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LHB
Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Special Section: Hydrometrie 2021

Plus de 60 ans d’hydrométrie en Nouvelle-Calédonie bilan, pratiques, évolutions et perspectives

More than 60 years of hydrometry in New Caledonia: assessment, practices, developments and prospects

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Article: 2050429 | Published online: 05 Oct 2022

RÉSUMÉ

L’hydrométrie s’est peu à peu organisée en Nouvelle-Calédonie tout d’abord grâce aux efforts de l’ORSTOM, puis de la collectivité territoriale. Les réseaux hydrométriques et pluviométriques ainsi constitués en 2021 permettent de disposer de chroniques pouvant atteindre des profondeurs de près de 50 ans. Aujourd’hui la DAVAR suit un réseau de plus de 40 stations hydrométriques et plus de 80 pluviomètres répartis sur la Grande Terre, et dispose d’estimations robustes de l’aléa hydrologique. Basé sur une culture « orstomienne », le fonctionnement en régie de l’hydrométrie se caractérise par une forte autonomie d’intervention, depuis la construction et la maintenance des stations de mesure, mais aussi à travers le développement d’outils internes pour le traitement, ou encore la bancarisation et l’analyse des données. Les utilisations de ces informations sont nombreuses, du simple suivi saisonnier de la sévérité de l’étiage à la mise à disposition de la caractérisation du régime hydrologiques des cours d’eau suivis, elles fournissent aux porteurs de projet les métriques nécessaires au dimensionnement des ouvrages hydrauliques. Des évolutions récentes dictées par la formulation d’une politique de l’eau à l’échelle du pays dans un contexte de recherche d’efficacité et des perspectives d’évolution sont énoncées.

ABSTRACT

Hydrometry is gradually being organised in New Caledonia, firstly thanks to the efforts of ORSTOM, and then of the territorial authorities. This existing hydrometric and rain gauge networks make it possible to have chronicles that can reach depths of almost 50 years. Today, the governement monitors a network of more than 40 hydrometric stations and more than 80 rain gauges spread over the Grande Terre, and has robust estimates of the hydrological hazard. Historically, the operation of the hydrometry department is characterised by a high degree of autonomy, from the construction and maintenance of the measuring stations, but also through the development of internal tools for data processing, or the banking and analysis of the data. There are numerous uses of this large hydrological database, from simple seasonal monitoring of the severity of low water levels to the provision of characterisation of the hydrological regime of the rivers monitored. These data are essential for the design of hydraulic structures. Recents developments and prospects are presented, in the context of a new country-wide water policy.

1. Les ressources en eau en Nouvelle-Calédonie

La Grande Terre et les îles Loyauté constituent les principales îles de l’archipel néo-calédonien. Les massifs de corail très fortement perméables des Loyauté ne permettent aucun écoulement superficiel, rendant les lentilles d’eau douce présentes dans ces massifs particulièrement vitales. Ainsi, sur ces îles, les ressources en eau proviennent des eaux souterraines et de la collecte de l’eau de pluie, alors que sur la Grande Terre elles sont majoritairement issues de captages d’eau superficielle (Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Citation2019). Il s’en suit une vulnérabilité importante de l’approvisionnement en eau potable des populations de la Grande Terre, la qualité des cours d’eau pouvant être affectée par la dégradation des états de surface des bassins versants, produite par les espèces envahissantes (cerfs et cochons sauvages), par les feux, par le décapage des sols induit par les mines de nickel ou encore par une combinaison de ces différentes causes. La faible densité démographique (environ 15 hab/km2)Footnote1 relativise la pression effectivement exercée sur ces ressources en eau superficielle.

Le climat tropical de la Nouvelle-Calédonie se traduit par une saison humide de décembre à avril et par une saison plus sèche de août à novembre. L’orientation sud-est/nord-ouest de la Grande Terre et la présence d’une chaîne de montagne découpant l’île selon sa plus grande dimension, créent un obstacle aux alizés de sud-est. Il en résulte un gradient pluviométrique marqué entre les côtes est et ouest, la première soumise aux vents est bien arrosée (plus de 1700 mm de pluie interannuelle à Thio, voire près de 3000 mm dans la chaîne), alors que la seconde plus à l’abri, est beaucoup plus sèche (environ 1000 mm de pluie interannuelle à Boulouparis ; Romieux, Citation2011). La illustre cette répartition spatiale de la pluie. La côte ouest disposant de grandes plaines et de versants moins pentus, concentre les demandes en eau les plus importantes en volume, telles que l’agriculture, l’élevage mais aussi l’alimentation en eau potable avec les zones urbaines du grand Nouméa et le secteur Voh-Koné-Pouembout.

Figure 1. Carte des pluies moyennes interannuelles (Romieux, Citation2011) http://carto.eau.georep.nc/.

Figure 1. Carte des pluies moyennes interannuelles (Romieux, Citation2011) http://carto.eau.georep.nc/.

Les cours d’eau de la Grande Terre connaissent une variabilité saisonnière très forte de leur écoulement. L’intensité des dépressions tropicales combinée à la taille limitée et la forte pente des bassins versants provoque des crues intenses et rapides, caractérisées par des temps de concentration n’excédant pas quelques heures et des débits spécifiques de pointe importants (Wotling et al., Citation2012). Frysou (Citation2008) a montré que les tarissements s’opèrent généralement sur des durées de l’ordre de 2 à 3 mois, traduisant la faiblesse des aquifères calédoniens.

Après avoir donné quelques éléments historiques, nous dressons ci-après un bilan succinct des données hydrologiques acquises depuis 60 ans en Nouvelle-Calédonie, puis nous présentons les principales valorisations effectuées de ces données, avant de terminer par une présentation des évolutions récentes et très probablement à venir.

2. L’hydrométrie en Nouvelle-Caledonie

2.1. Un héritage Orstomien

Le besoin d’infrastructures et notamment de barrages hydro-électriques est à l’origine des premiers pas de l’hydrométrie calédonienne. Dès 1925, la rivière Yaté, située dans le sud de la Grande Terre, a été suivie par l’EDF au site du barrage. L’affectation d’un hydrologue dans l’archipel dès 1954 a permis à l’ORSTOM d’entamer la consolidation du réseau d’observations hydrologiques initié principalement par l’EDF et l’ORSTOM (ORSTOM, Citation1955). Et comme dans la plupart des territoires d’outre-mer, l’Office a ensuite développé et maintenu un réseau de mesures hydrologiques constitué de stations limnimétriques et pluviométriques. A partir de 1990, un transfert de compétence s’est organisé avec les services ruraux du Territoire et avec la création en 1991 de l’Observatoire de la Ressource en Eau, puis son transfert en 1993 à la Direction de l’Agriculture et de la Foret. De cette longue filiation avec l’ORSTOM et peut être aussi du fait de l’éloignement métropolitain, il reste à ce jour encore beaucoup de marqueurs.

En premier lieu, une grande partie des archives de l’ORSTOM a été transférée au Service de l’Eau de la DAVAR, en charge de la protection et du suivi de la ressource en eau et les documents techniques et scientifiques ont également été versés dans le fond documentaire de l’IRD à Montpellier (https://horizon.documentation.ird.fr/).

Cet héritage marque encore les pratiques en vigueur notamment pour les jaugeages au micro-moulinet dont le mode opératoire diffère légèrement de celui proposé dans MEEM (Citation2017) et OMM (Citation2008) issu de la norme ISO 748. Ainsi, le principe de mesure adopté en Nouvelle-Calédonie avec une mini perche de Ø10 mm et un micro moulinet C2 est comparé à la norme ISO 748 dans le .

Tableau 1. Comparaison des points de mesure sur des verticales de différentes profondeurs.

La vitesse de surface est obtenue en supposant qu’elle vaut 99%Footnote2 de la valeur obtenue par extrapolation du profil de vitesse à partir des 2 points de mesures les plus en surface. La vitesse au fond vaut 70 % de la valeur obtenue par l’extrapolation du profil de vitesse à partir des 2 points de mesures les plus en profondeur. Enfin, le débit total jaugé, qui est calculé classiquement par la méthode de la section médiane (OMM, Citation2008), est ensuite artificiellement augmenté de 2% dans les codes de calculs calédoniens. Ceci provient du constat, réalisé à l’ORSTOM lors du passage aux calculs des jaugeages par outils informatiques, que ceux-ci étaient systématiquement inférieurs aux résultats des dépouillements-planimétrages à la main.Footnote3

L’ORSTOM a également déployé d’importants moyens matériels et humains afin de réaliser des mesures de crues historiques dans des conditions difficiles. Ces jaugeages de crues historiques sont aujourd’hui encore les valeurs de référence. Citons par exemple le jaugeage de la Tontouta à 1600 m3/s en 1976, de la Houailou à 540 m3/s en 1980 (cyclone Gyan), de la Thio à 724 m3/s en 1982 et de la Ouenghi à 1070 m3/s en 1974.

2.2. Une localisation en piémont de nos stations

Les stations limnimétriques ont été souvent installées en piémont afin de s’affranchir d’éventuels prélèvements et des zones d’expansion de crues trop larges pour permettre des évaluations correctes des crues maximales. Les principaux axes routiers étant situés généralement en proximité de la côte, les délais d’accès aux stations limnimétriques sont souvent importants, mais l’association d’un pluviomètre a permis de rentabiliser ces trajets en améliorant la connaissance de la pluviométrie à l’intérieur des terres. Le réseau de pluviographes du Service de l’eau ainsi constitué complète utilement celui de Météo France en Nouvelle-Calédonie.

Le transport solide encore très important en piémont conduit toutefois à un détarage fréquent des relations hauteur-débit aux stations limnimétriques (). En conséquence, la validité de cette relation doit être vérifiée régulièrement, notamment lorsque l’étiage s’installe. Ainsi, à partir du milieu de la saison sèche, les tarissements des cours d’eau néo-calédoniens nécessitent de réaliser des jaugeages régulièrement, idéalement au moins 2 fois par mois.

Figure 2. Exemple de détarage dû à l’évolution des fonds et vue de la station de Pouembout.

Figure 2. Exemple de détarage dû à l’évolution des fonds et vue de la station de Pouembout.

Figure 3. Seau pluviométrique Moulis réalisé entièrement en Nouvelle-Calédonie (année 1987, source J. Danloux).

Figure 3. Seau pluviométrique Moulis réalisé entièrement en Nouvelle-Calédonie (année 1987, source J. Danloux).

2.3. Un fonctionnement empreint d’autonomie

Terre francophone distante de plus de 17,000 km de Paris et baignée dans un océan Pacifique largement anglophone, la Nouvelle-Calédonie se retrouve bien souvent à développer des solutions originales, adaptées à son contexte marqué par l’étroitesse de son marché intérieur et par des ressources humaines comptées. La production en régie d’une grande partie de ses besoins a ainsi été très souvent privilégiée, par exemple pour la construction des équipements des stations (guérites, portiques de téléphérique, seaux totalisateurs et même, fut un temps, des seaux pluviométriques dits Moulis [comme illustré ]), ou encore pour la production et la maintenance en conditions opérationnelles d’une chaîne de traitement des données pluviométriques et hydrométriques et des bases de données de l’ensemble des données produites au sein du Service de l’Eau. L’identification et la sécurisation d’un circuit d’approvisionnement des matériels (sondes piezorésistives, dataloggers, câbles de liaisons …) robustes aux conditions tropicales de la Nouvelle-Calédonie et la réparation en régie d’une grande partie des matériels électroniques s’inscrivent aussi dans cette recherche d’autonomie.

2.4. Organisation de la chaîne de production et de bancarisation des données hydrologiques

Sauf exception, les campagnes de relevés s’effectuent avec un minimum de 2 agents hydromètres et en cas d’interventions programmées pour les jaugeages de crues, ce nombre est porté à 3. Sur la période 2000–2019, la collecte des données aux stations se traduisait souvent par plus de 11 relevés par an sur les stations limnimétriques principales et dès lors que l’étiage était établi, la périodicité des passages était doublée alors que les passages aux pluviomètres isolés étaient réduits d’autant. Cette organisation était très exigeante pour les équipes, puisqu’elle mobilisait sur le terrain les 2 équipes d’hydromètres annuellement quasiment 3 semaines par mois. Ce rythme comprenait aussi les interventions de maintenance nécessaires ainsi que les missions de ré-installation des stations en cas de détérioration par une crue. Le traitement, la correction des données hydrométriques et pluviométriques et la bancarisation de l’ensemble de ces données étaient à la charge d’un ingénieur hydrologue alors qu’un second avait en charge leur valorisation et leur diffusion. L’arrivée du premier ADCP en 2007 a permis de réduire globalement les durées des jaugeages en ne réservant les micro-moulinets qu’aux basses eaux avec des tirants d’eau inférieurs à 0,5 m sans modifier de façon perceptible la qualité des mesures. La gestion des réseaux de mesures ainsi que la réparation des appareils électroniques sont assurées par le chef des équipes d’hydromètres. Enfin, la maintenance et les développements des chaînes de calcul et des bases de données sont assurés par un informaticien.

3. Bilan des données acquises

Le réseau hydrométrique actuel est doté de 42 stations sur la Grande Terre, dont 19 disposent actuellement de plus de 20 années d’enregistrement et plus de 150 jaugeages. Avec 1 station pour 360 km2 et pour 6200 habitants, la Nouvelle-Calédonie dispose d’un réseau d’une densité équivalente à celui de la Nouvelle-Zélande voisine (Le Coz, Citation2018). Il a connu un développement important depuis les années 2000, avec la mise en place de 15 nouvelles stations en 15 ans et d’une meilleure régularité dans le suivi et les jaugeages avec plus de 10 jaugeages par station enregistrés chaque année depuis 2003, comme illustré par la .

Figure 4. Variation du nombre de stations hydrométriques en service en Nouvelle-Calédonie entre 1954 et 2020 (en bleu), et nombre moyen de jaugeages effectués par an sur le réseau (en Orange).

Figure 4. Variation du nombre de stations hydrométriques en service en Nouvelle-Calédonie entre 1954 et 2020 (en bleu), et nombre moyen de jaugeages effectués par an sur le réseau (en Orange).

Ce réseau hydrométrique s’est développé dans le but premier de disposer d’une trentaine de stations de référence sur les secteurs susceptibles de se développer et ainsi de complémenter les connaissances hydrologiques dans des bassins versants de contextes morphologiques, climatiques et géologiques différents. Des enjeux particuliers, principalement en lien avec la gestion de l’eau pour l’agriculture, ont quelquefois été à l’origine de création de stations limnimétriques. La présente l’évolution de ce réseau dans le temps et met en lumière sa bonne répartition spatiale.

Figure 5. Carte du réseau hydrométrique de Nouvelle-Calédonie en (a) 1980, (b) 2020.

Figure 5. Carte du réseau hydrométrique de Nouvelle-Calédonie en (a) 1980, (b) 2020.

Le présente quelques valeurs de débits caractéristiques pour 5 stations du réseau de référence.

Tableau 2. Informations et débits caractéristiques de quelques stations hydrométriques du réseau de référence (Alric, Citation2009), avec actualisation partielle en 2020 pour Pouembout.

En outre, le suivi et la connaissance hydrologique s’appuient également sur :

  1. un large réseau de stations de jaugeage d’étiage, non équipées de limnimètres mais au droit desquelles des jaugeages sont effectués chaque année en période d’étiage. Parmi les centaines de stations de jaugeages d’étiage du réseau historique, on dénombre actuellement 340 stations pour lesquels plus de 20 jaugeages d’étiage ont été effectués.

  2. un réseau d’échelles de crue (échelles à maxima), localement dénommées « Calédomax », initié en 1988 et qui a permis plus de 16,400 mesures de hauteurs de crue sur la Grande Terre (Laroche et al., Citation2018). Ces données apportent des informations essentielles à la fois pour la vérification de hauteurs d’eau enregistrées aux stations hydrométriques et pour le calage de modèles hydrauliques servant à l’établissement des courbes de tarage de ces dernières ainsi qu’à l’établissement des cartographies de zones inondables.

En complément de cette base de données hydrologiques, une large base de données pluviométriques a été constituée grâce aux partages des données des réseaux complémentaires du Service de l’eau et de Météo France. Le premier compte actuellement plus de 80 stations pluviométriques en service disposées aux niveaux de stations hydrométriques mais aussi en tête de bassins versants ().

Figure 6. Réseaux pluviométriques de Nouvelle-Calédonie. En bleu : réseau pluviométrique géré par la DAVAR/En rouge : réseau Météo France.

Figure 6. Réseaux pluviométriques de Nouvelle-Calédonie. En bleu : réseau pluviométrique géré par la DAVAR/En rouge : réseau Météo France.

4. Valorisation des données hydrométriques

Les utilisateurs de données hydrologiques peuvent facilement trouver les méta-données des stations de suivis hydrologiques sur le web-service cartographique du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie dédié à l’eau: http://carto.eau.georep.nc/. Une procédure disponible sur le site internet de la DAVAR permet au porteur de projet de formuler précisément sa demande de données à l’adresse fonctionnelle [email protected]. Sur ce site internet, sont également disponibles des données valorisées ou encore des analyses hydrologiques. En premier lieu, sont mis à disposition les bilans d’étiage et de crue réalisés au fil des saisons. Sont aussi disponibles sur le web-service comme sous forme de rapports :

  1. Une synthèse pluviométrique réalisée par le Service de l’eau (Romieux, Citation2011) mettant à disposition les valeurs aux stations ainsi que des cartographies à l’échelle de la Grande Terre obtenues par une démarche inspirée de la méthode Aurelhy développée par Météo France (Benichou & Le Breton, Citation1987) :

    • des isohyètes interannuelles disponibles sur la période 1990–2009 (),

    • des iso-valeurs des paramètres (Po et Gd) des lois de Gumbel ajustées sur les échantillons de pluies maximales annuelles de durées 15 minutes, 1, 2 et 24 heures. La définition de lois liant d’une part Gd à Po et d’autre part Po à la durée des pluies permet, en complément de ces informations, d’estimer les paramètres des lois de Gumbel de toutes les durées et en tout point,

    • des quantiles de pluies de périodes de retour 10 et 100 ans pour les durées 15 minutes et 1 heure ainsi que des quantiles de pluie de période de retour 2 ans pour la durée 2 heures particulièrement utilisés pour le dimensionnement des bassins de rétention des eaux pluviales.

  2. Une synthèse des caractéristiques hydrologiques sur 23 stations de référence ayant alors au moins 10 années ininterrompues de données (Alric, Citation2009), réparties sur la Grande Terre. Des fiches de référence présentent pour chaque station :

    • les chroniques disponibles avec les valeurs extrêmes jaugées et évaluées,

    • la courbe des débits classés,

    • les débits moyens mensuels et les débits caractéristiques d’étiage (DCE) de fréquence médiane et décennale sèche et humide. Le DCE représente le débit journalier en-dessous duquel l’écoulement descend dix jours non nécessairement consécutifs dans l’année. Cette grandeur fournit un indicateur de la sévérité de l’étiage annuel beaucoup plus pertinent en Nouvelle-Calédonie que l’utilisation du débit moyen mensuel. En effet, il n’est pas rare de voir durant le même mois une fin d’étiage sévère associée à un ou plusieurs épisodes pluvieux significatifs qui de fait biaisent la valeur du débit mensuel.

    • les quantiles de débits instantanés maxima de crue de période de retour jusqu’à 100 ans et les ajustements statistiques dont ils sont issus.

    • l’ensemble des caractéristiques géographiques, pluviométriques et physiographiques de ces bassins versants.

  3. Une actualisation des estimations des débits d’étiage (DCE) a également été réalisée en 2016 (Romieux & Wotling, Citation2016). Celle-ci a globalement conforté les premières estimations proposées en 2008 (Frysou, Citation2008) et reprise dans Alric (Citation2009). Une régionalisation des DCE a été menée sur la base de la méthode Aurelhy grâce aux nombreuses stations d’étiage suivies chaque année. Cette régionalisation a mis en évidence, au delà du lien avec la pluviométrie annuelle, la forte relation existante entre la production du bassin versant et la proportion de son sous-sol constituée de massifs de péridotite. Une prédétermination du DCE médian a ainsi pu être proposée à partir d’un modèle basé sur la situation du bassin dans la Grande Terre, sa pluviométrie interannuelle et le pourcentage de péridotite dans son sous-sol. La représentation cartographique de ces résultats, accessible via le web-service, a de plus été menée de façon automatique grâce à la création d’un Modèle Numérique de Terrain hydrologiquement cohérent. Pour cela, l’ensemble des cuvettes et des contre-pentes des cours d’eau a été comblé, permettant à chaque goutte d’eau tombant sur un versant de rejoindre le lagon. La présente le résultat obtenu.

  4. Une autre exploitation des données hydrologiques particulièrement utile concerne la pré-détermination des quantiles de débits de crue dans une approche régionale, pour les bassins de superficie supérieure à 30 km2. Sur la base des ajustements d’une loi de Gumbel sur les débits de crue établis sur 23 stations hydrologiques de référence, l’estimation du quantile centennal d’un bassin est proposée grâce à une approche en débit pseudo-spécifique avec comme seule variable la localisation géographique (). Ainsi la côte est, la plus arrosée et la plus pentue de la Grande Terre, voit des débits pseudo-spécifiques centennaux de l’ordre de 100 m3/s/km1,5, alors que la côte ouest et le sud de la Grande Terre voient des débits pseudo-spécifiques centennaux respectivement de l’ordre de 55 m3/s/km1,5 et 35 m3/s/km1,5. Le quantile centennal a de plus été relié aux autres quantiles de débit de pointe par un ratio K(T), présenté dans le et ce sans distinction de zone géographique.

Tableau 3. Valeurs du rapport K(T) = Q100/Q(T).

Figure 7. Répartition des débits caractéristiques d’étiage issue de Romieux and Wotling (Citation2016) et appliquée sur le réseau hydrographique modélisé (issu d’un MNT) et estimation des quantiles de débits de crue centennale.

Figure 7. Répartition des débits caractéristiques d’étiage issue de Romieux and Wotling (Citation2016) et appliquée sur le réseau hydrographique modélisé (issu d’un MNT) et estimation des quantiles de débits de crue centennale.

5. Evolutions récentes et perspectives

5.1. Évolutions récentes

Le Service de l’eau a développé au fil du temps ses propres outils de traitement et gestion des données hydrométriques, dont une base de données ACCESS de stockage (Hydrobase) et une large bibliothèque de macros EXCEL (Hydrograph) utilisée pour l’ensemble des traitements et analyses de données : calcul de débits issus des jaugeages, correction des dérives, lissage, mise à jour des courbes de tarage, calcul de débits statistiques, analyses fréquentielles, etc.

La volonté d’améliorer l’efficacité des suivis hydrologiques notamment imposée par un départ à la retraite non remplacé d’un des hydrologues a conduit le service à faire évoluer l’organisation de l’activité hydrométrique. La nouvelle chaîne de traitement mise en place est présentée dans la .

Figure 8. Schéma de la chaîne de traitement des données hydrométriques en Nouvelle-Calédonie.

Figure 8. Schéma de la chaîne de traitement des données hydrométriques en Nouvelle-Calédonie.

Les changements majeurs sont les suivants :

  • Les hydromètres réalisent désormais une critique et une vérification des débits jaugés sur le terrain et les premières phases de traitement des séries hydrométriques collectées de retour au bureau. Ce changement a été rendu possible par le développement en interne d’outils dédiés dont un outil de saisie nomade et permet la montée en compétence des agents hydromètres ainsi que l’amélioration globale de la qualité des mesures.

  • La base Hydrobase est automatiquement mise à jour à chaque retour terrain et chaque traitement de données, devenant ainsi la base de référence. Elle est dotée de nouvelles interfaces améliorant son accessibilité. Elles ont permis un fort gain de temps (abandon de fiches papier et de lourdes manipulations de fichiers), rendant possible le prétraitement des données dans la semaine suivant la mesure terrain. Cette réactivité permet une meilleure prise en compte des observations du terrain (identification des petits barrages dans le lit d’étiage, de végétation obstruant les sondes, etc.) dans la critique et le traitement des données hydrométriques et contribue à gagner en qualité des données produites.

  • Des codes qualité et des tables de suivi des traitements ont été mis en place afin de conserver l’historique des observations et la traçabilité des traitements réalisés sur la donnée et de faciliter la valorisation et la diffusion des données critiquées.

La chaîne de traitement des données pluviométriques, également objet d’évolutions récentes, fonctionne sur une logique similaire, s’appuyant sur un outil de saisie nomade, une base ACCESS de référence automatiquement mise à jour et des interfaces d’import/export vers des outils EXCEL de traitement des données.

5.2. Perspectives

Depuis mars 2019, un schéma d’orientation d’une future politique de l’eau partagée a été voté par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie (Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Citation2019). Celle-ci s’appuiera en premier lieu sur la définition puis la préservation des ressources stratégiques du pays. D’autre part, les réductions des moyens humains et financiers des acteurs publics engagées dans l’ensemble des collectivités de Nouvelle-Calédonie comme leur recherche d’une plus grande efficacité, sont autant d’éléments qui concourent à adapter rapidement les suivis hydrologiques à leurs nouveaux enjeux. La concentration des suivis hydrologiques sur les principales ressources stratégiques est donc prévisible ainsi que l’adjonction pour certaines de suivis des matières en suspension (constitution et concentration).

Le suivi des impacts des usages sur les bassins comme des effets du changement climatique sur le régime des cours d’eau nécessiteront sans aucun doute une stratégie dédiée avec de probables adaptations des réseaux de suivi hydrologique.

La mise en place sur certains bassins versants à enjeux de la Grande-Terre, d’une vigilance crue, à l’image de celle disponible dans les départements d’Outre-Mer, est une demande sociétale qui revient régulièrement. Ce nouveau service à rendre par l’hydrométrie, nécessitera aussi une adaptation, principalement du matériel (système de télétransmission, vecteurs de transmission doublés).

Pour autant, même si un rapprochement avec les outils métropolitains pourrait s’avérer pertinent, il n’est pas prévu par exemple d’alimenter prochainement l’Hydroportail.

Ces perspectives d’augmentation et d’adaptation des suivis hydrologiques ne pourront se faire sans trouver de nouveaux moyens financiers et probablement aussi humains. Le modèle économique qu’il faudra adjoindre à la future politique de l’eau devrait tout particulièrement permettre d’augmenter les ressources financières dédiées aux suivis. Les modes d’organisation à l’effort de connaissance en suivis hydrologiques pourraient aussi être revus. En tout premier lieu, une plus grande participation à l’effort de suivi hydrologique par certains préleveurs importants pourrait être demandée.

Les défis à relever par les acteurs de l’hydrométrie en Nouvelle-Calédonie restent donc importants. Ils sont avant tout organisationnels et financiers. Ils demanderont sans aucun doute de revisiter les fonctionnements et les positionnements actuels afin de continuer d’apporter un service de qualité et répondre au mieux aux attentes de la société calédonienne. Le 11ième Fond Européen de Développement régional permet d’initier notamment la constitution d’un observatoire hydrologique à l’échelle du Pacifique regroupant la Polynésie française et Wallis et Futuna visant à diffuser les connaissances dans les suivis hydrologiques entre ces territoires comme à les maintenir.

Déclaration de divulgation

L’auteur ne déclare aucun intérêt concurrent.

Remerciements

Les auteurs de l’article souhaitent remercier les personnels du Service de l’eau de la DAVAR qui contribuent et ont contribué à l’activité hydrométrique. Nous tenons en particulier à rendre un hommage marqué à Paul N’Guyen qui a consacré l’ensemble de sa carrière à porter cette activité. Nous tenons aussi à remercier Joël Danloux, retraité de l’Orstom, qui a consacré sa fin de carrière à l’hydrométrie calédonienne et qui a été d’une précieuse aide pour la rédaction de cet article.

Data Availability Statement

Les données présentées et utilisées dans cet article peuvent être demandées auprès du Service de l'eau du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie sur demande raisonnable : – http://carto.eau.georep.nc/https://davar.gouv.nc/ressource-en-eau/obtenir-des-donnees-sur-la-ressource-en-eau

Notes

2. 95 % dans le cas d’un seul point de mesure.

3. Communication personnelle de Jean-Pierre Bricquet, IRD.

Références

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