![Sample our Social Sciences journals, sign in here to start your FREE access for 14 days]({"type":"image" , "src" : "/sda/110822/TOC-Subject-Sample-2021-Social-Sciences.jpg"})
Abstract
Depuis une dizaine d'années, la formation des armées africaines au maintien de la paix constitue l'axe majeur des politique de sécurité mises en œuvre en Afrique aussi bien par les Etats occidentaux que par les organisations multilatérales et les organisations non-gouvernementales. Le propre de ces formations est d'introduire dans les parcours d'instruction militaire, au-delà des seules techniques nécessaires à la conduite des opérations sur le terrain, des compétences non-militaires, sous-tendues par des prescriptions d'ordre éthique et politique. En effet, la culture du maintien, qui a émergé sur la scène internationale à la faveur des interventions de gestion de crises, renvoie aux normes et aux valeurs dont la prévalence est censée permettre l'instauration de relations pacifiques au sein d'une société donnée. Le recours au concept de culture stratégique permet de saisir la nature de ces normes et valeurs du maintien de la paix introduites dans les cursus de formation militaire et transmise à la fois par les acteurs traditionnels que sont les coopérants militaires mais aussi par les acteurs nouveaux que sont les ONG, désormais étroitement associées aux programmes d'instruction. Le recours à la notion de «culture tactique», apparaît également comme un instrument d'analyse utile. A la culture militaire jusqu'ici diffusée au sein des armées africaines – culture qui peut être qualifiée de «polarisée», vient se superposer la culture tactique du maintien de la paix dont le propre est d’être «consensuelle». La notion de culture tactique se révèle également pertinente pour évaluer la signification que revêtent les normes internationales du maintien de la paix aux yeux des acteurs auxquels elles sont transmises, en l'occurrence les militaires africains. Il est ainsi possible de postuler que ces mêmes normes non seulement influent sur les comportements adoptés par les militaires africains sur le terrain, mais aussi qu'elles influent sur leurs conceptions du politique et sur leurs itinéraires sociaux et professionnels.
Notes
1. Cette étude se fonde sur les observations effectuées lors d'un séjour de recherche effectué au sein des quatre écoles militaires de Koulikoro (Mali) en avril 2004 et mars 2005. C'est au sein de l'Ecole de maintien de la paix (EMP) que sont formés le plus grand nombre de stagiaires (depuis 1999, environ un millier en provenance de toute l'Afrique francophone). C'est au sein de cette école que sont conçus les programmes de formation au maintien de la paix qui sont également destinés aux trois autres écoles, soit l'Ecole militaire-interarmes (EMIA) au sein de laquelle sont formés les futurs officiers, l'Ecole d'Etat-Major (EEM) chargée de dispenser le niveau secondaire de formation des officiers, l'Ecole militaire d'administration (EMA), qui a pour objectif de former les officiers et sous-officiers africains aux techniques de gestion, de planification et de programmation. Le terrain d'investigation des écoles militaires du Mali est particulièrement riche car trois de ces écoles – l'EMP, l'EMA et l'EM – sont des ENVR (Ecoles nationales à vocation régionale) qui accueillent des stagiaires en provenance de l'ensemble de la sous-région. La quatrième – l'EMIA – est une école nationale mais qui accueillait également lors du séjour d’étude des stagiaires en provenance de Guinée et du Niger. Ces écoles sont soutenues par les services de la coopération militaire française (DCMD –Direction de la coopération militaire et de défense).
2. C'est pourquoi nous ne retiendrons pas ici la définition de la «culture stratégique du maintien de la paix» proposée par Michel Liégeois, concept désignant «au sein d'une organisation donnée, l'ensemble des idées et des attitudes qui, par l'accumulation de l'expérience opérationnelle, se sont progressivement imposées en ce qui concerne les modalités d'usage de l'outil militaire pour contribuer, en tant que tierce partie, au maintien de la paix et à la résolution des conflits» (Liégeois Citation2003) Cette définition, tout comme la plupart des textes consacrés au maintien de la paix, ont tendance à le réduire à une entreprise quasi strictement onusienne.
3. Roland Paris recourt notamment à des entretiens menés avec les décideurs chargés de la définition des stratégies de maintien de la paix.
4. Cette définition est proche de celle proposée par Laurent Henninger, pour lequel la culture tactique et opérationnelle désigne «l'ensemble de savoir-faire, de valeurs, de représentations et de choix concourrant tous à la mise en œuvre de pratiques guerrières spécifiques à une arme». Elle est cependant plus large puisqu'elle considère que la culture tactique renvoie aux valeurs et savoirs d'une armée dans son ensemble et non pas seulement d'une arme (Henninger Citation2001).
5. L'influence indirecte de la diplomatie canadienne sur les formations dispensées aux armées africaines transparaît à travers l'importance fondamentale accordée au concept de sécurité humaine. L'Etat français, qui soutient et subventionne les écoles militaires malienne et est à l'origine de la création de l'EMP du Mali, n'a en revanche pas fait de ce concept un élément structurant de sa politique étrangère et de sécurité et ne souscrit pour l'heure officiellement en rien à cette doctrine (Ramel Citation2003). Il est donc intéressant de constater que l'implication du Centre Pearson dans la formation a pour résultat d'introduire un concept dont la pertinence n'est pas reconnue par l'Etat français lui-même. Il est possible de conclure que la culture tactique peut contribuer à diffuser des concepts sans que ceux-ci soient nécessairement promus à l’échelle stratégique.
6. «Bonnes pratiques dans l'administration du Travail: le rôle d'une administration du travail dans les pays sortant d'un conflit armé», texte de l'OIT cité par le Manuel d'enseignement du Centre Pearson 2005.
7. Bien que l'opposition entre ‘culture politique polarisée’ et ‘culture politique consensuelle’ aient été employée par Almond et Powell (Almond et Powell Citation1978), il ne s'agit ici en aucun cas d'adopter une approche systémique comparable à celle retenue à propos de la culture politique qui est fondée sur l'idée d'une autonomisation rigide de la culture, qui tend à nier l'idée même de valeur explicative de la culture.
8. Il est cependant intéressant de remarquer que les soldats américains éprouvent cependant de réelles difficultés à adapter leur culture de combat dans les contextes de pacification, ainsi que le démontrent les avatars de l'expérience irakienne.
9. D'où l'aspiration de beaucoup à bénéficier de formations plus approfondies avant d’être envoyé sur le terrain. La formation apparaît comme trop accélérée.
10. Le texte de l'OIT relatif à aux activités de réinsertion des combattants démobilisés reconnaît d'ailleurs, dans le processus DDR mis en œuvre au Mozambique, «les institutions de l'Etat ont été exclues de la mise en œuvre des programmes, ce qui a engendré des structures parallèles et a privé les institutions nationales d'un renforcement de leurs capacités en termes de moyens et de savoir-faire».
11. Cette approche consistant à considérer la culture du maintien de la paix comme une ressource dont la détention est susceptible de susciter des rivalités au sein de l'institution militaire, elle-même considérée comme un champ, est inspirée de l'approche retenue par Françoise Bourdarias à propos des ONG (Bourdarias Citation2003).
12. Bernard Boëne a pu faire le même constat à propos des officiers supérieurs des armées occidentales instruits des principes de la gestion de crise, proches à bien des égards de ceux du maintien de la paix.