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Verba Ligant Homines, Taurorum Cornua Funes

 

Abstract

Le brocard juridique qui sert de titre à cet article est d’abord examiné selon les glissements de sens qu’il a connus, de Justinien à Loisel en passant par les glossateurs médiévaux, du formalisme au consensualisme, et selon ses croisements avec la littérature populaire et morale. Le ‘lien’ humain auquel il fait référence est la plupart du temps astreinte, erreur, voire folie. Sa plasticité est comme redoublée par son immersion dans des textes relevant de la ‘littérature’ tels que ceux de Rabelais, La Boétie ou Montaigne, qui en disséminent les composantes, s’attachant tantôt au domaine animal tantôt au domaine humain, pour dénoncer la servitude et la faillite de la société ou au contraire caractériser une possible émancipation, et notamment une relation de confiance mutuelle, politiquement et éthiquement positive, susceptible de concerner aussi bien le contenu des textes que le type de lecture qui en assure la juste compréhension.

Disclosure statement

No potential conflict of interest was reported by the author(s).

Notes

1 Voir Gérard Sautel et Marguerite Boulet-Sautel, ‘Verba ligant homines, taurorum cornua funes,’ dans Études d’histoire du droit privé offertes à Pierre Petot (Paris : Librairie Générale de droit et de jurisprudence, 1959), pp. 507–17.

2 Glose Iuris vinculum dans Volumen Legum Parvum quod dicant, éd. par Antoine Le Conte et Denys Godefroy (Lyon : s. n., 1589), iii. 14, col. 333. C’est nous qui traduisons.

3 Voir Jean Gaudemet, ‘Naissance d’une notion juridique. Les débuts de l’“obligation” dans le droit de la Rome antique,’ Archives de philosophie du droit, 44 (2000), 19–32.

4 Institutes de l’empereur Justinien traduites en français avec le texte en regard, suivies d’un choix de textes juridiques relatifs à l’histoire externe du droit romain et au droit privé antéjustinien, recueil publié par M. Blondeau (Paris : Videcocq, 1838), Tome 1, III. 13, p. 228; traduction, p. 229.

5 Corpus glossatorum juris civilis, I, Turin, 1969, p. 46 sq. Cité par Gaudemet, p. 30.

6 Voir là encore Gaudemet, p. 31.

7 Ibid.

8 Voir Ernest Caparros, ‘Le Consentement est-il considéré comme un mineur ?’ Les Cahiers de droit, 6.2 (1965), 38–60. L’auteur mentionne aussi une loi du Code de Justinien (ii, 3, De pactis, xvii) où il est question du contrat consensus bona fide, qui était celui qu’on faisait sans la stipulation, sans écrit, et qui n’est donc pas loin de s’apparenter déjà à un contrat consensuel (p. 45).

9 Le Livre de Jostice et de Plet, éd. par Pierre-Nicolas Rapetti (Paris : Firmin-Didot, 1850), Livre II, ch. 16, para. 4, p. 100. Caparros (p. 43) montre cependant que ce texte n’est en fait qu’une traduction de ce passage du Digeste (II, 14, De pactis, i) : ‘[…] nam et stipulatio quae verbis fit, nisi habeat consensum nulla est’.

10 Li Proverbe au vilain, éd. par Adolf Tobler (Leipzig : Hirzel, 1895), p. 75, no. 181. Idée encore reprise au dix-septième siècle par Catherinot dans ses axiomes du droit français, avec certaines variations : ‘Bien fou qui s’oublie, encore plus qui se lie’ (voir Nicolas Catherinot, Axiomes du droit français, éd. par Edouard Laboulaye (Paris : Larose et Forcel, 1883), p. 22).

11 Jean Mielot, Moralités et opuscules ascétiques, Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), MS fonds français 12441, fol. 72r.

12 Gabriel Meurier, Recueil de sentences notables, edicts et dictons communs […] traduit la plupart du latin, italien et espagnol et réduits selon l’ordre alphabétique (Anvers : Jean Waesberghe, 1568), fol. 20r.

13 Voir Xavier Prévost, ‘La Réticence des humanistes envers le consensualisme,’ Revue des contrats, 31 mars 2015, no. 1, 140–44. <https://www.academia.edu/15005286/La_r%C3%A9ticence_des_humanistes_envers_le_consensualisme> [consulté le 29 juillet 2021].

14 Antoine Loysel, Institutes coutumières, avec les notes d’Eusèbe de Laurière, éd. par M. Dupin et Édouard Laboulaye, 2 t. (Paris : Vidocq et Durand, 1846), II, Livre III, tit. I, ‘De conventions, contrats et obligations,’ p. 359.

15 Jean Nicot, Thrésor de la langue françoise (Paris : David Douceur, 1604), pp. 374, 375.

16 Rabelais, Le Quart Livre, in Œuvres complètes, éd. par Mireille Huchon, ‘Bibliothèque de la Pléiade’ (Paris : Gallimard, 1994), p. 671.

17 ‘Rabelais et les “rabelaisants”,’ Studi francesi, 4 (1960), 401–23 (p. 405) (repris dans Études de style, (Paris : Gallimard, 1970), p. 138).

18 Maistre Pierre Pathelin, de nouveau reueu & mis en son entier (Paris : Jeanne de Marnef, 1547), sig. [Bvijr] (ll. 336–38).

19 Voir aussi ibid., ll. 236, 1195–96, 1209.

20 On trouve le verbe ‘prendre’ chez Meurier, Recueil des sentences notables : ‘On prend les bestes par les cornes et les hommes par les parolles’.

21 Rabelais, p. 538.

22 Ibid., p. 466.

23 Terence Cave, Pré-histoires i – Textes troublés au seuil de la modernité, Les seuils de la modernité (Genève : Droz, 1999), pp. 25–31.

24 ‘Le Récit modulaire et la crise de l’interprétation. À propos de l’Heptaméron,’ Le Défi des signes. Rabelais et la crise de l’interprétation à la Renaissance (Orléans : Paradigme, 1994), pp. 53–74.

25 Dans Nature et naturel : autour du ‘Discours de la servitude volontaire’, éd. par Laurent Gerbier et Olivier Guerrier, ‘Cahiers La Boétie, 4’ (Paris : Classiques Garnier, 2014), pp. 93–106.

26 Estienne de La Boétie, De la servitude volontaire ou Contr’Un, éd. par Malcolm Smith, avec des notes additionnelles de Michel Magnien (Genève : Droz, 2001), p. 34.

27 Ibid., p. 67.

28 Ibid., pp. 69–70.

29 Ibid., p. 45.

30 Ibid., pp. 42–3.

31 Ibid., p. 38.

32 Ibid., p. 45.

33 Ibid., p. 43.

34 Voir Aristote, Politiques, I, 2, 1253a 10–18.

35 Bruno Méniel, ‘Le Droit naturel dans De la servitude volontaire de La Boétie,’ dans La Parole de La Boétie : approches philosophiques, rhétoriques et littéraires, éd. par Sandra Provini, Agnès Rees et Alice Vintenon, ‘Cahiers La Boétie, 5’ (Paris : Classiques Garnier, 2016), pp. 25–42.

36 La Boétie, De la servitude volontaire, p. 41.

37 Voir ‘Quoi ? Si pour avoir liberté il ne faut que la desirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera il nation au monde qui l’estime ancore trop chere la pouvant gaigner d’un seul souhait, et qui pleigne sa volonté à recouvrer le bien lequel il devroit racheter au prix de son sang, et lequel perdu tous les gens d’honneur doivent estimer la vie desplaisante et la mort salutaire ?’, La Boétie, p. 38.

38 ‘[Nature] les a armées de griffes, de dents, de cornes pour assaillir et pour défendre,’ Essais, éd. par André Tournon, 3 vols (Paris : Imprimerie nationale, 1998), II, 12, 197A.

39 Ibid., 233.

40 Ibid., I, 26, 261–262B.

41 Ibid., III, 9, 314B. Sur le passage, voir notre article, ‘“Alter remus aquas, alter mihi radat arenas”: composition des liens et “souci de soi” chez Montaigne,’ dans Le Lien social, éd. par Géraldine Lepan, Astérion, 22 (2020), <http://journals.openedition.org/asterion/4756> [consulté le 29 juillet 2021].

42 Dans Rhétorique de Montaigne, éd. par Frank Lestringant (Paris : Champion, 1985), pp. 9–19.

43 Par exemple, dans La République, II, XLI : ‘et quæ harmonia a musicis dicitur in cantu, ea est in civitate concordia, arctissimum atque optimum in omni re publicâ vinculum incolumitatis; eaque sine justitiâ nullo pacto esse potest’ (‘et ce que les musiciens appellent l’harmonie dans le chant, est l’union dans l’état social, l’union, le plus fort et le meilleur gage du salut public, mais impossible à conserver, sans la justice’), trad. par Abel François Villemain (Paris : Didier & Cie, 1858), p. 142.

44 Voir le commentaire de Tite-Live que donne l’Instruction aux princes pour garder la foi promise (Paris : Jean du Puys, 1584) de Matthieu Coignet, ouvrage dédié à Catherine de Médicis et cible des pamphlets réformés : ‘Tite-Live au troisième livre de sa première décade montre combien il est dommageable de rompre sa foi et perdre son crédit. Car la société des hommes s’entretient de l’observation des promesses’ (cité par Compagnon, p. 16).

45 Essais, III, 1, 36B.

46 Ibid., III, 8, 230B.

47 Ibid., II, 18, 535A.

48 Ibid., II, 9, 89.

49 ‘Si semel recipitur mendacium, tolli fidem necesse est, qua sublata simul tollitur et omnis humanae vitae societas,’ Érasme, Lingua, éd. par J. H. Waszink, Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami (Amsterdam-New York-Oxford-Tokyo : Elsevier Science Publishers, 1989), LB 692, 890, IV.1A, p. 83 (‘Quand une fois on admet le mensonge, nécessairement la confiance disparaît ; celle-ci disparue, disparaît toute la société humaine’).

50 Mes remerciements à Laurent Gerbier, qui m’a fait remarquer la capacité de ‘déliaison’ du brocard, sur le plan pragmatique de ses emplois, et dans son passage du discours de savoir aux textes ‘littéraires’.

Additional information

Notes on contributors

Olivier Guerrier

Olivier Guerrier is Professor of 16th-Century French Language and Literature at the University of Toulouse Jean Jaurès, honorary member of the Institut Universitaire de France, member of the Academy of Toulouse and former President of the Société Internationale des Amies et Amis de Montaigne. He specializes in Montaigne, La Boétie, Rabelais, the relationship between literature and knowledge and between France and Italy during the Renaissance, and the modern reception of Plutarch.

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