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LHB
Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Special Section: HydroES 2021

Dénoyer une galerie en charge pour améliorer la flexibilité d’une centrale hydroélectrique

Emptying a pressure tunnel to improve the flexibility of a hydroelectric power plant

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Article: 2046980 | Published online: 09 May 2022

RÉSUMÉ

Le développement des nouvelles sources d’énergie renouvelable de nature intermittente nécessite de disposer de sources d’énergie flexibles également d’origine renouvelable afin de garantir la stabilité du réseau électrique et les engagements environnementaux. Dans le cadre du projet pilote et démonstrateur « SmallFlex », l’augmentation de la flexibilité d’une petite centrale hydroélectrique au fil de l’eau, équipée de deux turbines Pelton, a été étudiée. La particularité de cette centrale haute chute d’une puissance installée de 14 MW est l’absence d’une retenue d’eau en amont réduisant la capacité de réglage qui se limite à la prédiction du débit d’apport. Pour accroître la flexibilité de cette centrale un volume de stockage comprenant le dessableur, la chambre de mise en charge et la partie supérieure de la galerie a été identifié. La présente étude se concentre sur la possibilité technique d’utiliser ce volume à l’aide d’études analytiques, d’essais sur modèle réduit et de mesures sur site. En complément, des simulations numériques 1D ont permis de définir la plage de réglage primaire envisageable en considérant ce volume supplémentaire. Enfin, l’analyse économique montre la possibilité d’augmenter la production hivernale et de proposer un service de réglage primaire toute l’année grâce à ce volume de stockage supplémentaire.

ABSTRACT

The development of new stochastic sources of renewable energy requires the availability of flexible energy sources also renewable to guarantee the stability of the electricity grid and the environmental commitments. As part of the “SmallFlex” pilot and demonstrator project, the increase in flexibility of a small run-of-river hydroelectric power station, equipped with two Pelton turbines, has been studied. The particularity of this high-head plant, with an installed capacity of 14 MW, is the absence of an upstream reservoir, which limits the control of the production to the prediction of the incoming flow. To increase the capacity of this plant, a storage volume including the grit chamber, the forebay tank and the upper part of the gallery has been identified. The present study focuses on the technical possibility of using this volume by performing analytical studies, scale model tests and on-site measurements. In addition, 1D digital simulations have identified the possibility to provide a primary control service to the grid by using this additional volume. Finally, the economic analysis shows the possibility of increasing the winter production and offering a primary control service thanks to this additional storage volume.

1. Introduction

Depuis le début des années 2000, la part de l’énergie électrique produite par les nouvelles sources d’énergie renouvelable comme le solaire et l’éolien a fortement augmenté et la dynamique se maintient avec par exemple une augmentation de la production solaire en Suisse supérieure à 15% entre 2018 et 2019 (Energie photovoltaique, Citation2020). La plupart de ces nouvelles sources d’énergie renouvelable présentent un caractère intermittent et décentralisé qui a pour conséquence de pouvoir déstabiliser le réseau lorsque la production n’est pas capable de s’ajuster à la demande (Delucchi & Jacobson, Citation2011). Ceci nécessite des investissements sur le réseau électrique et l’augmentation de la puissance de réglage comme mis en avant par l’académie suisse des sciences et techniques en 2011 (Wokaun, Citation2011). L’hydroélectricité est une source d’énergie renouvelable dont les capacités de stockage et de réglage sont les plus importantes à l’heure actuelle comparées à d’autres technologies encore en développement (Lettner, Citation2012). Dans ce cadre, la petite hydraulique (puissance installée inférieure à 10 MW) a également un rôle à jouer notamment en Suisse depuis l’entrée en vigueur de la révision de l’ordonnance de la loi sur l’énergie en 2017 (LEne, Citation2016). En effet, cette loi vise à remplacer à terme la rétribution à prix coûtant (RPC) du courant injecté par une rétribution de l’injection avec commercialisation directe. Ceci implique que les exploitants des centrales devront vendre directement sur le marché de l’électricité et donc adapter leur production à la demande. L’adaptation des services passe nécessairement par une plus grande flexibilité de la production permettant d’ajuster la puissance injectée et de fournir des services de réglages en particulier de la fréquence qui doit être maintenue autour de 50 Hz sur le réseau européen.

Dans le cas des grands aménagements hydrauliques, plusieurs solutions visant à augmenter la flexibilité de la production ont déjà été mises en œuvre par exemple via l’extension d’une installation de pompage-turbinage existante (Rouge, Citation2016), le développement d’une hybridation entre une turbine hydraulique et une batterie comme cela est en cours de démonstration sur l’aménagement de Vogelgrun exploité par EDF (XFLEX-HYDRO, Citation2021), la mise en place du court-circuit hydraulique permettant un ajustement de la puissance en mode pompe notamment (Rocks & Meusburger, Citation2015) ou encore par l’utilisation de la galerie d’amenée comme volume de stockage supplémentaire (voir Widmann, Citation2015, et Richter, Citation2019).

Les développements et solutions mis en œuvre pour la grande hydraulique peuvent également inspirer les exploitants des petites centrales. Le projet « SmallFlex » (Projet OFEN SI/501636-01) s’est justement focalisé sur l’augmentation de la flexibilité de la petite centrale hydroélectrique au fil de l’eau de Gletsch-Oberwald (Kraftwerk Gletsch-Oberwald dit KWGO) exploitée par les Forces Motrices Valaisannes SA (FMV SA) (voir en particulier Münch-Alligné, Citation2021, et Decaix, Gaspoz et al., Citation2021). De nouveaux volumes de stockage ont pu être définis avec notamment la partie supérieure de la galerie d’amenée (Zordan, Citation2019). L’utilisation de ce volume de stockage supplémentaire nécessite de dénoyer la galerie d’amenée et de faire fonctionner les turbines Pelton à une chute inférieure à la chute pour laquelle elles ont été conçues. Par conséquent, des essais sur site ont été menés pour permettre de définir les nouvelles limites d’exploitation et de quantifier les gains économiques possibles permis par ce nouveau mode d’exploitation.

L’article présente les pré-études réalisées en amont des tests sur site, les tests sur site et l’étude économique réalisée à partir des résultats de ces tests. La conclusion résume les principaux résultats et offre une perspective pour d’autres centrales.

2. Description de la centrale de KWGO

La centrale de KWGO se situe juste en aval des sources du Rhône dans le canton suisse du Valais. La présente une vue schématique de l’aménagement avec une prise d’eau sur le Rhône à 1 750 m.s.m (mètre sur mer) alimentant un dessableur séparé de la chambre de mise en charge par un déversoir et suivi d’une galerie de 2,8 m diamètre avec une pente de 13,2% sur une longueur de 2 117 m qui alimente deux turbines Pelton à 6 injecteurs de 7 MW chacune. La chute nominale de la centrale est de 287,45 m, tandis que la plage de débit s’étend de 0,145 m3.s−1 à 5,8 m3.s−1. Compte tenu de sa situation hydrologique, la production de la centrale est séparée en deux périodes : une période « hivernale » de novembre à avril pendant laquelle le débit d’apport et par conséquent la production est faible ; une période « estivale » de mai à octobre pendant laquelle le débit d’apport et la production sont plus importants grâce à la fonte du manteau neigeux et des glaciers. Lors de la construction de la centrale, une étude sur les volumes de stockage supplémentaires a été effectuée (Zordan, Citation2019). Cette étude a mis en évidence la possibilité d’utiliser le volume de 2 200 m3 du dessableur comme volume de stockage lors de la période « hivernale » lorsque l’eau est très peu chargée en sédiments. Pour cela, il a été décidé de percer deux orifices dans le mur séparant le dessableur de la chambre de mise en charge afin de permettre à l’eau de s’écouler directement dans la chambre de mise en charge sans passer par-dessus le déversoir qui sépare en temps normal le dessableur de la chambre de mise en charge (see ). Cette étude a également identifié comme volume de stockage supplémentaire, le volume supérieur de la galerie d’amenée, estimé à environ 4 000 m3, et qui pourrait être exploité par dénoyage, c’est-à-dire vidange partielle, de cette partie de la galerie. La possibilité d’utiliser ce volume est le sujet de la présente étude.

Figure 1. Vue schématique de l’aménagement de Gletsch-Oberwald.

Figure 1. Vue schématique de l’aménagement de Gletsch-Oberwald.

Figure 2. Gauche, vue la chambre de mise en charge à sec avec l’emplacement des deux portes donnant sur le dessableur. Droite, vue de la chambre de mise en charge partiellement remplie.

Figure 2. Gauche, vue la chambre de mise en charge à sec avec l’emplacement des deux portes donnant sur le dessableur. Droite, vue de la chambre de mise en charge partiellement remplie.

3. Etudes préalables aux tests sur site

L’utilisation de la partie supérieure de la galerie d’amenée comme volume de stockage a nécessité de mener plusieurs études afin :

  • De déterminer, à l’aide de simulations avec le logiciel SIMSEN (Nicolet et al., Citation2007), quels services systèmes pourraient être commercialisés grâce à l’utilisation de ce volume de stockage.

  • De déterminer, par des calculs analytiques et des essais modèles, le risque d’entraînement d’air.

  • De déterminer, par calcul analytique et analyse de base de données, la chute à partir de laquelle l’effet « falaise » apparaît.

3.1. Pré-étude concernant la fourniture de services systèmes

La centrale de KWGO aurait un intérêt à pouvoir fournir un service système dit de réglage primaire de la fréquence du réseau électrique. Ce service consiste à contribuer à la restauration rapide, c’est-à-dire avec une réponse en puissance active de moins de 30 secondes, de l’équilibre production/consommation nécessaire à la stabilité de la fréquence du réseau électrique égale à 50 Hz. Ce service doit pouvoir être fourni automatiquement via le régulateur de la turbine et respecter les critères de qualification du gestionnaire de réseau Swissgrid (Scherer et al., Citation2011). Les critères de qualification imposent de pouvoir délivrer, pour toute déviation de la fréquence du réseau de ±200 mHz par rapport à la consigne de 50 Hz, la puissance de réserve primaire dans un délai de 30 secondes et ensuite de la maintenir pendant 15 minutes tout en respectant une bande de puissance (voir ). Afin de déterminer pour quelle puissance de réserve primaire la centrale de KWGO est capable de fournir ce service, un modèle 1D de l’aménagement (voir ) a été réalisé permettant d’effectuer des simulations avec le logiciel SIMSEN. La puissance fournie par une machine en fonction de la déviation de la fréquence du réseau est caractérisée par un statisme permanent BS défini par BS = (Δf/fref)/(ΔP/Pref). En appliquant cette formule au cas d’une déviation de la fréquence de ±200 mHz et pour un statisme de 4%, la puissance de réserve est égale à ± 10% de la puissance nominale de la machine. Pour la centrale de KWGO, les capacités de stockage définies par Zordan et al (Citation2019) indiquent une puissance potentielle de réserve de 2× ±4 MW, ce qui correspond à un statisme de 0,755%. Cependant, en considérant les critères de qualification de Swissgrid et la stabilité de la boucle de régulation de la puissance de la machine, la puissance de réserve primaire doit être sélectionnée entre 2× ±0,5 MW (BS = 6%) et 2× ±0,75 MW (BS = 4%). La représente le résultat simulé de la réponse de la machine à une déviation de fréquence de ±200 mHz dans le cas d’un statisme de 4%. Dans ce cas, la réponse respecte les critères de qualification de Swissgrid, ce qui est également le cas pour la configuration avec un statisme de 6%. Au-delà des critères de qualification, la fourniture du service de réglage primaire implique des fluctuations de pression dans la conduite forcée. L’analyse des simulations permet d’estimer le niveau des contraintes dans la conduite forcée et d’en déduire l’impact du service de réglage primaire sur la durée de vie de la conduite forcée (Dreyer et al., Citation2019). La illustre les fluctuations de pression en pied de la conduite forcée en réponse à une déviation de la fréquence du réseau Swissgrid. Les fluctuations de pression induites par le contrôleur de fréquence de la centrale sont égales au maximum à 2,4% de la chute nominal et n’excèdent en aucun cas la limite de 5% pour laquelle le standard EN 13445–3 (BS EN 13445–3:2009, Citation2009) considère que les fluctuations de pression participent au vieillissement de la structure.

Figure 3. Illustration de la bande de puissance devant être respectée pour les tests de qualification Swissgrid concernant la fourniture d’un service primaire (Scherer et al., Citation2011).

Figure 3. Illustration de la bande de puissance devant être respectée pour les tests de qualification Swissgrid concernant la fourniture d’un service primaire (Scherer et al., Citation2011).

Figure 4. Représentation graphique du modèle 1D de la centrale de KWGO réalisé avec le logiciel SIMSEN.

Figure 4. Représentation graphique du modèle 1D de la centrale de KWGO réalisé avec le logiciel SIMSEN.

Figure 5. Simulation de la réponse en fréquence d’un scénario satisfaisant aux critères de qualification de SwissGrid pour un statisme de 4%. PMaxLim est la limite supérieure de puissance acceptable, PMeanLim est la puissance moyenne maximum acceptable, PMinLim est la limite inférieure de puissance acceptable, PUnit est la puissance de la machine et FGrid est la fréquence du réseau (échelle de droite).

Figure 5. Simulation de la réponse en fréquence d’un scénario satisfaisant aux critères de qualification de SwissGrid pour un statisme de 4%. PMaxLim est la limite supérieure de puissance acceptable, PMeanLim est la puissance moyenne maximum acceptable, PMinLim est la limite inférieure de puissance acceptable, PUnit est la puissance de la machine et FGrid est la fréquence du réseau (échelle de droite).

Figure 6. Signal de pression en mCE (Hpensotck_bottom) en pied de la conduite forcée induit par le contrôleur de fréquence en réponse à une déviation de la fréquence du réseau fournie par l’opérateur de réseau Swissgrid (FGrid).

Figure 6. Signal de pression en mCE (Hpensotck_bottom) en pied de la conduite forcée induit par le contrôleur de fréquence en réponse à une déviation de la fréquence du réseau fournie par l’opérateur de réseau Swissgrid (FGrid).

3.2. Pré-étude concernant le risque d’entraînement d’air

Pour déterminer les limites de la plage de fonctionnement de la centrale, deux phénomènes doivent être considérés. Le premier phénomène concerne le risque d’entraînement d’air lors du dénoyage de la galerie d’amenée. Ce phénomène peut se produire soit lors du dénoyage de la chambre de mise en charge via l’apparition d’un vortex aspirant l’air dans la galerie d’amenée, soit au niveau du ressaut hydraulique dans la galerie d’amenée partiellement dénoyée. Les risques encourus par l’entraînement d’air sont la formation de poches d’air pouvant participer à l’érosion de la galerie lors des phases de noyage/dénoyage successives et surtout la détente de ces poches d’air au niveau des injecteurs des turbines Pelton. Ce dernier risque peut conduire à la rupture des pièces mécaniques et endommager de manière irréversible les turbines. Afin de quantifier et de limiter les risques, un banc de test en plexiglas à échelle réduite 1/20 de la chambre de mise en charge et de la galerie d’amenée a été réalisé à la HES-SO (voir ). Le banc de test est conçu afin de réaliser des expériences en similitude de Froude tandis que les similitudes en nombre de Reynolds et de Weber ne sont pas respectées (Decaix, Gaspoz, et al., Citation2021). Le débit est réglé à l’aide d’une vanne en pied de l’installation. De plus, deux chambres de mise en charge ont été fabriquées afin de pouvoir étudier les modes de fonctionnement hiver (portes ouvertes) et été (portes fermées). Les expériences en laboratoire n’ont pas mis en évidence la formation d’un vortex au niveau de la chambre de mise en charge pendant le dénoyage. Concernant le ressaut hydraulique, l’entraînement d’air a été visualisé par caméra rapide pour différents débits. La présente quatre visualisations instantanées du ressaut hydraulique pour des valeurs de débit correspondant à 0,25, 0,6, 1 et 1,33 fois le débit maximal de la centrale. Sur ces images, il apparaît que les bulles d’air sont entraînées en aval uniquement dans le cas d’un débit supérieur de 33% au débit maximal d’exploitation. Par conséquent, le risque d’entraînement d’air est considéré comme nul.

Figure 7. Gauche, vue 3D du banc de test à échelle réduite 1/20 de la chambre de mise en charge et de la galerie d’amenée de la centrale de Gletsch-Oberwald. Droite, visualisation d’un ressaut hydraulique dans la galerie d’amenée partiellement dénoyée.

Figure 7. Gauche, vue 3D du banc de test à échelle réduite 1/20 de la chambre de mise en charge et de la galerie d’amenée de la centrale de Gletsch-Oberwald. Droite, visualisation d’un ressaut hydraulique dans la galerie d’amenée partiellement dénoyée.

Figure 8. Visualisation à une position fixe dans la conduite du ressaut hydraulique par caméra rapide pour différents débits : (a) Q = 0,25 Qmax, (b) Q = 0,6 Qmax, (c) Q = Qmax, (d) Q = 1,3 Qmax.

Figure 8. Visualisation à une position fixe dans la conduite du ressaut hydraulique par caméra rapide pour différents débits : (a) Q = 0,25 Qmax, (b) Q = 0,6 Qmax, (c) Q = Qmax, (d) Q = 1,3 Qmax.

3.3. Pré-étude concernant l’effet « falaise »

En-dehors de l’entraînement d’air, un deuxième phénomène apparait lorsque la chute diminue. Ce phénomène est connu sous le nom d’effet « falaise » et est spécifique aux turbines Pelton en particulier celles équipées de 5 ou 6 injecteurs (Thake, Citation2001). La diminution de la chute entraîne obligatoirement une diminution de la vitesse du jet à la sortie des injecteurs. En-dessous d’un certain niveau d’eau dans la galerie, la vitesse du jet diminue suffisamment pour engendrer une interaction entre deux jets consécutifs. En effet, la nappe d’eau provenant du premier jet et s’écoulant dans l’auget n’a pas le temps nécessaire pour être évacuée avant que le second jet n’impacte l’auget. L’impact entre le jet et la nappe d’eau est à l’origine de l’effet « falaise » qui se caractérise par une chute brusque du rendement, une augmentation des vibrations mécaniques et un risque accru de cavitation. Il est donc nécessaire de limiter la chute à une valeur supérieure à celle correspondant à l’apparition de cet effet. Par calcul analytique il est possible d’estimer la valeur de la chute à laquelle l’effet « falaise » apparaît (Zhang, Citation2016). Dans le cas présent, elle est estimée à 75% de la chute nominale, soit environ 215 m. Cette estimation a été corroborée par l’analyse de la base de données interne à la société Power Vision Engineering (Decaix, Gaspoz, et al. Citation2021).

4. Résultats des mesures sur site

Les mesures sur site se sont déroulées en deux temps : une première campagne de mesure en novembre 2018 et une seconde en mai 2020. Lors de la première campagne, la galerie d’amenée n’a pas été dénoyée car les turbines Pelton étaient encore sous garantie et celle-ci ne couvrait pas une exploitation des turbines pour une chute inférieure à 98% de la chute nominale. Cette première campagne a permis de tester le protocole de test et l’instrumentation. Elle a aussi permis d’analyser l’influence des pics de débit sur l’écosystème alluvial (Aksamit et al., Citation2021). Lors de la seconde campagne de mesure sur deux jours, trois pics de puissance ont été réalisés avec un dénoyage de la conduite jusqu’à 66% (H = 190 m) de la chute nominale. Pendant ces tests, le groupe 2 était le groupe instrumenté tandis que le groupe 1 permettait d’ajuster le débit de manière à éviter de perdre de l’eau par déversement à la prise d’eau, demande émanant du propriétaire de l’aménagement. La représente l’historique de la chute et des puissances des deux groupes lors des deux jours de tests. La puissance du groupe 2, piloté manuellement, a été modifiée régulièrement notamment pendant le troisième pic afin de couvrir au mieux la plage de fonctionnement de la turbine Pelton. L’énergie produite pendant les phases de dénoyage (pic de puissance) et de remplissage est également ajoutée sur le graphique.

Figure 9. Historique de la chute et de la puissance du groupe numéro 2 instrumenté lors des deux jours de mesures menées pendant la seconde campagne. En haut du graphique, la quantité d’énergie produite pendant les pics de puissance (en rouge) et lors des phases de remplissage (en vert) est ajoutée. La valeur nulle de la chute après le troisième pic est due à la fermeture de la vanne de fond pour des tests de manœuvre.

Figure 9. Historique de la chute et de la puissance du groupe numéro 2 instrumenté lors des deux jours de mesures menées pendant la seconde campagne. En haut du graphique, la quantité d’énergie produite pendant les pics de puissance (en rouge) et lors des phases de remplissage (en vert) est ajoutée. La valeur nulle de la chute après le troisième pic est due à la fermeture de la vanne de fond pour des tests de manœuvre.

Le rendement des turbines Pelton en fonction de la chute disponible et de la puissance demandée est représenté en trois dimensions sur la . Le rendement est calculé comme le ratio de la puissance électrique injectée sur le réseau par l’énergie hydraulique disponible. Sur cette figure, on aperçoit clairement la diminution du rendement pour une chute inférieure à 230 mètres environ. Cette chute du rendement correspond à l’apparition de l’effet « falaise ». On remarque aussi que lors du remplissage de la conduite à une puissance de 0,3 MW, le rendement est d’environ 65%.

Figure 10. Carte de performance des turbines Pelton en fonction de la chute disponible et de la puissance demandée.

Figure 10. Carte de performance des turbines Pelton en fonction de la chute disponible et de la puissance demandée.

Un dernier résultat important des mesures est mis en évidence sur la qui montre l’historique des trois composantes du signal de l’accéléromètre monté sur la carcasse du groupe Pelton. L’amplitude des vibrations augmente d’un facteur 4 environ lorsque la chute est plus petite que 220 m environ. La montre les histogrammes des valeurs pic à pic et des valeurs RMS du signal de l’accéléromètre suivant la direction x (la direction des axes est donnée sur la ) sur trois périodes de cinq minutes sélectionnées au début, au milieu et à la fin du pic. En termes de chute, ces instants correspondent à une chute supérieure à 282 m pour la période « début », une chute comprise entre 230 et 250 m pour la période « milieu » et à une chute inférieure à 220 m pour la période « fin ». Pour une chute inférieure à 220 m (période « fin »), la valeur pic à pic augmente jusqu’à un facteur 8 et les valeurs RMS atteignent une valeur environ 6 fois plus élevées que pour une chute supérieure à 282 m (période « début »). Si on considère une chute supérieure à 230 m (période « milieu »), l’augmentation des valeurs pic à pic et RMS est diminuée d’au moins un facteur 2.

Figure 11. Historique de la chute et du signal dans les trois directions de l’accéléromètre installé sur la carcasse de la turbine Pelton numéro 2.

Figure 11. Historique de la chute et du signal dans les trois directions de l’accéléromètre installé sur la carcasse de la turbine Pelton numéro 2.

Figure 12. Gauche, histogramme des valeurs pic à pic du signal de l’accéléromètre suivant la direction x sur trois périodes de cinq minutes (début, milieu et fin) pour chacun des trois pics de puissance. Droite, histogramme des valeurs RMS du signal de l’accéléromètre suivant la direction x sur trois périodes de cinq minutes (début, milieu et fin) pour chacun des trois pics de puissance.

Figure 12. Gauche, histogramme des valeurs pic à pic du signal de l’accéléromètre suivant la direction x sur trois périodes de cinq minutes (début, milieu et fin) pour chacun des trois pics de puissance. Droite, histogramme des valeurs RMS du signal de l’accéléromètre suivant la direction x sur trois périodes de cinq minutes (début, milieu et fin) pour chacun des trois pics de puissance.

Le suivi par caméra infrarouge de la surface libre au niveau de la chambre de mise en charge n’a pas mis en évidence l’apparition de tourbillon lors du dénoyage, ce qui confirme les résultats des essais en laboratoire.

5. Analyse du potentiel économique

A partir des mesures sur site, une plage d’exploitation du volume supérieur de la galerie d’amenée a été définie. La chute minimale a été fixée à 230 m (80% de la chute nominale) afin de conserver une marge de sécurité sur l’apparition de l’effet « falaise » et l’augmentation du niveau des vibrations. D’autre part, la puissance maximale disponible lors des pics est limitée à 70% de la puissance nominale d’un groupe Pelton.

Le potentiel économique offert par l’augmentation du volume de stockage a été étudié en considérant deux objectifs distincts :

i. Maximiser les revenus en ajustant au mieux la production en fonction des prix SPOT du marché de l’électricité.

ii. Maximiser les revenus possibles par la fourniture d’un service de réglage primaire à Swissgrid, l’opérateur du réseau électrique national suisse.

Les simulations de production et de calcul des revenus ont été réalisées a posteriori sur les années 2018 et 2019 pour lesquelles les prix SPOT sont connus. Pour la fourniture d’un service de réglage primaire, les prix de l’années 2020 ont été retenus car ce marché connait une certaine volatilité des prix.

Les simulations permettent d’estimer une augmentation de la production de 0,6% par an accompagnée d’une augmentation des revenus annuels d’environ 1%. En regardant plus en détail les résultats des simulations, il apparait que la production hivernale pourrait augmenter de 130% grâce à la possibilité de turbiner plus longtemps à de faibles débits en jouant sur le volume d’eau dans le dessableur et la galerie d’amenée. Ceci limiterait également le nombre d’arrêt/démarrage des turbines Pelton pendant cette période, ce qui pourrait avoir un effet bénéfique sur la fatigue des machines. D’autre part, le service de réglage primaire de ±2 × 0,75 = 1,5 MW proposé toute l’année serait à plus de 60% fourni lors de la période estivale s’étendant de mai à octobre. Les deux objectifs ne sont donc pas en contradiction et leur effet respectif serait donc cumulatif.

6. Conclusion

Dans le cadre du projet pilote SmallFlex, un ensemble de travaux pluridisciplinaire a été mené afin de pouvoir augmenter la flexibilité de la petite centrale hydroélectrique au fil de l’eau de KWGO. Ces travaux ont montré l’intérêt de pouvoir utiliser la partie supérieure de la galerie d’amenée comme volume de stockage supplémentaire.

En particulier les simulations 1D réalisées avec le logiciel SIMSEN ont démontré que ce volume supplémentaire est suffisant pour fournir un service de réglage primaire avec une puissance de réserve de ±2 × 0,75 = 1,5 MW correspondant à un statisme de 4%. De plus, les résultats des simulations montrent que les fluctuations de pression induites par ce service supplémentaire n’impactent pas la durée de vie de la conduite forcée.

Afin de valider l’exploitation de ce volume, des études en laboratoire sur un banc de test reproduisant l’écoulement dans la chambre de mise en charge et la galerie d’amenée ont permis d’exclure un risque d’entraînement d’air lors du dénoyage de la galerie. Des études analytiques ont également permis de déterminer l’apparition de l’effet « falaise » et ainsi de définir correctement la valeur minimale de la chute à atteindre lors des tests réalisés sur site.

Les tests sur site ont permis de tracer la carte de performance des turbines Pelton en fonction de la chute disponible et de la puissance demandée. Ils ont également permis de définir une hauteur de chute minimale pour l’exploitation de la centrale en fonction de la puissance visée tout en évitant une usure prématurée des équipements par une exploitation prolongée dans la zone d’effet « falaise ».

Enfin, une étude du potentiel économique offert par l’utilisation de ce volume de stockage additionnel a mis en évidence une possible augmentation du revenu annuel de 1% via d’une part l’ajustement de la production en fonction des prix du marché et d’autre part par la fourniture d’un service de réglage primaire. En plus, l’utilisation de ce volume supplémentaire pourrait avoir un avantage sur la réduction de la fatigue des turbines Pelton en réduisant le nombre d’arrêts et démarrages pendant la période hivernale.

Cette étude montre que les petites centrales hydroélectriques ont une marge de flexibilité non négligeable même en l’absence de bassin de stockage à l’amont. Afin de confirmer ces résultats encourageants, un projet en cours de dépôt vise à implémenter ce mode de fonctionnement à la centrale de KWGO. Il faut aussi noter qu’en agglomérant virtuellement plusieurs petites centrales opérées par le même exploitant, la flexibilité et les revenus pourraient être améliorés. Enfin, bien que des études complémentaires soient nécessaires, il semble que l’augmentation de la flexibilité de la centrale de KWGO ne se fait pas au détriment de l’écosystème alluvial.

Le financement

Les auteurs de l’article souhaitent remercier l’ensemble des partenaires du projet EAWAG, EPFL LCH, EPFL LMH, FMV et WSL pour leur participation et contribution à la réussite du projet SmallFlex.

Disponibilité des données

Les données relatives aux résultats de cette étude sont disponibles auprès de l’auteur, J. Decaix, suivant une requête raisonnable.

Déclaration de divulgation

L’auteur ne déclare aucun intérêt concurrent.

Additional information

Funding

Le projet SmallFlex a reçu le soutien financier de l’Office Fédérale de l’ENergie (Bundesamt für Energie SI/501636-01) et de FMV. Le projet a été mené dans le cadre du Swiss Competence Center for Energy Research for the Supply of Electricity, SCCER-SoE.

Références

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