L’Amérique et la mise en abyme dans trois polars francophones contemporains

Abstract

It is very much in style these days in France to write American-style detective novels or thrillers. However, what does this rather vague terminology really refer to? Are we dealing with simple suspense and horror stories which take place in the United States, with situations and scenes echoing those of popular TV series? Or are these hybrid novels, combining highly complex detective plots and thorough sociological investigations about contemporary America? Taking as examples Joël Dicker’s La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (2012), Carole Allamand’s La Plume de l’ours (2013) and Antoine Bello’s Roman américain (2014), we will examine three rather ambivalent representations of America based each time on a contrast between two generations and two key periods: the 1960s and the 2000s. We will also examine three striking devices of mise en abyme and see how they allow the authors to comment on the detective thriller as a genre while playing on the traditional opposition between high-brow literature and popular literature.

Keywords:

• Representations of America
• mise en abyme
• French thrillers

Notes

1 Sur ce point, voir l’intéressante mise au point de Marie Panter, “Le Thriller à l’américaine: Maxime Chattam, Joël Dicker, Jean-Christophe Grangé et Tanguy Viel.” Revue critique de fixxion française contemporaine, vol. 10, 2015, pp. 106–115. Marie Panter rappelle qu’il ne s’agit pas pour le lecteur, en lisant un thriller, « de résoudre une énigme et de désigner un coupable » mais plutôt « d’explorer des fantasmes et de faire l’épreuve en soi d’une fascination pour le mal » (106).

2 En quelques semaines, il s’est vendu plus de 30 000 exemplaires de ce « pavé » de sept cent pages.

3 Joël Dicker, né en 1965, a grandi en Suisse mais il a passé presque tous ses étés depuis l’âge de quatre ans aux États-Unis, en particulier dans le Maine. La Vérité sur l’affaire Harry Quebert est son sixième roman, mais c’est le premier qui se déroule en Amérique et qui emploie le mode narratif à la première personne.

4 Malgré sa méta-narration, le roman de Dicker manque de « panache postmoderne » (55; ma traduction), ajoute Gregory, et les allusions littéraires à Mailer, Salinger et Roth y sont pesantes.

5 Rolin, Jean. Le Ravissement de Britney Spears. Paris, P.O.L., 2011.

6 Viel, Tanguy. La Disparition de Jim Sullivan. Paris, Éditions de Minuit, 2013.

7 S’interrogeant sur le genre policier, Jean Baudrillard discute dans Le Crime parfait (1995) l’élimination de la réalité et la multiplication des simulacres dans le récit postmoderne. Baudrillard résume ainsi sa thèse : « Ceci est l’histoire d’un crime – du meurtre de la réalité. Et de l’extermination d’une illusion – […] l’illusion radicale du monde » (4). Dans les deux polars postmodernes de Jean Rolin et de Tanguy Viel, on observe effectivement ce double mouvement : la déconstruction de l’image de l’Amérique (l’Amérique comme fiction) et le meurtre de la réalité (la multiplication des simulacres).

8 Voir par exemple l’article “Exercice d’admiration: Jorge Luis Borges” publié par Antoine Bello dans Le Magazine littéraire (mai 2009).

9 Voir par exemple l’article “Qu’arrive-t-il à la France?” publié par Antoine Bello dans La Revue des deux mondes (octobre 2014).

10 Dans son étude fondamentale sur le roman américain, La Prairie perdue, Jacques Cabau montre comment ce thème de la perte de l’innocence est lié à la clôture de la frontière (La Prairie perdue: Le Roman américain. Paris, Éditions du Seuil, 1981). Bello reprend cette idée dans un chapitre d’Éloge de la pièce manquante (1998), « Le roman policier pendant la grande dépression », en notant à quel point les polars de cette période « constituent un fidèle reflet de leur époque tiraillée entre l’appât du gain et la soif de pureté » (230).

11 Le roman de Bello présente un décor neutre et le plus souvent schématique. Les péripéties de l’intrigue sont décrites par Siver et Eisinger dans leur correspondance, et ceux-ci n’ont aucune raison de s’attarder sur le décor qui leur est familier.

12 Voir notamment les pages 206–207. Ces articles, très sérieusement documentés mais aussi illustrés, contribuent beaucoup à « l’effet de réel » recherché par l’auteur.

13 Voir notamment les pages 164–169 où Siver décline avec humour trois versions possibles de sa propre nécrologie. Une véritable réflexion sur les lois de ce genre narratif et journalistique mineur, la nécrologie, est présentée aux pages 160–163 lorsque Wiggin envisage de créer un logiciel automatique de rédaction nécrologique, NecroLogos.

14 Ce jeu virtuose avec la mise en abyme et le refus du pittoresque américain constituent les marques de fabrique des polars de Bello : on les retrouve dans Éloge de la pièce manquante (1998) et, plus récemment, dans L’Homme qui s’envola. Paris, Éditions Gallimard, 2017.

15 Un passage tragi-comique du roman décrit le colloque organisé non sans mal par la jeune biographe à New York, le 11 septembre 2001, le jour même de l’effondrement des Twin Towers. Ce colloque, qui devait assurer la carrière universitaire de la jeune femme, tourne évidemment au désastre …

Additional information

Notes on contributors

Bruno Thibault

Bruno Thibault is the Edward Rosenberg professor of French literature at the University of Delaware. He is the author of four books: Paul Morand: Du modernisme au pétainisme (Summa, 1992), Danièle Sallenave et le don des morts (Rodopi, 2004), J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique (Rodopi, 2009), Un Jésus postmoderne: Les Réécritures romanesques contemporaines des Évangiles (Brill, 2016), as well as over sixty scholarly articles on contemporary French literature and film. Bruno Thibault is currently serving as director of the Chiasma collection, a series on modern and contemporary French and francophone literature and film, published by Brill.