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Le Trauma et le témoignage dans Le Livre d'Emma de Marie-Célie Agnant

Pages 149-168 | Published online: 08 Sep 2010

Abstract

The story of the eponymous character in Agnant's novel represents an intersection of personal and collective history. Her alleged madness, which follows an act of infanticide, ensues in great part from the imposition of the slavery system in Haiti centuries ago. Despite spatio-temporal discontinuities, Emma is strongly linked to the lives of her ancestors by the memory and transmission of the traumatic events of the past. The article examines the layers of memory transmitted from one generation to another and posits the need to include personal and literary testimonies in the history of the Antilles. The analysis of the historical (rewriting) and clinical (healing) functions of trauma testimonies focuses on the role of Flore—the empathic listener. Her presence, indispensable in the process of the reconstruction and inscription of memories, acquires a crucial ethical dimension that allows Emma to become subject rather than object of history.

Le penchant pour l'oubli institutionnalisé ou pour la nostalgie coloniale a, pendant longtemps, caractérisé l'esprit en France métropolitaine.Footnote 1 Cependant, la résistance à assumer ce passé, moins glorieux que celui présenté par les enthousiastes de l'épopée coloniale, ne fait qu'attiser d'autres mémoires qui s'opposent à la mémoire institutionnalisée. En effet, depuis quelques années, assez tardivement par rapport à d'autres pays où les “postcolonial studies” sont déjà bien établies, la question coloniale et postcoloniale se pose de plus en plus manifestement en France tant dans les publications de nature scientifique (historiques, sociologiques ou autres)Footnote 2 que dans les discours littéraires ou dans d'autres productions artistiques.Footnote 3 Ce “retour du refoulé”Footnote 4 longtemps dissocié de l'histoire nationale rattrape enfin et hante l'ancien colonisateur.

De même, le passé lié à l'exploitation et à l'esclavage tourmente les anciennes colonies et leurs habitants tant dans les régions qui font aujourd'hui partie de la République Française (DOM) que dans les pays devenus indépendants. Il semble bien aussi que l'autonomie acquise depuis 40 ans ou depuis plus de 200 ans ne change guère l'ampleur de l'impact profond et durable de l'époque de l'empire colonial sur les pays exploités. Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Les Damnés de la terre, basé sur son travail en Algérie pendant la guerre de libération, Frantz Fanon a analysé des “plaies multiples et indélébiles” laissées par la colonisation, cette “pourvoyeuse des hôpitaux psychiatriques” (177). Édouard Glissant, dans son examen des Antilles françaises, a abordé la “société morbide” (286) à la Martinique contemporaine dépourvue de l'autonomie, vivant “dans un climat perpétuel de tension, d'anxiété collective, d'affrontement racial, de pulsions incontrôlées” (288) comme “résultante de l'acte colonial” (285) dont l'héritage se traduit par le système qui entraîne le déséquilibre mental, la démission, la folie coutumière et l'auto-agression (307). Selon Françoise Vergès, il s'agit indéniablement non seulement des problèmes qui se manifestent dans le domaine économique mais également de ceux qui touchent l'espace social et psychologique; non seulement des symptômes tels que la faible diversification de l'industrie ou le rapport conflictuel au travail manuel, mais aussi l'importance de la couleur, de la honte et du ressentiment qui se manifestent dans les populations des anciennes colonies (“L'Outre-Mer” 74).

Cette honte et ce ressentiment sont effectivement particulièrement visibles dans Le Livre d'Emma, roman de Marie-Célie Agnant, Haïtienne d'origine, qui vit et travaille depuis 1970 à Montréal où la communauté haïtienne s'y étant installée par trois vagues successives (les années 1930, 1960 et après la chute des Duvalier), relativement petite par rapport à celle de Paris, New York ou Miami, continue à marquer sa présence. En fait, la métropole québécoise est “devenue au fil des ans, avec sa concentration d'écrivains, de poètes, de musiciens, de maisons d'édition, et d'institutions culturelles haïtiennes, la capitale artistique et littéraire de la diaspora haïtienne” (Voltaire et Péan 345). Les écrivains en particulier, dont Agnant qui s'impose de plus en plus avec ses écrits récompensés par des prix littéraires, traduits en langues diverses, et analysés par plusieurs critiques, participent à la constitution d'un patrimoine haïtien importantFootnote 5 tout en contribuant à la réflexion qui caractérise l'écriture migrante québécoiseFootnote 6 et, plus généralement, la littérature postcoloniale dominée par les questions de l'identité, l'exil, la mémoire et la mainmise coloniale. Auteure de poèmes, d'ouvrages pour les enfants et la jeunesse, nouvelles et romans, Agnant se définit en tant que celle qui “fait partie des nomades d'aujourd'hui, de ces gens qui se sont faits à l'errance et qui parfois croient ou sentent qu'ils ont plusieurs patries, ou n'en ont pas du tout,” mais celle où une identité prédomine “d'abord et avant tout, celle de la femme noire qui cherche sa voix et sa voie” (“Écrire en marge” 18–19). Militante, passionnée pour la vie et pour la liberté, elle a lutté par ses activités dans des associations et communautés d'immigrés pour ceux “que l'on oublie, ceux qu'on ignore, tous ces peuples sans voix et sans défense” (“Écrire pour tuer le vide” 91). Elle continue aujourd'hui sa lutte par la plume “pour dire, dire le monde, les femmes, et toutes les aubes interdites, […] écrire enfin pour exister” (“Écrire pour tuer le vide” 89). Son engagement politique et humain se montre clairement dans son oeuvre imprégnée par la solidarité avec le sort des femmes,Footnote 7 la révolte contre le racisme et l'injustice sociale (“un présent et un passé de barbarie” selon l'expression de Bernier [192]), la quête de la dignité humaine, le devoir de mémoire, et le désir de faire connaître l'histoire douloureuse de son pays natal. Haïti, le pays où, comme l'a remarqué Nick Nesbitt, on a inventé les deux processus qui allaient distinguer le XXème siècle, à savoir la décolonisation et le néo-colonialisme (6), serait aussi, selon Marcel Dorigny, à l'origine de la fracture coloniale—les effets et la tension de la postcolonialité (Blanchard, Bancel, et Lemaire 13)—qui marque tout particulièrement la France contemporaine. Cette fracture n'aurait pas commencé à la fin des processus d'indépendance des années 1960 mais en 1804, date où, suite à l'insurrection des esclaves noirs, la partie française de l'île de Saint-Domingue est devenue Haïti, première république noire indépendante (Dorigny 55). La proclamation de la République d'Haïti, “un affront inouï” face “à une France à l'apogée de sa gloire et de sa puissance” (46) a été tellement occultée et refoulée dans la mémoire nationale française que l'existence même de cette “perle des Antilles” en tant que colonie française est oubliée ou mise en question.Footnote 8

Emma Bratte, l'héroïne du roman d'Agnant, n'a certainement pas oublié ce temps “des négriers et de la canne” (Livre d'Emma 25).Footnote 9 Bien au contraire, elle semble être obsédée jusqu'à la folie par le passé dominé par l'esclavage dans sa famille et dans son pays dont le nom n'est jamais mentionné mais que quelques références topographiques et historiques identifieraient comme Haïti.Footnote 10 Accusée d'avoir tué son bébé, Emma est internée à l'hôpital psychiatrique de Montréal et suivie par le docteur Ian MacLeod. Bien qu'elle parle parfaitement bien français, elle refuse de communiquer avec le docteur, l'obligeant alors à embaucher une interprète, Flore, qui parle sa langue maternelle. Peu à peu, Emma commence à tisser son histoire: du père inconnu et de la mère qui se prostitue, détestée de sa mère, elle la quitte finalement à l'âge de 12 ans pour s'installer avec Mattie, une cousine de sa défunte grand-mère, Rosa. C'est Mattie qui lui transmet l'histoire de sa famille et des femmes esclaves en général. Élève intelligente mais solitaire et malheureuse car semant la peur autour d'elle à cause de sa “monstruosité,” Emma continue ses études à la faculté d'ethnologie en Haïti d'abord, et plus tard en France, à Bordeaux. Cependant, on refuse sa thèse de doctorat sur l'esclavage pour laquelle elle a effectué des recherches en Afrique. Après quelques années, installée au Québec, Emma récrit et soutient une seconde fois sa thèse à Montréal mais elle n'est pas reçue non plus. C'est juste après cet échec qu'elle aurait tué sa fille. Emma finira par se suicider, elle le fera cependant après avoir transmis à Flore le témoignage de ceux, et surtout celles, que l'histoire officielle a réduits au silence.

A la différence de La Dot de Sara, le premier roman d'Agnant basé entièrement sur des enquêtes sociologiques subventionnées par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, Le Livre d'Emma ne semble pas puiser dans une histoire personnelle singulière. Cependant, tout comme La Dot de Sara, ce texte contient un appréciable et véridique matériau historique et sociologique.Footnote 11 Il est donc possible de le lire en tant que témoignage personnel important, capable d'élargir nos connaissances historiques et sociologiques, ou du moins de nous sensibiliser tant au passé colonial qu'au présent postcolonial. Cette démarche se révèle légitime pour des raisons aussi bien intradiégétiques qu'extradiégétiques.

En premier lieu, c'est la structure du texte lui-même qui nous invite à une telle lecture. En effet, les séances de Flore avec Emma qui ponctuent le roman dépassent très vite le cadre prescrit par le médecin en charge du cas d'Emma. Au fur et à mesure que le texte progresse, la démarche de Flore ressemble de plus en plus au mode de travail propre à la recherche dans le domaine de l'histoire orale qui se pose comme but d'interviewer des individus afin de reconstruire des faits historiques. Au lieu de traduire d'une manière neutre et objective la parole d'Emma, Flore joue effectivement et patiemment le rôle d'ethnographe et d'historienne. Munie d'abord d'un stylo, plus tard d'un magnétophone, Flore prête l'oreille au discours d'Emma et essaie de transcrire, tant bien que mal, l'histoire personnelle qui s'avère aussi collective.

En second lieu, ce travail quasi-ethnographique s'impose comme utile sinon nécessaire dans le cas de l'histoire des Antilles longtemps occultée, voire inconnue, car peu de traces écrites de la main des premières victimes du système colonial ont survécu.Footnote 12 Comme l'ont observé Bernabé, Chamoiseau, et Confiant, auteurs d'Éloge de la créolité:

Ce que nous croyons être l'histoire antillaise n'est que l'Histoire de la colonisation des Antilles. […] notre histoire (ou nos histoires) n'est pas totalement accessible aux historiens. Leur méthodologie ne leur donne accès qu'à la Chronique coloniale. Notre chronique est dessous les dates, dessous les faits répertoriés: nous sommes Paroles sous l'écriture. (37–38)

En plus, en ce qui concerne Haïti, cette chronique coloniale “written by men, whether colonizers who distort or negate the past, or the colonized who reclaim what has been lost or denied” (Dayan 46), exclut les femmes. Selon Dayan, à quelques exceptions près, elles sont restées anonymes, marginales (leurs histoires considérées plutôt comme “an interlude in the business of making history”), mythologisées ou métaphorisées, et donc finalement effacées de l'histoire (47). Recourir aux légendes, chants ou récits oraux préservés et transmis surtout par les femmes d'une génération à l'autre permettrait donc non seulement de révéler l'histoire cachée mais aussi de rendre visibles celles qui, porteuses de mémoire, garantissent la continuité du vécu antillais. L'écart qui s'est creusé entre l'histoire (story), associée avec fiction (mensonge) et reléguée aux régions de contes bons pour les enfants, et l'Histoire (history) qui ne se préoccuperait que des faits et garantirait la vérité a été examiné par Trinh T. Minh-ha dans Woman, Native, Other. Sa critique de l'esprit et du discours occidentaux qui privilégient l'écrit et l'analytique met en valeur les histoires de grands-mères, gardiennes de mémoire, qui engagent par leur discours le corps entier: “The world's earliest archives or libraries were the memories of women. Patiently transmitted from mouth to ear, body to body, hand to hand. […] Every woman partakes in the chain of guardianship and transmission” (121). Minh-ha souligne l'importance des récits oraux dans la reconstruction de l'histoire et dans la construction de l'identité communautaire: “Storytelling, the oldest form of building historical consciousness in community, constitutes a rich oral legacy” (148). Dans le roman d'Agnant, Flore reçoit dans son corps l'histoire transgénérationnelle, remontant à l'époque des plantations, des femmes noires. Grâce à cette mémoire recelant une explication de la souffrance qui les accompagne jusqu'au présent postcolonial, Flore retrouve sa place dans la communauté.Footnote 13

Même si la méthodologie de bien des historiens privilégie l'analyse des chroniques et d'autres documents écrits, le discours historique contemporain pratique depuis un certain temps l'inclusion de l'histoire orale individuelle dans la reconstruction des événements historiques.Footnote 14 En fait, la recherche et l'interprétation historiques reposent de plus en plus fréquemment sur le cadre mémoriel comme le mode principal pour comprendre l'histoire. Si l'historiographie traditionnelle se voulait documentaire, basée sur des archives et d'autres documents officiels, aujourd'hui on parle plutôt de l'historiographie “constructiviste,” celle qui admet les témoignages personnels en tant que suppléments, voire sources principales dans la reconstruction du passé, même si l'on se rend compte de leurs limites et des problèmes de fiabilité. Dire son histoire est devenu un moyen puissant, quand bien même il reste ambigu, de contribuer au discours historique.Footnote 15 De surcroît, vu la crise de la vérité qui semble dominer notre époque et le rapport entre le discours et la vérité fort complexe, certains jugent la mémoire individuelle comme la plus authentique et le témoignage personnel comme le mode de communication privilégié de notre temps: “[…] our era can be defined as the age of testimony […], as privileged contemporary mode of transmission and communication” (Felman et Laub 6).

L'inclusion du discours littéraire dans cette transmission et donc dans la construction du savoir historique semble être d'autant plus autorisée dans le cas des témoignages portant sur les événements traumatiques car, de par leur nature, ils se prêtent difficilement à la représentation. Selon la définition clinique,Footnote 16 le trauma est un état d'esprit qui suit un événement ou une série d'événements catastrophiques menaçant de mort ou de graves blessures, et provoquant comme réponse immédiate l'immense peur, l'horreur et l'impuissance. Ces événements peuvent être vécus immédiatement par la victime, observés de loin ou même appris par témoignage. Les symptômes caractéristiques de cet état d'esprit résultant de l'événement traumatique incluent, entre autres, la persistance de l'expérience de cet événement en forme de souvenirs, hallucinations, rêves et flashbacks; l'inertie générale ou bien l'agitation; le sentiment de détachement, de désappartenance; la réduction de l'éventail d'émotions, par exemple, l'incapacité d'aimer; et l'impression de ne pas avoir d'avenir et donc l'impossibilité de s'investir dans une carrière, un mariage ou des enfants.

Selon les théories du trauma, développées d'abord dans le domaine de psychanalyse et reprises par d'autres disciplines, y compris la critique littéraire parce qu'elle pose pertinemment des questions sur la langue et la représentation, les événements catastrophiques qui provoquent le choc psychologique se traduisent difficilement par un discours ordinaire car ils échappent aux cadres existant de références: “Because our perception of reality is molded by frames of reference, what is outside them, however imminent and otherwise conspicuous, remains historically invisible, unreal […]” (Felman et Laub 103). L'intrusion répétitive des cauchemars, le retour de l'expérience traumatique est en fait une tentative de maîtriser ce qui n'a pas été saisi complètement par la conscience incapable de confronter directement la possibilité de la mort.Footnote 17 Ainsi, il semble qu'à la suite d'un trauma, seules les approximations, élisions, interruptions, réinventions, allusions et métaphores—figures littéraires par excellence—puissent signaler l'horreur et l'impuissance qui hantent les victimes.Footnote 18

Les études du trauma visent surtout la Shoah ou les abus sexuels subis dans l'enfance. Cependant, certains chercheursFootnote 19 appellent à l'élargissement du champ d'investigation et à l'inclusion d'autres contextes susceptibles de provoquer des effets traumatiques, tels que le génocide ou l'esclavage.Footnote 20 Ce dernier a d'ailleurs souvent été rapproché dans des discours théoriques et littéraires à la Shoah. A titre d'exemple, dans sa préface à l'Esclavage et colonisation de Victor Schoelcher, Aimé Césaire a comparé l'esclavage à un immense camp de concentration:

Que l'on se représente Auschwitz et Dachau, Ravensbrück et Mauthausen, mais à l'échelle immense—celle des siècles, celle des continents—l'Amérique transformée en “univers concentrationnaire” […], on comprendra que l'Allemagne nazie n'a fait qu'appliquer en petit à l'Europe ce que l'Europe occidentale a appliqué pendant des siècles aux races qui eurent l'audace ou la maladresse de se trouver sur son chemin. (17–18)

De même, dans son roman, L'Étoile noire (1990), Michèle Maillet inscrit la problématique de l'esclavage et de la Shoah. Bien que son roman se situe pendant la Seconde Guerre mondiale, Maillet évoque en même temps la traite et l'esclavage des Antilles. L'héroïne du roman trouve de fortes similarités entre les deux périodes historiques où “la déportation des groupes ethniques correspond à la déportation d'Africains, le tatouage des détenus correspond au fait que les esclaves étaient marqués au fer rouge” (Larrier, “Témoignage et résistance” 327).

Le rapprochement que les discours théoriques et romanesques font entre les deux faits historiques traumatisants bien éloignés dans le temps émerge de la même politique de déportation et d'extermination massives. Cependant, même s'il y a lieu d'associer les deux événements, il est nécessaire de garder en vue une différence fondamentale qui les sépare, comme le remarque à juste titre Françoise Vergès:

Le génocide, c'est la volonté délibérée d'effacer de la surface de la Terre un peuple, de faire qu'il n'en reste rien. La finalité de l'esclavage, c'est d'avoir accès à une force de travail inépuisable et que l'on traite très mal. C'est un système meurtrier, mais pas génocidaire. (“Esclavage: commémorer et combattre?”)

Le Livre d'Emma de Marie-Célie Agnant représente la folie supposée d'une femme noire qui tue d'abord son enfant avant de se suicider elle-même. La folie, ainsi que l'infanticide et le suicide, apparaissent souvent dans la littérature antillaise.Footnote 21 Maladie individuelle, en tant que fragmentation et dévalorisation de soi remontant à l'époque coloniale, la folie fonctionne aussi comme métaphore sociale.Footnote 22 Cependant, au lieu d'un échec, la folie pourrait traduire plutôt un choix: une tactique de survie et de révolte qui, en permettant de fuir les structures sociales aliénantes, s'apparente “à un marronnage psychologique” (De Souza 137) et devient une stratégie de résistance. C'est ainsi que Anne Branach-Kallas interprète le comportement et le suicide d'Emma: “Emma's withdrawal is a form of psychological maroonage […]. Furthemore, her suicide can be interpreted both as an escape from a world that denies her existence and as a strategy of resistance […]” (162).

Emma répète les gestes—l'infanticide et le suicide—de son aïeule, Kilima. On repère d'autres parallèles de leurs parcours: dès son arrivée à la plantation, on considère Kilima comme folle (138); elle perd la raison après avoir tenté de noyer sa fille, conçue dans le viol; finalement, “tout de blanc vêtue, elle entra dans l'océan et ne revint plus jamais. Elle avait repris le chemin des grands bateaux” (156). De même, Emma, la dernière de la lignée commencée par Kilima, se suicide en se noyant dans le fleuve, “vêtue de sa robe blanche” (163). Les deux ont aussi trouvé l'amour et la consolation grâce à la présence de figures maternelles—Cécile s'occupe de la jeune Kilima et la protège tout comme Mattie prend en charge Emma—qui transmettent la mémoire et enseignent la résistance. Arrachée brutalement à sa mère et sa communauté africaine, arrivée à la plantation, Kilima se voit même dépossédée de son prénom par le propriétaire qui la dénomme Rosa.Footnote 23 Comme réaction, Kilima/Rosa “avala sa langue et jura de ne plus jamais prononcer un seul mot en présence d'un homme, tant et aussi longtemps qu'elle demeurerait esclave” (134) et elle ne répond jamais à ce nouveau prénom. L'expression “avaler sa langue” veut dire “se taire” mais aussi “mourir”; de plus, “avaler” signifie également “descendre selon le cours d'eau.” Ainsi, “avalant sa langue” au moment où elle arrive à la plantation, Kilima refuse de perdre son identité et en même temps subvertit la mort de soi infligée par le colon en opérant un retour imaginaire en Afrique, vers sa mère, vers la repossession de soi. Son mutisme—la descente symbolique au pays de ses origines—devient une sorte de répétition avant le retour qu'elle entreprendra en entrant dans l'océan. Emma, enfermée à l'hôpital, réagit de la même manière: elle se tait et refuse de communiquer en français, spoliée de son identité, réduite, comme elle le constate amèrement, à un numéro de chambre (23). Son manque de coopération avec les autorités et son suicide deviennent donc un geste qui réitère le même refus et la même révolte, la seule façon de retrouver l'agentivité en tant que sujet.

Emma a hérité le prénom de la fille de Kilima: “Kilima donna naissance à Emma dont je porte le nom, puis vint Rosa, puis encore Emma, puis encore Rosa” (127). Les couches successives des prénoms identiques signalent le caractère itératif de souffrances des femmes noires violées et abusées par “les Blancs, Nègres, moins Blancs, moins Nègres” (135), car même les hommes de la même race et du même sort infligé par le système esclavagiste n'ont pas su les protéger (143) et continuent à les trahir: Flore constate le même abandon par les hommes contemporains dans son entourage (46–47). Si l'époque de l'esclavage n'a pas rendu ces femmes tout à fait mortes, elle les a profondément marquées à jamais et beaucoup ont tourné le fardeau de la couleur—la haine et le mépris—contre elles-mêmes ou leurs enfants: “vivre dans une peau de négresse” équivaut à la souffrance, “nous voulons nous en défaire […]. […] Ainsi, nous abandonnons les nôtres, nous faisons mourir nos enfants” (108). Refusant que la malédiction par le sang continue, Emma se suicide mais transmet par la parole le témoignage sur les peines et les tourments hérités des femmes noires. Cette douleur longtemps retenue explose avec Emma. Sa rage s'explique avant tout par le drame collectif mais vient également des malheurs personnels liés indissolublement, eux aussi, au contexte socio-historique: le rejet de la fille par Fifie, sa mère et, plus tard, le rejet de sa thèse universitaire par les Blancs.

Seule “rescapée” des quintuplettes mort-nées de l'utérus de Fifie, évitant de justesse d'être mise comme ses soeurs dans un dépôt d'ordures ou dans un trou par des cris perçants qui “couvraient les hurlements de tous les vents réunis,” hurlant nuit et jour “pour toutes les autres dont on n'a jamais entendu la voix” (54), laide et si noire que presque bleue, Emma mène une existence solitaire, sauvageonne et malheureuse, marginalisée par sa communauté et rejetée par sa mère. Fifie, née des parents noirs mais, par un hasard génétique (une “insulte” que le ventre de sa mère vomissait après qu'une de ses aïeules “avait été saillie par quelque démon blanc en chaleur” [121]), avec la peau dorée et cheveux jaunes (114), refuse le moindre geste de tendresse ou parole quelconque à Emma.Footnote 24 Le silence obstiné de Fifie (86) ainsi que le renvoi constant de l'image dévalorisante à Emma démontrent d'un côté l'adoption des canons blancs de la beauté féminine et l'intériorisation des préjugés des Blancs.Footnote 25 De l'autre, au niveau intradiégétique, le comportement de Fifie annonce l'accueil qu'attendra Emma dans le monde des Blancs, d'abord en France et plus tard à Montréal: l'indifférence, l'hostilité, l'aliénation et le refus de dialogue.

Le point tournant dans la vie d'Emma, celui qui marque la fin de son enfance et la destruction de ses rêves quant à l'amour ou l'acceptation par sa mère, arrive quand elle a onze ans. Fifie décide de la soumettre pendant trois jours aux “cérémonies étranges” (91) afin de la transformer “en une femme à laquelle aucun homme ne saurait résister, malgré ma peau de nuit” (92). Emma subit l'excision, trauma qui laisse “la douleur ancienne, toujours fraîche, […] greffée [en moi] comme une énorme écharde” (91). Cette mutilation de son corps la marque comme objet sexuel et l'inscrit dans la continuité de l'expérience des femmes noires en tant que réceptacles du désir ou fantasme masculin.Footnote 26 La déformation du corps qui fonctionne ici comme l'expression d'un rapport de force et d'autorité,Footnote 27 l'excision annonce la déformation de soi opérée plus tard par le regard néocolonial qu'Emma subira en France et à Montréal. Coupée physiquement, Emma coupe les liens avec Fifie et s'installe chez Mattie. Ses paroles, “[j]e me sentais pareille à un rafiot, dérivant, seule, sur l'océan immense” (107), établissent un parallèle avec la traversée de l'océan subie par Kilima, arrachée à sa mère, et dénotent le commencement de la quête identitaire. Pour retrouver “les fils que Fifie refusait de [lui] tendre pour [l]'aider à poursuivre [s]on chemin” (107), elle doit se construire un savoir nécessaire afin de “dévier les flèches du destin” (109). Cet apprentissage vient des livres dont elle trouve la passion grâce à Mattie, une analphabète, et dans le “livre” construit par les histoires de Mattie, ancrage identitaire nécessaire pour faire face au monde. Emma trouve la force de se tenir debout et la totalité de soi grâce à Mattie. Cependant, le rejet de sa thèse, le fait de la déposséder de son agentivité et de la réduire à un objet privé de parole, rouvrira ses plaies et mènera à une aliénation plus profonde.

Emma est folle pour le médecin qui, par son comportement, représente la mentalité de colonisateur et l'ordre politique, social et culturel dominant. Paternaliste, irrité et condescendant, il ne comprend rien à ce qu'elle essaie de lui communiquer. En fait, il ne veut pas l'écouter, ayant déjà classé le “cas” d'Emma dans une catégorie préalable d'étrange maladie attribuable probablement à “sa culture” ou “à l'atavisme” (36). Il la déshumanise en lui refusant le droit d'être considérée en tant qu'un individu, en la marquant au pluriel, pour utiliser l'expression avancée par Albert Memmi.Footnote 28 Selon Emma, comme d'autres Blancs, “il[s] prétend[ent] étudier les manifestations de la folie chez les négresses. Cependant, il[s] refuse[nt] de savoir ce qui se passait sur les négriers et dans les plantations” (29). Incapable de saisir ce mal héréditaire ou le rejetant comme explication possible, le docteur ne devine pas la profondeur du trauma originel qui afflige les descendants des esclaves.Footnote 29 En effet, Emma est traumatisée et manifeste bien des symptômes qui suivent une expérience traumatique: à tour de rôle agitée ou apathique, se sentant détachée, incapable de mener une vie ordinaire et d'avoir un avenir, elle revit en hallucinations, cris et bribes de discours l'histoire de ses ancêtres esclaves. Elle est reliée à la vie et à l'époque de ses ancêtres, malgré les discontinuités spatio-temporelles, par la mémoire et la transmission du même événement traumatique originel—la déportation, la séparation, la mort sociale. Comme le dit Nickolas, son amant, refusant d'enterrer ses morts, elle vit dans leur ombre, proie de leurs fantômes (43). S'identifiant aux morts, victimes du système d'esclavage, elle se considère dépositaire de la mémoire des êtres anéantis et obligée d'en témoigner.

Elle dépose ce témoignage en sa langue maternelle auprès de Flore. Bien qu'elle manie et comprenne parfaitement le français, Emma refuse la langue de l'oppresseur vécue comme “héritage colonial, reçue dans la violence” (Agnant, “Entretien” 142): “les bêtes qui hurlent n'empruntent jamais la voix des autres” (16) déclare-t-elle au médecin. Refusant de communiquer en français, elle rompt le lien avec ceux qui ont causé la souffrance des siens et évite ainsi “the subjugation to the very language from which death, humiliation, torture, and destruction issued” (Felman et Laub 28). Par son choix, elle force aussi l'autre à l'écouter vraiment.Footnote 30 Elle renverse les rôles, et tout comme elle a dû apprendre une autre langue pour fonctionner dans la société, elle oblige maintenant les autres à l'entendre et à déchiffrer sa langue à elle. Elle tente d'ébranler les certitudes de celui qui représente la race des anciens colonisateurs en le mettant face à un autre code. Le docteur finira par rejeter la parole discontinue, les non-dits, les silences et les hurlements d'Emma qui essaie d'exprimer l'indicible, mais Flore s'engagera pleinement dans l'histoire qui lui est confiée.

En plus de revendiquer une autre langue, Emma insiste sur une autre forme de communication. Ayant subi le refus de sa thèse sur l'esclavage, elle se tourne vers la parole vivante plutôt que le discours écrit pour transmettre l'histoire de ses ancêtres. En revêtant le rôle de griotte, elle se place dans la tradition de l'oralité propre à l'Afrique et aux Antilles.Footnote 31 Les sessions pendant lesquelles Emma révèle son histoire à Flore assurent d'une part la structure narrative du roman. De l'autre, ces “veillées” font aussi écho aux soirées passées par Emma dans sa jeunesse avec Mattie, l'aïeule féminine, “dépositaire[s] d'une expérience et d'une sagesse” (Moudileno 1151), bien typique pour la fiction antillaise,Footnote 32 qui lui racontait le destin des femmes de sa lignée (127). Ces sessions représentent ainsi l'écologie de la mémoire traumatisée où les palimpsestes se superposent en couches successives d'une génération à l'autre. Malgré ses treize ans, Emma doit se mettre sur les genoux de Mattie qui insiste à natter ses cheveux même lorsqu'ils sont parfaits. Mattie défait chaque soir ses tresses, “les roule entre le pouce et l'index avant de les tresser à nouveau” (131). Les séances de coiffure sont un rituel qui précède la nuit et s'accompagnent obligatoirement des leçons d'histoire de ses ancêtres. Se servant de ses doigts pour tresser les cheveux, Mattie y enlace l'histoire et en inscrit les images dans le corps même d'Emma. A leur tour, Emma et Flore répètent les leçons, seulement, cette fois-ci, c'est Flore qui assemble la parole d'Emma en la transcrivant sur papier, le stylo tenu entre le pouce et l'index. Elle découvre cependant très vite les limites du mot écrit d'abord et de la langue tout court au fur et à mesure qu'elle traverse l'espace mémoriel des négresses. En traduisant le discours d'Emma, Flore se rend compte de “la stérilité et la vacuité de [ses] mots” (35). Ainsi, même si elle décide de continuer sa tâche puisqu'elle a l'impression de pouvoir contribuer à déchirer “le voile qui couvre la vie des négresses” (39), à la fin elle semble renoncer définitivement à accomplir sa mission d'interprète d'Emma dans le cadre hospitalier et le cadre légal, persuadée que les autres n'y comprendront rien. Tout comme Mattie et Emma qui laissaient des choses dans leurs entrailles à tout jamais parce qu'elles ne savaient pas comment les formuler, Flore semble emporter dans son corps même la mémoire traumatique. À la différence des autres “cas” sur lesquels Flore avait travaillé auparavant en tant qu'interprète, l'histoire qu'elle reçoit d'Emma n'est plus un exercice intellectuel de traduction sémantique. L'histoire qu'elle a commencé à transcrire n'entrera pas finalement dans le champ de la production rationnelle et ordonnée. La mémoire dont elle hérite est une expérience viscérale—affective, directe, organique.Footnote 33 Elle se laisse vider de sa substance et devient peu à peu Emma. La voix d'Emma s'incruste dans Flore, prend possession d'elle (35) et la projette dans “cet océan opaque de l'identité niée” (63).

L'impasse dans laquelle Flore se retrouve vient non seulement de la difficulté de transcrire le récit oral surgi de la mémoire inscrite, selon les théories de la mémoire organique, dans le système nerveux: héritage qui est à la fois biologique, culturel et social.Footnote 34 Dans le cas de la mémoire traumatique qu'Emma lègue à Flore, la difficulté semble être insurmontable car la parole se révèle inadéquate pour rendre l'horreur et l'impuissance de l'expérience catastrophique. Dans La mémoire et les jours, Charlotte Delbo met en question la possibilité de traduire la mémoire traumatique en un récit qui expliquerait l'inexplicable. Elle avance une différence entre la mémoire du corps (des sens, profonde) et celle de la pensée (externe, intellectuelle, ordonnée).Footnote 35 Pourtant, comme le remarque Culbertson:

[…] to return fully to the self as socially defined, to establish a relationship again with the world, the survivor must tell what happened. […] The task then is to render body memories tellable, which means to order and arrange them in the form of a story […]. (179)

Puisqu'il s'agit d'actes qui dépassent le cadre référentiel ordinaire, le témoignage portant sur le trauma se présenterait donc rarement comme un récit complet et cohérent des événements. Il se composerait plutôt de morceaux plus ou moins disjoints de mémoire en forme de bouts de discours, répétitions, silences ou encore de cris.Footnote 36

Au début, Emma refuse de parler au médecin ou ne lui parle que du bleu et de la folie: “le bleu du ciel, le bleu de la mer, le bleu des peaux noires et la folie qui serait venue dans les flancs des bateaux négriers” (20). À maintes reprises, elle hurle ou encore elle chante une chanson sauvée des cales des négriers. C'est seulement quand Flore prend la relève du médecin et—malgré plusieurs railleries et sarcasmes lancés contre elle par la patiente—s'engage à l'écouter vraiment, qu'Emma semble s'apaiser et entreprend de partager son histoire.

Flore se sent d'abord accablée par le sentiment de ne pas pouvoir travailler avec Emma car elle est intimidée et incapable de traduire son regard et sa voix (12). Peu à peu cependant, la sympathie s'installe entre les deux femmes, l'extrême tension qui dominait les premières rencontres disparaît, et après la quatrième séance Emma commence à tisser le récit: “Emma parlait, et sa voix se déroulait, son corps se vidait de ces images surgies du fond d'une mémoire ancienne, paroles extraites d'archives enfouies dans ses entrailles” (118). L'histoire d'Emma transforme profondément Flore et lui donne une seconde vie. Flore accomplit “un long et pénible voyage” (63), un apprentissage nécessaire, grâce à Emma. Si Emma l'appelle Poupette (23) au commencement, tant Flore, peau claire, assimilée car acceptée par les Blancs, semble ne pas savoir qui elle est (33), à la fin elle mérite qu'Emma l'appelle de son prénom. Emma lui ouvre les yeux à la longue histoire de brutalité et d'identité niée qui commence avec la traite mais qui continue sur les rives du Mississippi avec des nègres pendus que chantait Billie Holiday (63). Ce savoir, important à préserver, ne doit cependant l'accabler ou l'empêcher d'aimer, de vivre ou de prendre plaisir. Dans la scène finale, Flore s'embarque dans un autre voyage, cette fois-ci avec Nickolas, homme de tous les continents, libre des préjugés, celui qui représente le mélange de races et celui qui offre la guérison par l'amour. Elle fait l'amour avec Nickolas et le lit devient une sorte de négrier où Emma mène sa dernière lutte à travers Flore pour se jouer du destin et trouver la paix. Flore ne veut plus penser, ne désirer que “ce bref instant, ce corps contre le mien,” mais les yeux d'Emma lui “disaient le contraire: […] apprends ton nom de femme, avant celui de négresse” (167). Elle lui ordonne d'imprégner son corps “du souvenir de cette houle” (167)—houle du plaisir sexuel, de l'amour qui exorcise tous les maux, “toutes les éternités de manque d'amour” (166), mais aussi houle de la traversée des négriers: la mémoire coloniale inscrite dans le corps.Footnote 37 Dans le récit qui se concentre sur la représentation de la détresse des femmes, de la solidarité entre elles, mais aussi de leur solitude, résultat de “la trahison des hommes” (47), Nickolas, même si son personnage reste “flou” selon Agnant elle-même (Tervonen 216), semble suggérer une possibilité de réconciliation avec soi et avec l'autre, sinon de bonheur et de re-naissance menant à une plus grande autonomisation pour les femmes noires.Footnote 38

Le rôle de Flore s'avère crucial.Footnote 39 Comme le rappellent Felman et Laub, les témoignages ne sont pas des monologues: les témoins parlent à quelqu'un qu'ils semblent avoir attendu depuis longtemps (70–71). Emma aurait pu se suicider juste après avoir tué sa fille; pourtant, elle subit les interrogations et l'internement dans l'hôpital psychiatrique tout en espérant que quelqu'un arrivera pour lui léguer son histoire. En effet, seule la présence d'un auditeur empathique—qui veut entendre et donc reconnaître la réalité de la souffrance—fait sortir le discours.Footnote 40 Sans la présence de Flore, l'histoire d'Emma aurait été annihilée.

Emma lègue la mémoire traumatique à Flore en espérant qu'elle pourrait en “tirer quelque chose” (106). Le caractère nécessaire de la présence de Flore révèle la double fonction du témoignage portant sur les événements traumatiques. Selon Felman et Laub, cette fonction est historique (récrire l'histoire) et clinique (guérir la victime) (9). Il serait toutefois souhaitable d'élargir le sens de cette deuxième fonction en y ajoutant une dimension éthique.

D'un côté, le témoignage déposé permet de communiquer un autre aspect ou une autre version de l'histoire monolithique. La mémoire individuelle, logée dans le corps, n'est jamais complètement “privée.” Elle contient un aspect politique en tant qu'elle peut toujours mettre en question le grand récit, la version officielle de l'histoire. Dire, rendre public le trauma privé, transfère la souffrance individuelle vers le contexte historique et social et peut en entraîner des mutations.Footnote 41 Ainsi, le livre éponyme d'Emma, la mémoire de l'esclavage qu'elle avait tenté de révéler dans sa thèse de doctorat refusée, parvient néanmoins au lecteur sous forme du récit transcrit/emporté par Flore. À forte charge affective, il s'avérerait même plus efficace dans sa fonction épistémologique que ne le serait le discours historique.Footnote 42

De l'autre côté, déposer un témoignage permet aux survivants d'un trauma de reprendre la position d'agent qui rentre en possession de sa vie. En contant son histoire, Emma devient sujet plutôt qu'objet de l'histoire (Felman et Laub 85). Elle passe du rang de victime du passé à celui d'agent du présent capable de déstabiliser le statut-quo. Devenir sujet de son histoire ne mène pas nécessairement à la guérison, on l'a bien vu avec Emma qui se suicide à la fin. Cependant, elle reprend “le chemin de grands bateaux” apaisée et tranquille, ayant partagé ce passé qui “n'a de passé que le nom” (158) avec Flore. Selon LaCapra, un des buts des témoignages est de rendre aux victimes “at least symbolically or even posthumously, the dignity perpetrators took from them” (Writing History 95). Entendre un témoignage personnel portant sur les événements historiques traumatiques s'impose en tant que la réparation morale nécessaire pour les individus et comme le devoir de mémoire pour les collectivités.Footnote 43

Si le passé colonial continue toujours à hanter tant le colonisateur que le colonisé c'est parce que souvent l'un—tel docteur MacLeod—préférerait l'oublier et l'autre—telle Flore, au début du roman—le nier. Pourtant, le retour inévitable du refoulé oblige les deux à y faire face. Le Livre d'Emma, témoignage littéraire qui traduit le trauma d'une femme noire mais aussi celle “d'une île, lambeau de l'époque coloniale, vestige de sa cruauté, de son inhumanité” (16–17), transmet un savoir longtemps occulté et fait connaître dans le corps du lecteur—devenu témoin à son tour—les blessures profondes infligées.Footnote 44

Acknowledgments

Maria Adamowicz-Hariasz is an associate professor of French at the University of Akron, Ohio. Initially focused on French literature of the nineteenth century (roman-feuilleton), she now concentrates her research on literature and culture of the Francophone Caribbean and Québec.

Notes

1Cette nostalgie, à titre d'exemple, s'est traduite en 2005 par l'effort de faire passer une loi mémorielle proclamant le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. L'article en question a été supprimé en 2006.

2Voir par exemple: Blanchard, Bancel et Lemaire; Ferro, ou encore Haijat.

3Qu'il suffise de mentionner ici le film récemment sorti de Rachid Bouchareb, Indigènes (2006) ou encore le documentaire de Yamina Benguigui, Mémoires d'immigrés (1997).

4Terme utilisé dans l'introduction par les auteurs de La Fracture coloniale (Blanchard 10).

5Voir par exemple la troisième partie, “Écrire l'exil,” dans le volume édité par Sourieau et Balutansky (345–459).

6Selon Sylvie Bernier, Agnant fait partie de “cette nouvelle génération à la fois d'ici et d'ailleurs qui prépare le renouveau des lettres québécoises” (189); voir aussi l'article de Patrice Proulx (“Bearing Witness”) et celui de Lucie Lequin.

7Dans une entrevue accordée à Carmen Mata Barreiro en 2000, Agnant précise: “Je voudrais que mon oeuvre parvienne à témoigner de différents aspects de la vie des Haïtiens/es, et de différentes expériences vécues par les femmes, principalement les femmes noires et les immigrées” (374).

8Dorigny cite comme exemple, entre autres, le “trou de mémoire” de Chirac (“Haïti n'a pas été, à proprement parler, une colonie française”) et précise que s'il est vrai que la France a finalement reconnu l'indépendance de la partie française de Saint Domingue en 1825, il n'est pas moins vrai qu'elle l'a fait sous condition de verser une somme de 150 millions de francs or pour indemniser les pertes des propriétés des colons français. Cette “dette” a été intégralement remboursée en 1883 mais les Haïtiens en paient toujours le prix: la dépendance financière et commerciale vont de pair avec les profondes blessures psychologiques. Marie-Célie Agnant évoque cette dette dans sa nouvelle, “Le vieil homme à moitié pierre,” où le protagoniste ajourne sa mort pour demander Réparation-Liberté-Restitution: “150 millions-or! Ni vu, ni connu … crachés et empochés jusqu'au dernier centime. […] 150 millions-or! Un peuple affamé et nu, séquestré sur une île, depuis 200 ans! 150 millions-or! Le monde est une obscénité […]. Obscène, l'appétit furieux des seigneurs et saigneurs, faiseurs de loi, brigands et voleurs de grand chemin!” (41).

9Si dans la littérature haïtienne rares sont les textes qui traitent directement de l'esclavage, il faudrait l'expliquer par un “silence pudique” portant sur “une part dégradante et honteuse de l'histoire” selon Marie-Denise Shelton (72). Par contre, selon Léon-François Hoffmann, la raison en est la guerre d'Indépendance, le fait que “les prouesses des ancêtres ont effacé l'humiliation de la dépendance, ont évité le complexe du décolonisé” (28). Hoffmann révèle pourtant plusieurs exemples littéraires qui expliquent les maux d'Haïti, tels que des inégalités sociales, des tyrannies politiques, le préjugé de couleur ou le mépris de soi, par les séquelles de la colonisation (197–209). Quant à l'expérience des femmes pendant et après l'époque de l'esclavage dans la littérature antillaise, on compte Simone Schwarz-Bart et Maryse Condé parmi les premières à y attirer l'attention. Voir à titre d'exemple l'article de Doris Kadish.

10Kilima arrive sur l'île de Saint Domingue (127); Emma rejoint la cousine de sa grand-mère à Moussambé (106, 132); les Français “s'étaient emparés de cette île” pour y établir des plantations (134); Emma a neuf ans quand arrivent “les hommes vêtus de noir” (73)—référence probable aux tontons macoutes, la milice créée par “Papa Doc” en 1959.

11Toni Morrison parle d'une vérité (“the revelation of a kind of truth” 115) qui sort de son travail d'écrivain: une sorte d'archéologie littéraire où elle fouille dans les mémoires, récollections et imagination. La vérité qui en ressort sert à déchirer le voile tiré sur la vie intérieure des Noirs.

12Voir à ce titre l'article de Daniel Desormeaux qui analyse la question de l'authenticité des Mémoires de Toussaint Louverture. Éloïse Brière ajoute un point important concernant Haïti dans son article sur la nature transculturelle de l'oeuvre d'Emile Ollivier, écrivain haïtien qui a fortement contribué à la “tropicalisation” de la littérature du Québec: “For two hundred years Haitians did not—could not—write their own history. When they did, after the war of liberation, the world could not hear because the stereotypes about Haiti were already well-entrenched. Ollivier writes against the tide of Western discourse that has portrayed Haiti in ways that served imperial interests” (395).

13 Femmes des Antilles, traces et voix: cent cinquante ans après l'abolition de l'esclavage, ouvrage hybride, contenant des essais, des récits fictionnalisés des esclaves et des témoignages des Antillaises contemporaines, édité par Gisèle Pinaeau et Marie Abraham, représente un autre effort d'extraire la vie des femmes esclaves de l'oubli et de mettre en relief les séquelles de la période coloniale sur le présent. Le but en est plus large, comme le remarque Doris Kadish: l'ouvrage “strives to bring an end to the collective amnesia surrounding the subject of slavery, to increase understanding of issues affecting women, and to improve relations among women as well as among women and men in the Caribbean. It also seeks to increase understanding among French readers of the social condition of Caribbean women” (1183).

14Voir par exemple Perks et Thomson.

15Voir LaCapra, Writing History.

16Voir American Psychistric Association (424–32).

17Voir Caruth, ch. 3 (57–72).

18Voir aussi Whitehead.

19Voir par exemple Hodgkin et Radstone, Contested Pasts.

20Antoinette Marie Sol examine les théories du “traumatisme historique” dans son article qui se concentre sur l'infanticide dans le roman antillais, y compris Le Livre d'Emma.

21Selon Elizabeth Wilson, “French Carribbean women's writing, in general, reveals [rather] a pattern of rejection, resistance, and attempted liberation, followed by failure and deeper alienation because of the aborted attempts at revolt” contre le système social repressif. Selon Wilson, le voyage initiatique qui, après la confrontation, mène dans les écrits des auteurs antillais mâles à la connaissance de soi et/ou l'intégration dans la communauté, dans les écrits des femmes mène plutôt à l'aliénation et l'autodestruction (45). Voir aussi Gros, Sol, ou Orlando.

22“It is possible, then, to note a blurring of distinctions between individuals in a state of breakdown and society in a state of fragmentation: ‘ontologically insecure’ characters stand for a Caribbean society that is itself lacking a strong sense of secure, autonomous self-worth” (O'Callaghan 103).

23“The captivating party does not only ‘earn’ the right to dispose of the captive body as it sees fit, but gains, consequently, the right to name and ‘name’ [redefine] it” (Spillers 389).

24Branach-Kallas analyse le rapport mère-fille dans le roman d'Agnant et y décèle un parallélisme “between the enslaved mothers of the past and the problematic relationship between Black women and their children in the present” (154); voir aussi Spillers.

25L'importance de la couleur dans la société haïtienne a été analysée par Trouillot; voir aussi Hoffmann.

26“Corps torturé, corps esclave, corps exotique, corps maternel ou corps sensuel, le corps de la femme noire apparaît comme une grande machine à fantasmes” (Naudillon 73).

27Il ne s'agit pas d'un effort pour initier Emma dans la communauté—comme c'est le cas dans beaucoup de pays africains où l'on pratique toujours l'excision—mais plutôt de se débarrasser d'elle. Voir Lionnet.

28“Ce qu'est véritablement le colonisé importe peu au colonisateur. […] Le colonisé n'est jamais caractérisé d'une manière différentielle; il n'a droit qu'à la noyade dans le collectif anonyme.” (“Ils sont ceci … Ils sont tous les mêmes”; Memmi 86–87).

29Glissant suggère de considérer la traite comme “choc traumatique” (229).

30La langue maternelle et la voix comme moyens de protester, attirer attention, forcer l'autre à écouter ont été mises en oeuvre par Agnant dans son roman pour jeunesse, Alexis d'Haïti. Les boat people ayant quitté la persécution politique et la misère qui sévissent en Haïti, enfermés pendant plusieurs mois dans un camp de réfugiés à Key West en Floride, comme des “criminels” (131), s'insurgent finalement, incités par le jeune Alexis, à bout de ses forces, pour demander leur liberté. Ils le font en chantant sans arrêt pendant plusieurs jours: “les barbelés ne savent comment retenir prisonnières leurs voix” (137). Le chant, la flûte, le coquillage qui “jadis, pour les esclaves ses ancêtres, servait à lancer depuis les montagnes le cri de ralliement pour la liberté” (137), appellent Agwé, Erzulie et d'autres dieux haïtiens pour réclamer “une tranche de soleil” (138). La voix a le pouvoir de chasser “la nuit, la peur et la soumission” (138). Le résultat direct de cette révolte est qu'on fait finalement venir un interprète qui s'adresse aux réfugiés en créole pour annoncer l'arrivée d'une organisation de secours aux réfugiés, prête à les entendre et leur apporter de l'aide. Le pouvoir libérateur de la langue et de la communication se manifeste avec force dans un simple échange entre l'interprète et les prisonniers: “-Mesye dam, n cap koute? (“Messieurs et mesdames, est-ce que vous écoutez?”) […]-Ayabombe! Ayabombe! (Liberté! Liberté!) répondent-ils en choeur” (140).

31Voir Boucher, Jonassaint, Laroche, ou Larrier (Francophone Women Writers).

32Lydie Moudileno contraste cette figure symbolique de la littérature antillaise contemporaine avec une grand-mère atypique créée par Maryse Condé dans Désirada.

33Pierre Nora fait une distinction entre l'histoire (production intellectuelle, écrite, indirecte, rationnelle et analytique) et la mémoire (affective, directe, orale, logée dans le corps) dans son article “Between Memory and History.”

34Voir Bennet.

35“Parce que, lorsque je vous parle d'Auschwitz ce n'est pas de la mémoire profonde que viennent mes paroles. Les paroles viennent de la mémoire externe, si je puis dire, la mémoire intellectuelle, la mémoire de la pensée. La mémoire profonde garde les sensations, les empreintes physiques. C'est la mémoire des sens. Car ce ne sont pas les mots qui sont gonflés de charge émotionnelle” (14).

36“[…] testimony seems to be composed of bits and pieces of a memory […], does not offer a completed statement, a totalizable account of [traumatic] events” (Felman et Laub 5).

37Dans son analyse de la canne à sucre comme métonymie du discours impérial, Ashcroft examine les effets de l'esclavage sur le développement des mythes raciaux comme justification de l'impérialisme européen et démontre leur persistance: “[…] the appalling social consequences of Caribbean sugar production initiated cultural transformations which have affected the world and are affecting it still” (72–73).

38Voir aussi Lequin: “Par contre, Agnant montre aussi l'importance d'un certain oubli. Non pas un oubli qui efface, mais plutôt qui constitue un relais préservant une mémoire ferme et vivace sans qu'elle ne devienne ressassement. […] La mémoire transmise n'emprisonne pas, mais plutôt contribue à relancer l'identité spirituelle et culturelle de Flore, une identité en mouvement” (30).

39Dans un entretien accordé à Florence Ramond Jurney, Agnant, en révélant que le personnage de Flore lui est venu comme dernier dans la composition du roman, a précisé: “Elle s'est comme imposée, elle occupe beaucoup d'espace, elle devient un pivot dans l'histoire, elle se transforme en réceptacle, elle est un catalyseur, elle est un pont, un passeur. Elle est le double d'Emma, une espèce de porte-bonheur. Elle joue un rôle d'agent transitaire” (393).

40Selon LaCapra, l'empathie et le “dérangement empathique” jouent un rôle très important dans l'effort de comprendre les survivants des événements traumatiques. Plus précisément, il s'agit d'une sorte de “virtual experience through which one puts oneself in the other's position while recognizing the difference of that position […]. Opening oneself to empathic unsettlement is […] a desirable affective dimension of inquiry that complements and supplements empirical research and analysis” (“Trauma” 722–23).

41“The making public of private trauma relocates individual suffering in historical and social context” (Hodgkin et Radstone, Contested Pasts 100).

42Selon Christiane Ndiaye, ce livre pourrait fonctionner comme les livres de l'Ancien Testament: “À l'instar des livres bibliques, ce récit est issu d'une transmission orale et ne sera fixé dans un texte écrit qu'après plusieurs générations. Récit des origines, il servira à guider les générations futures […]” (59).

43“Memory that confronts the traumatic dimensions of history is ethically desirable in coming to terms with the past both for the individual and for the collectivity” (LaCapra, Writing History 95).

44“The specific task of literary testimony is […] to open up in that belated witness, which the reader now historically becomes, the imaginative capability of perceiving history—what is happening to others—in one's own body” (Felman et Laub 108).

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