76
Views
0
CrossRef citations to date
0
Altmetric
Original Articles

Stendhal dans l’œil de la ‘critique des professeurs’

 

Abstract

Au sein de l’Université française, les études stendhaliennes sont particulièrement florissantes. Les œuvres de Stendhal sont de moins en moins incomplètes. Systématiquement, progressivement, ses œuvres (majeures et mineures) sont rééditées, éditées, dans le même temps que les articles, les monographies, les thèses sur ses écrits foisonnent. Pourquoi un tel succès? L’enviable succès de l’auteur de La Chartreuse dans l’univers universitaire français s’explique surtout par la logique des intérêts académiques spécifiques, par la nécessité de trouver toujours de nouveaux sujets, des domaines de recherche inédits. Et, dans cette perspective, précisément, Stendhal est une mine, un auteur intéressant, un investissement intellectuel rentable, puisqu’une immense part de ses écrits n’a jamais été imprimée, et que d’immenses pans de l’œuvre restent donc à explorer, à exploiter, à éditer. Raison pour laquelle Stendhal fait l’objet d’une intense activité éditoriale et critique depuis deux décennies.

Abstract

Stendhal studies are enjoying particularly rude health in the French university. Stendhal’s works are becoming less and less incomplete. Systematically, progressively, his works (both major and minor) are being republished or published for the first time, even as articles, monographs, and theses relating to his writings continue to proliferate. What lies behind this popularity? The enviable success of the author of La Chartreuse within the French academic universe can be explained above all by the logic of specific academic concerns, by the need continually to find new topics and unexplored research areas. Looked at from this perspective, Stendhal is indeed the gift that keeps on giving: an interesting author and a profitable intellectual investment, given that an enormous part of his written output has never been published, and that great sections of his œuvre are therefore still to be explored, exploited, and edited. It is no doubt for this reason that Stendhal has been the focus of an intense publishing and literary critical effort over the course of the past two decades.

Notes

1 Quatre volumes (version papier) programmés. Le premier volume est paru: Journaux et papiers, volume 1 — 1797–1804, édition établie par Cécile Meynard, Hélène de Jacquelot et Marie-Rose Corredor (Stendhal, 2013).

2 Sur les présupposés, les sujets, les codes tacites, la langue de bois (qui fonctionne à l’autocensure, à l’euphémisation, à la neutralisation de tous les clivages éthiques, politiques, etc.), sur les intérêts, le mode de fonctionnement de ‘la tradition lettrée’, du ‘champ’ de la critique universitaire, de l’homo academicus, voir Pierre Bourdieu (Citation1975; 1984; 1997).

3 Ce dont témoigne l’ouvrage pionnier de Serge Serodes (Citation1993).

4 Michel Crouzet signe la première monographie sur cette Vie (1982b). Après l’édition diplomatique de Gérald et Yvonne Rannaud, l’autobiographie de Stendhal ayant notablement gagné en notoriété, Philippe Berthier peut la commenter dans un ‘foliothèque’ (2000).

5 Ce théâtre a fait l’objet d’un colloque (en juin 2009, Université de Paris 3) dont les Actes ont été publiés dans L’Année stendhalienne, 11 (2012).

6 Dans le sillage de la nouvelle édition des Chroniques pour l’Angleterre, un premier colloque consacré à ces chroniques s’est tenu à la Sorbonne Nouvelle les 10 et 11 mai 1999; les Actes ont été publiés dans Stendhal journaliste anglais (Berthier et Rey: Citation2001).

7 ‘Le texte stendhalien, marges et bretelles comprises, est un. Rien ne permet d’y isoler cette sorte de super-texte précieusement élaboré ne varietur, l’œuvre de Stendhal. Tout ce que trace la plume de Beyle (ou sa canne, ou son canif, ou Dieu sait quoi) est Stendhal, sans distinction ni hiérarchie’ (Genette, Citation1969: 169). Toutefois, accorder autant d’importance aux textes inaboutis qu’aux textes publiés, aux textes de Beyle qu’à ceux de Stendhal, à ‘l’écrivant’ qu’à l’écrivain (Barthes, Citation1964: 147–54), ne faire aucune ‘distinction’, c’est proprement mépriser et assassiner le travail de ‘l’animal’ (si tout a de la valeur, rien n’en a).

8 Une floraison qui tient bien moins à la (relative) démocratisation de l’enseignement supérieur qu’à un effet pervers de l’instauration de la thèse ‘nouveau régime’ en quatre ans (thèse allégée, moins engageante, moins prenante que la thèse ‘ancien régime’, laquelle était dissuasive, et, de facto, limitait le nombre de thésards sur le marché) qui pousse nombre d’étudiants à faire de la recherche, en dépit de l’absence objective de débouchés, de la raréfaction des postes en lettres (Ansel, Citation2005: 122–24).

9 Une édition des textes de Stendhal portant sur la musique est parue en 1999.

10 Ce pamphlet a fait l’objet d’un colloque international à Bruxelles (23–25 mai 1977); les Actes ont été publiés dans Stendhal, le saint-simonisme et les industriels. Stendhal et la Belgique (Schellekens: 1979). En 2001, Michel Crouzet a publié une édition critique de ce pamphlet.

11 Michel Crouzet (Stendhal, 2006) a donné une édition critique des deux pamphlets (1823, 1825) qui font l’objet d’un numéro thématique (n° 13) de L’Année stendhalienne (2014).

12 Une édition de l’ouvrage est parue en poche en 1996. L’Histoire de la peinture en Italie a fait l’objet d’un numéro (n° 6) de L’Année stendhalienne (2007).

13 Une édition de l’essai est parue en poche en 1980. Le premier colloque international sur De l’Amour s’est tenu à la Sorbonne les 5 et 6 décembre 1996; les Actes de ce colloque (textes réunis par Daniel Sangsue) ont été publiés dans Persuasions d’amour. Nouvelles lectures de ‘De l’Amour’ de Stendhal (1999). En 2014, une nouvelle édition de De l’Amour (présentée et annotée par Xavier Bourdenet) est parue dans la collection Flammarion-GF.

14 Édition critique et génétique (Constantin/Stendhal, 2013).

15 Pour une mise au point sur les principes, les tenants et aboutissants de la critique génétique, voir Pierre-Marc de Biasi (Citation2000).

16 En 1831, résumant ‘The history of his life’, Stendhal note dans son Journal (1981–82, ii: 155): ‘1815: papier noirci’.

17 Seuls les noms connus, les personnalités médiatiques ont l’opportunité de parler de leurs lectures préférées. C’est ainsi qu’interrogée sur ses préférences littéraires, Amélie Nothomb, écrivaine à succès, peut déclarer qu’elle a lu ‘soixante-quatre fois La Chartreuse de Parme’ avant d’avoir un ‘coup de foudre à retardement’ pour Le Rouge et le Noir, roman fétiche qu’elle place désormais au-dessus de tout: ‘Depuis, je ne jure plus que par ce livre. Sa grande réussite, c’est son héros. Julien Sorel est un être odieux, vaniteux, veule, idiot, empoté, qui ne cesse de se tromper, qui accumule les petitesses — et pourtant, on l’aime. [...] Le roman de l’ambition? Quelle sottise! Il n’est pas de plus grand roman d’amour’ (déclaration... d’amour parue dans la rubrique ‘Livre culte’ de la revue Muze (2005: 12).

18 Sur cette ‘classicisation’ de Stendhal après guerre, voir le chapitre 11 (‘Des hussards aux thésards’) de Stendhal en miroir (Berthier, 2007: 239–59).

19 Parce que l’auteur du Rouge est un romancier pour qui la politique tient une place essentielle, parce que, dans tout son œuvre, le ‘coup de pistolet’ se fait entendre, la réception de son œuvre a toujours été fortement politisée — dans son cas, les affinités électives sont aussi, et fatalement, électorales (Ansel, 2003: 586–89) —, jusques et y compris sous le règne hégémonique du structuralisme qui a vu s’opposer Pierre Barbéris (professeur de gauche) et Michel Crouzet (professeur de droite) sur Stendhal. Ce temps n’est plus. Dans le sillage et l’héritage du formalisme, et en stricte conformité avec l’idéalisme de règle dans le monde universitaire, l’immense majorité des études littéraires (les travaux de Laure Lévêque, de Xavier Bourdenet et de François Vanoosthuyse sont des exceptions à la règle) escamote la portée polémique, historique, politique, éthique, idéologique, des textes stendhaliens — ce qui est évidemment trahir le sens même de ces écrits (tous peu ou prou polémiques, engagés).

20 ‘Molière disait, en copiant Cyrano de Bergerac: “Je prends mon bien où je le trouve.” Si mes boocks [sic] arrivent à 1890, qui songera au grain d’or trouvé dans la boue?’ Lettre à Adolphe de Mareste, 19 avril 1820 (Stendhal, 1962–68, i: 1020). Qui? Mais des pléiades et des pléiades de ‘sourciers’ et comptables en tous genres...

21 Pour sa part, l’écrivain, dans les très lucides commentaires qu’il fait de ses propres œuvres, a fait le tri, ‘balayé autour de ses œuvres’ (Kundera, Citation1986: 174–75), a clairement signifié quelles étaient les œuvres qui, pour lui, étaient essentielles, dignes de survivre, de passer à la postérité. Ces œuvres sont au nombre de cinq: Histoire de la peinture en Italie (dans une lettre à Louis Crozet du 30 septembre 1816 [Stendhal, 1962–68, i: 824], Stendhal écrit: ‘Ces deux volumes peuvent avoir cent cinquante ans dans le ventre’. C’est là un propos révélateur: quand l’écrivain fait ainsi crédit à l’avenir, c’est qu’à ses yeux l’œuvre a une valeur certaine), Le Rouge, Lucien Leuwen, la Vie de Henry Brulard et La Chartreuse de Parme (pour ces quatre œuvres, dans la correspondance, les marginalia ou les testaments, l’auteur en appelle expressément à une évaluation future, prend date. Ce rendez-vous posthume n’est accordé ni à Armance — Stendhal estime certes que son roman est moins ‘mauvais’ que ce qu’ont pu en dire ses amis et la critique, mais il n’a jamais pensé/écrit que ce premier roman était un roman durable, un ‘billet gagnant’ — ni aux nouvelles — à ses yeux un genre lucratif à la mode, mais un genre inférieur — ni, évidemment, aux écrits personnels ou de circonstance comme les essais, les chroniques journalistiques, les pamphlets ou les voyages). On ne saurait être plus clairvoyant: pour Stendhal, Stendhal, ce sont ces cinq œuvres. Point final.

22 Certes, tous les écrivains laissent derrière eux des écrits de jeunesse, des ébauches, des projets sans suite, des textes inachevés, mais, dans la littérature française, un écrivain qui laisse des textes aussi importants que Leuwen (avec L’Éducation sentimentale, le plus grand roman politique français), la Vie de Henry Brulard et Lamiel, cela n’existe pas. Et si Stendhal a laissé derrière lui une telle quantité de manuscrits élaborés (je ne parle pas du journal, des lettres, des écrits de jeunesse, etc., de tous les textes écrits sans aucune visée éditoriale, mais des écrits ‘pourpensés’, travaillés, revus et corrigés to print), c’est à cause de ces ‘MM. de la police’, à cause des censeurs (Ansel, Citation2012b: 118–36).

23 Les expressions ‘morale de l’archive’ et ‘morale de l’essentiel’ sont empruntés à Milan Kundera (Citation2005: 114–15).

24 Voir la note 7.

25 Stendhal n’est pas Flaubert pour qui ‘la moindre virgule dépend du plan général’. Lettre à Louise Colet, 26 août 1853 (1998: 256).

26 Lettre à Louis Crozet (ami chargé par Stendhal de veiller à l’impression de De l’Amour), 19 avril 1820 (Stendhal, 1962–68, i: 1020).

Reprints and Corporate Permissions

Please note: Selecting permissions does not provide access to the full text of the article, please see our help page How do I view content?

To request a reprint or corporate permissions for this article, please click on the relevant link below:

Academic Permissions

Please note: Selecting permissions does not provide access to the full text of the article, please see our help page How do I view content?

Obtain permissions instantly via Rightslink by clicking on the button below:

If you are unable to obtain permissions via Rightslink, please complete and submit this Permissions form. For more information, please visit our Permissions help page.