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L'utopie non-art : Fluxus, Robert Filliou et ses « Principes d’économie poétique »

 

Abstract

Les années 60–70 voient aux États-Unis comme en Europe le développement d'un « marché de l'art » où les œuvres sont évaluées et vendues comme des produits d'investissement financier. Ce nouvel état de fait amène certains artistes qui critiquent la collusion entre les institutions de l'art et les milieux financiers à expérimenter de nouvelles pratiques en opposition au régime de l'objet d'art ; c'est le cas des artistes proches du groupe Fluxus qui revendiquent paradoxalement de « ne pas faire de l'art », ou de « faire autre chose que de l'art » – ce qui suppose de « créer sans se préoccuper de savoir si les œuvres seront distribuées ou non », comme l’écrit l'artiste franco-américain Robert Filliou. Ancien économiste à l'O.N.U. reconverti en « non-artiste », Filliou élabore dans son ouvrage Enseigner et apprendre, arts vivants, dont la première version est parue en 1970, un dispositif textuel novateur, le « multilivre », afin d'exposer et de mettre en pratique ses « principes d’économie poétique » et de répondre au problème pratique posé par le développement économique du marché de l'art. L'étude de cet ouvrage permet de mettre en évidence cette attitude artistique, et la manière dont l'expérimentation formelle prend en compte les réalités socio-économiques comme autant de contraintes qui déterminent, positivement et négativement, l'activité créative de l'artiste.

Notes

1. Je traduis. Une traduction de Nicolas Feuillie est proposée dans Fluxus Dixit, une anthologie, Volume 1, 209–210.

2. Robert R. Nathan Associates, United Nations Korean Reconstruction Agency, An Economic Program for Korean Reconstruction, New York, United Nations, 1954.

3. Pour une « chronologie (partielle) des activités liées à Fluxus en France », voir Fluxus en France, 178–186.

4. Lebel évoque dans sa contribution au même ouvrage « le mémorable ‘Concert Fluxus’ de 1967, organisé avec Michel Asso, G. Rutten et d'autres à l'invitation d'Henri Lefebvre », qui a « pas mal contribué à allumer la mèche qui, un an plus tard, allait foutre le feu partout. Car les gauchistes de Nanterre – même les Situs et les anars – n'avaient jamais entendu parler de Cage, ils ignoraient tout des happenings et de Fluxus, et cette manifestation, qui a eu un grand retentissement, les a aidés à ouvrir les yeux sur des alternatives pratiques au crétinisme et corporatisme universitaire » (Giroud 45).

5. « L'œuvre elle-même peut être créée, disons, en une heure, mais il faudra 100 heures pour qu'elle soit vue par quelqu'un qui contrôle la diffusion sur le marché de l'art […]. Combien d'heures supplémentaires avant qu'elle soit vendue, jouée, commentée… Voilà pourquoi Allan Kaprow a affirmé que nous tendons de plus en plus vers un art qui se limite à des idées. Déjà, en 1961, Addi Köpcke et moi avions envisagé de cesser de faire des objets, pour aller donner des conférences sur ce que nous pourrions éventuellement faire, si… » (Filliou Citation1998, 75).

6. L'expression est du sociologue Howard Becker, qui dans son livre paru en 1982 sous le titre Arts Worlds met en évidence les coopérations entre acteurs qui régissent la production, la distribution et la consommation des œuvres d'art (Becker, Les Mondes de l'art).

7. Filliou s'interroge par exemple sur le sens du succès de Picasso, et de la valeur marchande attribuée à ses œuvres, par opposition aux difficultés qu'il rencontre à créer : « Les artistes trouvent leurs revenus de manière bizarre, quand ils en trouvent. Bien que la production et la consommation d’œuvres d'art engendrent une industrie gigantesque, la relation entre travail et revenu n'est pas évidente. Tenez, moi par exemple, à l'instant même (nov. 1968). Depuis deux ans, je travaille sur ce livre, avec quelques interruptions. Ces jours-ci, j'y travaille régulièrement. Pourtant, j'ignore s'il sera jamais publié et, plus encore, s'il me rapportera un quelconque revenu après sa parution. Je ne peux pas payer mon loyer, mais je continue, tout en me sentant plutôt joyeux. À l'inverse, voyez Picasso » (Filliou Citation1998, 51).

Additional information

Notes on contributors

Cécile Mahiou

Cécile Mahiou is a former student of the Ecole Normale de Lyon, agrégée in Lettres Modernes, and a doctor in Esthétique. She teaches at l'Université Paris 1 Pathéon Srobonne in the department of Arts et Sciences de l'art and is part of the team Aesthetica de l'Institut ACTE. She is a permanent member of the journal Proteus-Cahiers des théories de l'art and, in particular, she directed number seven of the journal Arts de la perturbation, appearing in July 2014.

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