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Comment habiter le monde ? Michel Houellebecq architecte

 

ABSTRACT

In Michel Houellebecq’s criticism and novels, a scathing critique of functionalist architecture is at work. For him, this architecture seems to have become the tool by which the « market society » structures contemporary space according to it’s own demands. How, then, is it possible to inhabit the world? The architectural imagination of Houellebecq’s work is at odds with functionalism, rather deriving from impossible (such as nature) or anachronistic models (cathedrals). It is, however, possible to pinpoint a number of architectural techniques that resonate with the construction and style of Houellebecq’s novels, suggesting that—in an uninhabitable world—literature presents itself as the sole possible refuge for the author and his readers.

RÉSUMÉ

Michel Houellebecq opère dans son œuvre critique et romanesque une critique très acerbe de l’architecture fonctionnaliste, qui lui semble être devenue l’outil par lequel la « société de marché » structure l’espace contemporain selon ses exigences propres. Comment dès lors est-il possible d’habiter le monde ? L’imaginaire architectural qui se déploie dans l’œuvre s’oppose en tous points au fonctionnalisme, mais dérive de modèles impossibles (la nature) ou anachroniques (la cathédrale). Il permet cependant de dégager un certain nombre de techniques qui trouvent écho dans la construction romanesque et le style houellebecquiens, suggérant que dans un monde devenu inhabitable, l’œuvre littéraire s’offre à l’auteur et à ses lecteurs comme le seul espace de refuge à configurer en commun.

Disclosure statement

No potential conflict of interest was reported by the author.

Notes

1. Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, dans Houellebecq 2000–2010, Flammarion « Mille & une pages », 2015, p. 1139. Toutes les références à l’œuvre de Michel Houellebecq, sauf Configuration du dernier rivage (Citation[2013] 2015. Paris: Flammarion) et Soumission (Citation2015b. Paris: Flammarion) seront dorénavant données dans cette édition en deux tomes (1991–2000 pour le tome I—abrégée H1, et 2000–2010 pour le tome II—abrégé H2) qui rassemble l’ensemble de ses poèmes, romans et essais jusqu’en 2010.

2. On trouve une autre occurrence cependant dans La Possibilité d’une île où un autre artiste, Vincent Greilsamer, retourne lui aussi vivre dans la maison de ses grands-parents: Daniel1, qui va lui rendre visite, se rend compte qu’il a surtout envie de « vérifier que le bonheur est possible »; et que le retrouvant dans le pavillon de ses grands-parents « où il avait, finalement, vécu toute sa vie » puisque, alors que ses parents l’avaient abandonné, ses grands-parents lui avaient « ouvert les portes de leur foyer », Daniel1 constate que « c’était une maison maintenant où l’on avait l’impression que les gens pouvaient être heureux, elle avait le pouvoir de faire cela » (La Possibilité d’une île, H2, 668–669).

3. « J’ai toujours pour ma part vécu comme à l’hôtel, je n’ai pas l’instinct du foyer » déclare Daniel1 dans La Possibilité d’une île, H2, 668.

4. Il est fortement suggéré, dans La Carte et le Territoire, que le suicide de la mère de Jed est lié à la pratique de l’architecture à laquelle Jean-Pierre Martin a fini par devoir se résoudre: « Je sais qu’elle n’était pas satisfaite de notre vie, reprit-il; mais est-ce que c’est une raison suffisante pour mourir ? Moi non plus je n’étais pas satisfait de ma vie, je t’avoue que j’espérais autre chose de ma carrière d’architecte que de construire des résidences balnéaires à la con pour des touristes débiles, sous le contrôle de promoteurs foncièrement malhonnêtes et d’une vulgarité presque infinie; mais bon c’était le travail, les habitudes… » (La Carte et le Territoire, H2, 1280–1281).

5. On pourrait voir un écho de ce texte dans cet extrait d’Extension du domaine de la lutte, qui juxtapose de façon saisissante le Rouen moyenâgeux à la ville contemporaine: « Un peu absurdement, j’ai décidé de rester à Rouen ce week-end. Tisserand s’en est étonné; je lui ai expliqué que j’avais envie de visiter la ville, et que je n’avais rien à faire à Paris. Je n’ai pas vraiment envie de visiter la ville. Pourtant il y a de très beaux vestiges moyenâgeux, des maisons anciennes d’un charme réel. Il y a cinq ou six siècles, Rouen a dû être une des plus belles villes de France; mais maintenant tout est foutu. Tout est sale, crasseux, mal entretenu, gâché par la présence permanente des voitures, le bruit, la pollution. » (Extension du domaine de la lutte, H1, 324).

6. Voir par exemple le poème intitulé « Nature », dans La Poursuite du bonheur, qui contient ces deux vers: « Car la nature est laide, ennuyeuse et hostile; / Elle n’a aucun message à transmettre aux humains » (H1, 173).

7. Tous deux occupent, peu ou prou, la place du père; tous deux connaissent des morts non naturelles; tous deux sont, à des degrés divers, artistes; tous deux s’intéressent de près à William Morris (« C’est curieux que votre père vous en ait parlé, presque personne ne connaît William Morris » déclare Houellebecq à Jed, La Carte et le Territoire, H2, 1324).

8. Au contraire, les titres des recueils de poésie de Houellebecq renverraient plutôt à un paradigme temporel (Rester vivant, La Poursuite du bonheur, Renaissance…). Constituent de notables exceptions les deux derniers titres de chacune des séries—titres qui paraissent l’un et l’autre justement après La Carte et le Territoire, où le personnage de Michel Houellebecq effectue la distinction entre les deux types d’art: le dernier recueil poétique, Configuration du dernier rivage (Citation[2013] 2015), conjugue en effet les deux métaphores temporelle et spatiale en mettant cependant très nettement l’accent sur cette dernière; et le dernier roman paru Soumission (Citation2015b), où la métaphore spatiale habituelle disparaît complètement.

9. Cette importance de l’architecture littéraire dans l’œuvre de Houellebecq apparaît très clairement par exemple lors de la publication dans la collection « Poésie Gallimard » de l’anthologie de poèmes qu’il intitule Non réconcilié (Houellebecq Citation2014): plutôt que de reprendre l’ordre chronologique de la publication et donc d’abandonner les poèmes à une successivité devenue relativement aléatoire, Houellebecq reconstruit un recueil selon une organisation extrêmement concertée.

10. C’est le nom qui a longtemps été donné à la nouvelle Bibliothèque Nationale de France, construite dans le treizième arrondissement à Paris.

11. Sylvain Bourmeau désigne à juste titre ce procédé comme « l’effet google earth » du roman houellebecquien (Bourmeau Citation2017,192).

12. Exemple de lecture de l’œuvre la posant plutôt comme islamophobe, celle de Sylvain Bourmeau dans « Un suicide littéraire français » (Bourmeau Citation2015); exemple de lecture la posant plutôt comme islamophile, celle de Marc Weitzmann (Weitzmann Citation2017).

13. C’est cette éthique qu’impose la société de marché qui, selon « Approches du désarroi », a pour but de « promouvoir une fluidité consumériste basée sur une éthique de la responsabilité, de la transparence et du libre choix » (H2, 851).

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