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LHB
Hydroscience Journal
Volume 107, 2021 - Issue 1
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Research Article

Analyse coût-bénéfice du programme d’actions visant à réduire les impacts du ruissellement et de l’érosion en Haute-Normandie : évaluation des actions passées et projections futures sur le bassin versant de la Lézarde

Cost-benefit analysis of past and future actions in the context of an erosion and surface runoff impacts’ mitigation program in Upper-Normandy: The case of the Lezarde watershed

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Pages 1-10 | Published online: 24 May 2021

RESUME

Les départements de Seine-Maritime et de l’Eure sont très sensibles aux ruissellements. Des investissements ont été réalisés ces dernières années pour réduire les risques associés à ces processus. Pourtant l’efficacité de cette politique publique n’a pas été évaluée. À l’échelle d’un bassin pilote (la Lézarde, 212 km2), cette étude originale combine la modélisation en parallèle du ruissellement (MIKE11), des transferts sédimentaires (WaterSed), et une analyse coût-bénéfice selon différents scénarios d’aménagement du territoire et trois pluies de projet. Les simulations suggèrent que les ouvrages hydrauliques structurants sont économiquement efficients (bénéfice/coût~2). En conséquence du réchauffement planétaire il est très probable que les dommages par inondation augmentent. En parallèle, il est très probable que le montant des dommages évités augmente aussi du fait d’une sollicitation plus fréquente des ouvrages existants. L’efficience économique des ouvrages d’hydraulique douce, en complément des ouvrages d’hydrauliques structurants, n’est pas démontrée par nos simulations. La modification du paysage agricole aura une influence sur l’évolution des dommages: en modifiant les pratiques culturales, une réduction significative des dommages est attendue (-250 k€2000 an−1), et en réduisant d’un tiers les surfaces en herbe, une augmentation des dommages sera significative (+400 k€2000 an−1). La méthodologie développée dans cette étude pourrait être appliquée sur d’autres territoires afin d’évaluer les stratégies d’interventions publiques de lutte contre l’érosion et le ruissellement.

ABSTRACT

The Seine-Maritime and Eure areas are highly vulnerable to surface runoff impacts, such as floods and mudflows. Recent years saw massive investments in public policies to reduce the risks associated with those hazards, however, the policies effectiveness has never been assessed. This original study combines the parallel modelling, at the watershed scale (Lézarde, 212 km2), of runoff (MIKE11) and sediment transfer (WaterSed), with a cost-benefit analysis of the mitigation program for different scenarios (past, present, future, and modified agricultural practices scenarios), with three designed storm project simulations for each scenario. The results from the simulations suggest that structural hydraulic structures (i.e. dams and retention ponds) are effective in terms of damage mitigation and economically efficient (benefit/cost ~ 2). As a result of global warming it is very likely that flood damages increase. At the same time, it is very likely that the amount of avoided damages also increases due to more frequent use of existing hydraulic structures. While soft erosion control measures can trap a significant amount of sediment, the lack of sufficient economic data did not allow us to integrate all the benefits from those measure. The economic efficiency of soft erosion control measures, in addition to structural hydraulic structures, was not demonstrated by our simulations. The modification of agricultural practices has a large influence on flood’s potential damage: (i) a significant reduction of damage is expected by modifying agricultural practices (-250 k€2000 yr−1), (ii) a significant decrease of damage is observed by reducing grassland areas by a one third (+400 k€2000 yr−1). This study shows the relevance of parallel modelling to assess the effectiveness and economic efficiency of anti-erosion/surface runoff actions. It also shows that it is necessary to develop new damage functions associated with these processes. Finally, the methodology developed in this study can be applied to other territories to evaluate public intervention strategies for erosion and runoff control.

1. Introduction

Les départements de Seine-Maritime et de l’Eure sont caractérisés par une très forte sensibilité aux ruissellements sur l’ensemble du territoire. La forte densité d’inondations par ruissellement et de coulées boueuses au km2 classe la région au second rang français (Le Bissonnais et al., Citation2002). Au début des années 2000, des inondations de grande ampleur ont notamment causé d’importants dégâts matériels et des pertes humaines sur la région (exemple de juin 2003 en Seine-Maritime : 70 M€ de dommages, 1 décès et plusieurs blessés). Par ailleurs, un problème de turbidité aux captages d’eau potable affecte la région, avec 50% des points d’alimentation touchés au moins une fois et un coût estimé à 5M€ depuis les années 1992 (ARS, Citation2013 ; Patault et al., Citation2019). Ces particularités régionales résultent de la conjonction de plusieurs facteurs : nature des sols, types et systèmes d’agriculture, occupation des sols, réduction de l’élevage, nature karstique du sous-sol, forte densité de pertes ou bétoires dans les talwegs, ou encore paysage de grandes cultures. Des stratégies d’actions ont été développées à la fin des années 90 pour lutter contre ces phénomènes d’inondation par ruissellement et de coulées boueuses. Ces stratégies ont fondé la politique régionale conduite depuis le début des années 2000 dans la lutte contre les inondations par débordement de cours d’eau, et les inondations par ruissellements et coulées de boues. La mise en œuvre et le développement des actions a ainsi été favorisé par la création d’outils d’accompagnement y compris financiers, qui ont évolué au cours des années 2000–2015 pour rendre les politiques plus efficaces ou s’adapter aux évolutions du contexte réglementaire. Mais après plus de 15 années de développement d’actions préventives et correctives sur les bases établies en 2000, se pose la question de la poursuite de ces actions : selon quelle direction, quels objectifs, et quels financements ? L’objectif de cette étude est ainsi d’évaluer le programme d’actions publiques mené depuis 2000 visant à réduire les impacts du ruissellement et de l’érosion, et de proposer des éléments d’aide à la décision pour une éventuelle adaptation et/ou réorientation si besoin de la stratégie d’intervention publique au regard de différentes évolutions possibles des pratiques agricoles et du climat (évaluation ex-post : 2000–2018 et ex-ante : 2018–2050). Pour cela, cette étude propose deux modélisations en parallèle des processus d’inondation par débordement de cours d’eau et d’inondation par ruissellement et coulées de boues, et une analyse coût-bénéfice sur un bassin versant pilote de la Seine-Maritime particulièrement exposé à ces risques (bassin versant de la Lézarde). Les modélisations sont réalisées pour trois pluies de projet selon différents scénarios permettant d’évaluer la stratégie d’intervention publique passée et de simuler des évolutions futures probables.

2. Site d’étude

Le bassin versant de la Lézarde (212 km2) est situé dans la partie Nord-Ouest du département de Seine-Maritime en France (). La Lézarde est le dernier affluent en rive droite de la Seine. La Lézarde prend sa source à Saint-Martin-du-Bec (47 m NGF) et rejoint le canal de Tancarville à Gonfreville l’Orcher pour déboucher dans l’estuaire de la Seine (linéaire de 14 km). La pluviométrie moyenne annuelle varie de 750 à 850 mm et la région du Havre est la plus arrosée de Haute-Normandie avec un gradient annuel allant de 700 mm à 1000 mm. La texture du sol est principalement limono-sablo-argileuse dans la partie Est du bassin versant, limono-sableuse dans la partie Ouest, et limoneuse dans les talwegs. Les terres arables représentent 50% du territoire (mixte culture d’hiver, culture précoce/tardive de printemps), les prairies 16%, les espaces urbanisés 12,3%, et les forêts 6,3%. Le reste du territoire est occupé par des espaces industriels, mixtes, des espaces verts artificialisés, et les eaux continentales.

Figure 1. (Gauche) Carte de localisation du bassin versant de la Lézarde (Seine-Maritime, France) ; (Droite) Axes de ruissellement et emprise de modélisation des modèles MIKE et WaterSed.

Figure 1. (Gauche) Carte de localisation du bassin versant de la Lézarde (Seine-Maritime, France) ; (Droite) Axes de ruissellement et emprise de modélisation des modèles MIKE et WaterSed.

3. Méthode

L’analyse coût-bénéfice (ACB) du programme d’actions publiques mené pour lutter contre les impacts du ruissellement et de l’érosion nécessite en entrée des cartographies de l’aléa inondation et coulée de boue. En l’état actuel des connaissances, aucun modèle n’est en mesure de simuler à la fois les inondations par débordement de cours d’eau, les inondations par ruissellement et les coulées de boue. Par conséquent, deux modèles complémentaires ont été utilisés sur le bassin versant de la Lézarde. La suite de modèles MIKE, développée par DHI (DHI, Citation2017), a été utilisée pour modéliser l’aléa d’inondation par débordement de cours d’eau dans les principales vallées. En complément, le modèle WaterSed, développé par le BRGM [Landemaine, Citation2016], a été utilisé pour modéliser l’aléa inondation par ruissellement et l’aléa de coulée de boue sur les versants. Chaque modèle ayant ainsi son propre périmètre d’application ().

3.1. Modélisation de l’aléa inondation par débordement de cours d’eau

L’aléa inondation par débordement de cours d’eau sur le bassin versant de la Lézarde est modélisé avec la suite de modèles MIKE (DHI, Citation2017) qui comprend : (1) la modélisation des ruissellements dans les talwegs secs en amont (Mike Hydro River 2019 utilisé pour la partie hydrologie et hydraulique 1D), et (2) le modèle de rivière (MIKE Flood modèle hydraulique global). Le modèle de rivière, issu d’une étude de 2006 sur la vallée de la Lézarde, a été complété et mis à jour pour prendre en compte les ouvrages de rétention situés dans les talwegs secs en amont de la rivière (bassins et barrages en terre). Le bassin versant de la Lézarde fait l’objet d’un découpage en neuf sous-bassins versants. La méthode pluie-débit utilisée sur chacun de ces sous bassins versants est la méthode unit hydrograph method (UHM) développée par le soil conservation service (SCS, Citation1972), adaptée au ruissellement de type hortonien. Elle fait intervenir un paramètre de ruissellement nommé curve number (CN), dont les valeurs ont été adaptées à partir d’observations sur le Pays de Caux (AREAS, Citation2013). Le CN d’un sous-bassin versant est obtenu par moyenne pondérée de la proportion de chaque occupation du sol. Les données d’occupation du sol proviennent de l’observatoire des sols à l’échelle communale (OSCOM) de 2016. Le fonctionnement de chaque ouvrage est intégré via la modélisation hydraulique 1D par un orifice de fuite, un seuil représentant la surverse et la crête, et des profils en travers pour la géométrie de la zone de rétention. Les débits sortants des ouvrages sont ensuite injectés dans le modèle 2D. Seuls les ouvrages de plus de 5 000 m3 sont pris en compte afin de simplifier la construction du modèle, tout en conservant une bonne représentativité. Le modèle intègre donc 53 ouvrages (sur environ 200 ouvrages recensés), pouvant stocker 950 000 m3 soit environ 75% du volume total (source bdcastor.fr). L’abattement de la pluie a été calibré en fonction des débits connus sur la Lézarde puis un abattement spécifique à chaque sous-bassin versant a été appliqué. Les débits issus des modélisations hydrologiques en talwegs secs sont ensuite injectés en entrée du modèle « rivière ». Le modèle est calé sur l’évènement historique de référence, pour lequel le débit mesuré à la station de Montivilliers atteint 12,90 m3/s, pour une pluie de 90 mm sur 24h (mesurée à la station Météo France du Cap de la Hève). Les débits de pointe simulés sont cohérents avec les valeurs observées à la station (de -6,5% à 0%). La cartographie de l’aléa inondation est basée sur le relevé altimétrique du référentiel à grande échelle (RGE ALTI® – IGN). Le modèle fournit 4 couches d’aléa pour chaque couple scénario x période de retour : 2 couches d’aléa « hauteur d’eau » (pour la rivière et pour les principaux talwegs secs) et 2 couches d’aléa « vitesse d’écoulement ». À noter que le modèle utilisé ici ne permet pas de représenter les pertes par infiltration des eaux de ruissellement dans les vallées sèches et le karst. C’est une limite des modèles semi-distribués dans le contexte régional.

3.2. Modélisation de l’aléa inondation par ruissellement et coulées de boues

Le modèle WaterSed est un modèle non-dynamique distribué simulant le ruissellement et l’érosion des sols depuis l’échelle de la parcelle à celle du bassin versant pour un évènement de pluie donné [Landemaine, Citation2016]. Calibré et/ou validé dans de nombreux contextes (Normandie, Mayotte, Champagne, Japon, etc.) cet outil permet d’évaluer l’impact de mesures préventives et curatives (aménagements d’hydraulique douce, mares, etc.) ou encore de prévoir les conséquences de scénarios futurs d’occupation des sols et de changements climatiques. La construction du modèle hydraulique s’est concentrée sur les versants et dans les talwegs, en veillant à respecter les chemins d’écoulement des eaux depuis la ligne de partage des eaux jusqu’aux cours d’eau permanents et à prendre en compte l’ensemble des ouvrages hydrauliques susceptibles de modifier la réponse hydrologique du bassin (barrages, mares, bassins, etc.). La topographie du bassin versant de la Lézarde est issue du modèle numérique de terrain (MNT) de l’IGN de résolution 1m (RGE ALTI® 1m). Afin d’optimiser le ratio description du paysage/temps de modélisation, ce MNT a été agrégé à une résolution de 5m, ce qui constitue les sorties de la modélisation hydrologique. Les artefacts (pics et cuvettes) ont été corrigés sur ce MNT brut afin de garantir un gradient de pente continu depuis la ligne de partage des eaux jusqu’à l’exutoire du bassin versant et avoir ainsi un écoulement continu du ruissellement. Les axes de ruissellement ont été digitalisés à partir de quatre sources de données (le réseau d’axes de ruissellement existant, les cours d’eau permanents et intermittents de la BD TOPO de l’IGN, le réseau brut calculé à partir du MNT, et les orthophotographies de la BD ORTHO). Les ouvrages de gestion des eaux de ruissellement existants ont été récupérés dans la base de données bdcastor.fr et dans la base de données de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole (LHSM). Les coordonnées de chaque ouvrage ont été vérifiées par photo-interprétation, et la cartographie des axes de ruissellement a été contrainte de façon à garantir une interconnexion de tous les ouvrages. 247 ouvrages ont été inventoriés pour une capacité de stockage totale de 1 477 000 m3. Les aménagements d’hydraulique douce existants sont également intégrés au modèle hydraulique (57 fascines, 46 haies, 1 aménagement de bétoire). La cartographie de l’occupation des sols 2016 a été construite par intersection géométrique entre la cartographie de l’OSCOM de 2016 et le registre parcellaire graphique (RPG) de 2016. La cartographie des sols a été obtenue auprès du référentiel pédologique régional de Haute-Normandie (RRP HN) à une échelle 1/250 000e afin d’obtenir une cartographie simplifiée des textures des sols dominantes. L’extraction des textures de sols permet ainsi de déduire un niveau d’érodibilité. La paramétrisation du modèle WaterSed consiste à affecter à chaque couple « sol/occupation du sol » des propriétés hydrodynamiques utilisables par le modèle WaterSed. À partir de nombreuses observations réalisées sur les sols cultivés du Nord de la France, trois facteurs majeurs sont identifiés (couvert végétal, état de dégradation structural, et rugosité ; Cerdan et al., Citation2002). Des règles de décisions, adaptées au contexte local permettent ainsi de déduire, à partir des états de surface des sols, les propriétés physiques des sols. Le modèle nécessite ensuite une première étape de calibration des valeurs des paramètres du moteur hydrologique et sédimentaire, et celle-ci est réalisée sur une crue de référence. Le choix s’est porté sur la station de Montivilliers (17 ans de mesures de débit à pas de temps horaire), et la crue du 21 au 24 janvier 2018 (). Cette crue est caractéristique d’une crue d’hiver intervenant sur sol saturé et permet de prendre en compte l’ensemble des ouvrages existants. Le volume et le débit de pointe de ruissellement prédits pour cette crue sont cohérents avec les valeurs observées (respectivement +0,9 % et +3,1 % ; Landemaine, Citation2020). La crue de validation est celle de juin 2003, crue de référence sur le bassin versant de la Lézarde qui avait engendré d’importants dommages sur le territoire. Le volume de ruissellement prédit est sous-estimé pour cette crue (-32,5 %) contrairement au débit de pointe de ruissellement (-0,4 %). Le modèle hydraulique et hydrologique construit pour 2018 a été appliqué à la crue datée de 2003, or la capacité de stockage est nettement supérieure pour la crue de calibration. Cette baisse de performance sur le volume de ruissellement est très probablement due à l’impact du modèle hydraulique de 2018. Les auteurs sont conscients que cette baisse de performance peut avoir eu comme conséquence la sous-estimation de l’enveloppe de ruissellement sur les versants et talwegs secs (et du montant des dommages associés) pour le scénario de référence sans aucun ouvrage. Cette spécificité ne s’est en revanche pas propagée aux autres scénarios et n’impacte pas la significativité des résultats de l’ACB.

Tableau 1. Caractéristiques des pluies utilisées pour la calibration et la validation du modèle WaterSed

3.3. Définition des pluies de projet et des scénarios

Chaque scénario est testé selon trois pluies de projet et les cumuls de pluie sont identiques pour MIKE et WaterSed (). Chaque pluie de projet correspond à un orage violent estival intervenant sur sol sec, caractérisé par une intensité pluvieuse importante tel qu’observé classiquement sur la ceinture lœssique Nord-Européenne (Evrard et al., Citation2007). Les évènements de périodes de retour plus faibles sont généralement observés en hiver pour des faibles cumuls de pluie sur sol saturé (Le Bissonnais et al., Citation2002). Huit scénarios qui tiennent compte des actions passées sur le bassin versant de la Lézarde et des évolutions futures probables () permettent d’alimenter l’ACB. 3 scénarios de base en situation actuelle avec/sans actions sont utilisés pour évaluer l’efficacité des actions. 1 scénario d’aménagement ambitieux est simulé afin d’évaluer l’efficacité d’un programme d’aménagement hydraulique douce mené à terme. Et 4 scénarios prospectifs avec actions sont simulés pour évaluer leur efficacité dans les contextes futurs possibles. Considérant que les ouvrages hydrauliques structurants visent à protéger des inondations par débordement de cours d’eau et que l’hydraulique douce a pour objectif de lutter contre les inondations par ruissellement et coulées de boues, les résultats sont comparés à deux scénarios de référence différents.

Tableau 2. Caractéristiques des pluies de projet utilisées dans le cadre de cette étude

Tableau 3. Synthèse des scénarios utilisés pour la modélisation des aléas et l’analyse coût-bénéfice

3.4. Analyse coût-bénéfice

L’évaluation économique est réalisée sur le bassin versant de la Lézarde selon un horizon temporel de 50 ans (2000–2050). Le taux d’actualisation est fixé à 2,5% (CGSP, Citation2013). Les fonctions de dommages utilisées sont celles proposées dans le guide de référence (CGDD, Citation2018) exprimées en €2016. Ces valeurs ont donc été corrigées de l’inflation et ramenées en €2000. Les montants de dommage aux logements, aux établissements économiques, et aux établissements publics ont été corrigés par un coefficient de 0,67 calculé à partir de l’indice du coût de la construction (ICC). Les montants de dommages aux activités agricoles ont été corrigés par un coefficient de 0,72 calculé à partir de l’indice mensuel des prix agricoles de la production (IPPAP). Le calcul économique est toutefois réalisé en monnaie constante, la valeur en €2000 est utilisée pour l’ensemble de l’horizon temporel d’évaluation. L’évaluation des coûts directs a été réalisée en concaténant les enveloppes d’aléa des deux modèles sur lesquelles ont été appliquées les fonctions de dommages surfaciques. Le calcul des dommages (et donc l’application des fonctions de dommage) intègre les paramètres issus des résultats de modélisation suivants : la hauteur de submersion, la vitesse d’écoulement, la durée de submersion, et la saisonnalité de l’évènement. Les coûts indirects ne sont pas évalués. Pour le calcul du dommage moyen annuel (DMA), un aléa de premiers dommages (6 mois) et un aléa d’occurrence extrême ont été considérés (évènement centennal majoré par un coefficient de 1,5 ; Erdlenbruch et al., Citation2008). Les enjeux ont été caractérisés à partir de la BD TOPO 2016 fournie par l’IGN et d’après l’emprise spatiale des premiers résultats de modélisation. Des données complémentaires ont été ajoutées à partir d’orthophotos aériennes, de Google Street View, et de visites de terrain. Un nettoyage des faux bâtis et des bâtis non éligibles à l’application des fonctions de dommages a été réalisé. Finalement, ce sont 2 070 bâtis qui sont retenus pour l’ACB (sur 3 044 initialement, et représentant 3% de la surface totale de bâti exposée avant nettoyage de la couche SIG). N’ayant pas de fonctions d’endommagement de référence, les dommages aux infrastructures de réseaux (transport, télécommunication, eau, énergie) n’ont pas pu être pris en compte, puisque leur évaluation est très incertaine (Meyer et al., Citation2013 ; Hammond et al., Citation2015). Pour les aménagements d’hydraulique structurante, un coût d’investissement et d’entretien moyen a été estimé à partir d’entretiens avec les collectivités locales (). Pour les aménagements d’hydraulique douce, les coûts ont été établis à partir de la littérature existante. Ces coûts ont ensuite été corrigés de l’inflation à partir de l’indice du coût de production des travaux publics (ICP-TP). Le coût des curages ponctuels post-évènement dans les ouvrages a pu être pris en compte grâce aux résultats de modélisation de WaterSed. Un forfait de 20 € HT/m3 curé et évacué a été établi sur la base des discussions avec les gestionnaires des ouvrages.

Tableau 4. Synthèse des coûts d’investissements et d’entretiens pour les ouvrages structurants et d’hydrauliques douces considérés dans l’étude

Les coûts forfaitaires utilisés dans le modèle économique correspondent au calcul d’un coût total actualisé (CTA) à 2,5% sur 50 ans. Le CTA est composé de l’investissement (année 0) et de l’entretien (années suivantes) des ouvrages conformément aux coûts de référence présentés. Les CTA sont exprimés en €2000. La date exacte de création des ouvrages n’étant pas toujours connue, les CTA de tous les ouvrages intégrés dans les scénarios de niveau d’équipement actuels sont lissés entre l’année 2000 (pas d’ouvrage) et l’année 2018 (situation actuelle). La réduction progressive des dommages est calée au même rythme que celui de création des ouvrages. Les résultats de l’ACB sont analysés selon plusieurs indicateurs synthétiques : le DMA pour synthétiser les dommages subis par le territoire selon les différents évènements modélisés ; le dommage évité moyen annuel (DEMA) qui synthétise les bénéfices monétaires totaux avec les actions d’adaptation. À partir du DEMA et des coûts du projet, la valeur actualisée nette (VAN) est calculée pour mesurer les flux économiques générés par le projet selon l’équation (1) :

(1) VAN=BTACTA= i=050DEMAi1+tii=050CIi+CEi1+ti(1)

où BTA indique les bénéfices totaux actualisés, CTA les coûts totaux actualisés, DEMAi les DEMA de l’année i, t le taux d’actualisation, CIi les coûts d’investissements de l’année i, et CEi les coûts d’entretien de l’année i. Le dernier indicateur utilisé est le ratio bénéfice/coût (B/C ; soit BTA/CTA) qui permet d’interpréter le retour sur investissement de chaque euro investi dans le projet. Pour plus de détails sur le calcul de ces indicateurs, le lecteur est invité à consulter le guide méthodologique de l’analyse multicritère des projets de prévention des inondations (CGDD, Citation2018).

4. Résultats et Discussion

4.1. Approche globale

Le montant des dommages causés par les inondations et coulées de boues est très important. Il s’élève à 32 M€2000 pour une pluie centennale, sans aucun aménagement sur le bassin, qu’ils soient structurants ou d’hydraulique douce. Pour cette même pluie de projet, les dommages s’élèvent à 23 M€2000 selon la situation actuelle avec aménagements ce qui montre un effet positif des actions publiques engagées (). De plus, les indicateurs économiques sont positifs, avec un DEMA de 2,2 M€2000 et un ratio B/C de 1,55 (). Les résultats sont fortement influencés par les modifications agricoles. En effet, un retournement de 33 % des prairies existantes entraîne une diminution du DEMA à 1,8 M€2000, et une diminution du ratio B/C à 1,47. À l’inverse, l’amélioration des pratiques agricoles sur 50 % des terres cultivées entraîne une augmentation du DEMA à 2,5 M€2000, ainsi qu’une augmentation du ratio B/C à 1,6. Le scénario d’aménagement d’hydraulique douce ambitieux proposé obtient des résultats mitigés. En effet, outre une légère augmentation du DEMA de seulement 10 k€2000 par rapport au scénario actuel, le ratio B/C chute à 1,34. Il semble que les bénéfices ne soient pas à la hauteur des dépenses. Enfin, en prenant en compte une augmentation des intensités de pluie dans l’hypothèse d’un réchauffement climatique plus ou moins soutenu, l’analyse montre une efficacité et une efficience économique accrue des ouvrages existants avec un DEMA compris entre 2,6 et 3,4 M€2000 et un ratio B/C compris entre 1,62 et 1,76.

Figure 2. Illustration des sorties de modèle pour la pluie centennale (hauteur d’eau en m ; WaterSed en vert et MIKE en bleu) et des enjeux exposés. Zoom à proximité de la commune de Montivilliers pour le scénario ref0 sans aucun ouvrage.

Figure 2. Illustration des sorties de modèle pour la pluie centennale (hauteur d’eau en m ; WaterSed en vert et MIKE en bleu) et des enjeux exposés. Zoom à proximité de la commune de Montivilliers pour le scénario ref0 sans aucun ouvrage.

Figure 3. Indicateurs synthétiques de l’ACB sur le bassin versant de la Lézarde avec les deux modèles.

Figure 3. Indicateurs synthétiques de l’ACB sur le bassin versant de la Lézarde avec les deux modèles.

4.2. Zoom sur l’aléa inondation par débordement de cours d’eau

Le montant des dommages causés par les inondations se trouvent être très important pour la situation de référence sans aménagement (Ref0). Les coûts directs relatifs à une pluie décennale, cinquantennale, ou centennale s’élèvent respectivement à 9,4; 17,7 ; et 29,4 M€2000, avec un DMA à 3,5 M€2000 (). Les dommages aux établissements économiques sont les plus importants, et représentent plus de 70 % du montant. Pour les scénarios « Actu », « Herb », et « Agr », le montant des dommages est inférieur à la situation de référence et les DEMA se situent entre 1,8 et 2,4 M€2000. On observe une influence significative de la modification des pratiques agricoles. Ainsi, une réduction des surfaces en herbe tend à augmenter l’aléa et de cause à effet, le montant des dommages de 14%, alors qu’une amélioration des pratiques agricoles en faveur de l’infiltration permet de réduire l’intensité des dommages à hauteur de 18%. Le CTA des ouvrages d’hydraulique structurante pris en compte s’élève à 22,6 M€2000. L’efficience du programme d’investissement pour les ouvrages structurants sur le bassin versant de la Lézarde sur les 18 dernières années est avérée avec une VAN à 21,5 M€2000 et un ratio B/C qui atteint presque 2. La modification des pratiques agricoles sur les phénomènes d’inondation produit des résultats significatifs malgré une faible sensibilité des indicateurs synthétiques, qui s’explique du fait que les effets sont visibles principalement vers la fin de l’horizon temporel considéré et que l’actualisation au taux de 2,5 % tend à effacer cet effet de long terme. Également, il n’a pas été possible ici de chiffrer le coût des politiques agricoles et des actions associées à l’amélioration des pratiques faute de données existantes à ce sujet. Toutefois, ces résultats montrent bien le potentiel que représente une maîtrise de l’évolution des pratiques agricoles. Les bénéfices des ouvrages structurants sont significativement renforcés dans le cadre des trajectoires climatiques proposées (ratios B/C > 2). Ces résultats s’expliquent par la réduction des périodes de retour, et notamment une influence forte sur les évènements fréquents pour lesquels les ouvrages sont particulièrement efficaces. Selon les hypothèses prises sur l’évolution de l’intensité de pluies en lien avec le changement climatique l’efficience économique des ouvrages structurants est renforcée.

Tableau 5. Montant des dommages pour l’aléa inondation par débordement de cours d’eau sur le bassin versant de la Lézarde (les coûts sont exprimés en k€2000)

Tableau 6. Indicateurs synthétiques de l’ACB pour l’aléa inondation par débordement de cours d’eau sur l’horizon temporel 2000-2050. Le DMA, le DEMA, et la VAN sont exprimés en k€2000. Le ratio B/C est sans unités. *Dans le cadre des scénarios « Herb » et « Agr », les coûts de mise en œuvre de ces politiques d’adaptation n’ont pas pu être intégrés

4.3. Zoom sur l’aléa inondation par ruissellement et coulées de boue

Le montant des dommages causés par les coulées boueuses est très inférieur à celui des dommages causés par les inondations par débordement de cours d’eau (). Les résultats montrent une très faible sensibilité des montants de dommages quel que soit le scénario retenu. Le DEMA maximal obtenu avec le scénario d’amélioration des pratiques agricoles ne s’élève qu’à 48 k€2000 ; et le DMA résiduel reste environ à 2,4 M€2000 (tous scénarios confondus ; ). Réparti dans le temps, le CTA du programme d’aménagement ambitieux d’hydraulique douce s’élève à 4,4 M€2000. Dans tous les scénarios, la VAN est significativement négative et correspond au CTA des différents scénarios car les BTA ne sont pas à l’échelle des dépenses. Cette très faible sensibilité rend les effets du changement climatique négligeables. Une des limites de l’analyse économique sur l’aléa inondation par ruissellement et coulées de boue est de ne pas intégrer les coûts de dommages liés au dépôt de sédiments sur la voirie et dans les bâtis. Il est difficile d’estimer les volumes de sédiments laissés dans les bâtis et donc de chiffrer les dommages supplémentaires causés par la charge sédimentaire. À ce jour, il n’existe toujours pas de fonction d’endommagement pour ces aspects, et la collecte de ces données est difficile. Les auteurs estiment que la prise en compte de la charge sédimentaire dans les bâtis et la voirie n’est pas suffisante à elle seule pour atteindre une VAN positive. L’ensemble des co-bénéfices apportés par ces ouvrages devraient être intégrés pour observer un impact probablement significatif sur la VAN. Il est évident que les aménagements d’hydraulique douce n’ont pas été pensés pour être efficaces contre les inondations, mais ils ont démontré leur utilité localement, en protection rapprochée d’enjeux (ex : réduction des transferts de matières en suspensions aux captages d’alimentation en eau potable). Ils peuvent également apporter localement des intérêts complémentaires en termes de biodiversité, de séquestration de carbone, ou d’emploi, mais qui en l’état des connaissances actuelles n’ont pas été évalués. Également, les coûts relatifs à la mise en place d’une agriculture de conservation (augmentation de la capacité d’infiltration ou réduction du CN) sur le territoire restent difficilement évaluables pour le moment, et les coûts intangibles ne sont pas pris en compte dans l’analyse. L’amélioration des fonctions de coûts constitue donc la principale piste d’amélioration pour les travaux de recherche future, et les gestionnaires pourraient ainsi être encouragés à collecter les données nécessaires.

Tableau 7. Montant des dommages pour l’aléa inondation par ruissellement et coulées de boue sur le bassin versant de la Lézarde (les coûts sont exprimés en k€2000)

Tableau 8. Indicateurs synthétiques de l’ACB pour l’aléa inondation par ruissellement et coulées de boue sur l’horizon temporel 2000-2050. Le DMA, le DEMA, et la VAN sont exprimés en k€2000. Le ratio B/C est sans unités. *Dans le cadre des scénarios « Herb » et « Agr », les coûts de mise en œuvre de ces politiques d’adaptation n’ont pas pu être intégrés

5. Conclusions

L’analyse coût-bénéfice du programme d’actions publiques mis en œuvre ces dernières années sur le bassin versant de la Lézarde pour réduire les impacts du ruissellement et de l’érosion, s’appuie sur la mise en œuvre de deux modèles complémentaires (modèle hydrologique/hydraulique Mike11 et modèle de transfert hydro-sédimentaire WaterSed). L’analyse intègre une projection de l’évolution future probable de l’intensité des précipitations et du territoire (programme d’aménagement d’hydraulique douce ambitieux et modification des pratiques culturales). Elle a été réalisée sur une période comprise entre 2000 et 2050, en suivant la méthodologie proposée dans le guide du CGDD pour l’évaluation des projets de lutte contre les inondations. Les résultats indiquent un effet positif de la stratégie d’action publique passée sur la réduction des dommages moyens annuels selon différentes pluies de projet. Plus spécifiquement, les résultats montrent que les ouvrages structurants de rétention réduisent significativement les surfaces inondées par débordement de rivière, et que ces ouvrages sont efficaces au regard des dommages aux biens et économiquement efficients. Les bénéfices sont environ deux fois plus élevés que les coûts. Les aménagements d’hydraulique douce en complément des ouvrages hydrauliques structurants ont un impact peu significatif sur le volume de ruissellement et sur le débit de pointe en rivière, et le dommage évité moyen annuel reste négligeable. Ce résultat pourrait toutefois être différent si les fonctions inhérentes au calcul économique permettaient de saisir l’ensemble des bénéfices apportés par ces ouvrages. En effet, ils permettent avant tout une protection d’enjeux rapprochés et une réduction de la charge sédimentaire des écoulements, mais ces aspects ne sont pas quantifiables économiquement compte tenu des connaissances actuelles. Avec une augmentation très probable des intensités de précipitation en conséquence du réchauffement planétaire, l’efficacité et l’efficience économique des ouvrages existants est augmentée (+ 0,3-1,1 M€ de dommages évités annuellement), mais d’un autre côté, le montant des dommages résiduels augmente lui aussi. Enfin, la modification des pratiques agricoles aura un impact certain, avec d’une part une augmentation du dommage moyen annuel de +400 k€/an dans le cas d’une réduction d’un tiers des prairies existantes, et de l’autre, une diminution du dommage moyen annuel de -250 k€/an dans le cas d’une évolution des pratiques culturales (+15% capacité infiltration ou réduction de 2 points du CN). En perspective, la méthodologie proposée dans le cadre de cette étude pourrait être dupliquée sur d’autres bassins versants afin de tester sa capacité à généraliser, être comparée avec d’autres modèles existants, et être complétée avec la création de nouvelles fonctions d’endommagements liées aux dépôts de sédiments sur les voiries et dans les bâtis.

VI Nomenclature

ACB=

analyse coût-bénéfice

B/C=

bénéfice/coût

BTA=

bénéfices totaux actualisés

CN=

curve number

CTA=

coût totaux actualisés

DEMA=

dommage évité moyen annuel

DMA=

dommage moyen annuel

LHSM=

Le Havre Seine Métropole

MNT=

modèle numérique de terrain

OSCOM=

observatoire des sols à l’échelle communale

RCP=

representative concentration pathways

RPG=

registre parcellaire graphique

VAN=

valeur actualisée nette

Remerciements

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet evapore « evaluation de l’efficacité des politiques publiques pour les actions visant à reduire les impacts du ruissellement ». Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement l’université de rouen-normandie, l’areas, le brgm, l’agence de l’eau seine-normandie, les départements de l’eure et de la seine-maritime qui ont co-financé ce projet. Les auteurs tiennent également à remercier la communauté urbaine lshm « le havre seine métropole » pour leur implication dans la fourniture des données.

Additional information

Funding

This work was supported by the Agence de l’Eau Seine-Normandie [1078759].

Références