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Terre, mon beau souci. Quand Frédéric Boyer « fait Virgile »

 

Abstract

This article takes as its point of departure Frédéric Boyer’s 2019 translation of Virgil’s Georgics (under the title Le Souci de la terre) and the long introductory essay that accompanies it, entitled “Faire Virgile.” These last two words, understood as an invitation or, in fact, as an imperative to follow a manner of “doing,” to emulate or to translate the most unlikely of poetic models—a text “written in the Italian countryside more than two thousand years ago”—, provide us with a way to understand what it might mean for Boyer’s poetry, and more generally for French contemporary poetics, to attempt to “speak the earth.”

Notes

1 Corine Pelluchon rappelle combien ce mot « humilité, qui […] vient de humus (terre), souligne la condition terrestre de l’humain, sa petitesse » (Pelluchon 194).

2 Pierre Schoentjes note avec quelle fréquence l’analogie est reprise : « la main qui écrit [est] pareille au soc qui laboure le sol, un rapprochement d’ailleurs facilité en latin par l’ambiguïté d’arare », à la fois « labourer » et « écrire » (Ce qui a lieu 129).

3 Ainsi par exemple l’ouvrage important de Pierre Schoentjes, Ce qui a lieu (2015), dont l’ambition est d’inaugurer l’étude de l’écopoétique (terme préféré à écocritique afin de « mettre l’accent sur le travail de l’écriture », 15) et qui privilégie néanmoins, curieusement, le roman pour laisser la poésie — calembour cruel mais sans doute involontaire — « hors champ » (14). Son récent Littérature et écologie. Le mur des abeilles (2020), qui distingue plusieurs catégories « d’écritures environnementales » (17), ne retient lui aussi que les textes en prose. Stéphanie Posthumus, dans French Écocritique. Reading Contemporary French Theory and Fiction Ecologically (U of Toronto P, 2017), restreint quant à elle son enquête fondatrice aux textes théoriques et aux textes de fiction. Les travaux de Michel Collot, notamment La Pensée-paysage (Philosophie, art, littérature, Arles, Actes Sud/ENSP, 2011) et le magistral Le Chant du monde dans la poésie française contemporaine, font ici figures d’exception.

4 Dès la première page de l’introduction à son Principe de floraison, Thierry Marin présente la plante — et le monde végétal tout entier — comme ce qui reste pour nous un « impensé profond » qu’il nomme « impensé d’inquiétude » car celui-ci, loin de la laisser indifférente, inquiète la pensée, la trouble et la pousse à sortir d’elle et se faire autre en se portant à la rencontre de ce qui lui reste étranger.

5 À cet égard, et pour reprendre ici la catégorisation proposée par Schoentjes, les textes de Boyer constitueraient autant d’exemples de « littérature marron » (par contraste à la « littérature verte »), « à savoir celle qui fait voir les atteintes à l’environnement plutôt que les [seules] beautés de la nature » (Littérature et écologie 18).

6 Cette capacité à penser la fin est liée, pour l’écrivain fasciné par le christianisme et maître d’œuvre du chantier de traduction de la Bible chez Bayard, à « l’espérance ». Sans elle, « nous nous réfugions dans des probabilités économiques, des algorithmes, des développement calculés. Une sorte de fatum politico-bio-technologique » par le truchement duquel nous « préférons refuser de nous ouvrir à la question de la fin » (Cœur 80).

7 Le poème coupe brutalement court à cette histoire alternative dont la possibilité se fracasse sur le point qui suit immédiatement la condition deux fois répétée : « tu penseras à l’humanité que tu eusses été / si. » (55).

8 « [Tu] as su donner des noms à des montagnes, des îles […] / comme à chaque plante découverte / à chaque animal rencontré / et pas un nom / non pas un nom / pour désigner / la montagne rasée / l’île engloutie / la plante disparue / l’animal massacré » (50).

9 « S’il y a prosopopée, c’est sans doute parce que l’absence ne convient pas. Qu’elle indispose » (Clément 81). Pour un examen beaucoup plus subtil de ce procédé rhétorique que je fais mine de condamner trop rapidement, on verra le superbe ouvrage de Bruno Clément, La Voix verticale (Paris, Belin, 2013) où sont reprises les pages citées ici.

10 Sur l’utilisation parfois ambigüe de la prosopopée chez Ponge, on lira l’article de Philippe Met, « Ponge : Nioque de l’avant-printemps, ou la trame de l’écriture à l’état (co-)naissant » (Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 102, no. 2, 2002, pp. 309–322), tout particulièrement les pp. 320–321.

11 On verra à ce sujet l’objection qu’oppose Michel Collot à la thèse du philosophe Jacques Rancière, lequel évoquait dans Le Sillon du poème une « poésie d’après la nature » (Collot, Chant 147–148).

12 « À quoi peut bien aujourd’hui nous servir un tel ouvrage? » (Le Souci 16).

13 « Ce soin de la terre, ce souci de notre lien au terrestre, c’est l’écriture […] qui l’assure » (Le Souci 30).

14 Et je renvoie ici au troisième chapitre de l’ouvrage de Corine Pelluchon, où l’autrice rapproche (et distingue) souci du monde, « éthique de vulnérabilité » et « éthique du care » (Pelluchon 89–146).

15 Je note en passant que la volonté de découvrir un texte ancien comme pour la première fois, « aujourd’hui », sans prétendre pouvoir revenir à ce que ce texte était en propre, pourrait définir l’effort même du traducteur. Boyer en est bien conscient, et cite en exergue du Souci de la terre ces mots de Wittgenstein : « Ce dont il s’agit en réalité, c’est de parler […] la langue ancienne, mais de la parler de telle manière qu’elle appartienne au nouveau monde » : notre monde, monde perdu.

16 Si le texte n’évite pas toujours le recours à la prosopopée, celle-ci porte cette fois en pleine lumière la confusion (la fiction) qui rend (toujours) cette figure possible, quand l’autre (inhumain ou absent) qui ne peut parler, parle pourtant, mais parce qu’on le fait parler. Ainsi on lit : « Autrefois je fus jeune homme et jeune fille et arbuste et oiseau et muet poisson de mer, a dit la vache d’Empédocle avant de mourir » (Vaches 56). Par un léger glissement Boyer attribue cette citation, qui est d’Empédocle, à « sa » vache (fragment cité par Diogène Laërce dans ses Vies et doctrines des philosophes illustres – voir Jean-Paul Dumont (éditeur), Les Présocratiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 326). Mais peut-on vraiment parler de fiction et de substitution? Comme Empédocle prétend lui-même avoir été jadis oiseau et poisson, peut-être entendons-nous bien la voix d’une vache, la vache qu’il a été?

Additional information

Notes on contributors

Éric Trudel

Éric Trudel teaches French literature at Bard College (NY). He is the author of La Terreur à l’œuvre: Théorie, poétique et éthique chez Jean Paulhan (PU de Vincennes, 2007), and co-editor of Poétiques de la liste et imaginaire sériel (Nota Bene, 2019), “Tout peut servir.” Pratiques et enjeux du détournement dans le discours littéraire des XXe et XXIe siècles (Presses de l’Université du Québec, 2011), and Jean Paulhan on Poetry and Politics (U of Illinois P, 2008). He oversaw, with Jan Baetens, issues of the journals LHT (Crises de lisibilité, 16, 2016, online) and L’Esprit Créateur (“Avant-garde and Arrière-garde in Modernist Literature,” 53/3, 2013; “Rhetoric of the Documentary Mode,” 61/2, 2021).

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