Logistique, ancrage productif local, et supply chain de proximité : cas des agro-industries en Champagne-Ardenne et focus sur les filières betterave et bois

RÉSUMÉ

Cet article vise à identifier la place de la logistique dans la contribution à la compétitivité des filières agro-ressources et dans leur ancrage sur des territoires désindustrialisés et faiblement attractifs pour la logistique de distribution. Nous montrons, au travers de la théorie de la localisation et de l’économie de proximités, la façon dont la logistique peut permettre aux entreprises de s’affranchir des contraintes spatiales, mais aussi de consolider leur ancrage. Puis nous étudions les pratiques logistiques amont de deux filières au moyen d’entretiens semi-directifs. Pour la filière betterave, des pratiques relationnelles et organisationnelles innovantes au sein de coopératives de production ayant fortement investi en capital et en recherche contribuent à leur ancrage. Pour la filière bois, une atomisation et une faible coordination des acteurs de la supply chain, ainsi qu’une forte concurrence, à l’inverse, fragilisent cet ancrage.

ABSTRACT

This article aims to identify the contribution of logistics to the competitiveness of the agro-resource industry, and in its establishment in areas that are non-industrialised and not weakly attractive in terms of the logistics of distribution. We show, via the theory of localisation and economies of proximity, how logistics can allow firms to free themselves from spatial constraints while also strengthening their productive anchoring. Then, we study the upstream logistical practices of two sectors via semi-directed interviews. For the sugar beet sector, innovative relational and organisational practices within producers’ cooperatives that have invested heavily in capital and research contribute to their anchoring. For the wood industry, dissipation and weak coordination of actors along the supply chain, as well as strong competition, weaken its anchoring.

MOTS-CLEFS:

• supply chain de proximité
• ancrage productif
• agro-industries
• filière bois
• filière betterave

KEYWORDS:

• proximity supply chain
• productive anchoring
• agro-industries
• wood sector
• beet sector

Déclaration

L’auteur confirme qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt.

Notes

1. Il s’agit d’un travail exploratoire, réalisé dans le cadre d’un contrat de recherche Pour et Sur le Développement Régional, 4ème programme (PSDR4) interdisciplinaire « Bioca » attribué à l’Université Reims Champagne Ardenne (URCA), visant à définir les conditions d’émergence des filières de la bioéconomie dans l’ex région Champagne-Ardenne.

2. Le territoire étant historiquement faiblement maillé, certaines activités s’implantaient à proximité des voies naturelles de communication. D’autres, conditionnées par la localisation des ressources naturelles, ont été à l’origine de la création de réseaux d’infrastructures, comme les activités d’extraction minière.

3. Qui répond à une logique de maximisation de la rente foncière et de minimisation des coûts de transport.

4. Localisation optimale au point qui rend minimale la somme de trois distances : matières premières, marché, main d’œuvre.

5. C’est le cas de l’industrie minière ou de l’industrie lourde, situées à proximité de bassins de main d’œuvre importants. L’industrie américaine s’implante en Europe en bénéficiant des différentiels de coûts de main d’œuvre par rapport aux Etats-Unis. Jusque dans les années 1950 l’industrie française était surtout localisée à proximité des gisements de matières (charbon, fer) et des agglomérations, puis dans les années 1960 les zones industrialo-portuaires se développent sur les façades maritimes.

6. Cela se traduit par des évolutions des formes de localisation : recherche d’une proximité géographique entre donneurs d’ordre et prestataires afin de synchroniser les flux amont et aval (flux synchrones dans l’automobile) ; d’une proximité aux infrastructures de transport ou à des plates-formes avancées proches des clients permettant une livraison rapide.

7. Atlas des entrepôts et des aires logistiques en France en 2015, Service de l'Observation et des Statistiques (SOeS), mars 2017.

8. La densité de population de la Champagne-Ardenne est de 52 habitants/km2 en 2012, contre 117 pour la France métropolitaine.

9. La Champagne Ardenne est la première région française pour sa contribution à la valeur ajoutée agro-alimentaire (en raison surtout du Champagne qui tire fortement la valeur ajoutée du secteur), leader dans la production de céréales, de colza et second pour le blé tendre et la betterave (CCI Champagne-Ardenne 2015).

10. La région Grand Est exporte plus (51,5 %) qu’elle n’importe, ces exportations étant réalisées à 75 % vers l’Union européenne, et notamment vers l’Allemagne (Arraiolos and Emeyriat 2016), et les produits agro-alimentaires et sylvicoles représentent 34 % des flux routiers sortants en 2013 (Arraiolos and Emeyriat 2016).

11. Ceci est notamment à mettre en rapport avec les besoins de l’industrie du champagne, et témoigne d’une dynamique des besoins logistiques dans la région, en lien avec les agro-industries et les industries du vin (besoins de stockage en amont des expéditions ; Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement, et du Logement Alsace Champagne Ardenne Lorraine (DREAL Acal, 2016).

12. Terme utilisé par le directeur d’agence du prestataire logistique du second betteravier français, implanté en Champagne-Ardenne. Celui-ci distingue clairement la relation qui existe avec ce client coopérateur et les autres industriels avec qui il travaille, qu’il qualifie de relation de « filialisation ».

13. Dans le cas de la filière céréale non étudiée ici, mais qui possède des caractéristiques similaires à la filière betterave en termes d’ancrage, une filiale transport/logistique dédiée exploite les activités du groupe.

14. Dans un premier temps, la logistique a été entièrement ré-internalisée, puis devant les flux croissants, le prestataire historique a repris le surplus croissant de l’activité logistique, absorbant les pics de stockage.

15. La betterave étant composée à 80 % d’eau, la vapeur d’eau est condensée et réutilisée dans le process de production (lavage des betteraves) et dans l’épandage. Les déchets sont transformés en alimentation animale.

Additional information

Notes on contributors

Sylvie Benoit

Sylvie Benoit est Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne (URCA) et responsable de la Licence Professionnelle Management de la Logistique à l’IUT de Reims. Rattachée au laboratoire REGARDS, son domaine de recherche est le développement économique local, en lien avec la grande vitesse ferroviaire, et plus récemment en lien avec la bioéconomie. Elle enseigne la logistique, l’économie régionale et urbaine, et la socio-économie des territoires.