La numérisation de l’activité physique et des loisirs corporels : enjeux individuels et sociaux du « sport connecté »

Abstract

La numérisation de l’activité physique est un processus désormais constaté dans différents secteurs, à propos de modalités plurielles de pratique. Cet article mobilise la littérature en Sciences Humaines et Sociales pour faire état des connaissances produites sur ce phénomène depuis une dizaine d’années. S’efforçant de faire dialoguer des approches disciplinaires complémentaires, il a pour ambition de faire émerger les principaux thèmes abordés dans la littérature, qu’il s’agisse de la diffusion protéiforme des dispositifs connectés, du contexte socioculturel dans lequel elle s’opère, des espoirs et attentes qu’ils font naître, de leurs divers effets, de la pluralité des usages, mais aussi des stratégies et de la communication déployées par les producteurs de capteurs et d’applications mobiles de sport et d’activité physique. Au-delà de l’état des lieux, il s’agit aussi de dresser un programme de recherche et d’identifier des sujets n’ayant pas encore fait l’objet de travaux approfondis.

The digitization of physical activity is a process now observed in different sectors, in relation to a variety of practice methods. This article makes use of the literature on human and social sciences to report on the knowledge produced about this phenomenon over the past 10 years. The aim is to bring together complementary disciplinary approaches and to highlight the main themes addressed in the literature, whether they are the multifaceted diffusion of connected devices, the socio-cultural context in which this occurs, the hopes and expectations raised by these devices, their various effects, their diverse uses, or the strategies and communication deployed by the producers of sensors and mobile applications for sport and physical activity. As well as providing this state of play, the article also aims to draw up a research program and to identify subjects that have not yet been the object of in-depth research.

Mots clés :

• applications
• motivations
• promesses
• sport
• usages

Keywords:

• applications
• motivations
• promises
• sports
• uses

Déclaration

Aucun conflit d'intérêt n'a été rapporté par les auteurs.

Disclosure statement

No potential conflict of interest was reported by the author(s).

Notes

1. Enregistrement et mise en chiffres de soi, conservation de traces de ses activités physiques (Dagiral et al., 2019).

2. Processus consistant à utiliser les principes du jeu pour le non-jeu (Deterding et al., 2011), voire à transposer les mécaniques du jeu à l’ensemble de la vie quotidienne (Triclot, 2011). Dans les applications pour smartphone, la gamification prend la forme assez basique de l’octroi de titres, trophées et récompenses aux plus performants ou assidus. Le jeu est ici surtout entendu au sens particulier de compétition, de défi à relever et de classement.

3. Le concept est utilisé au sens de Borup et al. (2006), selon lesquels dans le domaine technologique, les attentes constituent des représentations en temps réel de futures potentialités. On parle aussi de promesses ou de visions technologiques, termes qui soulignent un caractère subjectivement normatif, tourné vers un état désiré et souhaitable. Par ce biais, les attentes tendent à devenir performatives et offrent un cadrage normatif (par exemple : le sport de demain sera connecté). Ces abstractions et projections modifient le présent, car le futur fonctionne en retour sur lui, notamment pour stimuler l’intérêt des nécessaires alliés : acteurs des réseaux d’innovation et de la réglementation, investisseurs, utilisateurs, etc.

4. L’objectivité est une valeur cardinale du mouvement du quantified self, aux côtés de l’optimisation (procéder à des choix basés sur des connaissances solides et des normes émanant d’experts), des boucles de rétroaction (capacité à réorienter en autonomie ses pratiques en fonction des niveaux de performance attestés par les indicateurs) et du bio-hacking (conduite d’expérimentations sur soi, orientées vers le test de ses propres limites; Calvignac, 2021, en référence à Ruckenstein et Pantzar, 2019). Chez les adeptes du self-tracking, le dernier aspect s’avère généralement le moins prégnant.

5. Ce souci de l’image transmise en ligne amène à des partages sélectifs des données d’activité, afin que les informations visibles soient compatibles avec l’identité travaillée (Smith et Treem, 2016). Ce type d’ajustement consiste par exemple à contextualiser ou justifier, textuellement, une contre-performance, ou à ne pas rendre publiques des sorties peu conformes à la revendication d’un statut de cycliste ou de coureur accompli.