1,287
Views
0
CrossRef citations to date
0
Altmetric
Research Article

La temporalité dans la fabrication de la coordination en situation extrême de gestion

Temporality in the making of coordination in extreme management situations

ORCID Icon, & ORCID Icon

Résumé

L'environnement économique amène les équipes logistiques à être confrontées à des situations extrêmes de gestion. Au cœur de ces situations se pose la question de la fabrication de la coordination permettant d’accomplir des tâches sous contraintes. À l’aune d’une étude de cas particulière d’une expédition en contexte extrême où 15 personnes sont confinées pendant 40 jours dans un environnement souterrain et privés de toute information temporelle, nous étudions le processus de fabrication de la coordination au fil du temps. Les résultats contribuent à mettre en lumière le temps comme vecteur de l’activité coordonnée et réciproquement le rôle de la coordination comme facteur de structuration de notre perception du temps en situation extrême de gestion.

ABSTRACT

The economic environment leads logistics teams to be confronted with extreme management situations. At the heart of these situations is the question of how to manufacture coordination to accomplish tasks under constraints. On the basis of specific case study of an expedition in an extreme context where 15 people are confined for 40 days in a subterranean environment and deprived of any temporal information, we study the process of coordination manufacturing over time. The results contribute to highlighting time as a vector of coordinated activity and conversely the role of coordination as a factor in structuring our perception of time in an extreme management situation.

Introduction

Cet article a vocation à poursuivre le travail initié par Lièvre et Fabbe-Costes et Lièvre (Citation2002) dont l’objectif était d’étudier la logistique des expéditions polaires comme logistique des situations extrêmes et plus largement de positionner cette logistique dans une perspective plus classique en gestion (Lièvre et Gautier Citation2009). Notre questionnement prend sa source dans l’observation croisée depuis 10 ans d’équipes opérant dans des univers logistiques soumis à un haut niveau de pression (Large et Paché Citation2016) et des équipes menant des expéditions en environnement extrême. Cette observation nous a conduit à initier un programme de recherche pour mieux comprendre comment une organisation logistique fabrique de l’activité coordonnée lorsqu’elle évolue en situation extrême de gestion. Nous présentons ici les résultats obtenus sur la question de l’articulation entre temporalité et coordination dans une situation extrême de gestion. Ces résultats sont le fruit de l’analyse des données d’une étude de cas d’une expédition à vocation scientifique où les participants se sont confinés 40 jours durant dans une grotte sans aucune indication temporelle. In fine nous mettons en lumière le temps comme vecteur de l’activité coordonnée et réciproquement le rôle de la coordination comme facteur de structuration de notre perception du temps en situation extrême de gestion.

Les situations extrêmes de gestion

Le terme de situation extrême de gestion, forgé par Lièvre (Citation2005) à partir des travaux de Girin (1990) entre autres, puis repris par plusieurs chercheurs (Godé, Barbaroux, et Ribière Citation2012; Lebraty Citation2013; Lièvre, Aubry et Garel, Citation2019), est marqué par une forte évolutivité (prenant en compte la notion de vitesse et de changements dynamiques et discontinus auxquels il faut faire face), une incertitude forte avec une difficulté qui peut tendre à l’incapacité totale de prédire quoi que ce soit, et enfin des risques importants, soit pour l’intégrité physique des individus vivant la situation, soit de manière moins directe comme en santé mentale par exemple.

Les travaux de Hannah et al. (Citation2009) et Hällgren, Rouleau, et de Rond (Citation2018) ont permis des avancées essentielles dans la compréhension et la catégorisation des organisations en situation extrême. En particulier, Hällgren, Rouleau, et de Rond (Citation2018), ont établi une typologie qui se fonde sur deux critères : (1) la potentialité de la survenance ou non d’un évènement extrême (potential versus actual) et (2) l’existence ou non de lien entre les évènements et l’activité propre de l’organisation. Ainsi, ils précisent trois catégories de contextes : a) les contextes risqués : caractérisés par une exposition quasi constante à des évènements potentiellement extrêmes impliquant un très haut degré d’attention sur la fiabilité des systèmes et les routines, process et matériels impliqués ; b) les contextes d’urgence : marqués par l’existence de la catastrophe et en lien avec l’activité de l’organisation ; c) les contextes disruptifs : sont déclenchés lorsque des évènements extrêmes apparaissent en dehors du cœur d’activité de l’organisation ou de la communauté et sont « fréquemment dépeints comme uniques, sans précédent, voire inclassables » (Christianson et al. Citation2009).

La coordination : un concept logistique

Notre conception de la logistique est également empruntée aux travaux de Lièvre (Citation2007) qui positionne la logistique des situations extrêmes à l’interface entre une logistique stratégique et une logistique expérientielle. D’une part, il s’agit de piloter l’organisation en envisageant l’organisation à partir d’une modélisation globale reposant sur les flux. D’autre part, la logistique expérientielle est issue de la pratique des acteurs en situation et construite à partir de leur capacité réflexive (Lièvre et Gautier Citation2009). Nous pouvons alors considérer la logistique comme une technologie de rationalisation d’une organisation en vue de son pilotage (Lièvre Citation2007). Dans cette perspective, il s’agit donc de modéliser le fonctionnement de l’organisation en termes de processus allant jusqu’à rendre compte de l’enchaînement des opérations élémentaires, en prenant comme base les processus d’action en situation effective (Lièvre et Gautier Citation2009).

Il s’agit de comprendre de manière concrète, opérationnelle, les interfaces ; de rendre possible la circulation des flux et donc de coordonner les différents maillons et acteurs d’une chaîne entre eux (Tixier, Mathe, et Colin). Pour Mathe et Tixier (2010), les logisticiens sont « des hommes d’interfaces chargés d’une mission de coordination dans le cadre d’une analyse globale ». Gammelgaard et Larson (Citation2001) mettent en lumière que le logisticien est un homme de coordination, mais également un homme de « situation » et en particulier, un individu capable de s’adapter à des situations « spéciales » (Sheffi et al. Citation1997). « La compétence du logisticien reposerait donc sur le développement d’un savoir d’action et de situation » (Gaumand, Chapdaniel, et Dudézert Citation2010).

La notion de coordination, bien que parfois difficile à saisir, est définie par Okhuysen et Bechky (Citation2009) comme « le processus d’interaction qui intègre un ensemble collectif de tâches interdépendantes ».

La question logistique et la coordination sont étroitement liées. Nous avons donc ici un cadre général propice à la réflexion autour de la fabrication de la coordination au sein d’une organisation en situation extrême de gestion.

Temporalité et coordination en situation extrême de gestion

Les approches traditionnelles de la coordination reposent sur la théorie de la contingence. Pour ce courant, lorsque l’organisation est confrontée à une situation d’incertitude environnementale, les mécanismes de coordination formels doivent être abandonnés au profit de mécanismes souples (Bouty et al. Citation2011). Le choix du mode de coordination relèverait donc d’une forme d’alignement stratégique au regard des contraintes environnementales (Pichault Citation2002). Or, dès lors que l’on s’intéresse aux environnements extrêmes, on rencontre un certain nombre de limites à la vision classique de la coordination. Ces limites sont au nombre de quatre (Bouty et al. Citation2011) : (i) les analyses développées dans le cadre de cette perspective théorique se situent dans des environnements qui sont relativement stables. (ii) Les analyses en lien avec l’approche contingente insistent avant tout sur une vision « design » de la coordination (Godé Citation2015; Okhuysen et Bechky Citation2009). (iii) La notion de temporalité est absente de l’analyse proposée par les théories de la contingence (Godé Citation2015). Or, en écartant la dynamique temporelle, on nie la nécessité de la prendre en compte comme facteur du changement à l’œuvre au sein des organisations et de la capacité d’adaptation des individus (Bouty et Drucker-Godard Citation2012) alors qu’il s’agit dans le cas des contextes extrêmes d’une notion cruciale. (iv) Enfin, les théories de la contingence retiennent l’organisation ou l’unité de travail comme niveau d’étude. Là où les approches classiques s’attachent à comprendre les interactions et la coordination à un niveau macro, elles ne permettent pas d’ouvrir la « boîte noire que les théoriciens de la contingence [ont] plutôt tendance à maintenir fermée » (Nizet et Pichault, 2012). Il y a donc une nécessité à comprendre comment fonctionne la coordination au niveau des individus et de leurs interactions. Pour dépasser ces écueils, les apports de l’étude de la coordination comme « pratique » sont importants. En effet, on s’attache à mieux comprendre le processus qui sous-tend la coordination que son contenu en tant que tel (Jarzabkowski, Lê, et Feldman Citation2012). Ce processus est envisagé « en situation » et il peut ainsi mieux décrire les logiques d’acteurs, les dynamiques collectives, les relations aux artefacts et leurs effets récursifs sur les structures sociales et organisationnelles (Godé Citation2015). Dans des contextes volatiles et brutaux avec un facteur de risque important, l’intérêt de cette perspective est de pouvoir étudier les processus et pratiques in situ (Giordano Citation2019) et « en construction » (Hernes, Citation2009).

La dimension temporelle est un facteur clef de compréhension de la coordination dans une équipe soumise à une situation extrême de gestion. En particulier lorsque l’on observe les pratiques. Celles-ci peuvent être routinières ou improvisées. Les routines font référence à des pratiques ancrées dans des règles, des procédures et des modes opératoires, stables et répétitives (Godé Citation2015). Elles sont la base de l’activité coordonnée dans les contextes extrêmes. Les pratiques improvisées font référence à des actions improvisées en fonction d’un contexte qui oblige les acteurs à faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation (Godé Citation2015). Selon le degré d’imprévu, de risque et de volatilité de la situation, les mécanismes mis en œuvre sont différents. La temporalité de la coordination peut être l’affaire de quelques secondes ou minutes dans des cas extrêmes comme l’engagement au combat (Godé-Sanchez Citation2009) ou l’interpellation d’un suspect (Schakel, van Fenema, et Faraj Citation2016), en passant par des temporalités intermédiaires comme les échanges sur la nature des soins autour de cas de patients à l’hôpital (Faraj et Xiao Citation2006; Godé Citation2011) ou l’apprentissage de la coordination par les retours d’expérience (Godé et Lebraty Citation2015), ou longues dans le cas d’entreprises évoluant dans des environnements extrêmes ou subissant des ruptures et crises majeures (Jarzabkowski, Lê, et Feldman Citation2012). Du côté des routines, le fondement de la coordination réside dans le fait que certaines actions sont réalisées à des moments précis (Feldman et Pentland Citation2003). Ce processus est appelé par Feldman « patterning ». Ainsi, les acteurs organisent les actions qu’ils doivent réaliser de manière à ce qu’elles « s'emboîtent pour former une action conjointe » (Dionysiou et Tsoukas, Dionysiou et Tsoukas Citation2013; Kremser et Blagoev Citation2021). Pour Kremser et Blagoev (Citation2021), « le concept de patterning met ainsi en évidence la coordination continue et émergente inhérente également à l’exécution des routines » (Faraj et Xiao, Faraj et Xiao Citation2006; Bechky et Okhuysen, Citation2011; Jarzabkowski, Lê, et Feldman Citation2012; Bechky et Chung Citation2018).

Par ailleurs, les auteurs soulignent l’importance de la temporalité dans l’établissement des routines (Turner et Fern Citation2012; Turner et Rindova Citation2012, Citation2018). En effet, il s’agit toujours d’agencer les actions dans une perspective temporelle. Turner et Rindova (Citation2018) développent le concept de patterning basé sur le temps (par opposition au patterning basé sur la séquence) qui lie la notion de performance dans les routines au temps. Le temps est alors défini comme « divisible en unités objectives et quantifiables de telle sorte que ces unités sont homogènes, uniformes, régulières, précises, déterministes et mesurables » (Ancona, Okhuysen et Perlow, Ancona, Okhuysen, et Perlow Citation2001). Plusieurs auteurs soulignent que la structuration temporelle à travers plusieurs routines est particulièrement difficile dans les environnements complexes en raison de leur caractère volatil, incertain et risqué (Bechky et Chung Citation2018).

Parmi les environnements complexes, les environnements extrêmes isolés et confinés (ICE) occupent une place particulière. Il s’agit d’environnements de travail où les individus opèrent dans des conditions extrêmes. Depuis 60 ans, les chercheurs ont mené des études pour mieux comprendre les équipes et leurs performances dans des environnements (Golden, Chang et Kozlowski Citation2018) dans des domaines de recherche aussi variés que les missions spatiales, les expéditions polaires en Arctique et en Antarctique, les sous-marins ou les missions spatiales similaires (Palinkas et Suedfeld Citation2021). Carrere (Citation1990) met en évidence trois dimensions distinctes des environnements ICE. Premièrement, les individus sont isolés de leur réseau social habituel, y compris leurs amis et leur famille, pendant une période prolongée. Deuxièmement, les membres de l’équipe sont confrontés à un confinement ou à une restriction de la mobilité, souvent en raison des conditions dangereuses qui prévalent en dehors de la zone de confinement ou parce qu’ils n’ont tout simplement pas le choix de le faire. Selon nous, ce point peut être équilibré et complété. D’abord, car il est possible d’être isolé dans un environnement très ouvert tel qu’un désert. Ensuite parce que l’environnement de confinement lui-même peut être dangereux. Troisièmement, les habitants des contextes ICE sont exposés à des conditions chroniquement dangereuses qui les menacent physiquement. Ainsi, les contextes ICE se réfèrent à des environnements où il y a isolement du réseau social habituel, un confinement physique et des conditions extrêmes (Golden, Chang et Kozlowski, 2005).

Dans ces environnements, la notion de temps exerce une dynamique spécifique sur les équipes et leur capacité de coordination. Globalement, la notion de temps est un intensificateur du contexte extrême (Hannah et al. Citation2009) et diminue la capacité des équipes à faire face. On observe des altérations médicales ou psychologiques importantes chez les individus, notamment le stress (Palinkas et Suedfeld Citation2021) et bien d’autres facteurs liés à l’environnement. Ce stress rend plus difficiles les pratiques de coordination les plus élémentaires.

D’autres recherches ont montré que le rapport au temps peut avoir des effets particuliers, et peut-être bénéfiques, sur l’adaptation aux situations extrêmes. En effet, des travaux ont montré qu’il existe des changements comportementaux cycliques et périodiques au sein des équipes immergées dans des environnements ICE. Tafforin (Citation2015) démontre que ces environnements modifient la durée des actions et des interactions pour changer le rythme imposé par les routines imposées par le cadre de la mission. Par ailleurs, Bouty et Drucker-Godard (Citation2012) ont mis en évidence l’importance du rythme dans la coordination en situation extrême. Il s’agit d’un rythme en deux temps qui alterne entre une période de conduite (stabilité, vigilance) et une période d’opération (action). Ici, le temps n’est pas une donnée exogène et technique. C’est l’alternance des opérations et des conduites qui est source de coordination et qui définit le temps pour l’organisation. Ce temps n’est pas programmable à l’avance et la coordination est un flux. Le rythme est le temps. Les changements de rythme seraient précieux pour maintenir une respiration organisationnelle et une capacité d’adaptation par une action coordonnée des acteurs (Bouty et Drucker-Godard Citation2012).

L’objectif de cette recherche est de questionner ce rôle dans les processus de coordination lié au temps dans une situation extrême de gestion. Nous avons eu l’opportunité de travailler sur une expédition où l’équipe a été confrontée pendant une longue période à l’absence de tout indicateur temporel. Cette absence rend a priori très difficiles la planification des tâches, leur hiérarchisation et la détermination du temps alloué à leur réalisation. Des conflits sur la répartition temporelle de routines multiples peuvent apparaître et complexifier la coordination (Kremser et Blagoev, Citation2021).

Méthodologie

Le terrain de recherche

Nous avons eu la possibilité de mener cette recherche sur une expédition organisée par un institut de recherche indépendant dont l’expertise est de monter des programmes de recherche en situation réelle, essentiellement au moyen d’expéditions en milieu extrême. Ces expéditions en milieux extrêmes nécessitent une adaptation rapide et évoluent dans des contextes hautement risqués et incertains (Bouty et al. Citation2011; Rouleau, Citation2018). De plus, elles ont la capacité de créer des situations paroxysmiques qui sont de véritables révélateurs des comportements organisationnels et individuels. (Bouty et al. Citation2011). En très peu de temps, nous sommes en mesure d’observer des comportements, des changements et la mise en place de stratégies pour y faire face. La richesse des évènements et des « crises » à gérer est telle qu’il est possible d’observer in vivo autant de situations en un mois que peut-être en deux ou trois ans dans la vie normale.

Le cas « Deep Time » du Human Adaptation Institute

Du 14 mars au 24 avril 2021 s’est déroulée l’expédition scientifique « Deep Time ». Quinze personnes se sont enfermées pour quarante jours dans la grotte de Lombrives en France, sans accès à la lumière du soleil ni aucun indicateur temporel naturel ou technologique (par ex : montres). Cette expédition de recherche a permis d’étudier la capacité d’adaptation d’un individu et d’un groupe face à une situation d’anomie temporelle, et plus généralement, face à une situation de perte totale de repères. Le tableau () ci-contre synthétise le contexte de la situation extrême de gestion.

Table 1: Description des caractéristiques de la situation extrême de gestion, adapté de Bell et al. (Citation2018).

Cette mission a été conçue et mise en place par une organisation : le Human Adaptation Institute (Clot Citation2021 et HAI Citation2022). Deux auteurs opèrent en tant que praticiens au sein de l’organisation.

Pour cette mission, le recrutement des participants a été fait de façon rigoureuse comme pour un séjour sur les bases polaires ou autres missions en milieu extrême et isolé. Tous les participants ont donné un consentement éclairé écrit et le comité d’éthique local a approuvé l’étude (CPP Ouest IV, 2021-A00474-37). À l’exception du chef d’expédition, les 14 membres de la mission ne sont pas spécialistes des expéditions ou des milieux extrêmes. Ils viennent de différents milieux socioprofessionnels : responsable de communication, bijoutière, cordiste, analyste, enseignant, biologiste, etc. Les personnalités sont également très diverses avec des profils psychologiques très différents. Le groupe est mixte et paritaire (une fois mis de côté le chef d’expédition). Il comprend 7 femmes et 8 hommes. Ceci a été conçu dans le but de créer un groupe extrêmement divers dans sa sociologie pour comprendre, au plus proche de la réalité du quotidien, comment un groupe peut s’adapter à ces conditions de vie avec un impact soudain et radical. Ces participants sont tous volontaires, bénévoles, et très motivés.

Pendant la mission, une règle est absolue : chacun doit respecter son propre rythme de veille et de sommeil. Il est interdit de se réveiller les uns les autres (sauf cas de force majeure) pour accomplir des tâches par exemple.

Le chef d’expédition a attribué des responsabilités à chacun des membres de l’équipe avant le démarrage de la mission. Chacun était responsable d’au moins une activité essentielle à la réalisation globale de la mission. Les responsabilités comprennent : les manipulations et protocoles scientifiques, sécurité et progression en milieu souterrain, approvisionnement de l’eau, gestion des stocks, gestion de l’électricité, gestion des déchets, photographie, tournage vidéo, médecine et suivi médical. En étant responsable ou coresponsable d’un des postes ci-dessus, chaque équipier devait s’assurer du bon déroulement des activités de son périmètre. Il était libre d’organiser la répartition des tâches et de vérifier et contrôler l’exécution. Il n’y a pas de méthode de gestion imposée a priori, cependant l’organisation est hiérarchique et les décisions sont soumises à la validation du chef d’expédition. Le fonctionnement pyramidal a été retenu pour des questions de sécurité et de responsabilité, d’expérience et de savoir-faire.

La collecte des données

La méthode de collecte des données est une question fondamentale pour s’assurer de la pertinence et de la validité d’une étude de cas (Yin Citation2014). L’objectif étant, comme le souligne Yin (Citation2014) de croiser les données pour s’assurer de la cohérence des constats. Dans notre cas, ce croisement a été facilité par un accès facile au terrain. En tant qu’observateur et participant, nous avons de facto accès à une grande quantité de matériaux primaires et secondaires. Nous sommes donc en mesure de croiser différentes sources que l’on peut regrouper sous trois grands domaines : les entretiens semi-directifs, les données issues des documents échangés par les acteurs de la mission et les captures vidéo. Le tableau ci-contre () résume les différentes données collectées au cours de cette étude.

Table 2: Les données collectées.

Les entretiens semi-directifs ont été menés avec les 15 participants de la mission dans les deux mois suivant la fin de celle-ci. Ils ont été réalisés en visioconférence et enregistrés. Ils durent en moyenne 45 minutes (de 35 min pour les plus courts à 1 h 25 pour les plus longs).

Pour la collecte des données puis l’analyse, n’ayant plus accès à l’alternance du lever et coucher du soleil définissant classiquement les journées, nous utilisons la notion de « cycle ». Ce dernier se définit comme la période entre deux levers et remplace celle de « jour ».

Les données ont été recueillies au fur et à mesure de la construction et réalisation de la mission dans le cadre d’une « observation participante » (Peretz, Citation2004). Nous avons retenu le choix du paradigme épistémologique interprétativiste (Sandberg Citation2005). Il se distingue du paradigme constructiviste par l’action de « récuser l’hypothèse d’existence d’un réel objectif indépendant de l’observateur » (Gavard-Perret et al. Citation2012 . Ainsi, « dans la plupart des courants du paradigme interprétativiste, la construction de connaissance vise d’abord à comprendre les significations que les différents sujets participant à une même situation donnent à cette situation » (Gavard-Perret et al. Citation2012). Avec le choix de ce paradigme, nous pouvons envisager une généralisation relative aux processus d’interprétation, de construction de sens et de communication, en nous efforçant d’identifier les cadres de pensée et les manières de voir le monde, souvent tacites, qui façonnent la manière dont les sujets donnent du sens aux situations qu’ils vivent (Gavard-Perret et al. Citation2012). La démarche est abductive, car nous avons essayé de faire émerger une représentation du fonctionnement organisationnel de l’objet observé.

D’une manière générale, cette posture n’est pas sans difficulté, en effet, il a fallu construire sa posture de chercheur et de praticien (Lièvre et Rix-Lièvre Citation2011), gérer les interactions avec les acteurs et la transformation de l’objet d’observation (Musca et al. Citation2010) et éviter l’écueil de la « trappe cognitive » (la familiarité du chercheur avec l’objet). Cependant les situations extrêmes de gestion nécessitent une observation au plus près pour éviter les effets mémoire et une connaissance du contexte et des contraintes pour comprendre les acteurs et les contraintes spécifiques.

Résultats

Un contexte complexe

L’analyse du contexte et des tâches soulève plusieurs défis pour la coordination :

  • Les conditions de vie (froid, humidité, obscurité) ont un impact direct sur les organismes et réduisent les capacités cognitives, la mobilité et la dextérité, ce qui rend les interactions plus complexes.

  • Les explorations spéléologiques sont des activités engagées qui nécessitent un haut degré de vigilance, de sécurité et des ressources physiques et cognitives intenses.

  • Les conditions « hors du temps » réduisent considérablement la capacité de projection et suppriment le facteur temps comme facteur de coordination (rendez-vous programmés, tâches définies dans le temps, etc.).

  • L’absence ou l’extrême limitation des communications avec la base arrière à l’extérieur de l’environnement rend difficile l’ajustement ou l’apport de ressources externes pour trouver des solutions aux problèmes qui surviennent pendant la mission.

  • Le caractère novice de l’équipe et la constitution d’un nouveau groupe social ne permettent pas de capitaliser sur l’expérience ou les routines de fonctionnement qui existaient avant la mission.

  • La durée de la mission renforce tous les défis susmentionnés.

De plus, nous pouvons constater des motivations très différentes pour chaque membre de l’équipe, des compétences et des aptitudes techniques délibérément très disparates. L’analyse a aussi révélé qu’il existait une compréhension très différente des objectifs de la mission entre les membres de l’équipe et l’organisation. Il y a donc un faible dénominateur commun hormis la motivation de participer à cette mission scientifique et la volonté de la vivre jusqu’au bout.

L’évolution de la coordination dans le temps

Tout d’abord, nous observons que la qualité de la coordination perçue par les membres de l’équipe s’améliore avec le temps. Cette observation est basée à la fois sur les questionnaires (Q. 13) remplis par l’équipe pendant la mission et sur leur entretien post-mission. La plupart des membres de l’équipe rapportent qu’au fur et à mesure de la mission, il était plus facile de se coordonner les uns les autres pour accomplir des tâches simples ou même plus complexes, et cela malgré l’absence de repère temporel.

Cela peut s’expliquer par le fait qu’au fur et à mesure que la mission avance, l’expérience des acteurs augmente. Les gestes deviennent plus fiables, la connaissance mutuelle est plus importante et chacun anticipe plus précisément les actions des autres. Cela se reflète dans le fait que l’improvisation dans la réalisation de la coordination tend à diminuer légèrement au cours du temps (Q.8). Cependant, il existe une grande disparité dans les réponses, car il semble que d’une part cela dépende beaucoup de l’expertise initiale de chacun et des fonctions occupées. Certaines responsabilités sont susceptibles de nécessiter plus d’improvisation que d’autres. Ainsi, les responsables de la sécurité, de la science et de l’énergie maintiennent un haut niveau d’improvisation dans leur perception de la production d’une activité coordonnée, car les défis sont sans cesse renouvelés. Ils rapportent les nouveaux problèmes rencontrés tout au long de la mission : nouveaux sites d’exploration spéléologique, ajustement des protocoles en fonction de l’expérience du groupe ou dysfonctionnement des équipements, panne du système de production d’énergie à différentes occasions avec des causes différentes.

Nous constatons également une dualité dans les pratiques de coordination : il y a un va-et-vient permanent entre planification et adaptation. Cependant, plus le temps passe, plus l’activité coordonnée se structure, se normalise et des routines apparaissent. Nous mesurons que cela est moins vrai pour les personnes qui exercent des responsabilités dans des domaines critiques. Pour elles, le niveau d’improvisation et la difficulté de coordination restent élevés tout au long de la mission pour trois raisons principales : la fatigue accumulée liée à leurs responsabilités, une anxiété supérieure à la moyenne et, pour certaines, la difficulté d’exercer un leadership alors qu’elles n’ont jamais été formées pour cela.

Si le caractère totalement nouveau de la situation et la nécessité de s’adapter en permanence à l’environnement ont favorisé l’émergence de pratiques de coordination fondées sur l’improvisation et la création, un certain nombre de routines se sont imposées au fil du temps.

Il existe des règles et des procédures (Q.5) auxquelles la majorité du groupe adhère (Q.6). Ce sentiment est perçu comme étant légèrement plus fort au milieu de la mission. Une explication possible est que durant cette phase de la mission, les cycles veille-sommeil sont très disparates au sein de l’équipe. Il semblerait que la stratégie de la plupart d’entre eux, qui ne pouvaient se croiser et échanger que de manière limitée, ait été de respecter au mieux les procédures et les habitudes établies. Les routines auraient été plus prégnantes et importantes au cœur de la mission, au moment où les capacités de communication et la perception de « l’extrême » d’une certaine manière étaient les plus fortes.

Les données sont relativement claires, bien qu’il y ait une assez grande disparité dans la perception de ce que sont les règles et procédures (Q.5). Cela semble provenir de l’attente d’une formalisation de certaines règles et procédures. Cette formalisation a eu lieu, mais semble être perçue de manière très différente comme l’ont souligné plusieurs membres de l’équipe lors des entretiens. Pour la majorité d’entre eux, la promulgation orale a pu suffire à établir la règle, alors que d’autres se seraient attendus à quelque chose de plus formel ou même d’écrit (par exemple sur les tableaux d’affichage communs).

Ces routines ne sont pas perçues comme étant très monotones (Q.7). Ceci est confirmé par les membres de l’équipe, qui parlent tous d’une certaine liberté dans l’exécution des tâches, notamment dans le choix du moment, ce qui rend cette perception moins linéaire et monotone.

Au cours des entretiens, nous avons identifié deux domaines assez exemplaires où des routines se sont installées.

Tout d’abord, l’approvisionnement en eau. Le principe consiste à puiser l’eau dans l’un des deux lacs accessibles de la grotte à l’aide de bidons de 30 litres : l’un est situé en surplomb de l’espace de vie à une vingtaine de mètres de hauteur. L’autre à une profondeur de 45 mètres après un long rappel. Avant de se lancer dans cette tâche, l’équipe est formée aux méthodes et au processus de sécurité. Les premiers jours, la coordination est complexe. En effet, il faut former une équipe et l’équiper de baudriers, casques, lampes, etc. Il s’agit à chaque fois d’une petite expédition. Ensuite, il faut partir avec le matériel de collecte d’eau, descendre ou monter selon le choix du lac, puiser de l’eau, puis déplacer plusieurs fûts lourds (environ 30 kg) dans un environnement sombre, humide et accidenté. Rien n’est facile et encore moins avec la fatigue accumulée. Les premiers jours sont donc compliqués et certains rapportent une coordination assez difficile.

Puis, avec l’expérience, l’équipe est devenue plus confiante. Les membres de la mission témoignent : « Nous n’avons même plus besoin de nous consulter ». Un coup d’œil sur les provisions, une discussion rapide avec les quelques personnes présentes dans la salle de séjour et un petit groupe se forme, s’équipe et part. Les gestes sont mécaniques, sûrs, et la corvée d’eau s’effectue relativement vite.

Le deuxième exemple concerne la gestion des déchets. Là encore, si le principe de fermer les poubelles et de les déposer dans le sas est assez clair, l’équipe se rend vite compte que de nombreux détails changent fondamentalement le résultat : faut-il utiliser un ou deux sacs poubelles ? Faut-il sceller les sacs avant de les amener au sas? Comment indiquer s’il s’agit d’eaux usées ou de déchets de toilettes ? Et ainsi de suite. Chacune de ces décisions a un impact à l’autre bout de la chaîne. L’équipe de surface qui enlève et traite les déchets ne le fait pas de la même manière selon les choix faits à l’intérieur de la grotte. Il faudra près de 10 cycles pour que la stratégie optimale soit adoptée, puis au moins 5 cycles supplémentaires pour qu’elle se stabilise. Il faudra du temps pour que la routine s’installe. Ceci est probablement lié à la difficulté d’obtenir un feedback et à un manque de coordination de la part de la personne en charge de cette activité. Comme elle l’admet elle-même « comme ça marchait et que les gens s’en occupaient, j’ai laissé faire ». La difficulté du retour d’information était également bien réelle. L’impact sur le traitement externe n’était connu et donc transmis à l’équipe interne que par le responsable de la tâche, souvent avec un retard de 24 heures. Il a donc fallu un certain temps pour que l’ensemble du système s’adapte.

Le chef d’expédition fait état après les 10 ou 12 premiers cycles, d’une sorte d’apathie généralisée. La plupart des actions structurantes pour l’installation du camp ont été réalisées. Environ une semaine (temps de référence en surface) s’est écoulée et beaucoup de choses se sont mises en place. Le groupe semble changer subrepticement son rythme de vie. Un certain relâchement s’installe alors, qui est à la fois une conséquence et une menace pour l’équilibre psycho-émotionnel du groupe. Le chef d’expédition observe ce phénomène pendant deux ou trois cycles afin de « laisser le groupe fonctionner par lui-même ». Rien ne se passe. Chaque décision de réaliser une activité prend un temps considérable, mais surtout, elle n’est mise en œuvre que plusieurs cycles après la prise de décision. Il y a une rupture évidente dans la production de la coordination.

Pourtant, ce ne sont pas les activités qui manquent. Bien que le camp de base souterrain soit maintenant essentiellement équipé et offre des conditions de vie acceptables, une grande partie des tâches supplémentaires prévues à mener sous terre n’a pas encore commencé. Il s’agit de toutes les recherches sur le biotope de la grotte et donc sur l’environnement direct des membres de l’équipe. Ces derniers doivent donc répondre à la question : dans quel environnement vivons-nous ?

Après une période d’observation, le chef d’expédition décide d’initier ces activités. Par le biais d’une réunion, il lance habilement la discussion et fait rapidement prendre conscience au groupe qu’il s’enfonce dans une situation de stagnation et d’apathie.

Des groupes se sont formés, des tâches ont été attribuées et chacun a pris en charge différentes activités : nettoyage de la grotte, cartographie 3D des cavités, étude des animaux de la grotte et inventaire géophotographique des glyphes (inscriptions humaines sur les parois de la grotte, très nombreuses, mais d’historicité et d’importance très différentes – plusieurs milliers). Certains membres de l’équipe s’autodésignent pour ces tâches. Nous avons choisi de nous concentrer sur l’inventaire des glyphes, car il est sans doute le plus représentatif de la mécanique de routinisation qui sera ensuite mise en œuvre. Chaque opération a nécessité entre trois et cinq membres de l’équipe et un niveau de charge de travail élevé. Comme pour toute activité nouvelle (aucun des membres de l’expédition, hormis le chef d’expédition, n’avait auparavant pratiqué ce type d’activité), il a d’abord fallu imaginer une organisation et un mode de fonctionnement possible pour que l’inventaire soit opérationnellement possible et scientifiquement exploitable. Cette phase a donné lieu à de nombreux débats, puis, après des propositions et ajustements successifs de la part du chef d’expédition, une méthode a été décidée.

Très vite, on remarque qu’une routine se met en place. Chaque membre de l’équipe se spécialise sur des tâches spécifiques. Les gestes se précisent, l’équipe a l’impression d’être de plus en plus efficace et ils prennent visiblement du plaisir à le faire. C’est à la fois un travail et un moment d’échange entre eux. L’un souligne les automatismes, tandis que l’autre rappelle l’aspect rassurant de cette activité : « Une fois qu’on a su comment faire, ça marchait tout seul, on était bien, on avançait bien. Bien sûr, parfois ça prenait beaucoup de temps, mais dans l’ensemble on était vraiment contents d’y aller ». Et de fait, le journal de bord montre qu’ils le font dès qu’ils le peuvent. Le tableau ci-après () présente les résultats d’une partie des questionnaires passés

Table 3: résultats (moyenne) des questionnaires soumis aux membres de l’équipe de la mission, N=15.

Les quatre phases de la coordination

Le croisement de l’analyse des entretiens et des questionnaires individuels nous permet de déterminer que la coordination s’est construite au fil du temps. Il est possible d’identifier quatre phases :

  • Première phase : les grandes orientations de l’activité coordonnée découlent de la planification de la mission. Il faut monter le camp, établir les protocoles, se former mutuellement sur différents aspects (sécurité, gestion des déchets, etc.) qui ont été anticipés et planifiés. D’autre part, l’équipe tâtonne beaucoup sur les micro-réglages. Il y a beaucoup d’allers-retours sur les méthodes et les processus à mettre en place. On essaie, on échoue, on recommence, on réussit, on passe à autre chose. C’est un processus de routinisation qui se met en place avec un mélange équilibré de planification et d’adaptation.

  • Deuxième phase : les principales activités quotidiennes sont en place. L’équipe est très désynchronisée en termes de cycles de sommeil. La coordination en temps réel est moindre. Les pratiques se mettent en place sur plusieurs cycles et la coordination est lente. La coordination est plus marquée par les routines.

  • Troisième phase : sous l’impulsion du chef d’expédition, diverses activités, et travaux de compréhension du milieu souterrain sont lancés. Des responsables sont nommés ou prennent naturellement en charge ces activités. Tout est nouveau, si les objectifs sont connus, tout doit être mis en place : méthode, processus, etc. L’activité coordonnée est le résultat d’une adaptation permanente. C’est aussi l’époque des grandes explorations souterraines. Pendant de longues heures, de petits groupes de 4 à 6 équipiers partent explorer des galeries, traverser des lacs souterrains et se déplacer dans un monde qui leur est, pour la plupart, totalement inconnu. Les équipes se forment et se constituent au fil des cycles. Elles doivent à chaque fois apprendre à fonctionner et à se coordonner avec l’équipe formée ad hoc.

  • Quatrième phase : les cycles des membres de l’équipe commencent à se synchroniser. Avec un désir commun de travailler ensemble et d’atteindre leurs objectifs, ils trouvent un rythme. L’équipe devient plus efficace, plus rapide et plus coordonnée. Tous les membres de l’équipe soulignent que la coordination semble plus facile pendant cette période. Ils planifient moins, mais improvisent aussi de moins en moins. C’est une nouvelle phase de routine qui s’installe.

Discussion

Le temps comme vecteur de la coordination

L’observation des comportements confirme que la coordination est un processus émergent et situé (Faraj et Xiao Citation2006) avec une caractéristique dynamique (Jarzabkowski, Lê, et Feldman Citation2012). La notion de temps joue un rôle essentiel. Non pas parce qu’elle s’impose à l’équipe de manière contingente, mais plutôt en raison de son absence, créant ainsi un espace de liberté dans lequel chacun a le sentiment de pouvoir s’investir à la mesure de ses possibilités et de ses actions.

Nous aurions pu prévoir que l’absence de notion de référence temporelle jouerait un rôle négatif et destructeur dans la capacité de coordination. Cependant, nos résultats montrent un effet plutôt opposé. L’amélioration de la coordination ne va pas de soi, compte tenu des effets négatifs que pourrait avoir le contexte extrême sur les membres de l’équipe (Paulus et al. Citation2009). L’apprentissage de la coordination au fur et à mesure de la mission semble donc être plus bénéfique que les effets négatifs habituellement observés. Ceci va dans le sens de très rares études telles que Pilcher et al. (Citation2002).

Les injonctions temporelles envers l’équipe sont peu nombreuses. Les seules urgences sont des moments très précis liés à des protocoles scientifiques ou à la nécessité de répondre à des besoins primaires. Pour le reste de l’activité coordonnée, il y a peu de planification possible. Il est impossible de savoir qui fait quoi, quand et pendant combien de temps. Les activités collectives sont organisées en fonction des priorités négociées au sein du groupe. Les fonctions primaires (eau, alimentation, assainissement, énergie) sont bien sûr traitées en priorité. Il y a donc une fonction de priorisation qui est mise en place. Il n’y a pas de débat sur le temps alloué à chaque tâche. L’équipe qui se réunit autour d’une mission investit le temps nécessaire pour la mener à bien sans que cela génère de stress particulier chez ses membres. L’absence de contrainte temporelle crée une dynamique de performance car les équipes sont peu interrompues dans leur activité (Kreumser et Blagoev, 2020).

Nous mettons également en évidence le rôle du facteur temporel dans les rythmes et la nature de la coordination en fonction de la phase de l’expédition. Dans chaque phase distincte, la coordination revêt des mécanismes, des moyens et des outils différents (Godé Citation2015). Ceci appuie les résultats sur l’importance du rythme et de la temporalité comme facteur de coordination dans les situations extrêmes (Bouty et al. Citation2011; Godé-Sanchez Citation2010; Godé Citation2015; Schakel, van Fenema, et Faraj Citation2016). Les quatre phases que nous avons mis en avant ne sont pas sans rappeler les travaux de Colin et Farah (Citation2000) avec leur proposition d’une approche séquentielle de la coordination logistique. Les auteurs ont montré que la coordination logistique est une construction à la fois opérationnelle et contextuelle (Claye-Puaux et al. Citation2013). Ainsi, dans le cas analysé ici, le processus de coordination des acteurs en situation passerait par une résorption progressive, séquentielle et itérative des « décalages » de contexte et de fonctionnement au sein de l’équipe.

La coordination structure notre perception du temps

Le temps pourrait être considéré comme le résultat d’une construction de nos interactions et de nos pratiques de coordination. L’écoulement du temps et la mesure que nous en faisons seraient directement dépendants de cette coordination pour atteindre un objectif commun. En effet, dans la lignée de Bouty et Drucker-Godard (Citation2012), nous pourrions affirmer que la coordination est du temps. En étudiant un cas de course de voile, les auteurs soulignent que c’est l’alternance des opérations (action) et des conduites (stabilité et vigilance) qui est source de coordination et définit le temps pour l’organisation.

Ici, dans la grotte, alors que l’équipe n’a accès à aucun indicateur temporel, nous constatons que c’est le travail coordonné qui crée un rythme à la vie de l’équipe. L’écoulement du temps est perçu à la mesure des différentes tâches accomplies.

Avec l’apport de la perspective pratique et de la théorie de la structuration (Giddens Citation1987), nous pouvons considérer la temporalité comme le résultat de pratiques situées et de leur reproduction (routines). Par exemple, Orlikowski et Yates (Citation2002) ont acquis des connaissances importantes sur la façon dont la temporalité est à la fois produite dans des pratiques situées et reproduite par l’influence de normes institutionnalisées. Cette intégration suggère que le temps est instancié dans la vie organisationnelle par un processus de structuration temporelle. Nous observons également ce processus de structuration temporelle dans le cas étudié. Dans les premières phases de la mission, les membres de l’équipe font état d’un mode de vie très peu structuré. Ce n’est qu’avec la mise en place d’activités de structuration collective qu’apparaissent des sous-groupes qui vivent et fonctionnent relativement au même rythme. C’est la volonté et la nécessité de travailler ensemble vers un même objectif qui leur a permis de structurer le temps. Avec Giddens (Citation1987) qui a développé la notion de récursivité et Orlikowski et Yates (Citation2002), nous pouvons constater que les structures temporelles façonnent et sont façonnées par l’activité humaine coordonnée.

Enseignements

Alors que la tendance au sein des organisations est de toujours plus compresser le temps, d’accélérer et de contraindre les actions et objectifs à atteindre dans un temps toujours plus court, il peut être opportun de repenser notre rapport au temps. En effet, nous avons observé qu’une organisation pouvait réussir sous contrainte d’absence temporelle.

Comme le soulignent Fabbe-Costes et Lièvre (Citation2002), l’objectif ici n’est pas de généraliser l’expérience vécue par les membres de l’expédition, « ni d’appliquer leurs réponses aux entreprises industrielles et commerciales ». Il s’agit plutôt de confronter les pratiques et les connaissances d’univers différents, mais ayant un objet commun « l’organisation logistique » (Fabbe-Costes et Lièvre Fabbe-Costes et Lièvre Citation2002). L’environnement de l’expédition étudiée revêt plusieurs similitudes avec l’environnement des entrepôts logistiques.

Tout d’abord, les équipes logistiques fonctionnent dans des environnements très particuliers. La nature des opérations (manutention de charges), les horaires de travail et leur variation, notamment de nuit (2 × 8, 3 × 8), le rythme (productivité, variations d’activité), le stress, par exemple, créent des conditions de travail exigeantes (Large et Paché Citation2016). Poussées à leur paroxysme, ces conditions peuvent être assimilées à une situation extrême de gestion. Comme toute équipe « naïve » (Hannah et al. Hannah et al. Citation2009), les équipes logistiques sont donc confrontées, par la nature même des opérations et de l’environnement dans lequel elles évoluent, à des niveaux de risque, d’incertitude et d’évolutivité importants. Ensuite, les opérations sont plutôt marquées par la routine et la répétition. Il s’agit de réceptionner, préparer, expédier chaque jour de la marchandise selon des modes opératoires précis. Les actions se répètent quotidiennement. Comme dans la grotte, les équipes doivent répéter des tâches à chaque cycle pour assurer le fonctionnement du camp de base, la vie sous terre et réaliser les travaux qui font partie de la mission.

La confrontation entre activité logistique et coordination en situation extrême de gestion nous permet d’identifier quelques principes permettant de tirer quelques enseignements.

En premier lieu, la temporalité n’est peut-être pas à voir systématiquement comme un facteur contraignant (Orlikowski et Yates Citation2002). C’est aussi une ressource qui peut permettre la facilitation et l’évolution positive de l’activité coordonnée. Ainsi, Orlikowski et Yates (Citation2002) « ont obtenu des indications importantes sur la façon dont la temporalité est à la fois produite dans les pratiques situées et reproduite par l’influence des normes institutionnalisées. Cette intégration suggère que le temps est imbriqué dans la vie organisationnelle par un processus de structuration temporelle ». Nous observons également ce processus de structuration temporelle dans le cas étudié. Dans les premières phases de la mission, les équipiers font état d’un mode de vie très déstructuré. Il faut attendre la mise en place d’activités collectives structurantes pour voir apparaître des sous-groupes vivants et fonctionnant relativement sur un même rythme. C’est bien la volonté et la nécessité de travailler ensemble à un même objectif qui leur ont permis de structurer le temps, bien que les membres de l’équipe n’eussent pas la possibilité de synchroniser volontairement leurs cycles. Avec Giddens (Citation1987) qui a développé la notion de récursivité et Orlikowski et Yates (Citation2002) nous pouvons constater que les structures temporelles façonnent et sont façonnées par l’activité humaine coordonnée. Un management qui donne un rythme sans nécessairement imposer une pression temporelle forte permet sans doute d’améliorer la qualité de la coordination dans le temps, a minima dans une situation d’apprentissage collectif et en réduisant la fatigue physique et mentale des équipes (Large et Paché Citation2016).

Ensuite, nous avons mis en lumière une coordination d’opportunité. Il s’agit de la capacité des acteurs à se concentrer sur la réalisation d’une action coordonnée à un instant t parce que les conditions pour réaliser cette tâche sont réunies (et particulièrement dans notre cas la présence des membres de l’équipe nécessaires à la réalisation de la tâche). Il s’agit d’une stratégie d’adaptation à une situation de vie particulière « hors du temps », mais elle laisse à penser que la planification extrême et le découpage temporel des actions au sein des organisations (minutage des réunions, séquençage des tâches dans des programmes de type agile, etc.) ne sont pas nécessairement à opposer avec de grandes plages horaires libres qui laisseraient place à plus de coordination improvisée tout en conservant chez les membres de l’organisation un sentiment de liberté assez important avec tout l’intérêt en termes de motivation, de bien être psycho-émotionnel et d’efficacité que cela peut comporter.

Enfin, nous pouvons enjoindre les managers à ne pas chercher à opposer action et temps. Dans la théorie de la structuration, « les organisations sociales ont un rythme et une durée de vie différents de ceux vécus par les acteurs-actants » (Husser Citation2010). Or, les managers, incités par des objectifs de rentabilité et de contrôle à court terme, envisagent généralement le temps comme une contrainte à dépasser, à annihiler, mettent en œuvre des pratiques de gestion rapides, éphémères, successives et parfois brutales qui suscitent des réactions défensives de la part des acteurs. Une meilleure prise en compte du facteur temporel permettrait non seulement de laisser faire son œuvre au temps et éliminer au fur et à mesure de la maturation des changements demandés aux équipes, mais aussi de préserver et de laisser s’adapter l’organisation qui est le fruit de la construction, d’une structuration, d’un apprentissage collectif dans le temps.

Conclusion

Le premier enseignement est une invitation à repenser le temps dans nos organisations. Nous avons observé qu’une équipe pouvait réussir à structurer des activités coordonnées sous contrainte d’absence d’information temporelle. Cela demande des stratégies d’adaptation variées et notamment la coordination d’opportunité. Il s’agit de la capacité des acteurs à se concentrer sur la réalisation d’une action coordonnée à un instant précis parce que les conditions pour réaliser cette tâche sont réunies. Nous pouvons également enjoindre les managers à ne pas opposer action et injonction temporelle. L’approche structurationniste nous a enseigné que les organisations et les individus ont un rythme de vie différent. Il pourrait être bénéfique pour les membres d’équipes d’alterner des phases de coordination dirigées et des phases où la coordination est plus émergente. Cela pourrait favoriser au sein des équipes un sentiment de liberté assez important avec un renforcement de la motivation, du bien être psycho-émotionnel et d’efficacité.

Ces conclusions comportent certaines limites toutefois. En particulier en raison de la proximité des auteurs avec leur objet de recherche. Cependant la spécificité du terrain et l’accès aux données justifient cette proximité. Par ailleurs, s’agissant d’une étude de cas unique, cette recherche pourrait être comparée à d’autres situations extrêmes de gestion afin de valider plus largement le rôle du facteur temporel.

Ceci nous enjoint à poursuivre ces recherches sur la coordination avec l’utilisation d’outils de mesure quantitatifs in situ de la coordination en situation extrême de gestion pour tendre vers plus d’objectivité dans l’observation des phénomènes. Cela nous invite aussi à observer d’autres situations pour mieux comprendre l’articulation entre temporalité et coordination dans la durée.

Déclaration

Les auteurs confirment qu'il n'y a aucun conflit d'intérêt.

Remerciements

Nous sommes redevables au Human Adaptation Institute qui a créé cette mission et rendu cette recherche possible ainsi que les membres qui ont participé volontairement aux études scientifiques.

Nous tenons à remercier tous les chercheurs, laboratoires et universités qui sont les partenaires de la mission Deep Time, notamment : LNC ENS-INSERM U960, Institut du cerveau, Comete UMR-S 1075 de l’université de Caen Normandie, Marseille génétique médicale UMR 1251, université de Genève NEAD, Ethospace, université de Tours, Ethospace, CHU de Caen.

Nous remercions également nos relecteurs qui nous ont permis d’approfondir et de préciser certains axes de cet article.

Additional information

Notes on contributors

Jérémy Roumian

Jérémy Roumian, Ph.D. attaché temporaire de recherche de l’université Paris Panthéon-Assas et chercheur au LARGEPA. Il est par ailleurs directeur des opérations du Human Adaptation Institute. Spécialiste des opérations logistiques en conditions difficiles et dirige la mise en place des expéditions de terrain avec la logistique de missions scientifiques internationales partout dans le monde en milieux extrémes.

Pierre Fenies

Pierre Fenies, professeur au LARGEPA de l’université Panthéon Assas, où il dirige le master management de projets logistiques. Ses travaux de recherche portent sur le management de projet et le management industriel et logistique.

Références

  • Ancona, D. G., G. A. Okhuysen, and L. A. Perlow. 2001. “Taking Time to Integrate Temporal Research.” Academy of Management Review 26 (4): 512529. doi:10.2307/3560239.
  • Bechky, B. A. 2006. “Gaffers, Gofers, and Grips: Role-Based Coordination in Temporary Organizations.” Organization Science 17 (1): 321. doi:10.1287/orsc.1050.0149.
  • Bechky, B. A., and D. E. Chung. 2018. “Latitude or Latent Control? How Occupational Embeddedness and Control Shape Emergent Coordination.” Administrative Science Quarterly 63 (3): 607636. doi:10.1177/0001839217726545.
  • Bechky, B. A., and G. A. Okhuysen. 2011. “Expecting the Unexpected? How SWAT Officers and Film Crews Handle Surprises.” Academy of Management Journal 54 (2): 239‑261. doi:10.5465/amj.2011.60263060.
  • Bell, S. T., D. M. Fisher, S. G. Brown, and K. E. Mann. 2018. “An Approach for Conducting Actionable Research with Extreme Teams.” Journal of Management 44 (7): 27402765. doi:10.1177/0149206316653805.
  • Bigley, G. A., and K. H. Roberts. 2001. “The INCIDENT COMMAND SYSTEM: HIGH-RELIABILITY ORGANIZING for COMPLEX and VOLATILE TASK ENVIRONMENTS.” Academy of Management Journal 44 (6): 12811299. doi:10.2307/3069401.
  • Bouty, I., and C. Drucker-Godard. 2012. “La coordination comme un rythme. Le cas d’un voilier de course.” Revue française de gestion 38 (223): 153166. doi:10.3166/rfg.223.153-166.
  • Bouty, I., C. Drucker-Godard, C. Godé, P. Lièvre, J. Nizet, and F. Pichault. 2011. “La résolution des problèmes concrets de coordination en situation extrême : Essai de synthèse.” Management & Avenir 41 (1): 472. doi:10.3917/mav.041.0472.
  • Carrere, S. 1990. Physiological and psychological patterns of acute and chronic stress during winter isolation in Antarctica [ Doctoral dissertation]. The University of California.
  • Christianson, M. K., M. T. Farkas, K. M. Sutcliffe, and K. E. Weick. 2009. “Learning Through Rare Events: Significant Interruptions at the Baltimore & Ohio Railroad Museum.” Organization Science 20 (5): 846860. doi:10.1287/orsc.1080.0389.
  • Claye-Puaux, S., J. Lazzeri, B. Meurier, and A. Rouquet. 2013. “Coordination logistique : Quatre modèles-types de calage au sein des supply chains.” In La logistique : Une approche innovante des organisations, edited by N. Fabbe-Costes and G. Paché. Presses universitaires de Provence. doi:10.4000/books.pup.30580.
  • Clot, C. 2021. Deep time 40 jours sous terre : Une exploration hors du temps. Robert Laffont.
  • Colin, J., and D. Farah. 2000. “Coordination logistique, une approche séquentielle : comment passer d’une chaîne de décalages à une chaîne logistique? Actes des Troisièmes Rencontres Internationales de la Recherche en Logistique, Trois-Rivières (Québec).” 1–21.
  • Dionysiou, D. D., and H. Tsoukas. 2013. “Understanding the (Re)creation of Routines from Within: A Symbolic Interactionist Perspective.” Academy of Management Review 38 (2): 181205. doi:10.5465/amr.2011.0215.
  • Fabbe-Costes, N., and P. Lièvre. 2002. “La logistique des expéditions polaires : Caractéristiques et apports à la logistique “classique”.” Logistique & Management 10 (2): 2539. doi:10.1080/12507970.2002.11516761.
  • Faraj, S., and Y. Xiao. 2006. “Coordination in Fast-Response Organizations.” Management Science 52 (8): 11551169. doi:10.1287/mnsc.1060.0526.
  • Feldman, M. S., and B. T. Pentland. 2003. “Reconceptualizing Organizational Routines as a Source of Flexibility and Change.” Administrative Science Quarterly 48 (1): 94118. doi:10.2307/3556620.
  • Gammelgaard, B., and P. D. Larson. 2001. “Logistics Skill and Competencies for Supply Chain Management.” Journal of Business Logistics 22 (2): 2750. doi:10.1002/j.2158-1592.2001.tb00002.x.
  • Gaumand, C., A. Chapdaniel, and A. Dudézert. 2010. “Systèmes de Gestion des Connaissances pour la chaîne logistique intra-organisationnelle, Cas de la société BONFIGIOLI.” Systemes D’information Management 15 (2): 99124. doi:10.3917/sim.102.0099.
  • Gavard-Perret, M. -L., D. Gotteland, C. Haon, and A. Jolibert. 2012. Méthodologie de la recherche en sciences de gestion : Réussir son mémoire ou sa thèse (2e éd). Pearson.
  • Giddens, A. 1987. La constitution de la société : Éléments de la théorie de la structuration. Presses universitaires de France.
  • Giordano, Y. 2019. “16. Les organisations en contextes extrêmes.” In Les grands courants en management stratégique, 445472. EMS Editions. https://www.cairn.info/les-grands-courants-en-management-strategique–9782376873174-page-445.htm
  • Godé, C. 2011. “Construire le sens par le retour d’expérience : Le cas de l’Equipe de Voltige de l’Armée de l’air.” Management & Avenir 41 (1): 416. doi:10.3917/mav.041.0416.
  • Godé, C. 2015. Le coordination des équipes en environnement extrême : Pratiques de travail et usages technologiques en situation d’incertitude. ISTE Edition Ltd.
  • Godé, C., P. Barbaroux, and V. Ribière. 2012. “Towards an Architecture of Organizational Learning: Insights from French Military Aircrews.” VINE 42 (3/4): 321334. doi:10.1108/03055721211267468.
  • Godé, C., and J. -F. Lebraty. 2015. “Experience Feedback as an Enabler of Coordination: An Aerobatic Military Team Case.” Scandinavian Journal of Management 31 (3): 424436. doi:10.1016/j.scaman.2015.02.002.
  • Godé, C., P. Lenesley, and V. Buthion. 2019. “A Polycentric View of Coordination in Extreme Action Teams: Insights from Pre-Hospital Emergency Teams.” Recherches en Sciences de Gestion 133 (4): 163. doi:10.3917/resg.133.0163.
  • Godé-Sanchez, C. 2009. “Se coordonner en environnement volatil : Les pratiques de coordination développées par les pilotes de chasse.” Finance Contrôle Stratégie 13 (3): 93125.
  • Godé-Sanchez, C. 2010. “Leveraging Coordination in Project-Based Activities: What Can We Learn from Military Teamwork?” Project Management Journal 41 (3): 6978. doi:10.1002/pmj.20178.
  • Golden, S. J., C. -H.D. Chang, and S. W. J. Kozlowski. 2018. “Teams in Isolated, Confined, and Extreme (ICE) environments : Review and Integration.” Journal of Organizational Behavior 39 (6): 701 715. doi:10.1002/job.2288.
  • HAI 2022, 20 juillet, https://adaptation-institute.com
  • Hällgren, M., L. Rouleau, and M. de Rond. 2018. “A Matter of Life or Death: How Extreme Context Research Matters for Management and Organization Studies.” The Academy of Management Annals 12 (1): 111153. doi:10.5465/annals.2016.0017.
  • Hannah, S. T., M. Uhl-Bien, B. J. Avolio, and F. L. Cavarretta. 2009. “A Framework for Examining Leadership in Extreme Contexts.” The Leadership Quarterly 20 (6): 897919. doi:10.1016/j.leaqua.2009.09.006.
  • Harrison, S. H., and E. D. Rouse. 2014. “Let’s Dance! Elastic Coordination in Creative Group Work: A Qualitative Study of Modern Dancers.” Academy of Management Journal 57 (5): 12561283. doi:10.5465/amj.2012.0343.
  • Hernes, T. 2009. Understanding Organization as Process : Theory for a Tangled World. Routledge.
  • Hult, G. T. M., D. J. Ketchen, and E. L. Nichols. 2003. “Organizational Learning as a Strategic Resource in Supply Management.” Journal of Operations Management 21 (5): 541556. doi:10.1016/j.jom.2003.02.001.
  • Husser, J. 2010. “La theorie de la structuration : Quel éclairage pour le contrôle des organisations?” Vie & sciences de l’entreprise 183184 (1): 33. doi:10.3917/vse.183.0033.
  • Jarzabkowski, P. A., J. K. Lê, and M. S. Feldman. 2012. “Toward a Theory of Coordinating: Creating Coordinating Mechanisms in Practice.” Organization Science 23 (4): 907927. doi:10.1287/orsc.1110.0693.
  • Kotlarsky, J., B. van den Hooff, and L. Geerts. 2020. “Under Pressure: Understanding the Dynamics of Coordination in IT Functions Under Business-As-Usual and Emergency Conditions.” Journal of Information Technology 35 (2): 94122. doi:10.1177/0268396219881461.
  • Kremser, W., and B. Blagoev. 2021. “The Dynamics of Prioritizing: How Actors Temporally Pattern Complex Role–Routine Ecologies.” Administrative Science Quarterly 66 (2): 339379. doi:10.1177/0001839220948483.
  • Large, R. O., and G. Paché. 2016. “Dimension humaine du management logistique : Stress, fatigue et santé des salariés.” Logistique & Management 24 (2): 134151. doi:10.1080/12507970.2016.1240595.
  • Lebraty, J. -F. 2013. “SI et situations extrêmes.” Systèmes d’information & management 18 (1): 3. doi:10.3917/sim.131.0003.
  • Lièvre, P. 2005. “Vers une logistique des situations extrêmes, de la logistique de projet du point de vue d’une épistémologie de l’activité d’une expédition polaire.” HDR.
  • Lièvre, P. 2007. La logistique. la Découverte.
  • Lièvre, P., M. Aubry, and G. Garel. 2019. Management des situations extrêmes. Des expéditions polaires aux organisations orientées exploration. ISTE Editions. https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-02556535.
  • Lièvre, P., and A. Gautier. 2009. “Les registres de la logistique des situations extrêmes : des expéditions polaires aux services d’incendies et secours.” Management & Avenir n° 24 (4): 196216. doi:10.3917/mav.024.0196.
  • Lièvre, P., and G. Rix-Lièvre. 2011. “Pratiques de coordination d’un collectif informel en situation extrême : Une étude de cas « ancrée » au Groenland.” Management & Avenir 41 (1): 449. doi:10.3917/mav.041.0449.
  • Majchrzak, A., S. L. Jarvenpaa, and A. B. Hollingshead. 2007. “Coordinating Expertise Among Emergent Groups Responding to Disasters.” Organization Science 18 (1): 147161. doi:10.1287/orsc.1060.0228.
  • Musca, G., M. Perez, L. Rouleau, and Y. Giordano 2010.”Extreme” Organizational Ethnography: The Case of the Darwin Expedition in Patagonia. 26th EGOS Colloquium, 125. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00470018
  • Nizet, J., and F. Pichault. 2011. “L’interprétation des standards en situation extrême : Le pouvoir fait-il la différence?” Management & Avenir 41 (1): 394. doi:10.3917/mav.041.0394.
  • Okhuysen, G. A., and B. A. Bechky. 2009. “10 Coordination in Organizations: An Integrative Perspective.” The Academy of Management Annals 3 (1): 463502. doi:10.5465/19416520903047533.
  • Orlikowski, W. J., and J. Yates. 2002. “It’s About Time: Temporal Structuring in Organizations.” Organization Science 13 (6): 684700. doi:10.1287/orsc.13.6.684.501.
  • Palinkas, L. A., and P. Suedfeld. 2021. “Psychosocial Issues in Isolated and Confined Extreme Environments.” Neuroscience & Biobehavioral Reviews 126: 413429. doi:10.1016/j.neubiorev.2021.03.032.
  • Paulus, M. P., E. G. Potterat, M. K. Taylor, K. F. Van Orden, J. Bauman, N. Momen, G. A. Padilla, and J. L. Swain. 2009. “A Neuroscience Approach to Optimizing Brain Resources for Human Performance in Extreme environments☆.” Neuroscience & Biobehavioral Reviews 33 (7): 10801088. doi:10.1016/j.neubiorev.2009.05.003.
  • Peretz, H. 2004. Les méthodes en sociologie. L’observation. La Découverte; Cairn.info. https://www.cairn.info/les-methodes-en-sociologie–9782707142627.htm.
  • Pichault, F. 2002. “La question de l’alignement stratégique dans le cadre des nouvelles formes organisationnelles.” Revue de Gestion des Ressources Humaines 46. https://orbi.uliege.be/handle/2268/2296.
  • Pilcher, J. J., E. Nadler, and C. Busch. 2002. “Effects of Hot and Cold Temperature Exposure on Performance: A Meta-Analytic Review.” Ergonomics 45 (10): 682698. doi:10.1080/00140130210158419.
  • Rico, M., G. Benito, and A. Díez-Herrero. 2008. “Floods from Tailings Dam Failures.” Journal of Hazardous Materials 154 (13): 7987. doi:10.1016/j.jhazmat.2007.09.110.
  • Rouleau, L. 2018. “Les expéditions comme objet légitime en sciences de gestion in Management des situations extrêmes : Des expéditions polaires aux organisations orientées exploration [actes du colloque de Cerisy-la-Salle, du 14 au 21 juin 2016]”. ISTE editions
  • Sandberg, J. 2005. “How Do We Justify Knowledge Produced Within Interpretive Approaches?” Organizational Research Methods 8 (1): 41‑68. doi:10.1177/1094428104272000.
  • Schakel, J. -K., P. C. van Fenema, and S. Faraj. 2016. “Shots Fired! Switching Between Practices in Police Work.” Organization Science 27 (2): 391410. doi:10.1287/orsc.2016.1048.
  • Sheffi, Y., P. Klaus, Y. Sheffi, and P. Klaus. 1997. “Logistics at Large: Jumping the Barriers of the Logistics Function.”
  • Tafforin, C. 2015. “Comparison of Spatiotemporal Adaptive Indicators in Isolated and Confined Teams During the Concordia Stay, Tara Drift and Mars-500 Experiment.” Journal of Human Performance in Extreme Environments 12 (1). doi:10.7771/2327-2937.1062.
  • Turner, S. F., and M. J. Fern. 2012. “Examining the Stability and Variability of Routine Performances: The Effects of Experience and Context Change: Stability and Variability of Routine Performances.” Journal of Management Studies 49 (8): 14071434. doi:10.1111/j.1467-6486.2012.01061.x.
  • Turner, S. F., and V. Rindova. 2012. “A Balancing Act: How Organizations Pursue Consistency in Routine Functioning in the Face of Ongoing Change.” Organization Science 23 (1): 2446. doi:10.1287/orsc.1110.0653.
  • Turner, S. F., and V. P. Rindova. 2018. “Watching the Clock: Action Timing, Patterning, and Routine Performance.” Academy of Management Journal 61 (4): 12531280. doi:10.5465/amj.2015.0947.
  • Yin, R. K. 2014. Case Study Research : Design and Methods. Fifth ed. SAGE.