions Ca2+ et SO42- à la salinisation indiquerait une éventuelle dissolution du gypse (coupe CD de la ), ce qui est corroboré par la corrélation positive entre ces deux éléments (R2 = 0,70) (). En effet, Le calcul des indices de saturation des minéraux de gypse et de la calcite () montre que tous les échantillons des eaux souterraines de l’aquifère cénomanien de la Chaouia côtière sont sous-saturés (SI < 0) vis-à-vis du gypse et sursaturés (SI > 0) par rapport à la calcite. En revanche, l’étroite corrélation entre les indices de saturation et Ca+SO4 () confirme l’état de sous-saturation pour la majorité des échantillons vis-à-vis du gypse.

La sursaturation des eaux en calcite est confirmée par l’excès en Ca et Mg par rapport à la droite de mélange eau douce-eau marine observé dans la . De même, l’absence de corrélation de l’indice de saturation des eaux vis-à-vis de la calcite en fonction de Ca+HCO3 () confirme le phénomène d’échange entre le calcium du calcaire cénomanien et l’eau de la nappe.

Le lessivage par la pluie des sels accumulés dans les sols et le retour des eaux d’irrigation contribuent à l’augmentation de la minéralisation des eaux de la nappe phréatique dans la zone côtière.

Analyse des ratios ioniques

Dans les aquifères côtiers, les ratios ioniques Mg/Ca, Cl/HCO3, SO4/Cl et Br/Cl sont très utilisés pour étudier les processus hydrochimiques responsables de la salinisation des eaux souterraines (El Yaouti et al. Citation2009, Mondal et al. Citation2010, Aris et al. Citation2012).

Le rapport Mg/Ca est un indicateur utilisé pour la délimitation de l’interface eau de mer et eau douce. En général, l’eau douce est plus riche en calcium que l’eau marine et c’est le contraire pour le magnésium. Dans les puits côtiers ce rapport est supérieur à 1 (), avec une valeur maximale de 2,7. Cela suggère une contamination de la nappe par des eaux marines, mais tous ces échantillons ont un rapport Mg/Ca inférieur à 3,98 (rapport caractéristique de l’eau de mer). En se dirigeant vers l’amont, des valeurs plus faibles et inférieures à 1 pour Mg/Ca indiquent une prédominance du calcium.

Figure 11. Ratios ioniques Mg/Ca, Cl/HCO3, SO4/Cl et Br/Cl en fonction des chlorures (méq/L).

Figure 11. Ratios ioniques Mg/Ca, Cl/HCO3, SO4/Cl et Br/Cl en fonction des chlorures (méq/L).

Le rapport ionique Cl/HCO3 est également un indicateur de la salinisation. Si le rapport est inférieur à 0,5 les eaux souterraines sont classées comme non affectées par la salinisation. Entre 0,5 et 6,6 les eaux sont faiblement à moyennement affectées par la salinisation, pour les eaux fortement affectées par la salinisation le rapport Cl/HCO3 est supérieur à 6,6 (Revelle Citation1941, Aris et al. Citation2012). Le ratio Cl/HCO3 () des eaux échantillonnées varie entre 0,64 et 21,8. En considérant la classification adoptée par Revelle (Citation1941), 18 % de l’ensemble des échantillons localisés dans la frange côtière sont fortement affectés par la salinisation, le reste des échantillons sont moyennement affectés par la salinité.

Le rapport ionique SO4/Cl a été utilisé comme traceur naturel du temps de résidence de l’eau de mer dans l’aquifère (Pulido-Leboeuf et al. Citation2003, Zouhri et al. Citation2010). Dans les secteurs où l’écoulement est rapide, le temps de transit est rapide dans les eaux qui se caractérisent par de faibles valeurs du rapport SO4/Cl.

Le rapport SO4/Cl est évalué en fonction de la distribution des concentrations en Cl (). On constate une diminution de SO4/Cl de l’amont vers l’aval qui est liée à l’augmentation de la proportion de l’eau de mer dans le mélange (Tellam Citation1995). Ce rapport montre des valeurs comprises entre 0,07 et 0,51. L’apport supplémentaire de sulfates pour les eaux qui ont un rapport plus grand que 0,13 (rapport caractéristique de l’eau de mer) pourrait provenir de la dissolution de petites quantités de gypse (d’après le forage 4045/19 réalisé par l’Agence du Bassin Hydraulique de Bouregrg et la Chaouia) éparpillées au sein de l’aquifère (Pulido-Leboeuf et al. Citation2003).

Les chlorures et les bromures, sont de bons traceurs conservatifs d’un système aquifère, en effet le rapport Br/Cl est généralement utilisé pour la détermination de l’origine de la salinité, il est le moyen le plus souvent pertinent pour expliquer la salinité des eaux des nappes (Hsissou et al. Citation1999, Fedrigoni et al. Citation2001, Abderamane Citation2012). Cette étude permet grâce au rapport molaire Br/Cl de distinguer les zones sous influence évaporitique. L’eau de mer et l’eau de pluie présentent un rapport Br/Cl respectivement de l’ordre de 1,54 et 1,25‰ (Oulaaross Citation2009). Plusieurs auteurs montrent que les eaux de pluie présentent un rapport très proche de celui de l’eau de mer ou même plus élevé (Fisher and Mullican Citation1997).

Les teneurs en bromures augmentent globalement de l’amont vers l’océan, (). L’ensemble des puits présente un rapport Br/Cl qui varie entre 0,9 et 6,2‰ et dans la frange côtière ce rapport varie entre 1,1 et 6,2‰.

Les puits 2 et 5 présentent un rapport Br/Cl supérieur à celui de l’eau de mer, soit respectivement 6,2 et 1,8‰, ce qui indique qu’ils sont enrichis en Br par rapport au Cl. Selon la classification proposée par Alcalá and Custodio (Citation2008) et Zabala et al. (Citation2015), la contribution des précipitations atmosphériques et les activités agricoles sur la salinité de l’eau souterraine est caractérisée par des rapports Br/Cl élevés et supérieurs à la valeur océanique. Cependant, on peut suggérer que les valeurs observées dans ces deux puits ne peuvent être que la conséquence d’une utilisation intense des engrais dans cette partie de la zone d’étude. Certains puits éloignés de la côte (au-delà de 2 km) présentent un rapport relativement proche de l’eau de mer, il est peut-être dû aux aérosols et aux embruns marins (Hsissou et al. Citation1999).

Conclusion

La présente étude sur les eaux souterraines de l’aquifère cénomanien de la Chaouia côtière (Azemmour-Tnine Chtouka) au Maroc a pu mettre en évidence les différents processus de la salinisation des eaux. Deux types de faciès sont mis en évidence, l’un de type Na-Cl principalement pour les eaux de la zone côtière, l’autre faciès est de type Ca-Cl-HCO3 et caractérise les eaux de la partie amont de la zone d’étude.

L’étude hydrochimique des eaux de la nappe du Cénomanien a mis en évidence une forte minéralisation (moyenne de 6613 mg/L de TDS) des eaux de la zone côtière. En effet les calcaires marneux qui forment l’aquifère sont perméables et facilitent l’intrusion marine vers la nappe. Ce résultat est confirmé par l’existence de l’isopièze 0 m à l’intérieur des terres. Vers l’amont, la nappe devient plus profonde et faiblement minéralisée (moyenne de 977 mg/L de TDS).

Les processus de dissolution/précipitation des eaux vis-à-vis des minéraux carbonatés (calcite) et évaporitiques (gypse) contribuerait à la salinisation des eaux souterraines. Les phénomènes d’échanges cationiques sont généralement à l’origine de la variation des concentrations des cations (Ca2+, Mg2+ et Na+).

L’analyse des ratios ioniques Mg/Ca, Cl/HCO3, SO4/Cl et Br/Cl montre une contamination des eaux souterraines par l’eau de mer. L’intrusion marine provoquée par la surexploitation de la nappe joue un rôle important dans la salinisation des eaux de la nappe de la Chaouia côtière. Cette intrusion s’étend sur une distance d’environ 2,5 km par rapport à la mer; ce qui été confirmé par l’étude géophysique sur les profils de tomographie électrique 2D de la zone d’étude (Najib Citation2014).

Déclaration de divulgation

Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été rapporté par le(s) auteur(s).

Remerciements

Cette étude a bénéficié d’un soutien financier de la part du comité mixte franco-marocain (MA/08/191) en charge des projets de partenariat Hubert Curien Volubilis,. Nous l’en remercions vivement. Nous remercions aussi Monsieur Peyraube Nicolas de l’institut de Mécanique et d’Ingénierie de Bordeaux 1, Département de Génie Civil Environnemental pour son aide dans la réalisation des analyses.

References

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