Abstract
Proust est un grand auteur comique. Son humour se manifeste notamment dans les descriptions physiques de ses personnages, surtout ceux issus de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie dont la fréquentation a fait perdre à son narrateur les illusions qu’il a pu nourrir sur le genre humain. Nombre d’entre eux évoquent en effet immanquablement pour lui tantôt un poisson, tantôt un oiseau, tantôt un insecte, tantôt un mammifère. Cette propension à assimiler les gens du monde aux animaux trouve peut-être son explication dans l’épisode où la princesse de Luxembourg humilie le héros et sa grand-mère en les traitant « comme deux bêtes sympathiques ». En tout cas, si les métaphores en question déclenchent immanquablement le rire, c’est un rire tragique, comme celui de Molière. Elles révèlent en effet une sombre conception de la condition humaine, ces personnages rappelant ceux du Rhinocéros de Ionesco. À cet égard, Proust peut être curieusement considéré comme un précurseur de la littérature de l’absurde, et ce d’autant plus que la particularité animale en question, justement parce qu’elle résume toute la personne, sert souvent à masquer un vide effrayant.
Notes
1. Sur le sujet des animaux dans la Recherche, citons notamment, outre les travaux cités dans cet article, les essais de Raymonde Coudert, d’Anne Simon, de Sigbrit Swahn et de Florence Godeau.