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LHB
Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Special Section: Hydrometrie 2021

Exploitation du système de jaugeage par vidéo Flowsnap sur le territoire du Grand Delta

Operation of the Flowsnap video gauging system on the territory of the Greater Delta

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Article: 2183910 | Published online: 19 Apr 2023

RÉSUMÉ

Le suivi et le jaugeage des crues sur le territoire du Grand Delta connaissent des problématiques diverses liées à la rapidité et violence des phénomènes et à l’état très limoneux des rivières principalement. Ceci limite l’utilisation des technologies classiques d’hydrométrie de crue, comme l’ADCP ou le camion de jaugeage. Il apparaît des difficultés de mise en œuvre en sécurité ou de dépassement des limites d’utilisation des appareils. Ainsi les gammes jaugées des courbes de tarage atteignent difficilement la crue quinquennale. Pour pallier à cela et donc améliorer ses connaissances sur son territoire, l’unité d’hydrométrie a investi dans le déploiement et l’utilisation de la technologie d’analyse d’images. L’article présentera principalement le protocole d’utilisation d’appareil de prise de vue transportable sur tous les sites mis en place et éprouvé depuis 2019. Les travaux complémentaires de calibration et de préparation des sites seront présentés ainsi que l’exploitation de cette technologie sur l’événement de novembre 2019 en Ardèche.

ABSTRACT

Survey and gauge rivers during floods events within the Grand Delta territory (south of France) is a very difficult task due to the violence and the short duration of these phenomenons. Moreover these rivers are often silty which add a supplementary difficulty. These characteristics limit the relevancy of conventional hydrometric technologies such as ADCP and gauging trucks. In particular it is hard to use safely these devices that, anyway, are out of their domain of validity. Therefore gauged range of the rating curves rarely exceed the five years return period floods. To overcome these limits and to improve the flood knowledge on its territory, the hydrometry team also used hydrometric system based on digital picture analysis. This paper presents the procedure that was used since 2019 on all the concerned gauging sites. Setting-up and the calibration steps are presented as well as results for the November 2019 event in Ardèche.

1. Limites des systèmes de jaugeage sur le territoire du Grand Delta

Le territoire du Pôle Hydrométrie Prévision des Crues Grand Delta de la DREAL Auvergne Rhône-Alpes (PHPCGD) comporte un large secteur montagneux en rive droite du Rhône. Ce secteur géographique est soumis tous les ans à des pluies dites cévenoles, caractérisées par de fortes intensités pouvant dépasser 50 mm/h sur des périodes de plusieurs heures. Ainsi, les crues engendrées sont rapides et violentes. Par exemple, les crues de 2002 dans le Gard ont vu des pluies de 690 mm en 24 h générant un débit de pointe dans les Gardons estimé à 6 500 m3/s, soit l’équivalent du débit du Rhône avant sa confluence avec les Gardons. Assurer la mission de jaugeage lors de ces événements est une mission difficile voire dangereuse sans garantie de réussite.

La rive gauche du fleuve présente des géomorphologies très différentes, avec des rivières très plates et peu profondes. Les pluies reçues sur ces bassins versants sont sensiblement moins importantes en cumul et en intensité. Les sols très limoneux engendrent des écoulements très chargés en matière en suspension lors des crues, rendant impossible tout jaugeage à base de technologie Doppler.

Sur le secteur du Grand Delta, la mission d’hydrométrie de crue est pleinement opérationnelle depuis 2009, date à laquelle les équipes se sont renforcées pour assurer cette mission et des outils adaptés ont été déployés, que ce soit l’ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) ou le camion de jaugeages équipé de saumon de 100 kg. Ainsi, au fil des ans, la gamme jaugée des courbes de tarage a pu être étendue jusqu’à la limite d’utilisation de ces deux technologies, sur une large majorité des stations du PHPCGD.

Désormais, plusieurs facteurs limitent l’extension de ces gammes jaugées vers les plus hauts débits :

  1. La rapidité de montée du niveau d’eau fait que les pointes de crues sont rarement jaugées, car les temps de trajet des hydromètres vers les sites sont trop longs et la prévision de la localisation des pluies reste trop imprécise pour permettre un pré-positionnement efficace.

  2. Les fortes vitesses d’écoulement (fréquemment supérieures à 4 m/s) présentes en crue sur la zone cévenole, limitent l’utilisation des deux techniques de références : l’ADCP est mis hors limite par les roulis trop important d’une part et sa mise en œuvre présente un réel danger pour les hydromètres d’autre part, le saumon de 100 kg du camion de jaugeage rentre difficilement dans la rivière, car il rebondit à la surface. Il est très compliqué de réaliser un jaugeage de crue supérieur au débit de référence quinquennal sur cette zone, limitant ainsi la modélisation et la compréhension des phénomènes les plus intenses.

  3. Sur la rive gauche du Rhône et notamment sur la Durance, l’ADCP est inutilisable dès le débit de référence annuel à cause du taux de matière en suspension qui atténue totalement le signal acoustique, rendant aveugle l’appareil. De plus, lors des montées en crue, les rivières restent très plates (inférieur à 1 m de profondeur maximale), avec peu de profondeur, limitant ainsi l’intérêt du camion de jaugeage dont le saumon de 100 kg à une hauteur aveugle de 18 cm.

Ainsi, sur tout le territoire du PHPCGD, l’ADCP ne peut être utilisé qu’au début de la montée en crue ou bien après le pic, en phase de récession. Le camion de jaugeage prend alors le relai autant que possible tant que le saumon peut pénétrer dans l’écoulement.

Un autre aspect limitant lors de l’utilisation du camion de jaugeage est lié au temps long de mesure, inhérent à cette technique, sur des rivières dépassant les 100 m de large, qui peut atteindre une heure ou plus. Les variations de hauteurs de la rivière pendant ce laps de temps induisent des incertitudes fortes, notamment sur le positionnement du point de jaugeage sur la courbe de tarage.

La illustre les incertitudes qui s’expriment selon les différents modes de jaugeages pour la station de Vallon Pont d’Arc sur l’Ardèche. Cette extraction du logiciel de gestion Barème (utilisé par les services de l’Etat), représente, pour chaque point de jaugeage, une barre horizontale illustrant la variation de hauteur observée pendant le jaugeage, et en barre verticale, une incertitude estimée par les hydromètres à l’issue des jaugeages. Il s’avère que les variations de hauteurs lors des jaugeages au camion peuvent dépasser 1 m, voir 1,5 m sur ce site, ce qui représente des variations de débits de plus de 30 %, indépendamment de toutes autres incertitudes de mesure. Elles représentent la principale source d’incertitude pour le tracé de la courbe de tarage.

Figure 1. Incertitudes estimées des jaugeages sur Vallon Pont d’Arc (barres verticales) et variabilité de la hauteur d’eau pendant le jaugeage (barres horizontales).

Figure 1. Incertitudes estimées des jaugeages sur Vallon Pont d’Arc (barres verticales) et variabilité de la hauteur d’eau pendant le jaugeage (barres horizontales).

L’ensemble de ces constats et analyses, ont poussé le service d’hydrométrie à monter en compétences sur de nouvelles technologies adaptées à la fois à des rivières très violentes, mais aussi très chargées en matières en suspensions : la technologie d’exploitation d’images.

2. Mise en place de la technologie d’analyse d’images

Les contraintes de terrain décrites plus haut, nous orientent vers des technologies non intrusives, rapides et simples de déploiement en crue. Deux technologies déjà éprouvées ont été envisagées : l’utilisation de la vidéo (Castaings et al., Citation2018 ; Eltner et al., Citation2020 ; Jodeau et al., Citation2008 ; Le Coz et al., Citation2010 ; Tauro et al., Citation2019) et le radar de surface. Seul le déploiement de la première sera présenté ici.

Historiquement, plusieurs caméras fixes ont été installées sur le territoire afin de pallier à la problématique de montées rapides des crues et donc à la difficulté d’accéder rapidement à la station à jauger. Cela se produit principalement sur les stations en tête de bassin à réactions rapides comme pour les rivières cévenoles mais également sur les affluents du haut du bassin de la Durance.

Le présent article a pour objet de présenter le protocole mis en place sur le territoire du PHPCGD, inspiré de TENEVIA et al. (Citation2017, Citation2021), et l’état d’avancement du déploiement de la technologie vidéo utilisant un appareil de prise de vue transportable d’un site à l’autre pendant les crues. Il ne traite pas de l’installation et de l’exploitation de caméras fixes sur les stations. Le mode de fonctionnement du logiciel utilisé et sa mise en œuvre précise ne seront pas non plus présentés ici. Finalement, un exemple de résultats obtenu sur des sites opérationnels sera présenté correspondant à l’événement de 2019 sur le département ardéchois.

2.1. Préparation des sites de mesures

La contrainte majeure opérationnelle intervenant lors du déploiement d’un outil de mesure pendant la crue est d’arriver à minimiser la quantité d’opérations à effectuer. Les conditions météo étant trop souvent intenses (intensités de pluie > 50 mm/h), elles empêchent l’utilisation d’appareils informatiques.

Dans ce cadre, le logiciel Flowsnap fourni par la société TENEVIA, a été développé en optimisant la reproductibilité de la mesure, c’est-à-dire en permettant d’exploiter des prises de vues obtenues de manière encadrée, au fur et à mesure des épisodes, sans avoir à refaire une calibration ou tout autre type d’opération. Pour assurer cela, un travail de préparation sur chaque site doit être associé. Il peut être séparé en deux aspects:

  1. Le choix de la section de prise de vue. Cette étape est la plus sensible et celle nécessitante une connaissance du logiciel et de la technologie déployée. Il convient de choisir un endroit permettant la meilleure exploitation hydrométrique des images tout en garantissant une mise en œuvre de l’appareil de prise de vues sécurisée en temps de pluie.

  2. La calibration de cette prise de vue issue essentiellement du référencement dans un repère tridimensionnel (géoréférencé ou pas) de plusieurs points sur la scène filmée par un appareil topographique. Cette partie peut être faite à posteriori aux prises de vue en crue et n’est pas limitante à l’acquisition des données vidéos exploitables.

2.2. Choix de l’emplacement de prise de vue

Le choix de l’emplacement doit permettre de fournir une image respectant les conditions suivantes autant que possible afin d’assurer une mesure de vitesse la plus qualitative possible :

  • (1) La visibilité sur les deux berges de la rivière en crue pour assurer la plus grande justesse de mesure possible sur toute la largeur de la section de jaugeage et l’échantillonnage complet du champ de vitesses.

  • (2) Une prise de vue pas trop rasante (la gamme 40–60° est idéale, avec un angle minimal de 15°) permet de minimiser les incertitudes sur les déplacements dans l’axe perpendiculaire à la prise de vue.

  • (3) La présence d’objets fixes sur toutes les images tels que des ponts, habitations, rochers particuliers …

  • (4) Un accès sécurisé en temps de pluie et de crue.

Pour certains sites, plusieurs lieux de prises de vues ont été définis, dont l’utilisation va dépendre de la gamme de hauteur atteinte par exemple.

Lorsque l’emplacement est choisi, il est marqué par un clou d’arpentage repérable afin de permettre un repositionnement facile lors des crues.

Le dernier aspect indispensable à la préparation d’un site consiste en l’élagage de la zone filmée pour libérer le champ de vision de tous les obstacles pouvant obstruer la vue sur la rivière. Ce travail peut être très chronophage et peut nécessiter une sous-traitance, mais il ne doit pas être négligé. Il devra être régulièrement renouvelé en raison de la repousse de la végétation.

Finalement, une fiche pour chaque station est éditée. Elle comprend l’emplacement précis de l’appareil avec une photo du trépied installé, un listing des points particuliers du site si besoin, et l’image de la prise de vue à obtenir pour chaque jaugeage comme illustré sur la fiche de site en annexe. La reproduction, le plus fidèlement possible, de la prise de vue faite lors de la calibration initiale du site permet d’adapter cette dernière à toute nouvelle prise de vue. Ainsi, l’opération de calibration n’est à faire qu’une fois et reste valide tant que les conditions de la prise d’image ne changent pas (remplacement d’appareil photo par exemple ou du déplacement du lieu de prise de vue).

Finalement, en crue, le protocole est simplifié et consiste à mettre le trépied à l’endroit prédéfini, à ajuster l’appareil pour obtenir le bon champ de vision et à filmer pendant une dizaine de secondes la rivière. L’opérateur adapte le départ de la prise de vue avec l’apparition, dans le champ de vision, de cibles flottantes à la surface de la rivière afin de garantir la faisabilité d’exploitation de la vidéo par le logiciel. Si besoin, la durée du film est prolongée.

Il est à noter que le choix du lieu de prise de vue et l’élagage doivent être fait avant tout épisode de crue.

2.3. Calibration de la prise de vue

Cette seconde étape peut être faite de manière différée et n’est pas indispensable à la prise de vue. Elle consiste à calibrer le système afin d’obtenir des mesures dans un système métrique.

Pour cela il est nécessaire de déployer, sur le site filmé, plusieurs cibles fixes et visibles, créant ainsi un repère temporaire et démontable. Sur l’image de calibration seront alors mis en correspondance les coordonnées tridimensionnelles monde et les coordonnées bidimensionnelles images de chacune de ces cibles fixes. Pour cela, nous utilisons des panneaux routiers de type K5B selon les recommandations de TENEVIA, qui constituent des cibles facilement repérables, comme illustré sur la fiche de site en annexe. Ces cibles doivent entourer la zone à l’intérieur de laquelle les mesures seront faites (que ce soit en largeur, profondeur et gamme de hauteur d’eau couverte), d’une part, et matérialiser la section de mesure d’autre part. Une vingtaine de cibles est suffisante pour cela.

Deux types d’outil topographique ont été retenus et validés pour réaliser cette étape : un disto LEICA S910 qui fournit des coordonnées dans un repère arbitraire et un GPS de LEICA Viva GS08+ qui fournit les données en coordonnées WGS84 notamment. Le GPS est privilégié, car il permet une mise à jour aisée de certains points, comme lors de modifications de la bathymétrie par exemple.

Les opérations de terrain nécessaires à cette étape sont réalisées entre 1 h pour les plus petits sites et 2h30 pour les plus grands, en faisant intervenir 3 agents. La saisie de ces informations dans le logiciel est faite en 20 minutes.

2.4. Calcul du débit

Le logiciel Flowsnap dans sa version 1.6, permet une mesure manuelle du champ de vitesses. Cela consiste à extraire des paires d’images du film fait lors de la crue et de renseigner la hauteur d’eau au moment où la prise de vue a été faite. Puis les positions des formes repérables sur les deux images sont pointées à la souris. Ces formes peuvent être des débris végétaux, écumes, reflets … L’expertise de l’hydromètre va consister à repérer les mouvements représentatifs de la vitesse de l’eau et de les pointer correctement. Cela peut amener l’opérateur à ignorer certaines zones de mesures correspondantes à des écoulements trop perturbés par des ressauts ou dus à la présence de pile de pont par exemple. Également certains reflets et d’autres effets optiques parasites doivent être ignorés car induits par les conditions de la prise de vue ils ne sont pas représentatifs de l’écoulement.

Le logiciel calcule alors les vecteurs vitesses ainsi définis et les projette perpendiculairement sur l’axe de la section de mesure. En sortie, un fichier rassemble les vitesses mesurées et leur position sur cette section par rapport à une origine fixée manuellement lors de la calibration.

Ce fichier de vitesses de surface est alors importé dans le logiciel Barème pour calculer le débit associé. L’objectif est d’assurer une cohérence, sur le mode de calcul, avec les débits issus d’autres outils hydrométriques comme le moulinet ou le radar de surface. Ainsi, pour l’exploitation des courbes de tarage, aucun biais ne peut être imputé au mode d’intégration des vitesses car tous résultent des équations décrites dans le manuel utilisateur de Barème (Bechon, Citation2021).

Pour intégrer le champ de vitesse de surface dans Barème, il faut renseigner la bathymétrie de la section de mesure retenue sur l’image. Celle-ci a été levée au même moment que les points de référence de calibration de la prise de vue et est exprimée dans la même référence d’abscisses que celle définie dans le fichier de sortie de Flowsnap. Ceci a pour avantage de synchroniser les positions des mesures faites entre les deux logiciels et donc de faciliter l’échange de données.

Selon le protocole mis en place au PHPCGD, un minimum de 50 déplacements entre les paires d’images doit être pointé par l’hydromètre comme illustré sur la . Pour un rendement optimal, les images exploitées sont décalées d’un dixième de seconde, correspondant au temps le plus efficace pour un pointage manuel. Les points choisis sont répartis de part et d’autre de la section bathymétrique relevée, à une distance maximale d’environ 10 m afin de garantir une cohérence hydraulique de l’écoulement tout en privilégiant une forte densité de mesure vers les vitesses les plus élevées.

Figure 2. Exemple de pointage des vitesses de surface de part et d’autre de la section bathymétrique (ligne orange), sur la station de l’Ouvèze à Roaix pour la crue du 21/12/2019.

Figure 2. Exemple de pointage des vitesses de surface de part et d’autre de la section bathymétrique (ligne orange), sur la station de l’Ouvèze à Roaix pour la crue du 21/12/2019.

Puis un profil horizontal de vitesse est ajusté manuellement pour lisser les variations rapides des conditions d’écoulement, comme illustré sur la . Le choix de l’ajustement ne se fait que sur des résultats ayant une certaine cohérence de vitesses correspondante à des mesures contenues dans un intervalle maximum de 1 m/s (variable selon les sites). Ceci permet de filtrer les jaugeages pour lesquels les mesures faites sont très disparates et donc trop entachées d’incertitudes. En effet, si une mesure de vitesse en point par point au micro-moulinet intègre généralement la mesure sur 30 secondes, un jaugeage vidéo fait une mesure très instantanée au même titre qu’un ADCP (en mode Bottom Tracking). Sur la , les croix correspondent aux mesures issues de l’analyse d’images, et la courbe rouge à l’ajustement fait par l’hydromètre en charge de la station. Cet ajustement est fait manuellement en l’état actuel et correspond à une analyse visuelle tout en essayant de prendre en compte la connaissance terrain de l’hydromètre.

Figure 3. Mesure du champ de vitesses lors de la crue du 25/11/2019 sur l’Ardèche à Vallon Pont d’Arc.

Figure 3. Mesure du champ de vitesses lors de la crue du 25/11/2019 sur l’Ardèche à Vallon Pont d’Arc.

L’intégration du profil de vitesses dans Barème pour l’obtention du débit nécessite la définition d’un dernier paramètre. Seul le champ de vitesses de surface est mesuré par l’analyse d’images et il est nécessaire d’extrapoler les vitesses selon la profondeur afin d’en déduire la vitesse moyenne sur la verticale du point. Ceci est fait par l’utilisation d’un coefficient liant les deux vitesses. Bien que de nombreuses indications existent dans la littérature comme dans la référence Andre et Al 1976, il a été choisi d’estimer ce coefficient à partir de calculs effectués sur toute la base de données du PHPCGD, pour tous les jaugeages camion ou ADCP et pour chaque station. Il a été constaté que pour chaque station, la valeur de ce coefficient restait quasi constante quelle que soit la gamme de débit. Ainsi sur la zone Cévenole, à quelques exceptions près, un coefficient de 0,87 lie la vitesse moyenne de la verticale à sa vitesse de surface ().

Tableau 1. Rapport de la vitesse moyenne à la vitesse de surface issue de la base de jaugeages du PHPCGD sur l’ensemble des stations de l’Ardèche.

Ainsi, le jaugeage retenu pour le film aboutissant au graphique de la correspond au point violet de la : une côte retenue de 7,60 m pour un débit de 1850 m3/s et une mesure effectuée sur 55 vecteurs vitesses ponctuels.

A ce jaugeage est associée une incertitude calculée par Barème de 16 % selon les équations décrites dans Le Coz et al. (Citation2013) et réévaluée à 20 % par l’hydromètre en charge de la station, pour prendre en compte l’incertitude introduite par la fixation du coefficient liant la vitesse de surface et la vitesse moyenne. Ce calcul d’incertitude plutôt favourable devra être étoffé par la suite pour être plus représentatif des incertitudes inhérentes à cette méthode. Par contre, du fait de la rapidité de mesure, aucune variation de hauteur n’intervient pendant le jaugeage, ce qui réduit fortement cette composante de l’incertitude.

3. État du déploiement

L’unité d’hydrométrie du PHPCGD gère un parc constitué, entre autres, de 88 stations limnimétriques sur son territoire de compétences. Sur l’ensemble de ces stations, trois groupes ont été constitués :

  • (1) Les stations prioritaires à la mise en place de la technologie de mesure par analyse d’images, constitué par : (i) les sites à réponse rapide comme les stations en têtes de bassin ou plus généralement les sites Cévenols, (ii) les sites présentant des difficultés voire des impossibilités d’exploitation d’appareils de type ADCP ou camion de jaugeage, comme les sites de la zone Vauclusienne ayant des eaux très chargées en sédiments, (iii) les sites larges où les mesures prennent beaucoup de temps.

  • (2) Les stations non-éligibles car non adaptées à cette technologie, comme (i) les stations situées dans les plans d’eau des barrages, (ii) les sites de jaugeages depuis un pont rasant avec une rivière très large sans lieu de prise de vue convenable, (iii) les stations où les autres technologies plus complètes comme l’ADCP fonctionnent parfaitement sur toute la gamme de débit, comme les stations sur le Rhône par exemple.

  • (3) Les sites présentant des conditions hydrauliques particulières comme celles du Vistres par exemple. Pour ces stations, l’eau s’écoule dans les rues ou dans des champs agricoles créant de larges zones de débordement. L’adaptation de la technologie vidéo à de telles situations n’a pas encore été abordée.

Ainsi les deux cartes de la illustrent l’état de déploiement de la technologie sur le territoire. Les stations du premier lot, représentent un panel de 52 stations soit 60 % du parc.

Figure 4. Etat du déploiement de la technologie sur le territoire du PHPCGD.

Figure 4. Etat du déploiement de la technologie sur le territoire du PHPCGD.

Le déploiement a débuté en juillet 2019 sur la zone Ardéchoise, ce qui a permis de mettre en place les règles et recommandations de choix d’emplacement de prise de vue, d’entretien des sites et de méthode de calibration.

Ce protocole a évolué plusieurs fois pour prendre en compte les problématiques liées à certains sites comme les fréquents changements de bathymétrie des stations en rive gauche du Rhône, ou la difficulté d’exploitation des images dans le logiciel Flowsnap à cause des conditions lumineuses par exemple.

La tâche prioritaire pour déployer cet outil sur un grand nombre de sites est la création des fiches stations comme illustré en annexe. Elles illustrent le choix définitif de l’emplacement de la prise de vue et l’aboutissement du dégagement du champ de vision par l’élagage de la végétation. Suite à quoi, les films peuvent être effectués et stockés en vue d’un dépouillement futur.

Dans un second temps, la calibration a été effectuée en partenariat avec l’équipe « topographie » du PHPCGD. L’ensemble des mesures nécessaires ont été faites avec un GPS (LEICA Viva GS08+) avant d’être bancarisées dans une base QGIS administrée par les agents du pôle.

Sur les 52 stations prioritaires :

  • (1) 10 sont équipées de caméras fixes et calibrées pour un mode avec appareil photo portable.

  • (2) 24 sont totalement opérationnelles par la constitution de la fiche terrain, l’élagage du site et la calibration renseignée dans les logiciels Flowsnap et Barème. La plupart ont permis d’exploiter des films de crue.

  • (3) 18 sont opérationnelles pour la prise de vues et doivent être calibrées.

4. Crue de Novembre 2019

L’Ardèche à l’amont de Vallon Pont d’Arc est constituée de trois bassins majeurs : la Beaume, le Chassezac, et l’Ardèche amont. Ces trois rivières sont historiquement très surveillées car soumises au régime pluvial cévenol.

Le Chassezac est équipé, d’une station historique à Gravières depuis le milieu des années 1980 puis d’une station SDAGE depuis 2014 au lieudit Chaulet, à 3 km de l’exutoire du bassin.

Pour cette rivière, la station historique est positionnée haut dans le bassin versant et est soumise à des écoulements rapides et violents. Lorsque le service gestionnaire de cette station était le SAC (Service d’Annonce des Crues), ni le nombre d’hydromètres, ni le matériel à disposition n’était dimensionné pour faire des jaugeages de crues. Suite à la transformation des SAC en SPC (Service de Prévision des Crues), l’antenne ardéchoise d’hydrométrie s’est pourvue suffisamment pour remplir cette mission qui est assurée depuis 2009. Ainsi les courbes de tarage historiques sont issues de modélisations hydrauliques sans pouvoir s’appuyer sur des jaugeages. En règle générale, sur tout le département, les modélisations de courbe de tarage, commandées par le SAC et maintenue par le SPC, n’ont pas montré de défaillances majeures sur les événements de crues des 20 dernières années.

La montée en puissance de la mission de jaugeage, grâce à l’acquisition d’ADCP et de camions de jaugeage, ont permis de mettre en évidence de possibles erreurs de tracé sur les plus hauts débits de ces deux stations, par la modélisation de la confluence au niveau de la station de Vallon Pont d’Arc, avec une tendance à la sous-estimation. Ceci à induit une attention particulière sur cette rivière ces dernières années. Cependant, comme décrit plus haut, les outils de mesures sont rapidement mis en défaut par les conditions en rivières en crue et la limite d’utilisation a été atteinte sans permettre de conclure quant à de nouveaux tracés de courbes de tarage sur ces plus forts débits.

Le déploiement de la technologie par analyse d’images a permis d’accéder à de nouvelles informations inédites sur ces stations notamment lors de la crue de novembre 2019.

4.1. Chassezac amont : Gravières

Cette station se situe à la sortie des gorges, en contrebas des fortes pentes du massif des Cévennes. Les réactions aux pluies sont très rapides, les jaugeages effectués sur cette station sont dangereux et ne correspondent pas à des hauteurs significatives à cause du long temps d’accès au site : ainsi, les plus hautes eaux ont été jaugées à 350 m3/s soit à peine la crue annuelle. De plus, le temps de jaugeage au camion renvoie à la problématique des fortes variations de hauteur pendant la mesure et sont donc difficilement exploitables hydrologiquement parlant car entachés d’une forte incertitude.

Lors de la crue de novembre 2019, deux jaugeages vidéo ont été réalisés à la cote 4,20 m et 4,25 m (lors de la montée du niveau d’eau et avant le pic de crue). Ces deux jaugeages vidéo ont fournis des débits de 570 m3/s et 585 m3/s respectivement, quand la courbe affichait 460 m3/s et 480 m3/s. De plus, ils ont pu être complétés par une mesure faite à l’ADCP 600 kHz (RiverRay du fournisseur RDInstrument) qui donne une mesure à 560 m3/s.

Ceci nous permet de fiabiliser l’utilisation de l’analyse d’images sur ce type de station d’une part et le choix du coefficient de rapport entre la vitesse de surface et la vitesse moyenne de 0.86, basé sur l’analyse des jaugeages historiques de la base Barème d’autre part.

Le pic de la crue a atteint la cote 4,60 m pour un débit de 590 m3/s estimé par la courbe de tarage. A cela, on associe une information supplémentaire, fournie par EDF, étant une estimation du débit sortant de l’ouvrage hydroélectrique situé à l’amont de la station au moment du pic de crue, qui donne un débit d’environ 850 m3/s (à priori un peu surestimé d’après le producteur). Malgré les incertitudes associées à cette estimation, l’ensemble de ces informations convergent vers une sous-estimation de la courbe comme illustré sur la .

Figure 5. Courbes de tarage des stations de Gravières et Chaulet. Les points représentent les plus hauts jaugeages faits depuis la création de la station. En bleues, les courbes en vigueur, en rouges les modifications proposées suite aux jaugeages vidéos.

Figure 5. Courbes de tarage des stations de Gravières et Chaulet. Les points représentent les plus hauts jaugeages faits depuis la création de la station. En bleues, les courbes en vigueur, en rouges les modifications proposées suite aux jaugeages vidéos.

4.2. Chassezac aval : Chaulet

Cette station a été installée récemment, en août 2014. La majeure partie de la courbe de tarage est donc issue de modélisation hydraulique sans jaugeages la validant. Il a cependant pu être mis en évidence, lors des crues passées, la bonne cohérence avec la station de Gravières sur les hauts débits.

Lors de la crue de novembre 2019, un jaugeage vidéo a pu être fait au niveau du pic de crue à 5,40 m donnant un débit de 1000 m3/s alors que la courbe de tarage affiche un débit de 800 m3/s comme illustré par le jaugeage le plus élevé sur la . La sous-estimation mise en évidence par le jaugeage vidéo et la bonne corrélation avec la station de Gravières confirme la tendance sur ce cours d’eau pour cette gamme débit. Les modifications, en cours d’étude, sur les deux courbes de tarage ne modifient pas la bonne corrélation des hydrogrammes, car elles sont modifiées dans la même proportion, soit environ 30 %.

4.3. Chassezac : conclusions

L’ensemble de ces résultats illustre une tendance qui demande à être confirmée par de nouvelles données en crue, qui se traduit par un suivi prioritaire de cette rivière par les hydromètres en charge du secteur.

Ces modifications auront nécessairement un impact sur la modélisation de la confluence des trois affluents amont de l’Ardèche au niveau de Vallon Pont d’Arc. Si la propagation des hydrogrammes de crues vers l’aval était cohérente jusqu’à présent et que les débits sortant du Chassezac sont réévalués à la hausse, alors il faudra réétudier la bonne cohérence du tout au niveau de la confluence.

Il apparaît par ailleurs, que la courbe de tarage de la station à l’exutoire de la Beaume semble avoir une forte tendance à la surestimation des plus hauts débits (forte incohérence de corrélation avec la station amont). Cela, doit être dimensionné par l’apport de nouveaux jaugeages mais constitue une piste cohérente permettant de rééquilibrer l’ensemble du modèle ardéchois. Ce modèle n’avait jamais été remis en cause grâce à la bonne cohérence des courbes historiques, mais la réévaluation des plus hauts débits du Chassezac le déséquilibre et semble appuyer dans le sens de la surestimation des débits fournis par la rivière Beaume.

5. Conclusions

Le PHPCGD a déployé, sur son territoire, la technologie de jaugeage par analyse d’images depuis 2012. Ceci a consisté à calibrer les sites pour une exploitation de vidéos de crue dans le logiciel Flowsnap (en cours depuis 2019) d’une part et à déployer un réseau de caméras fixes connectées aux stations d’acquisition et télé-transmises sur le concentrateur de données (depuis 2012) d’autre part.

Le déploiement de ces deux principes de mesures est en cours d’évolution pour répondre à la problématique d’extension des gammes jaugées, limitées par la mise en œuvre des ADCP et camions de jaugeage. A cela, est associée une réflexion sur le déploiement des agents en crues, puisque les principes de mesures sont très différents.

Cependant, les premiers résultats, comme présentés dans la partie 4 de ce document, montrent la très bonne adaptation de cette technologie aux besoins d’hydrométrie hautes eaux et permet d’améliorer la connaissance des courbes de tarage historiques. Ainsi, sur de nombreux sites calibrés, pour lesquels des vidéos de crue ont pu être colletées, les débits issus de l’analyse d’images sont conformes à ceux obtenus à partir des autres techniques de jaugeage. Dès que possible, les mesures en crue sont doublées par le système vidéo afin de les valider sur les gammes connues et maîtrisées et d’apporter un maximum de confiance à cette approche par analyse d’image. Cette technique devient particulièrement pertinente et intéressante pour améliorer la mesure et la connaissance des forts débits lorsqu’on franchira les limites d’utilisation des ADCP et camions de jaugeage.

Déclaration de divulgation

Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été rapporté par l’auteur.

Declaration de disponibilite des donnees

Les auteurs confirment que les données servant de base à cet article sont disponible dans l’article ou sur demande auprès de l’auteur principal.

Références

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Annexe:

Exemple de fiche du site de Jaugeage Vidéo De Vallon Pont d’Arc sur l’Ardèche.