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International Review of Sociology
Revue Internationale de Sociologie
Volume 16, 2006 - Issue 3
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Démosthène et Cicéron devant la mondialisation

Pages 517-548 | Published online: 23 Nov 2006
 

Le débat contemporain sur la mondialisation est aujourd'hui en proie à des modes d'appropriation qui limitent sa lisibilité et le dégagement de ses enjeux fondamentaux. Différentes attitudes émergent devant ce phénomène: de la diabolisation à la célébration, de son inscription dans le langage du bien et du mal jusqu’à la tentation de le contrer par un repliement dans l'intimisme délibératif des sociétés. Par-delà le répertoire des réactions possibles, une antinomie, plus tenace et plus décisive que toutes les autres, se dessine entre la mondialisation et la démocratie. Or, l'objectif de cette réflexion est de contrevenir à cette évidence en démontrant que la porosité des dynamiques locale et globale multiplie les choix et fragilise la domination des élites sur la société en créant des oppositions fécondes par la mise en concurrence des systèmes sociaux. En fait, c'est moins la démocratie qui apparaît menacée par la mondialisation que son expression exclusive par l’État-nation. L'interprétation proposée analyse, de manière critique, les trois principaux moments du débat sur ce thème: la bataille entre les camps commence par la sélection des mots pour décrire la mondialisation, puis se déploie autour d’arguments pour en cerner la portée et, enfin, culmine avec une lecture de ses effets sur l'usage des libertés dans la Cité.

Notes

1. Démosthène, Troisième Philippique, pp. 36–39.

2. Idem.

3. Démosthène, Troisième Philippique, p. 31. Dans ce passage, Démosthène se livre à une surenchère dans le dénigrement de Philippe: «Non seulement il n'est pas Grec et n'a rien en commun avec les Grecs; mais il n'est même pas d'un pays auquel on puisse s'honorer appartenir».

4. Démosthène, Troisième Philippique, p. 33.

5. Cicéron, Dixième Philippique, p. 20.

6. Idem.

7. Idem.

8. (a) Sur la nation: Roland Robertson (1992) Globalization: Social Theory and Global Culture, Sage, London, à la page 112, l'auteur signale qu'il faut renoncer aux adéquations d'antan entre l’État et la nation. Voir aussi Robert Holton (1998) Globalization and the Nation-State, St. Martins Press, New York, le chapitre 6 traite de cette question. (b) Sur l’État: John Hoffman (1995) Beyond the State. An Introductory Critique, Polity Press, Cambridge; Leslie Sklair (1991) Sociology of the Global System, John Hopkins University Press, Baltimore; dans ce livre, Sklair invite—se défaire des “state-centred approaches”, p. 144. (c) Sur la gouvernance territoriale: David Held (1995) Democracy and the Global Order. From Modern State to Cosmopolitan Governance, Stanford University Press, Stanford, p. 16. (d) Sur la société: Zygmunt Bauman (1991) Intimations of Postmodernity, Routledge, London, pp. 46 et 47. Pour Bauman, les postulats de la sociologie ne valent plus. Kate Nash ((2000) Contemporary Political Sociology, Blackwell, London, p. 1) écrit que la prise en compte de la société comme unité d'analyse fut jusqu’à ce jour le grand préjugé de la sociologie politique. Edward Tiryakian propose d'oublier les catégories acquises depuis deux siècles pour les «internationaliser», condition de leur renouvellement: «Sociology's Great Leap Forward: The Challenge of Internationalization» in International Sociology, vol. 1, no. 2, 1990, pp. 155–171. Précisons aussi que ce discours ne date pas d'hier: Wilbert E. Moore (1966) «Global Sociology: The World as a Singular System» in The Americal Journal of Sociology, vol. 71, no. 5, pp. 475/482. Terminons avec le slogan récemment lancé par Martin Albrow: «Forget modernity», écrit-il. Le balayage doit emporter toutes les feuilles mortes de la modernité, c'est-à-dire les concepts qui en dérivent d'une manière ou d'une autre. Voir son ouvrage: The Global Age: State and Society Beyond Modernity, Polity Press, Cambridge, 1997, p. 6.

9. Roland Robertson note (op. cit., p. 100) que la globalisation se caractérise par l'universalisation du particulier et par la particularisation de l'universel. Ulf Hannerz y voit une organisation globale de la diversité («Cosmopolitans and Locals in World Culture» in Global Culture: Nationalism, Globalization and Modernity (Mike Featherstone, ed.), Sage, London, 1990, p. 237); dans cet ouvrage, Jonathan Friedman observe que la réalité globale comporte ces deux éléments constitutifs («Being in the World: Globalization and Localization», p. 311); Philippe Moreau Desfarges, La mondialisation, Presses Universitaires de France, Paris, Coll. “Que sais-je?”, 1997, pp. 115 et 116; d'innombrables ouvrages vont dans le même sens: Ian Clark (1997) Globalization and Fragmentation: International Relationals in the Twentieth Century, Oxford University Press, Oxford; Ann Cvetkovich and Douglas Kellner (eds) (1997) Articulating the Global and the Local: Globalization and Cultural Studies, Westview Press, Boulder; Olivier Dollfus (1997) La mondialisation, Presses de Sciences Po, Paris; de cet auteur aussi: L'espace-monde, Paris, Economica, 1994; Gérard Lafay (1997) Comprendre la mondialisation, Economica, Paris. Deux auteurs utilisent la métaphore des «figures de Janus» pour décrire le phénomène de la mondialisation: Malcolm Waters (1995) Globalization (Key Ideas), Routledge, London and New York, p. xii; il écrit aussi (p. 136) que la globalisation, loin de signifier un surcroît d'intégration, implique plutôt une simple «connectedness and de-territorialization»; Richard Kïlminster (1997) «Globalization as an Emergent Concept» in The Limits of Globalization (Alan Scott, ed.), Stanford University Press, Stanford, CA, pp. 257–283 (l'expression est employée à la page 280).

10. Les auteurs d'extrème gauche autant que d'extrême droite diabolisent la mondialisation à partir d'arguments conceptuellement différents mais pragmatiquement convergents. Voici des exemples: Hans-Peter Martin et Harald Schumann (1997) The Global Trap: Globalization and the Assault on Prosperity and Democracy, Zed Books, London (les auteurs opposent globalisation au développement de la richesse et de la démocratie). Pour un réquisitoire contre le libéralisme capitaliste au nom de la justice sociale: James H. Mittleman (2000) The Globalization Syndrome: Transformation and Resistance, Princeton University Press, Princeton, NJ. Pour une dénonciation du caractère antidémocratique de la globalisation: Samir Amin (1997) Capitalism in the Age of Globalization: The Management of Contemporary Society, Zed Books, London. Sur les conséquences économiques: Randall D. Germain (ed.) et Anthony Payne (2000) Globalization and Its Critics: Perspectives from Political Economy, St-Martins Press, New York. Pour un exposé des effets pervers: Saskia Sassen et Kwame Anthony Appiah (1998) Globalization and Its Discontents, The New Press, New York. Par ailleurs, il y a aussi les chantres de la mondialisation qui ne sont pas moins normatifs dans leur jugement: Alain Minc (1997) La mondialisation heureuse, Plon, Paris; Guy Sorman (1997) Le monde est ma tribu, Fayard, Paris. Paul R. Krugman (1998) La mondialisation n'est pas coupable. Vertus et limites du libre-échange, La Découverte, Paris.

11. Deux exemples: Kevin R. Cox (1997) Spaces of Globalization: Reasserting the Power of the Local, Guilford Press, New York; Don Kalb, Marco Van Der Land, Richard Staring (eds) (2000) The Ends of Globalization: Bringing Society Back In, Rowman & Littlefield, New York. Richard Falk (1999) Predatory Globalization. A Critique, Polity Press, Cambridge. Cet auteur écrit (page 8) que la globalisation constitue «an excellent opportunity for civil society to reassert progressive influences on political life».

12. (a) Sur le mot: la langue anglaise n'en a qu'un seul pour désigner le phénomène, celui de «globalization». Par contre, dans la langue française, mondialisation et globalisation sont généralement employées comme synonymes. Ce propos ne fera donc pas exception à cette habitude. Il convient de noter, par ailleurs, que la lexicographie officielle n'a consacré que récemment ces mots: «globalization» fut inscrit dans le Webster en 1961 et Le Robert date de 1953 la reconnaissance du terme mondialisation. André-Jean Arnoud (1998) (Entre modernité et mondialisation, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, pp. 22 et 23) croit que la distinction entre les termes de mondialisation et de globalisation tient d'une volonté de marquer une «identité culturelle» qui permettrait de distinguer la France des États-Unis. Non sans ironie, signalons que la spécificité linguistique hexagonale est elle-même, en conséquence, un résultat de la globalisation. (b) Sur la fortune du mot: Malcolm Waters (op. cit., p. 1) insinue que la globalisation a été transformée en slogan: «[…] just as postmodernism was the concept of the 1980s, globalization may be the concept of the 1990s». Les lettres de noblesse ont été conférées à ce terme dans le champ intellectuel dans la plupart des disciplines en sciences sociales et humaines. Voir Richard Kïlminster, op. cit., p. 258. Enfin, Malcolm Waters soutient que c'est Roland Robertson qui aurait été le premier—utiliser le mot dans le sens o[ugrave] il est reçu, ce qui paraît douteux: (cf. la note 8 et la référence à Wilbert E. Moore).

13. Malcolm Waters, op. cit., p. 4. Cet auteur distingue, en effet, trois plateaux d'intensité dans la globalisation: (a) son émergence avec l'histoire elle-même depuis les origines immémoriales; (b) son activation avec le développement du capitalisme; (c) son accomplissement décisif avec la post-modernisation et avec la désorganisation actuelle du capitalisme. De son côté, Roland Robertson (op. cit., pp. 58–60) retient cinq étapes dans l'historicisation de la globalisation: (a) «The germinal phase» (Europe, 1400–1750); (b) «The incipient phase» (Europe, 1750–1875); (c) «The take-off phase» (1875–1925); (d) «The struggle-for-hegemony phase» (1925–1969); (e) «The uncertainty phase» (1969–). La hardiesse de ces assignations chronologiques rappelle Les étapes de la croissance économique, (Paris, Éditions du Seuil, 1970) de Walt Whitman Rostow qui déterminait jadis des seuils dans le progrès vers la modernité. La différence est que, chez Robertson, l'incertitude n'est pas au début du parcours, mais à son terme. Pour un point de vue similaire: Zaki LaÏdi (1997) «La mondialisation ou la radicalisation de l'incertitude» in Études, vol. 3, no. 3, pp. 293–303. Une autre périodisation est mise de l'avant par David Held, Anthony McGrew, David Goldblatt et Jonathan Perraton (1999) (Global Transformations. Politics, Economics and Culture, Stanford University Press, Stanford, CA, pp. 415–435) selon laquelle il y aurait quatre phases: (a) «Premodern globalization»; (b) «Early Modern Globalization» (1500–1850); (c) «Modern Globalization» (1850–1945); (d) «Contemporary Globalization».

14. (a) Sur la définition du mot: la description de la globalisation comme action à distance est d'Anthony Giddens (1990) (The Consequences of Modernity, Polity Press, Cambridge, p. 141) qui campe ainsi ce phénomène: «[…] the intensification of worldwide social relations which links distant localities» (Ibid, p. 64); James N. Rosenau (1990) (Turbulence in World Politics: A Theory of Change and Continuity, Princeton University Press, Princeton, NJ) y voit le développement des pratiques transnationales au-delà des États-Nations; Anthony D. King (1990) (Global Cities, Routledge, London) parle des «cités globales» à la suite de Marshall McLuhan, Scott Lash et John Urry (1994) (Economies of Signs and Space, Sage, London, pp. 6 et 7) représentent la globalisation comme une structure décentrée, «the very networked flows», «the very economies of signs and space». (b) Sur le conflit des interprétations du mot: les penseurs de la tradition philosophique dite réaliste (cf. Machiavel, Hobbes, Clausewitz, Morganthau, etc.) donnent parfois une acception à ce point vaste de la globalisation qu'elle détruit par simple nominalisme la thèse de leurs adversaires. Un exemple: Hedley Bull (1977) (The Anarchical Society, Columbia University Press, New York, p. 279) dit que l'ordre mondial n'apparaîtra que par des valeurs et des institutions communes, bref par un consensus global. Or, cette perspective du Brave New World (Aldous Huxley) diffère diamétralement de la globalisation telle qu'entendue de nos jours, laquelle correspond davantage à une «foire aux valeurs» qu'au platonisme d'une république réconciliée. (c) Sur la séparation du temps et de l'espace: Anthony Giddens, Ibid, pp. 17–21; là o[ugrave] Giddens déclare que le temps et l'espace sont distanciés (Ibid, p. 14), David Harvey (1989) (The Condition of Postmodernity, Blackwell, Oxford) démontre plutôt que le temps annihile l'espace (voir son illustration à la page 241). Daniel Bell, dans un exercice de prospective auquel il s’était livré («The World and the United States in 2013» in Dædalus, vol. 116, no. 3, 1987, pp. 1–30; surtout p. 2), avait annoncé la disparition de l'espace comme variable déterminante et la dislocation du rapport traditionnel entre le travail et son rattachement à un lieu précis. Pour une illustration de cette thèse en économie: Richard O'Brien (1992) Global Financial Integration: The End of Geography, Chatham, London.

15. (a) Sur l'idée de «connectivité»: John Tomlinson (1999) (Globalization and Culture, The University of Chicago Press, Chicago, IL, p. 1) définit la globalisation par l'expression «connectedness», librement traduite ici par «connectivité» entre des mondes séparés. Ulrich Beck (1997) (What is Globalization?, Polity Press, London, p. 49) formule cette idée presque dans les mêmes mots en signalant que la globalisation équivaut, selon lui, à la fragmentation. Zygmunt Bauman (1999) (Le coÛt humain de la mondialisation, trad. par Alexandre Abensour, Hachette, Paris p. 107) entérine cette opinion majoritaire dans les écrits en relevant la complémentarité de ces processus. Aussi, concernant l'incertitude du monde actuel, il signale (p. 13) que c'est «un des aspects fondamentaux de l'existence actuelle». Voir de ce même auteur son ouvrage Life in Fragments (Blackwell, London, 1995, p. 24) o[ugrave] il dit que l'ordre de la raison (l'universalisme) est rompu par la globalisation. Anthony Giddens (op. cit., p. 175) écrit dans ce sens: «Globalisation […] fragments as it coordinates». (b) Sur le thème de l'indétermination: à moins d'accepter la théorie du complot des multinationales et de leurs élites, l'absence d'un ordre clairement identifiable est une assertion récurrente dans les ouvrages. Anthony G. McGrew (1992) («Conceptualizing Global Politics» in Global Politics: Globalization and the Nation-State, eds Anthony G. McGrew & Paul G. Lewis, Polity Press, Cambridge, p. 23) observe que la globalisation est inégale dans son développement et très différenciée dans ses conséquences, ce qui est une manière de dire qu'elle est indéterminée. Peter Marcuse (1995) («Not Chaos, But Walls: Postmodernity and the Partitioned City» in Postmodern Cities and Space, eds Sophie Watson & Katherine Gibson, Blackwell, Oxford, p. 241) remarque que la globalisation constitue «an attempt to impose chaos on order». Il y a aussi, pour terminer, une version anti-capitaliste et malgré tout déterministe du chaos: Samir Amin (1991) L'empire du chaos: la nouvelle mondialisation capitaliste, L'Harmattan, Paris.

16. Anthony Giddens (op. cit., p. 3) écrit: «Rather than entering a period of post-modernity, we are moving into one in which the consequences of modernity are becoming more radicalised and universalised than before». Il ajoute (p. 177): «Modernity is inherently globalising[…]». Malcolm Waters (op. cit., p. 3) constate, depuis la Tasmanie o[ugrave] il demeure, les effets globaux de l'européanisation du monde: «Globalization is the direct consequence of the expansion of European culture across the planet via settlement, colonization and cultural mimesis».

17. Tout le chapitre 9 du livre de Roland Robertson (op. cit.) est consacré à la critique de la thèse d'Anthony Giddens (op. cit.) sur l'aspect particulier de la relation entre la modernisation et la globalisation. Robertson (op. cit., p. 27) prend position en ces termes: «Present concern with globality and globalization cannot be comprehensively considered simply as an aspect of outcome of the Western “project” of modernity[…]». Cesare Poppi («Wider Horizons With Larger Details: Subjectivity, Ethnicity and Globalization» in The Limits of Globalization, p. 285) signale que la globalisation est d'emblée limitée par l'incapacité de la modernité à accomplir pleinement son projet. Concernant ces facteurs de limitation, il note: «they are also exploding the never delivered promises of modernization». Ainsi, les contradictions du capitalisme ne se sont pas résorbées par les lois inéluctables d'une histoire téléologique; l'infrastructure n'a pas triomphé de la superstructure; le sujet ne s'est pas réconcilié avec lui-même dans l'immanence de sa plénitude enfin retrouvée. Poppi cite et accepte la proposition de Fredric Jameson (1991) (Postmodernism, Or, the Cultural Logic of Late Capitalism, Verso, London, p. 14) selon laquelle «the alienation of the subject is displaced by the latter's fragmentation»). Bref, Nietzsche a raison contre Hegel. Enfin, Scott Lash et John Urry (op. cit., p. 306) donnent deux raisons, à la suite de Robertson, pour désavouer le rapprochement conceptuel de Giddens et Waters: (a) la globalisation dépasse largement les relations inter-étatiques ou internationales, car ses processus ont une autonomie propre; (b) cette autonomie ne correspond pas au discours d'une idéologie dominante et aux attributs qui s'y rattachent: cohérence, rationalisation, univocité, etc., ce qui ne veut pas dire pour autant que toute idée soit absente. Ulf Hannerz (op. cit., p. 237) montre bien lui aussi que la globalisation n'a plus rien à voir avec l'homogénéisation des références symboliques. Enfin, pour une thèse tout à fait contraire, voir Serge Latouche (1992) L'occidentalisation du monde: essai sur la signification, la portée et les limites de l'uniformisation planétaire, La Découverte, Paris.

18. Karl Marx (1965) (Le Manifeste communiste, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, Paris, p. 165) remarque que les relations entre les États allaient forcément devenir un jour plus déterminantes que le développement de la socialité au sein de chacun d'eux: «Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations. En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné une forme cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. […]. Les produits industriels sont consommés non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde. […]. Les limitations et les particularismes nationaux deviennent de plus en plus impossibles».

19. La théorie du système-monde telle que formulée par Immanuel Wallerstein (1991) (Geopolitics and Geoculture: Essays on the Changing World-System, Cambridge University Press, Cambridge) repose sur les postulats suivants: (a) le monde est aujourd'hui l'unité d'analyse la plus déterminante pour comprendre les mécanismes de socialisation (bien que l’État soit encore un élément nécessaire à la stabilisation du capitalisme global); (b) la division du travail est le nexus épistémique le plus significatif; (c) le marché et les relations internationales sont le produit d'une logique sociale sous-jacente qui s'exprime dans l’économie. Par ailleurs, même si Wallerstein se défend bien (Ibid, p. 225) de céder à une inclinaison normative, le schéma qu'il met en place reste téléologique dans la mesure o[ugrave], évocateur, il oppose les régions gagnantes et celles qui sont perdantes dans la mondialisation: la description est constamment guettée par la prescription d'un idéal. En un sens, l'analyse est une globalisation des théories de la dépendance. [Agrave] la suite de Marx, de Lénine, il déclare: «Historical capitalism, like all historical systems, will perish from it successes not from its failures» (Ibid, p. 15). Pour une reprise de la théorie de Wallerstein: Enrique Dussel (1998) «Beyond Eurocentrism: The World-System and the Limits of Modernity» in The Cultures of Globalization, eds Fredic Jameson & Masao Miyoshi, Duke University Press, Durham, NC, pp. 3–31. Dans une optique léniniste de stricte obédience, Serge Latouche (op. cit., p. 19) reprend cette même inspiration en suggérant que le victimaire devient inéluctablement victime à son tour: «L'Occident a été victime de son succès même et de ses contradictions».

20. Selon le titre du chapitre d'Immanuel Wallerstein (1990) «Culture as the Ideological Battleground of the Modern World-System» in Global Culture. Nationalism, Globalization & Modernity, ed. Mike Featherstone, Sage, London, pp. 31–55. La culture est devenue, pour Wallerstein, une autre désignation de la révolution léniniste sans le nom, puisqu'elle n'a plus bonne presse de nos jours. Qu'on en juge par cette phrase (p. 54): «I believe that it is probable, or at least possible, that we can reconcile our understanding of the origins and legitimacies of group particularisms with our sense of the social, psychological, and biological meanings of humanity and humaneness. I think that perhaps we can come up with a concept of culture that sublates the two usages». Les deux usages de la culture sont ici ceux de la science et de la normativité, ce qui nous resitue au cœur des postulats du marxisme.

21. (a) Dans les médias: depuis le début des années soixante-dix, Herbert I. Schiller entretient une véritable diatribe contre le néo-impérialisme médiatico-culturelle des États-Unis. Voir ses ouvrages: Communication and Cultural Domination, Sharpe, Armonk, New York 1976; Culture Inc.: The Corporate Takeover of American Expression, Oxford University Press, New York 1989. (b) Dans le consumérisme: Leslie Sklair (op. cit., p. 131) croit que la culture de la globalisation serait tout entière tournée vers l'inculcation de la consommation indépendamment de la capacité de production. (c) Dans l'hégémonie de l’État: Robert Gilpin (1987) (The Political Economy of International Relations, Princeton University Press, Princeton, NJ) se situe dans l'inspiration marxiste, mais avec cette différence qu'il incline la théorie du système-monde vers l’État comme unité d'analyse. Il met l'accent sur l'importance de celui-ci, en effet, dans le prolongement de la tradition réaliste. L'hégémonie de l’État libéral aurait tendance à assurer la stabilité du marché et à maintenir sa mainmise sur les États (dépendants). (d) Dans tous les domaines: le livre au ton pamphlétaire de Hans-Peter Martin et Harald Schumann (op. cit.) décrit les facettes du «piège global» qui gangrènerait tous les champs de l'activité humaine. Une anecdote lexicologique en terminant: la description du néo-impérialisme globalisant est souvent associée, par dérision ou par injure, à une corporation multinationale. On a parlé, par exemple, du syndrome de la «Coca-colonization» du monde (Malcolm Waters, op. cit., p. 140); de la «McDonalization» (George Ritzer (1993) The McDonalization of Society. An Investigation into the Changing Character of Comtemporary Social Life, Sage, Newbury Park); du «McWorld» (Benjamin Barber (1996) Djihad versus McWorld. Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, Desclée de Brouwer, Paris).

22. John B. Thompson (1995) (The Media and Modernity. A Social Theory of the Media, Stanford University Press, Stanford, CA, p. 171) écrit, en effet, que la négociation des contenus symboliques n'est toujours qu'une appropriation active en vertu de laquelle l'interprétation s'insère dans une reconstruction herméneutique. Ce raisonnement disqualifie, d'emblée, les arguments à la Franz Fanon (1961) (Les damnés de la terre, préf. Jean-Paul Sartre, François Maspero, Paris) selon lesquels la dynamique de la dépendance suit le tracé univoque de la responsabilisation du centre contre la périphérie. Si la déterritorialisation a une conséquence, elle se manifeste surtout par l'hybridation des cultures comme résultat, ce qui ne signifie pas que les rapports de force soient pour autant éradiqués (cf. John Tomlinson, op. cit., pp. 141–149 et Malcolm Waters, op. cit., pp. 136–137). La complexité de ces processus enchevêtrés infléchit, voire transforme profondément le capitalisme lui-même. [Agrave] cet égard, voir ces ouvrages: Scott Lash et John Urry (1987) The End of Organised Capitalism, University of Wisconsin Press, Madison, WI; Jean-François Bayart (dir.) (1991) La Réinvention du capitalisme, Karthala, Paris; Michel Albert (1991) Capitalisme contre capitalisme, Éditions du Seuil, Paris.

23. John B. Thompson (1990) Ideology and Modern Culture, Stanford University Press, Stanford, CA, pp. 24–25.

24. (a) Discours de droite: Francis Fukuyama (1992) La fin de l'histoire et le dernier homme, trad. de l'anglais par Denis-Armand Canal, Flammarion, Paris; Samuel P. Huntington (1997) Le choc des civilisations, trad. de l'anglais par Jean-Luc Fridel, Éditions Odile Jacob, Paris. (b) Discours de gauche: Ulrich Beck, op. cit.; Richard Falk, op. cit. Ce dernier attaque la divinité néolibérale (cf. pp. 1–8). Voir aussi cet ouvrage: Bertrand Badré, Philippe Chalmin et Nicolas Tissot (1998) La mondialisation a-t-elle une âme?, Economica, Paris. Les auteurs montrent comment la religion joue le rôle de «“restaurateur” d'identité» (p. 175) dans la mondialisation. Pour clore cet aspect qu'ouvre la métaphore de l’âme, Malcolm Waters (op. cit., p. 127) dit que c'est l'universalité de Dieu qui serait l'origine première de la globalisation.

25. Sur Singapour, voir Philippe Moreau Defarges, op. cit., p. 80. Zaki Laïdi (1997) (Malaise dans la mondialisation, Éditions du Seuil, Paris, p. 108) écrit: «Le néo-libéralisme est gagné par l'antilibéralisme politique. C'est à mon avis le fait majeur de ces dernières années».

26. De la même manière que les théoriciens de la régulation parlent du «fordisme», certains auteurs ont nommé le syndrome du «toyotisme» cette attitude o[ugrave] les finalités de l'organisation prédominent sur le seul profit de l'exercice comptable. Or, dans le contexte de la culture japonaise, le «toyotisme» n'est pas sans rappeler les relents féodaux de la dévotion à l'empereur, c'est-à-dire la proéminence de la communauté d'entreprise sur l'individualisme, idée qui déroge, convenons-en, à la ligne du libéralisme occidental, même si elle demeure profondément capitaliste. Voir à ce propos Knuth Dohse, Ulrich Jürgens et Thomas Malsch, «From “Fordism” to “Toyotism”? The Social Organization of the Japanese Automobile Industry» in Politics & Society, vol. 14, no. 2, pp. 115–146 (cité par Malcolm Waters, op. cit., p. 82).

27. Karl Polanyi (1983) La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, Paris. Il écrit au sujet du libéralisme du xix e siècle: «Le laissez-faire était planifié» (p. 191). Il note par ailleurs: «Le laissez-faire n'avait rien de naturel; les marchés libres n'auraient pu voir le jour si on avait simplement laissé les choses à elles-mêmes» (p. 189). Ou encore: «Le laissez-faire a été imposé par l’État» (p. 189).

28. (a) Du lieu o[ugrave] les hommes «habitent», Polanyi (op. cit., p. 320) énonce son argumentation dans plusieurs passages o[ugrave] il laisse percer son essentialisme: «Après un siècle d’“amélioration” aveugle, l'homme restaure son “habitation”. Si l'on ne veut pas laisser l'industrialisme éteindre l'espèce humaine, il faut le subordonner aux exigences de la nature de l'homme». (b) Sur le durkheimisme d'une solidarité première, Marc Augé (1995) (Non-Places: Introduction to the Anthropology of Supermodernity, Verso, London, p. 94) ironise en mettant quiconque au défi de faire une analyse durkheimienne d'un salon de transit à l'aéroport de Roissy—Paris!

29. Zaki Laïdi, Malaise dans la mondialisation, p. 91. [Agrave] l'encontre d'un lieu commun largement répandu chez les antiglobalisants de gauche autant que de droite, il n'y a pas de liens logiques ni automatiques entre la radicalisation du mouvement de la globalisation et le déclin de l’État-nation. Laïdi (Ibid, pp. 96–100) repère cinq demandes d’État dans l'antilibéralisme qui accompagne la mondialisation: (a) les fonctions régaliennes (police, justice, sécurité); (b) les contrôles des flux démographiques; (c) les demandes compensatoires ou de redistribution sociale de la richesse; (d) appui à la recherche et à la formation; (e) la demande de sens ou la gestion symbolique. Sur le thème du contrôle panoptique des flux humains, Saskia Sassen (1995) (Losing Control? Sovereignty in an Age of Globalization, Columbia University Press, New York, le chapitre 3 surtout) montre très bien que le domaine de l'immigration est celui o[ugrave] la globalisation renationalise les enjeux dans le champ politique. [Agrave] cet égard, elle a tout à fait raison de dire que la globalisation est par excellence l’ère des avocats!

30. Karl Polanyi, op. cit., p. 329.

31. Zygmunt Bauman, Le co[ugrave]t humain de la mondialisation; les citations de cet auteur sont respectivement prises, dans l'ordre, aux pages 92, 90 et 94. Les italiques ne sont pas de nous. Pour un point de vue radicalement contraire à celui de Bauman, voir Linda Weiss (1998) The Myth of the Powerless State, Cornell University Press, Ithaca, NY.

32. Mary Douglas (1992) Risk and Blame: Essays in Cultural Theory, Routledge, London, p. 104. Pour un propos sur la relation entre la violence et l'esprit communautaire au cours de ce siècle, voir l'ouvrage de Isaiah Berlin (1991) The Crooked Timber of Humanity: Chapters in the History of Ideas, Alfred A. Knopf, New York, pp. 175–177. Pour un complément d'information sur la critique d'une socialité première, voir l'article de Jack D. Eller et Reed M. Coughlan (1993) «The Poverty of Primordialism: the Demystification of Ethnic Attachment» in Ethnic and Racial Studies, vol. 16, no. 2, pp. 181–202. Il s'agit d'une attaque contre le primordialisme d'Edward Shils et de Clifford Geertz. Pour une analyse de l'esprit communautaire en tant que lié au nationalisme, voir l'ouvrage de Michael Billig (1995) Banal Nationalism, Sage, London o[ugrave] l'auteur écrit (p. 4): «The aura of nationhood always operates within contexts of power».

33. Emmanuel Todd (1998) (L'illusion économique. Essai sur la stagnation des sociétés développées, Gallimard, Paris, p. 241) utilise à juste titre l'expression «pensée zéro» pour décrire la dynamique de la mondialisation.

34. Pierre-André Taguieff (2000) L'effacement de l'avenir, Galilée, Paris. Il note (p. 12) de façon plutôt percutante: «La rebarbarisation de style ethnonationaliste suit la mondialisation sauvage/calculatrice comme son ombre».

35. Alexis de Tocqueville (1968) De la démocratie en Amérique, Gallimard, coll. “Idées”, Paris, p. 264.

36. Zaki Laïdi, Malaise dans la mondialisation, pp. 17 et 18. Voir aussi cet auteur pour un développement éclairant sur la relation entre la concurrence et la mondialisation (p. 44). Quant au thème de la banalisation ou de la dissipation du sens dans le monde contemporain, voir l'ouvrage de Cornélius Castoriadis (1996) La montée de l'insignifiance. Les carrefours du labyrinthe IV, Éditions du Seuil, Paris.

37. Paul Hirst et Grahame Thompson (1996) Globalization in Questions: the International Economy and the Possibilities of Governance, Polity Press, Cambridge, p. 176. Par ailleurs, Jonathan Friedman (1994) (Cultural Identity and Global Process, Sage, London, p. 86) note—juste titre que le mouvement de fragmentation n'induit pas seulement une refonte des hiérarchies structurelles; il implique aussi une façon de construire théoriquement un nouvel objet sociologique. Or, de la même manière que les sciences sociales sont nées en prenant pour cadre de référence l’État-nation et la société telle que constituée en un territoire circonscrit, la fragmentation emporterait, toujours selon elle, une manière de définir un autre principe de réalité et l'imposition jusqu’à un certain point de son mode de légitimation.

38. La culture relève toujours d'une construction de l'esprit auxquelles des manifestations tangibles donnent une réalité au second degré. Toutefois, dans la globalisation, elle est présentée comme si son existence était le résultat d'une nature. Par ailleurs, la notion de culture doit être circonscrite en deux sens précis. D'une part, elle est utilisée, par les humanistes libéraux cosmopolites, pour désigner l’universalisme d'une civilisation, occidentale par exemple, en tant qu'elle propose des valeurs et des croyances susceptibles, croit-on, d’être partagées par tous. Pour un usage de cet ordre, voir G. Jordan et C. Weedon (1995) Cultural Politics: Class, Gender, Race and the Postmodern World, Blackwell Publishers, Oxford, pp. 25–26. D'autre part, elle sert aussi, aux conservateurs, aux communautariens et aux nationalistes, pour décrire une particularité culturelle circonscrite dans un territoire donné en fonction d'une série de caractéristiques (langue, religion, rites, etc.). Voir M. Guibernau (1996) Nationalisms: the Nation-state and Nationalism in the Twentieth Century, Polity Press, Cambridge, pp. 55–56. Deux figures dans la modernité représentent ce double sens du mot culture: Kant du côté de l'universalité, Herder, défenseur de l'expressionnisme des particularités nationales. Dans la détermination sémantique de la culture, il convient ici de suivre Kate Nash (op. cit., p. 71) qui montre la prédominance du surgissement des particularismes dans la globalisation: «The term “global culture” is used to refer to the globalization of culture, rather than to the constitution of a single, integrated culture, a version of national culture writ large». Une dernière précision: le lecteur aura reconnu qu'il ne s'agit pas de la culture au sens “savant” du mot (noblesse d'esprit, connaissance, sagesse, etc.), mais de son sens politique.

39. Pierre-André Taguieff (op. cit., p. 207) écrit: «Ce qui est absolutisé, c'est l'identité culturelle, attribuée au seul niveau provincial-régional, découpage d'un socle racial commun. Il n'y a plus de dêmos, il n'y a que de l’ethnos. L'ethnocratie chasse et remplace la démocratie. Au sens strict, les partisans des micronationalismes séparatistes contemporains sont des ethnocrates, parfois sans le savoir». Cesare Poppi (op. cit., p. 287) formule la même idée mais en disant que le débat sur la culture tend à remplacer celui sur la structure. champ de bataille de l'idéologie. Voir le livre de Jean-François Bayart (1996) L'illusion identitaire, Fayard, Paris.

40. Naturalisation de la culture et culturalisation de la nature: cette idée est aujourd'hui fort répandue parmi les auteurs contemporains. Plusieurs d'entre eux expliquent que l'immuabilité de la culture provient de l'incapacité à produire de nouvelles légitimations du changement social. Kate Nash (op. cit., p. 69) écrit que ce phénomène d'hybridation entre les deux pôles (nature/culture) montre les limites du constructivisme social. Elle donne comme exemples le développement des technologies médicales de fertilisation in vitro, de transplantation d'embryons dans une mère porteuse, etc. Aussi: Zaki Laïdi (Malaise dans la mondialisation, p. 88). Il faut noter ce fait d’évidence que la biologisation de la culture fonde largement, dans l'intensification actuelle des conflits ethniques, l'argumentation anti-universaliste. Parlant justement de ce processus de naturalisation de la culture, Étienne Balibar et Immanuel Wallerstein (1991) (Race, Nation, Class: Ambiguous Identities, Verso, London, pp. 21–24) ont observé que le racisme contemporain ne repose plus, selon eux, sur une théorie génétique de la race, mais sur la mise en valeur de la différence culturelle. Idée formulée bien avant eux, d'ailleurs, par Pierre-André Taguieff (1987) La force du préjugé, Gallimard, Paris, p. 15.

41. La réceptivité à l'idée du destin dans les représentations contemporaines conjugue le nihilisme (l'illisibilité du sens dans le relativisme généralisé), l'individualisme (la personne laissée à elle-même) et le libéralisme (à chacun pour soi). Ironie de l'histoire: alors que le libéralisme est né, en grande partie, comme une révolte contre la fatalité, politique surtout, il devient de nos jours éminemment compatible avec l’amor fati, avec une fatalisation de l'instabilité et de l'adaptabilité. Marx et Engels avaient bien relevé ce fait, du moins pour le capitalisme, en y observant il y a un siècle un mode permanent d'insécurisation et de désorganisation.

42. Sur cette idée, voir Pierre-André Taguieff, L'effacement de l'avenir, p. 84.

43. Zaki Laïdi, Malaise dans la mondialisation, p. 48.

44. L'assimilation de la mondialisation au non-choix et du nationalisme au choix est simpliste et fausse. Malcolm Waters (op. cit., p. 2) rappelle que les forces de l'antidestin sont présentes dans la mondialisation comme, par exemple, avec le mouvement environnementaliste (o[ugrave] la composante intentionnelle est cruciale). On peut évoquer ce phénomène de globalisation à mon sens le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale: la construction de l'opinion publique à l’échelle planétaire, résultat combiné des innovations technologiques et d'une certaine intentionnalité des diffuseurs et des récepteurs. Exemples: la guerre du Viet-Nam o[ugrave] l'intentionnalité des récepteurs (la population américaine) a joué un rôle déterminant; la guerre du Gofle o[ugrave] l'intentionnalité des diffuseurs (les armées occidentales) fut importante.

45. Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 241.

46. Sur la dénonciation du complot juif international, Pierre-André Taguieff (1992) Les Protocoles des Sages de Sion, Berg International, coll. “Faits et Représentations”, Paris. Quant aux citations sur la “cryptogouvernance” et sur “l'humanité”, voir L'effacement de l'avenir, respectivement aux pages 175 et 86. Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant (mai 2000) («La nouvelle vulgate planétaire» Le Monde diplomatique, pp. 6–7) cumulent, dans leur vision de la mondialisation, la thèse du complot et celle de l'impérialisme en désignant nommément le professeur Anthony Giddens comme l'instrument de la classe dominante des mondialistes: «L'impérialisme de la raison néolibérale trouve son accomplissement dans deux nouvelles figures exemplaires du producteur culturel». Pour eux, il y a d'abord l'expert «qui prépare dans l'ombre des coulisses ministérielles ou patronales ou dans le secret des think tanks, des documents à forte saveur technique», puis «le conseiller en communication du prince, transfuge du monde universitaire passé au service des dominants […] dont le modèle planétaire est sans conteste le sociologue britannique Anthony Giddens, […] passé à la tête de la London School of Economics». Au fond, c'est toujours le vieux débat entre l'efficacité et la légitimité, dilemme formulé dès 1949 dans l'ouvrage dirigé par Georges Gurvitch (1949) Industrialisation et technocratie, Introd. de Lucien Febvre, Armand Colin, Paris.

47. Richard Falk (op. cit.) utilise l'idée de «prédation», ce qui suppose une relation victimaire-victime; Samir Amin (L'empire du chaos, p. 84) dit que «les classes populaires sont les victimes de cette mondialisation»; Serge Latouche (op. cit., p. 80) parle des «pays victimes» de l'Occident; Zygmunt Bauman (Le coÛt humain de la mondialisation, p. 10) formule l'idée d'une coupure entre les «élites mondialisés» et le «reste de la population»; Christopher Lash emploie le terme de “trahison” (La révolte des élites ou la trahison de la démocratie, tr. Ch. Fournier, Castelnau-le-Lez, Climats, 1995). Pierre-André Taguieff reconstruit le déterminisme historiciste (cf. L'effacement de l'avenir, p. 159) par un “cryptomarxisme”: «Au couple du bourgeois exploiteur et du prolétaire révolutionnaire se substitue celui de la “super-classe” transnationale des oligarques mobiles et de la classe inférieure des nationaux dénués de mobilité, exclus par là même du village global habité par les seules élites. Cette nouvelle barrière de classe pourrait bien constituer le moteur de l'histoire future, déjà en marche».

48. Jürgen Habermas (1998) Après l’État-nation, Fayard, Paris, p. 77.

49. Jean Leca (1996) «La démocratie à l’épreuve des pluralismes» in Revue française de science politique, vol. 46, no. 1, pp. 251, 258 et 260.

50. Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 290.

51. Louis Dumont (1983) Essais sur l'individualisme, Seuil, Paris.

52. Jean Leca, op. cit., p. 226.

53. Pour une conception républicaine de la démocratie, Benjamin R. Barber, Démocratie forte, trad. par Jean-Luc Piningre, Desclée de Brouwer, Paris; aussi: Philip Pettit (1997) Republicanism: A Theory of Freedom and Government, Clarendon Press, Oxford.

54. Jean-Jacques Rousseau (1943) Du contrat social, Aubier-Montaigne, Paris, p. 340.

55. Samuel P. Huntington (1991) The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century, The University of Colorado Press, Norman. L'auteur distingue trois vagues que l'on peut ainsi caractériser: (a) juridique avec les demandes de reconnaissance du droit de vote des femmes et du suffrage universel au début du siècle surtout; (b) politique avec le combat contre les différents totalitarismes au milieu du siècle; (c) économique avec les exigences liées à l'amélioration des conditions de vie des individus et des pays en voie de développement, principalement depuis les années soixante. Voir aussi l'ouvrage de John Markoff (1996) Waves of Democracy: Social Movements and Political Change, Pine Forge Press, Thousand Oaks.

56. David Held, op. cit., p. 101.

57. Cité à la note 43.

58. Jürgen Habermas, op. cit., p. 70.

59. Jürgen Habermas, op. cit., p. 56. L'auteur dit que le primat du temps sur l'espace serait à l'origine de la faiblesse contemporaine de l’État devant la mondialistion.

60. Jean-Marie Guéhenno (1999) L'avenir de la liberté. La démocratie dans la mondialisation, Flammarion, Paris, p. 217.

61. Idem.

62. Maurice Merleau-Ponty (1960) Signes, Gallimard, Paris, p. 96.

63. Zaki Laïdi, Malaise dans la mondialisation, pp. 18 et 19.

64. Alfred North Whitehead (1969) La fonction de la raison, Payot, Paris, pp. 96 et 97.

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