Abstract
Le « fait social » dépasse l’individu et le contraint, affirme Durkheim. Freud (entre autres) s’interroge : serions-nous en passe de devenir des termites ? Maurice Maeterlinck, en publiant entre 1902 et 1930 ses trois « vies d’insectes », répercute les inquiétudes d’une époque qui voit les individus se dissoudre dans la foule, s’aliéner dans la masse. Maeterlinck propose au lecteur un banc d’essai : en découvrant la vie des insectes sociaux, c’est le procès de sa propre anonymisation qu’il est invité à mesurer, selon les fluctuations d’un genre littéraire souple, où la monographie naturaliste se conjugue à la méditation philosophique. L’homme des foules est-il souhaitable, révoltant, inéluctable ? Tout cela à la fois, répond Maeterlinck, en variant, d’une monographie à l’autre, les angles et les styles: dans Vie des abeilles, la contrainte sociale, grâce au jeu de la métaphore, paraît légère; mais elle devient insupportable dans Vie des termites, où le carcan allégorique impose une interprétation univoque et désespérante ; enfin, l’inflexion iesque imprimée à Vie des fourmis, ouvre le jeu : la pesanteur collective n’empêche pas l’esquive, la malice …
Notes
1. À l’aliénation sociale, la psychanalyse, bientôt, ajoutera le décentrement intime de l’inconscient. Des hôtes étrangers colonisent notre for intérieur ; les services de renseignements de la conscience s’avèrent incomplets, peu sûrs ; et le constat s’impose, humiliant : le Moi n’est pas maître en sa demeure ! Voir Sigmund Freud, « Une Difficulté de la psychanalyse » (1917).
2. Je cite les textes d’après une édition commode – elle réunit les trois Vies … – mais sans doute peu répandue. Pour faciliter le repérage des citations dans d’autres éditions, je donnerai à chaque fois, après le numéro de page de mon édition de référence (précédé de la mention A, pour la Vie des abeilles, T pour la Vie des termites et F pour la Vie des fourmis), le titre du chapitre, suivi du numéro de la section concernée. Ce renvoi aux sections, qui sont fort brèves – elles occupent une page en moyenne – devrait permettre une localisation aisée des citations.
3. L’enfer, précise Maeterlinck, « tel que pourraient l’imaginer les hôtes ailés d’un rucher » (T 422 ; « La Morale de la termitière », I).
4. On se rappellera aussi la « parfaite et définitive fourmilière » prédite sarcastiquement à l’humanité par Valéry en 1919, dans « La Crise de l’esprit ».