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Réduire les inégalités de carrière dans les organisations de coopération internationale canadiennes: vers une approche collective pour des pratiques équitables et inclusives

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Pages 393-417 | Received 18 Jul 2021, Accepted 11 Jan 2022, Published online: 06 May 2022

RÉSUMÉ

Cet article présente les résultats d’une recherche qualitative documentant les pratiques favorables à la rétention et la gestion de carrière au sein des organisations de coopération internationales (OCI) canadiennes. Adoptant une approche féministe intersectionnelle et d’inclusion ainsi que la méthodologie de design-based research, 161 personnes représentant 19 organisations ont été rencontrées. Analysant quatre dimensions liées à la rétention en emploi (demande psychologique, conditions de travail/soutien à la carrière, harmonisation vie personnelle et professionnelle et climat de travail), cet article recense des pratiques porteuses et propose un modèle collaboratif précisant les rôles et responsabilités des différentes parties prenantes (bailleurs de fonds, OCI, associations, universités, etc.).

ABSTRACT

This article presents the results of a qualitative research which documents the most favorable practices to retention and career management within Canadian international cooperation organizations. Adopting an intersectional and inclusive feminist approach as well as a design-based research methodology, 161 people representing 19 organizations were interviewed. By analyzing the four dimensions related to job retention (i.e. psychological climate, working conditions/career support, work–life balance, and work atmosphere), the article identifies promising practices and proposes a collaborative model that specifies the roles and responsibilities of various stakeholders (donors, international cooperation organizations, associations, universities, etc.).

Introduction

Le Canada fait partie des quelques États ayant développé et adopté une politique d’aide internationale féministe. Ces différentes politiques n’ont pas toutes les mêmes approches ni les mêmes objectifs (Thomson Citation2020). Par exemple, la politique mexicaine vise à réduire et éliminer les inégalités structurelles liées au genre (Secretaría de Relaciones Exteriores CDMX Citation2020). La politique suédoise s’inscrit dans une approche féministe de justice sociale appuyée sur la méthodologie des trois « R »: droits (rights), représentation et ressources (Ministry of Foreign Affairs Citation2017). La politique canadienne, quant à elle, « vise à éliminer la pauvreté et à bâtir un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère. Le Canada croit fermement que promouvoir l’égalité des genres et renforcer le pouvoir des femmes et des filles est le moyen le plus efficace pour atteindre cet objectif » (AMC Citation2017, VII). Bien que la politique canadienne reconnaisse que les femmes et les filles font face à des inégalités découlant de l’intersection des systèmes d’oppression (AMC Citation2017, 8), l’intersectionnalité n’est évoquée que deux fois dans le texte et la prise en compte des systèmes d’oppression autres que le genre reste limitée. Une autre initiative canadienne, Le cadre sur l’anti-racisme du secteur de la coopération internationale du Canada, vise quant à elle à guider une réflexion sur la lutte au racisme dans une approche intersectionnelle dans les programmes, les projets, les communications, le plaidoyer et l’administration et la gestion des ressources humaines (Coopération Canada Citation2021, 13).

Dans ce contexte où des bailleurs de fonds, dont le Canada, adoptent un discours et des politiques féministes en coopération internationale, il serait cohérent de croire que cette approche se transpose également dans la gestion interne des organisations. Pourtant, l’analyse de la littérature portant sur les organisations de coopération internationales (OCI) permet de constater que la situation est toute autre. Les efforts mis dans les politiques internationales féministes ne semblent pas influencer positivement le parcours des personnes au sein des OCI, particulièrement les femmes (Rao Citation2020).

Les quelques études sur la carrière montrent qu’il existe plusieurs enjeux et obstacles pour les personnes qui travaillent dans les OCI. Ces enjeux, qui sont similaires mais exacerbés en contexte humanitaire, ont des impacts sur la santé physique et psychologique et se manifestent par du stress, une pression psychologique, de la fatigue compassionnelle et de l’insécurité (Brooks et al. Citation2015). Les études soulèvent que le manque de soutien à la carrière se traduit par une insécurité d’emploi, un manque de ressources consacrées à la gestion des ressources humaines (GRH) et l’interchangeabilité des personnes dans la réalisation des projets, ce qui a un impact sur la rétention et la progression (Bogacz-Wojtanowska, Peter-Bombik et Wrona Citation2018). Cette dernière est affectée par des conditions de travail difficiles, la grande difficulté à harmoniser la vie personnelle et professionnelle (HVPP), et la persistance de systèmes d’oppressions qui participent à la reproduction d’inégalités entre les travailleurs·euses (Auclair et al. Citation2019; Stine, Tim et Heiko Citation2018). Des études soulèvent que les femmes, les personnes racisées et des Suds sont davantage victimes de stéréotypes, de discriminations, de harcèlement et de traitements inégalitaires (Houldey Citation2019).

Bien que des articles s’intéressent aux parcours de carrière des personnes dans les OCI (Brassart Citation2019; Garbe et Cadin Citation2015), ceux portant sur l’inclusion des groupes historiquement et socialement marginalisés et sur la façon de répondre aux obstacles que ces personnes rencontrent sont rares. La littérature actuelle aborde peu la carrière des femmes dans le secteur, mais elle est encore moins fournie concernant la carrière des personnes en situation d’handicap, des membres des communautés LGBTQI2S+, des Autochtones, et d’autres groupes vivant des discriminations. Encore moins d’écrits s’attardent à l’intersection des systèmes d’oppression, leurs impacts sur la carrière des personnes au sein des OCI et, surtout, les pratiques organisationnelles pour assurer une meilleure gestion et rétention de ces personnes.

Dans ce contexte, une recherche qualitative s’appuyant sur la méthodologie du design-based research a été entreprise pour répondre à la question suivante: Selon les approches féministes intersectionnelles et d’inclusion, quelles pratiques les OCI et les différentes parties prenantes doivent-elles mettre en place pour assurer une meilleure rétention et gestion de carrière des personnes? Dans le cadre de cette recherche, des consultations, des entretiens individuels et des entretiens de groupes ont permis de rencontrer 161 personnes représentant 19 organisations (incluant des bailleurs de fonds, des associations d’OCI, des organisations de développement, des organisations humanitaires et des partenaires) œuvrant dans différents contextes. L’objectif était de documenter les pratiques de gestion favorables à la rétention et la gestion de carrière. Si la littérature montre les obstacles, les pratiques organisationnelles à instaurer demeurent peu documentées.

Sur la base d’une revue de la littérature portant sur les enjeux et obstacles à la carrière et sur un cadre théorique bidimensionnel, la démarche méthodologique et les résultats de recherche sont présentés afin de proposer un modèle collectif de pratiques équitables et inclusives facilitant la rétention et la progression du personnel des OCI en prenant en compte les inégalités inhérentes aux systèmes d’oppression et à leurs intersections.

Revue de littérature et cadre théorique

La littérature sur la carrière des personnes au sein des OCI canadiennes et internationales porte principalement sur les enjeux et obstacles rencontrés. Ces études proposent des variables pertinentes, mais ne procurent pas un cadre théorique permettant de documenter les pratiques organisationnelles pour assurer une meilleure rétention et gestion des ressources humaines en prenant en compte les inégalités systémiques et leurs intersections. Pour répondre à la question de la recherche, il a été essentiel d’avoir recours à une approche théorique bidimensionnelle mobilisant la littérature sur la rétention en emploi et le cadre d’analyse féministe intersectionnel et les théories sur l’inclusion. D’une part, la littérature sur la rétention en emploi permet d’identifier les dimensions organisationnelles ayant un impact sur le parcours de carrière (Korff et al. Citation2015; Randel et al. Citation2018). D’autre part, l’intersectionnalité (Crenshaw Citation1990; Collins et Bilge Citation2020), est un outil essentiel pour analyser la co-construction des inégalités qui découlent des systèmes d’oppression (ex.: sexisme, cisgenrisme, racisme, capitalisme, âgisme, capacitisme, colonialisme, etc.) et pour comprendre les effets de leurs articulations. Cette grille d’analyse prend son ancrage dans les mouvements du black feminism. Les militantes et intellectuelles afroféministes des années 1970 soulignaient l’incapacité des cadres d’analyses dominants de prendre en compte le caractère multidimensionnel des oppressions que vivent les femmes noires aux États-Unis (Combahee River Collective Citation1977). Si initialement l’analyse mettait davantage l’accent sur trois systèmes d’oppression (sexisme, racisme et classisme), l’intersectionnalité est maintenant utilisée pour comprendre et lire la multiplicité des différents systèmes d’oppression (Collins et Bilge Citation2020). Ces derniers sont abordés comme ne pouvant pas être mutuellement exclusif, mais comme interagissant et s’influençant les uns et les autres.

Cette grille d’analyse permet de prendre en compte les effets imprévisibles de l’articulation des différents systèmes d’oppression (Mestiri Citation2021). Il ne s’agit donc pas d’une analyse cumulative dans laquelle les oppressions s’additionnent, mais bien de comprendre les inégalités ou les privilèges qui émergent de l’intersection de celles-ci (Collins et Bilge Citation2020). Ainsi, en plus de prendre en compte les diverses inégalités qui influencent les trajectoires des individus, notamment des femmes, l’intersectionnalité met en lumière le chevauchement et la co-construction de ces systèmes et la création de multiples niveaux d’injustices sociales qui teintent les expériences différenciées des individus à l’intersection des systèmes d’oppression.

Dans le présent article, la mobilisation de l’intersectionnalité permet d’explorer les niveaux: 1) microsocial, où sont analysés les effets des structures inégalitaires sur la vie des personnes, notamment dans leur parcours de carrière, et 2) macrosocial, où sont questionnées les façons dont les systèmes d’oppression sont impliqués dans la production et le maintien de ces inégalités dans les organisations et dans les sociétés (Collins Citation1990; Collins et Bilge Citation2020). Par ailleurs, il arrive que le colonialisme, un système produisant des impacts importants dans les dynamiques transnationales, soit omis des analyses intersectionnelles. Il importe donc de préciser que l’analyse féministe intersectionnelle mobilisée ici inclut le colonialisme (Pagé et Pires Citation2015). Les théories sur l’inclusion s’inscrivent en complémentarité et permettent d’analyser la capacité des organisations à développer un environnement respectueux qui intègre pleinement toutes les personnes en les accompagnant avec des mesures de soutien adaptées (Ferdman Citation2014). Cette approche favorise l’analyse des systèmes d’oppression historiques et sociaux qui octroient des privilèges à certains groupes alors qu’ils dressent des barrières systémiques dans les trajectoires personnelles, professionnelles et sociales d’autres groupes. Cette prise de conscience est une première étape aux actions, individuelles, organisationnelles et collectives qui peuvent être prises pour réduire les inégalités et discriminations.

Cette démarche originale regroupe quatre enjeux du cadre théorique: la demande psychologique, le soutien à la carrière et les conditions de travail, l’harmonisation de la vie personnelle et professionnelle et le climat de travail.

Demande psychologique

Pour analyser la demande psychologique, la littérature sur la rétention s’appuie sur la notion de contrat psychologique qui réfère à la perception d’une entente tacite entre un individu et son organisation sur des obligations réciproques (Wolf Morrison et Robinson Citation1997). Le non-respect de ces obligations est perçu comme une perte du lien de confiance et peut engendrer de la frustration, voire un sentiment de trahison chez l’employé·e (Griep et Vantilborgh Citation2018). L’engagement, qui réfère à l’état psychologique individuel d’adhésion aux valeurs et objectifs organisationnels, implique une volonté de l’organisation de déployer des efforts afin de conserver un lien privilégié avec les personnes qui y travaillent.

La littérature portant sur le personnel des OCI soulève plusieurs enjeux liés aux problèmes de santé, de stress et à la sécurité des personnes, particulièrement en humanitaire (Mercado Citation2017). Le contexte de travail s’avère difficile pour les personnes confrontées quotidiennement à des risques de violences sexuelles, de stress, d’anxiété, d’épuisement professionnel et de choc post-traumatique, situation exacerbée en zone de conflits (Houldey Citation2019). Ce travail a un coût psychologique qui impacte de manière disproportionnée les femmes dû aux attentes genrées de soutien psychologique et émotionnel. Malgré ces préoccupations croissantes dans le secteur, il semble que les organisations n’y répondent pas adéquatement afin d’assurer la rétention du personnel avec des mesures prenant en compte les expériences différenciées selon l’appartenance à différents groupes sociaux (Giauque, Anderfuhren-Biget et Varone Citation2019).

Ces préoccupations sont des enjeux importants dans l’inclusion au travail puisque la fatigue et le stress peuvent exacerber les automatismes et le recours à des stéréotypes (Scharnitzky et Stone Citation2018) face aux groupes historiquement et socialement marginalisés. Tout en considérant la dimension macrosociale, le cadre d’analyse féministe intersectionnel et d’inclusion montre l’importance de respecter l’unicité de chaque personne (selon le genre, l’âge, la nationalité, l’orientation sexuelle, la religion, une situation d’handicap, etc.) et la nécessité d’assurer un accompagnement individuel dans un contexte où l’isolement, le stress, les situations émotionnelles difficiles et la non-reconnaissance du travail accompli peuvent affecter la rétention et la progression (Randel et al. Citation2018). L’intersectionnalité amène donc à questionner la reproduction de l’« archétype du héros humanitaire », souvent masculin, cisgenre, hétérosexuel, blanc, issu des Nords, et supposément invulnérable à toutes les situations (Houldey Citation2019). En reconnaissant l’imbrication des différents systèmes d’oppression, l’adaptation des mesures formelles liées aux enjeux de sécurité au travail sont très importantes pour répondre aux spécificités de chaque individu en considérant ses limites et l’accumulation des situations pouvant amener plusieurs personnes à quitter le milieu ou à se mettre – ou être mises – en retrait dans l’organisation (Auclair et al. Citation2019).

Conditions de travail et soutien à la carrière

La littérature sur la rétention en emploi montre l’importance d’un engagement organisationnel pour la gestion des personnes tant au niveau des conditions de travail que du soutien à la carrière (Bakker Arnold et al. Citation2008). Le bien-être et la rétention des personnes doivent s’inscrire dans un contexte organisationnel favorable. C’est-à-dire un contexte dans lequel les organisations assurent un environnement qui facilite l’inclusion de toutes les personnes en les accompagnant avec des mesures de soutien qui répondent à leurs besoins (Ferdman Citation2014).

Dans les OCI, la littérature montre toutefois des problèmes liés aux conditions de travail et au soutien à la carrière qui se traduisent par un important taux de roulement, un manque de ressources investies dans la GRH et un manque de diversité dans les postes hiérarchiques. Par exemple, seulement 40% des employé·e·s se réinscrivent pour une deuxième mission avec MSF Hollande (Korff et al. Citation2015). D’autres études soulignent que les salaires restent peu élevés malgré la professionnalisation (Narayanaswamy Citation2016). Cette non-reconnaissance s’appuie sur l’imaginaire ethnocentré du missionnaire-sauveur, mais également sur l’idée que le travail altruiste nécessiterait une abnégation et des conditions précaires (Bogacz-Wojtanowska et al. Citation2018). Cet imaginaire ethno et androcentré dévalorise et invisibilise les modèles alternatifs ainsi que les expériences, les expertises et le travail réalisé historiquement et encore majoritairement par les femmes et les personnes des Suds (Oxfam Citation2020). Cette dévalorisation se manifeste notamment dans des salaires inéquitables pour les personnes qui ne correspondent pas au modèle dominant. Auclair et al. (Citation2019) soulignent que les femmes, en raison des inégalités genrées, acceptent des salaires moindres, des contrats à durées restreintes ou pour lesquels elles sont surqualifiées. Mutambara et Mutambara (Citation2012) évoquent les effets du peu de ressources investies dans la GRH soient un manque de planification, de mentorat, de formation en emploi, et une quasi-absence de stratégies de rétention du personnel. Ce faible investissement dans la GRH est lié au financement des bailleurs de fonds réservé pour les projets réalisés sur le terrain et plus limité pour la gestion et le soutien de carrière.

La sous-représentation des personnes des groupes marginalisés à des postes de décision est aussi observée. Le plafond de verre (faible accès aux postes de direction) et la falaise de verre (accès à des postes de direction où le risque d'échec est important) sont bien documentés (Patel et al. Citation2020). Le plafond de béton illustre, comme le fait Beckett (Citation2020) en s’intéressant aux femmes racisées, comment l’intersection entre les systèmes d’oppression crée des obstacles spécifiques. Si les femmes en général peinent à atteindre les postes de décision, les personnes racisées, LGBTQI2S+ et/ou en situation d’handicap sont sous représentées dans tous les échelons des organisations (Rengers et al. Citation2019). Le plafond de lavande désigne la tendance des organisations à ne pas promouvoir les membres de la diversité sexuelle et de genre (c'est-à-dire les personnes qui ne correspondent pas à la norme hétérosexuelle et cisgenre) à des postes d'autorité (Gedro Citation2010). Le Global Closet souligne la portée internationale des défis sur l'invisibilité, la stigmatisation et les questions de sécurité pour les personnes LGBTQI2S+ dans différent pays où leurs droits ne sont pas assurés (Paisley et Tayar Citation2016). Pour les personnes vivant avec un handicap, leur inclusion est encore traitée à travers les projets plutôt que sous l’angle des personnes travaillant au sein des OCI (Handicap international Citation2019). Dans une perspective féministe intersectionnelle, il est important de souligner que la majorité des études portent sur la carrière des personnes des Nords. Cet élitisme occidentalisé découlant de la professionnalisation perpétue les inégalités entre les Nords et les Suds et exclut les personnes des Suds (Martins Citation2020).

Harmonisation vie personnelle et professionnelle (HVPP)

La littérature révèle les difficultés pour le personnel des OCI dans l’harmonisation vie personnelle et professionnelle, particulièrement la mobilité (Stine et al. Citation2018). Ces préoccupations émergent assez tôt chez les jeunes souhaitant travailler dans le domaine (Paré Citation2016) et les femmes qui perçoivent difficilement la compatibilité entre la carrière internationale et la maternité. Les personnes en couple et avec des enfants sont moins susceptibles de demeurer dans le domaine que les célibataires (Korff et al. Citation2015). Auclair et al. (Citation2019) montrent que les professionnelles ayant des personnes à charge (enfants, conjoint·e·s, parents, etc.) doivent déployer des stratégies individuelles pour répondre aux défis de l’harmonisation vie personnelle et professionnelle (report de la maternité; report des expériences terrain; mobilisation du réseau personnel – surtout féminin – pour l’appui aux tâches domestiques).

Pour faciliter l’harmonisation, Cerdin (Citation2011) recommande davantage de pratiques facilitatrices pour l’internationalisation des familles en soutenant la création d’un lien social pour le ou la conjoint·e à travers une activité structurante, en faisant de l’expatriation un projet familial enrichissant et en assurant une gestion pleine et entière par l’OCI. Des pratiques organisationnelles contextualisées qui prennent en compte les rapports sociaux inégalitaires (congés parentaux et familiaux, stabilité et flexibilité dans les horaires, possibilité de télétravail, etc.) sont des leviers équitables permettant de réduire la charge des employé·e·s et optimiser leur rétention (Giauque et al. Citation2019).

Ces pratiques sont centrales dans les études féministes et portant sur l’inclusion, car les femmes sont encore les principales responsables de l’organisation familiale et des soins aux proches (Patel et al. Citation2020). Aussi, plusieurs hésitent à se prévaloir complètement du congé parental, car cela est perçu comme un manque de dévouement à l’organisation ou d’ambition, en plus d’engendrer le risque de perdre des projets et de devoir repartir à zéro au retour du congé (Brière et Auclair Citation2020). Les mécanismes organisationnels doivent considérer les différents systèmes d’oppression et les inégalités qui en découlent en visant un partage équitable des responsabilités familiales, mais également en réfléchissant l’harmonisation vie personnelle et professionnelle dans toutes les étapes de la carrière (Auclair et al. Citation2019). Fechter et Walsh (Citation2010) soutiennent également l’importance de développer des analyses contextualisées et critiques sur la manière dont le sexisme, le racisme et le colonialisme sont imbriqués dans les pratiques et expériences de la migration temporaire et d’harmonisation vie personnelle et professionnelle.

Climat de travail

Les études sur la rétention en emploi montrent l’importance du climat sain, de la reconnaissance au travail et du soutien des collègues et gestionnaires dans l’organisation (Reimann Citation2017). Réaliser un travail dans une atmosphère sociale agréable, reconnaissante, interactive et juste aurait un effet positif sur le lien de confiance et ultimement sur l’intention de demeurer dans l’organisation (Randel et al. Citation2018).

Pourtant, la littérature souligne les rapports inégalitaires entre les travailleurs·euses des Suds et des Nords, des discriminations basées sur différents systèmes d’oppression (et leurs intersections), du harcèlement et des violences sexuelles. Ces dernières, dont sont particulièrement victimes les femmes et plus encore celles à l’intersection de différents systèmes d’oppression, ont des effets sur leur vie personnelle et professionnelle, dont leur retrait du milieu (Seekatz Citation2020). Certaines pratiques organisationnelles sont proposées pour lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles, notamment la sensibilisation et la formation (AQOCI Citation2019), mais la littérature féministe démontre que ces pratiques ne sont pas suffisantes face aux systèmes d’oppression qui exacerbent les violences (Auclair et al. Citation2021).

Alors que la coopération internationale est présentée comme un secteur social bon et juste, des études montrent au contraire qu’il s’agit d’un milieu marqué par le sexisme, le racisme et les rapports coloniaux (Sondarjee Citation2020). En ce sens, la culture prédominante du secteur met encore de l’avant l’imaginaire du travailleur masculin, cisgenre, hétérosexuel, blanc et issu des Nords, ce qui biaise les perceptions et participe à l’exclusion professionnelle des personnes ne correspondant pas à ce modèle (Houldey Citation2019). Les constructions sexistes, racistes et colonialistes de l’aide continuent à teinter l’image de cette profession et à façonner les pratiques, les valeurs et le climat de travail. Baillie Smith, Laurie, et Griffiths (Citation2018) soutiennent que les personnes qui travaillent dans un contexte Sud-Sud uniquement font l’objet de peu d’attention, car cette situation conteste l’imaginaire de la coopération où les Suds et les travailleur·euse·s des Suds sont considéré·e·s comme des « bénéficiaires » plutôt que des agent·e·s actif·ve·s.

Selon les approches féministes, les organisations doivent revoir les structures de travail et la culture organisationnelle afin de mettre en œuvre des changements au niveau des pratiques (Brière et Auclair Citation2020). Une culture d’équité et d’inclusion, qui se traduit principalement par des valeurs, des comportements et des pratiques favorisant l’élimination des discriminations et la participation pleine et équitable des groupes discriminés est privilégiée (Nishii Citation2013).

Le résume les éléments de la revue de littérature présentés plus haut et les différentes variables de recherche selon une combinaison d’approches.

Tableau 1. Cadre intégré: approches théoriques et variables de recherche.

Méthodologie

Pour répondre à la question de recherche, les approches méthodologiques du design-based research (DBR) et féministes ont été mobilisée. Plus spécifiquement, le cadre féministe intersectionnel prend en compte les systèmes d’oppression et les effets discriminant de leurs intersections (Collins et Bilge Citation2020) alors que la théorie féministe des connaissances situées (Harding Citation2009) met au centre de la réflexion les personnes ciblées par la recherche afin qu’elles-mêmes racontent leurs expériences et participent à l’analyse.

La DBR considère aussi les particularités du contexte et des parties prenantes impliquées dans l’identification des pratiques organisationnelles souhaitées. Cette méthode s’ancre dans une tradition de recherche utile pour le terrain, car elle produit des connaissances qui pourront être réappropriées par ses parties prenantes. Plus spécifiquement, la DBR est un processus méthodologique issu des sciences de l’éducation qui a été développé pour améliorer les techniques d’enseignement et d’apprentissage, mais dont les principes sont transférables dans d’autres disciplines. La DBR consiste essentiellement en un protocole de recherche qui implique une collaboration étroite et étendue dans le temps entre les chercheur·euse·s et les praticien·ne·s pour le développement de pratiques innovantes visant l’amélioration d’une situation spécifique (Reeves Citation2006). Dans cette optique, la DBR est une méthode qui s’inscrit dans la volonté de produire de la recherche utile pour le terrain, en reconnaissant sa spécificité, et où les connaissances qui en émergent pourront être réappropriées par les personnes participantes (Stockless Citation2016). Cette démarche facilite un processus d’expérimentation et d’innovation dans un milieu complexe parallèlement à la recherche. L’objectif premier n’est pas la théorisation, mais la conception de solutions pratiques qui peuvent contribuer à la théorie.

La DBR comporte six étapes: identification du problème; définition des objectifs; design et développement; expérimentation; évaluation; communication des résultats et transfert des connaissances (Peffers et al. Citation2007). La recherche a permis la réalisation des trois premières étapes qui sont présentées dans cet article et illustrées dans la .

Figure 1. Méthodologie et étapes de réalisation de la recherche.

Figure 1. Méthodologie et étapes de réalisation de la recherche.

La première étape s’est effectuée d’octobre 2015 à juin 2016 et a permis de rencontrer 76 personnes (8 étudiantes et 7 diplômées d’une maîtrise en gestion du développement international et de l’action humanitaire, 42 professionnelles à différentes étapes de leur carrière, 2 consultantes, 13 gestionnaires et 4 directeurs·trices). Cette étape, dont l’objectif était de documenter les enjeux de carrière des femmes, a fait l’objet d’un chapitre de livre et a servi de base à la deuxième étape (Auclair et al. Citation2019). Une diffusion auprès des personnes et organisations participantes a permis de les consulter sur les premiers résultats et les suites à donner tant sur le plan scientifique que pratique.

La deuxième étape (définition des objectifs) a permis d’identifier des pratiques organisationnelles à mettre en place pour assurer une meilleure rétention et gestion de carrière dans une perspective féministe intersectionnelle. Une revue de la littérature basée sur des critères d’inclusion (Kitchenham et al. Citation2009) a été réalisée. Pour couvrir toutes les dimensions, diverses bases de données (EBSCO, Érudit, ProQuest, Google Scholar), sites Web organisationnels (AMC, OXFAM, AQOCI, etc.), articles, chapitres de livres, documents de travail, rapports, guides et politiques ont été inclus.

La collecte de données réalisée dans la deuxième phase et sur laquelle s’appuie cet article s’est déroulée de février 2019 à septembre 2020. Cette étape a permis de rencontrer 161 personnes majoritairement au Canada, mais également dans 6 pays situés en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Cette collecte a été menée auprès de 19 organisations (10 OCI de développement, 4 OCI humanitaires, 3 bailleurs de fonds, une association et un organisme partenaire). Des personnes rencontrées, 86 ont participé à des consultations (7) qui ont pris la forme de réunions et d’entretiens de groupes et 75 à des entretiens semi-dirigés individuels ou de groupes. Tel que présenté dans le , les entretiens semi-dirigés ont été menés auprès de 54 femmes et 21 hommes qui occupaient des postes distincts.

Tableau 2. Participant·e·s entretiens semi-dirigés – phase 2.

Selon la fiche sociodémographique, 17 personnes s’identifient comme étant racisées, 4 comme Autochtones et 5 à la diversité sexuelle. Les personnes appartenaient à différents groupes d’âge (de 30 ans et moins à 65 ans et plus), celui de 40 à 44 ans est le plus représenté. 45 participant·e·s avaient des personnes à charge. Aucune personne autochtone au Canada ou en situation de handicap n’a pu être rencontrée. Les entretiens, qui s’appuyaient sur un guide développé par l’équipe de recherche, ont été enregistrées, transcrits intégralement et codifiés à l’aide de MAXQDA.

Afin de répondre à la fois au processus d’analyse itératif et au principe de la validation des savoirs par les participant·e·s porté par les méthodologies féministes et dans le but de générer un design contextualisé, sept consultations sous forme de réunions et d’entretiens de groupes ont été menées auprès d’acteurs et d’actrices clés, notamment des représentant·e·s des bailleurs de fonds et des OCI canadiennes. Afin de réaliser l’étape 3, un modèle original et collaboratif pour instaurer les nouvelles pratiques organisationnelles selon les quatre dimensions de la rétention et la progression en emploi depuis la perspective féministe intersectionnelle a été développé dans la discussion. Dans une prochaine étape, ce modèle sera proposé aux différentes organisations afin d’en tester l’implantation, de l’évaluer, puis de proposer des adaptations (Stockless Citation2016).

Résultats

Les résultats exposent les différentes pratiques à mettre de l’avant dans une perspective féministe intersectionnelle pour faciliter la gestion et la rétention des personnes, particulièrement celles appartenant à des groupes sociaux historiquement et socialement marginalisés. Ces pratiques sont regroupées selon les dimensions du cadre théorique, soit la demande psychologique, le soutien à la carrière, l’harmonisation vie personnelle et professionnelle et le climat de travail. Ces résultats visent à déterminer les rôles et responsabilités des différentes parties prenantes tant aux Nords qu’aux Suds puisque les témoignages montrent la nécessité de travailler dans une approche collaborative et de complémentarité des expertises.

Demande psychologique

Des politiques décentralisées de bien-être au travail

Les résultats montrent que seulement quelques organisations ont des politiques en matière de santé et de mieux-être au travail. Celles-ci ont pour objectif d’améliorer la santé physique et psychologique des membres du personnel en engageant l’organisation dans la création d’un milieu de travail sain, mobilisateur et participatif, et d’allouer les ressources humaines et financière nécessaires pour la mise en œuvre d’activités visant la santé et le mieux-être du personnel (i.e: activité de pleine conscience, fêtes et anniversaires, etc.). L’investissement de la haute direction dans une approche visant le bien-être, mais aussi la diversité, l’équité et l’inclusion, s’avèrent incontournables, puisque les participant·e·s n’ayant pas ce soutien énoncent une insatisfaction importante, et parfois même une détresse psychologique dans leur emploi. Une des organisations rencontrées collabore avec une entreprise externe pour offrir un service de soutien psychologique gratuit aux employé·e·s et aux membres de leur famille. Accessible de partout dans le monde, cela facilite la prestation du service pour les personnes en mobilité.

Les résultats montrent l’importance que ces services soient offerts dans tous les contextes et à toutes les personnes. Comme le soulève une spécialiste locale:

Le problème c’est qu’il y a des ressources au niveau du siège. Tu vas appeler quelqu’un par Skype [dans un pays des Nords], qui est très loin. Les gens n’ont pas confiance (O1S2).

Des politiques de santé et sécurité au travail accessibles indépendamment du type de contrat et du groupe social

Les résultats confirment la nécessité d’une politique de santé et sécurité au travail adaptée aux enjeux d’insécurité qui caractérisent l’ensemble du milieu professionnel et qui sont exacerbés en humanitaire. Les résultats illustrent cependant la nécessité que ces politiques et mesures s’appliquent sans restriction à tous les groupes en tenant compte des inégalités sociales inhérentes aux systèmes d’oppression (selon le genre, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique, la situation de santé, le pays de provenance, etc.) et aux effets de leurs intersections, mais aussi des types de contrats (employé·e·s/volontaires, recrutement international/local, etc.). L’application de mesures sans l’accord ou dialogue avec les individus ciblés peut mener à l’exclusion et avoir des effets collatéraux sur la demande psychologique. Une professionnelle raconte:

On m’a refusé à une mission de suivi pour des raisons dites de sécurité [parce que je suis une femme]. Je ne comprenais pas l’analyse du contexte de mon gestionnaire. J’aurais pu y aller. J’ai été exclue (O5P3).

Cette exclusion est aussi vécue, notamment, par les personnes LGBTQI2S+. Une professionnelle est arrivée à la conclusion que sa progression de carrière était limitée en raison de son orientation sexuelle. Elle explique:

Je suis en couple avec une personne de même sexe et je ne voulais pas être séparée de ma partenaire. Les options de missions étaient toutes dans des pays où l'homosexualité est criminalisée (O7P8).

Pour rester dans le secteur, cette professionnelle, comme d’autres appartenant à des groupes marginalisés, a dû se résigner à accepter des contrats permettant sa rétention en emploi, mais limitant sa progression de carrière.

Un exemple de l’application de ces politiques dans une approche intersectionnelle, c’est-à-dire sans restriction selon les groupes sociaux et les types de contrats, est la couverture et l’assurance pour la santé et la sécurité au travail qui doivent inclure non seulement les employé·e·s des OCI, mais aussi les volontaires. Une organisation qui cherchait à étendre cette couverture à ses volontaires afin d’offrir un soutien équitable n’a pu le faire en raison des coûts élevés. Ce cas illustre l’importance de travailler en concertation dans la mise en place de mesures et d’actions concrètes compte tenu des zones à risques et des particularités liées aux contextes d’insécurité. Comme plusieurs personnes rencontrées, un gestionnaire soutient qu’:

… il faut des protocoles clairs et une entente avec les bailleurs de fonds sur les procédures et responsabilités pour assurer la sécurité du personnel, notamment en cas de recrudescence d’un conflit dans le pays. Il faut que l’organisation puisse être autonome, mais il faut qu’elle ait le soutien de son bailleur (O2G2).

Conditions de travail et soutien à la carrière

Politiques de rémunération, de recrutement et de nomination transparentes, inclusives et localisées

Les résultats indiquent la nécessité d’avoir des politiques de rémunération et des processus de gestion contractuelle plus équitables et prenant en compte l’intersection des différents systèmes d’oppression. Plusieurs témoignages revendiquent de meilleures conditions de travail qui devraient être assurées pour le personnel local, comme le souligne cette spécialiste:

Je suis [dans un pays d’Afrique]. Je me dis: « Bon, les gens ici ne méritent pas plus que ça! », le directeur-pays gère ces gens-là comme il veut. Non! Il faut qu’il y ait les mêmes standards, ou au moins des standards qui soient respectés. Qu’il y ait quelqu’un, une entité, qui puisse monitorer ces standards (O1S2).

Certaines personnes proposent, pour réduire les discriminations liées à la rémunération, de rendre les échelles salariales publiques. Cette idée est évoquée par une spécialiste genre qui soutient que: « À partir du moment où on institutionnalise ces pratiques, ça devient plus difficile pour un gestionnaire de discriminer entre un homme et une femme » (C1S1). En plus des salaires, l’équité dans les couvertures d’assurances pour les personnes recrutées localement est nommée comme enjeu important.

Selon plusieurs témoignages, la relation avec les bailleurs de fonds doit être revue dans ce contexte. Les accords de contribution devraient permettre d’allouer des sommes d’argent pour les conditions de travail. En cohérence avec les politiques féministes, les bailleurs devraient non seulement émettre des exigences, mais également les appuyer avec des ressources financières et un accompagnement technique. Cela peut se faire de façon ponctuelle auprès des organisations qui ont un accord de contribution ou de façon continue auprès des associations d’OCI pour assurer le soutien à toutes les organisations.

Les résultats montrent l’importance d’avoir des politiques transparentes, équitables et inclusives en matière de recrutement et de nomination. Les organisations doivent adopter un cadre d’analyse intersectionnel lors du recrutement et dans le soutien à la progression de carrière pour pallier les discriminations systémiques qui se manifestent dans le manque de diversité et les conditions inéquitables, notamment entre les hommes et les femmes et entre le personnel local et international. Une professionnelle provenant d’un pays des Nords explique:

Ce sont des attitudes très coloniales qui existent encore aujourd’hui qui font que certaines personnes qui viennent de l’occident vont avoir plus de facilité à entrer dans ce monde-là que les personnes locales qui vivent dans les pays où on va faire les interventions et qui ont tout autant de savoirs (AH1S1).

Dans cette perspective d’inclure une analyse féministe intersectionnelle dans les pratiques organisationnelles, la présence de spécialistes facilitant la révision et la diversification des critères et des processus de recrutement doit être valorisée. La responsabilité ne doit toutefois pas incomber uniquement aux spécialistes des inégalités, notamment genrées, et de l’analyse féministe, mais également être partagée par des personnes de tous les échelons de l’organisation. De plus, des actions positives ou des cibles devraient être fixées afin d’assurer une meilleure représentativité des groupes marginalisés, particulièrement dans des postes de décision, et valoriser les parcours atypiques, notamment des expertises des Suds. Une professionnelle mentionne à cet effet l’importance de revoir les critères de sélection qui créent un « élitisme entre collègues du Nord et du Sud [qui fait] que ce n’est pas tout le monde qui a accès aux mêmes opportunités » (O1P2). Une autre ajoute:

On doit trouver la personne qui peut prendre trois charges de travail, faire des missions … ça coupe des opportunités pour des gens qui viennent de la diversité en termes culturels, mais aussi de capacités, par exemple les personnes handicapées. Pour le moment, ça favorise celles qui ont eu accès à l’éducation, qui ont pu se développer et qui comprennent vite ce dont on a besoin. Si on avait de la flexibilité au niveau des exigences, on pourrait se permettre d’être dans l’apprentissage (C2P4).

Plusieurs organisations ont mentionné l’importance de recruter davantage de personnes locales. Une professionnelle qui pose un regard critique sur sa positionnalité en tant que personne des Nords témoigne:

… Moi, je suis une Canadienne avec un contrat local pour une ONG internationale, est-ce que je prends la place d'une [personne du pays]? Et si je n’ai pas l'intention de rester, qu'est-ce que ça veut dire pour l'organisation, la pérennité du projet, du programme ou des contacts (O8P4)?

En plus du processus de recrutement, il est essentiel de mettre en place des mesures soutenant la progression. La présence d’un processus formel d’évaluation annuelle représente une mesure positive. Une directrice explique:

Dans le formulaire [d’évaluation annuelle], on demande leurs aspirations pour les prochaines années, la formation professionnelle qu’ils aimeraient avoir, ou qu’ils devraient prendre. On s’assoit avec la personne et elle peut dire « J’aspire à un poste de cadre. Comment puis-je faire? » Donc, lorsqu’il y a des postes de cadre qui s’ouvrent, on peut les encourager [à postuler] (O1D1).

Le processus formel n’est toutefois pas suffisant, il doit prendre en compte les rapports de pouvoir et les inégalités inhérentes aux différents systèmes d’oppression. Pour ce faire, il est essentiel que les personnes qui effectuent ces évaluations soient formées, sensibilisées et aient les outils adéquats. Plus encore, il est important que les équipes impliquées dans ces processus soient, elles aussi, composées de personnes appartenant à divers groupes sociaux.

Mécanismes formels de soutien à la carrière dans une perspective collective

Les résultats indiquent l’importance des plans de soutien à la carrière face aux mouvements latéraux, roulement et permutations régulières. La valorisation et la reconnaissance des compétences diversifiées doit s’inscrire dans un accompagnement qui s’adapte à toutes les étapes de la carrière. Ces mécanismes doivent également prendre en compte les interruptions de carrière, les congés parentaux ou les besoins liés à la famille et à la vie personnelle. En outre, ces éléments doivent être analysés selon les contextes et les groupes sociaux qui rencontrent des défis différents. Les RH doivent avoir des plans pour soutenir le personnel et assurer sa rétention dans l’organisation plutôt que recommencer à zéro avec une nouvelle personne qui semble plus disponible, souvent parce qu’elle correspond à la norme issue du modèle professionnel valorisé. Les organisations doivent s’engager à soutenir la rétention dans une approche féministe intersectionnelle et inclusive, notamment en intégrant des personnes issues des groupes marginalisés – plus encore des personnes se situant à l’intersection de divers systèmes d’oppression – en proposant des accommodements lorsque nécessaire, en recrutant davantage localement et en offrant du soutien à la carrière personnalisé. Le mentorat et la valorisation de modèles alternatifs ont été mentionnés par plusieurs pour soutenir la carrière et l’accès aux postes de décisions des groupes marginalisés, à condition qu’il s’agisse d’un processus reconnu dans la charge de travail.

Les résultats montrent également la nécessité que les bailleurs de fonds appuient les mécanismes formels de soutien à la carrière. Cet appui pourrait se faire dans l’attribution et l’admissibilité des ressources affiliées aux différents projets octroyés aux OCI, leur permettant d’assurer certains services en matière de RH. Un soutien spécifique aux plus petites OCI devrait aussi être apporté par les bailleurs de fonds et les associations par la création de services communs et partagés comme le souligne une professionnelle:

Il faut approcher les choses de manière intégrée. On est en coopération internationale, on parle de solidarité … il faut un effort collectif. Il n’y a pas une organisation qui peut le faire seule (C1P3).

Les associations et les fédérations peuvent coordonner les organisations dans leurs demandes envers les bailleurs de fonds pour s’assurer d’avoir les ressources afin de mettre en œuvre les mesures qui permettent de soutenir la progression de carrière des personnes vivant des discriminations en raison des différents systèmes d’oppression.

Collecter et suivre les données en matière de diversité, d’équité et d’inclusion

Afin de réduire les inégalités systémiques et leurs effets d’exclusion et de discriminations historiques et contemporaines, l’organisation doit avoir des données désagrégées sur la représentation des différents groupes sociaux. Une gestionnaire mentionne d’ailleurs que:

Les RH sont censés le faire pour que nous connaissions, sur la base de chiffres, le portrait de notre personnel et qu’on identifie et réponde aux lacunes. C’est un bon point de départ, car tant que vous ne connaissez pas vos données, que vous les désagrégez et que vous les regardez d'un point de vue analytique, vous ne pouvez rien faire. Une fois que nous avons toutes ces informations, nous pouvons apporter des modifications à nos politiques (AH3G1).

Ces données devraient être colligées dans des plans contextualisés d’équité, de diversité et d’inclusion intégrant une perspective féministe intersectionnelle (EDII) qui prévoient des mesures adaptées et de redressement incluant des ressources humaines et financières. La contextualisation et l’approche féministe intersectionnelle dans ces plans est essentielle afin d’éviter que ceux-ci, de plus en plus exigés par les bailleurs de fonds, se limitent à une démarche imposée, dépolitisée et n’apportant pas de changements structurant au niveau de la représentativité et de la réduction des inégalités. Comme le mentionne une gestionnaire, le positionnement de la direction est important:

Il y a un travail à faire pour avoir une meilleure représentativité au sein même des organisations, de l’équipe, non seulement en termes de genre, mais en termes de diversité, etc. Si on a des personnes plus haut placées qui ont cette sensibilité, on aura plus de diversité (C2G1).

Ces données devraient permettre une meilleure reddition de compte en matière de représentativité des différents groupes sociaux dans l’organisation et aux différents échelons de celle-ci. Ces démarches devraient aussi être appuyées par des équipes indépendantes tant chez les bailleurs de fonds que les partenaires des OCI, associations ou universités. Il est proposé que les actions en EDII soient inscrites dans les critères d’approbation des projets et dans la reddition de compte.

Harmonisation vie personnelle et professionnelle

Des politiques familiales élargies et des pratiques équitables

Les résultats montrent que la majorité des organisations ont des politiques familiales, mais qu’elles sont surtout réfléchies pour le personnel international. Même pour celui-ci, ces politiques ne sont pas toujours connues ou utilisées. Des participantes d’expérience notent même un recul dans les mesures existantes, comme l’explique une professionnelle: « Malgré la politique d’aide féministe [canadienne], il y a beaucoup d’acquis en conciliation travail-famille qui se sont perdus » (C2P2). Selon plusieurs témoignages, davantage de postes familles sur le terrain faciliterait la rétention des femmes des Nords qui ont des personnes à charge. Dans ces cas, le fait d’avoir un emploi disponible pour le ou la conjoint·e est encore plus facilitant. D’autres témoignages insistent sur le soutien sur le terrain pour les personnes en mission comme d’envoyer un couple qui travaille dans le même secteur dans la même ville, la possibilité de partager un poste en couple et payer des services pour faciliter les missions des personnes monoparentales et des familles (service de garde, transport, présence ponctuelle des enfants au bureau lors de congés, billets d’avion en cas de problème familial ou de maladie, etc.).

Les résultats soulignent la nécessité que les politiques et mesures d’harmonisation vie personnelle et professionnelle soient non seulement plus transparentes et diffusées, mais également mieux adaptées aux réalités des personnes situées à l’intersection de divers systèmes d’oppression, particulièrement les femmes et le personnel local. Des 45 participant·e·s ayant des personnes à charge, celles des Nords mentionnent essentiellement des enfants, alors que celles des Suds ont des charges familiales plus larges et diversifiées. Les standards d’HVPP doivent être harmonisés et respectés pour tous et toutes, c’est-à-dire équitables entre les différents types de personnel (employé·e/volontaire; international/local) et d’une organisation à l’autre en tenant compte des inégalités systémiques (selon le genre, l’orientation sexuelle, l’appartenance ethnique, la situation de santé, le pays de provenance, etc.). Des options adaptées aux besoins (par exemple, certaines femmes enceintes souhaitent se déplacer, d’autres pas), des remplacements pour les congés parentaux (dans tous les types de postes) et des mesures qui prennent en compte la diversité des charges familiales et personnelles doivent exister.

Ces politiques doivent se faire en concertation avec les partenaires du milieu, particulièrement les bailleurs de fonds, puisque les mesures sous-jacentes doivent être budgétisées dans les projets plutôt que de mettre de la pression sur les organisations pour couper dans les programmes permettant d’envoyer des familles sur le terrain. Ces mesures doivent être vues par les bailleurs comme un investissement dans la carrière et la rétention des personnes. Les partenaires du milieu (associations, fédérations, universités, etc.) peuvent être mis à contribution pour apporter une expertise dans la mise en œuvre des politiques familiales et d’harmonisation, voire d’équilibre, entre les différentes sphères de la vie.

Aménagement du temps de travail et reconnaissance du travail invisible

Les résultats soulignent que les organisations les plus avant-gardistes misent sur la flexibilité, sont ouvertes aux besoins particuliers et diversifiés de leur personnel et sont prêtes à considérer des accommodements. Les organisations doivent toutefois faire preuve de proactivité pour repenser l’aménagement du temps de travail avec des propositions inclusives qui évitent le cas par cas et la responsabilisation des personnes marginalisées de négocier les accommodements. La notion de flexibilité doit être bien définie et elle ne doit pas devenir synonyme de disponibilité sans limites comme l’explique un gestionnaire local avec l’exemple des missions terrain des bailleurs:

On nous fait écrire un projet féministe … il faudrait être conséquent au moment de la mise en œuvre. Quand [les bailleurs] viennent en mission d’évaluation ou de suivi, tout le monde est à leur disposition. Ça commence à 8h00 et termine à 22h00 … on ne considère pas le temps des personnes qui ont des familles, ou qui n’en ont pas. Le chef de mission, il n’a rien d’autre à faire que recueillir ses données … mais toute l’équipe d’hommes et de femmes qui tentent de réaliser ce projet, durant la mission, ils et elles doivent négliger leur famille … si tu avais des plans … je suis bien désolé, mais tu dois oublier ça (O6G1).

Les résultats montrent la nécessité d’une réflexion avec les parties prenantes sur la charge de travail, mais également le travail invisible, réalisé majoritairement par les femmes et les personnes des groupes marginalisés, particulièrement ceux et celles des Suds.

Climat de travail

Espaces d’inclusion: reconnaitre et travailler sur les rapports de pouvoir qui structurent les relations de travail

Les résultats révèlent l’importance d’avoir des milieux de travail plus inclusifs basés sur une communication transparente, la création d’espaces de discussion et la formation pour l’ensemble du personnel aux valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion. Les personnes rencontrées parlent de l’importance de « walk the talk » tant à l’interne qu’avec les partenaires. C’est-à-dire que les rapports de pouvoir, issus des systèmes d’oppression qui caractérisent les relations de travail doivent être reconnus, pris en compte et atténués par des pratiques concrètes qui favorisent l’inclusion. Cela peut se traduire par exemple par des activités impliquant les familles, de l’accompagnement de collègues lors de mission ou encore des formations pré-terrain incluant un volet communication interculturelle, code de conduite et valeurs de l’organisation. Ces espaces passent aussi par une remise en question des rapports de pouvoir entre les organisations au siège et celles du terrain et entre le personnel des Suds et des Nords.

Les OCI doivent être accompagnées dans ces pratiques d’inclusion depuis une approche intersectionnelle par un programme de services partagés, une banque d’heures ou une équipe-ressource par exemple via des outils interactifs ou des webinaires. Pour les bailleurs de fonds, cela implique d’assurer que la communication permette la flexibilité nécessaire à l’innovation, soit que les espaces d’échanges ne soient pas uniquement liés aux évaluations et redditions de compte, mais permettent aussi de réfléchir et proposer des alternatives aux pratiques existantes. Une plus grande collaboration avec les Universités des Nords et des Suds est proposée afin de documenter les enjeux et les pratiques de favoriser des changements structurants. Il importe aussi de travailler avec les organisations de défense des droits des groupes historiquement et socialement marginalisés dans le pays pour aligner les priorités en matière de réduction des inégalités inhérentes aux systèmes d’oppression avec les priorités et les initiatives locales.

Les résultats démontrent qu’il y a une corrélation directe entre le discours de la direction engagée envers l’équité, la diversité et l’inclusion et les approches féministes et le bien-être des employé·e·s. Les personnes soulignent l’importance de mieux reconnaître les biais inconscients et de développer des pratiques organisationnelles qui réduisent les inégalités existantes et la reproduction des relations sexistes, racistes et néocoloniales comme l’explique ce gestionnaire:

Le modèle paternaliste est remis en question … celui où les sièges sociaux s’accaparent encore beaucoup les overhead et où tous les projets restent au Nord. On s’est battu pour donner de l’autonomie au terrain. Il fallait tout faire réviser et approuver par le siège alors qu’on a une équipe super compétente. On a décentralisé l’utilisation de certains fonds pour que les décisions se prennent sur le terrain. C’est beaucoup plus flexible, c’est plus pratique aussi (O8G2).

Politiques et mesures de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles (HVS)

Dans le contexte canadien où les politiques contre le harcèlement et les violences sexuelles sont obligatoires, des efforts sont mis de l’avant pour aborder cet enjeu, mais les OCI ne disposent pas des ressources techniques et financières pour répondre à ces exigences. Les organisations doivent pourtant instaurer une culture de tolérance zéro en matière de violences sexuelles. Comme le soutien une spécialiste:

Le problème c’est qu’il n’y a pas vraiment [de travail] sur la culture … c’est-à-dire qu’à chaque fois, on remet des mesures en place « vous allez voir, ça n’arrivera plus ». Mais ça va arriver encore dans 10 ans parce qu’on ne travaille pas sur la culture.

Pour contrer le sentiment d’impunité et de banalisation des violences qui est dénoncé par plusieurs témoignages, il est nécessaire en prévention de former tout le personnel selon les différents rôles et contextes (personnes victimes/survivantes, témoins, confidentes, mais aussi celles qui commettent les gestes et celles qui ont des responsabilités de gestion des cas). Il est nécessaire que la politique soit accompagnée d’un code de conduite et d’une démarche de dénonciation connue, facile d’utilisation pour les personnes victimisées et qui implique des conséquences cohérentes et strictes. Une participante souligne:

Si on met des mécanismes en place qui font en sorte que c'est facile et pas risqué pour une femme de dénoncer un comportement inapproprié, à ce moment-là ça devient beaucoup plus difficile pour un homme d'avoir un comportement réprobateur (C1S1).

Les organisations doivent mettre en place des mesures et une culture qui permettent aux personnes victimes/survivantes d’avoir confiance que leur situation sera prise au sérieux, qu’elles seront écoutées et accompagnées. Par exemple, en assurant un service multilingue, différentes modalités de communication, différents services d’accompagnement pour tout le processus de dévoilement, dénonciation, soutien psychologique et juridique, etc.

Les bailleurs de fonds ne doivent pas uniquement exiger l’élaboration de politique, mais devraient appuyer techniquement et financièrement sa mise en œuvre, particulièrement pour les petites OCI. Ceux-ci doivent soutenir, en partenariat avec les associations et fédérations, les milieux académiques et les groupes spécialisés, la collecte et l’analyse de données empiriques en les contextualisant dans le continuum de violences multiples dans lequel elles s’inscrivent. Par ailleurs, bien que les enjeux liés aux violences sexuelles soient d’une importance majeure, certaines personnes participantes soulignent le fait que les efforts ne doivent pas se limiter à cette seule thématique, mais s’inscrire dans une démarche visant à assurer un climat de travail exempt de toutes formes de harcèlement et de violences.

Discussion et conclusion

Cette recherche avait comme objectif de documenter les pratiques de gestion favorables à la rétention et la gestion de carrière des personnes au sein des OCI canadiennes selon un cadre d’analyse féministe intersectionnel et d’inclusion. Les résultats montrent que des pratiques doivent être mises de l’avant ou renforcées au sein des OCI selon les enjeux et obstacles identifiés dans la littérature liée à la demande psychologique (Houldey Citation2019; Mercado Citation2017), les conditions de travail et le soutien à la carrière (Narayanaswamy Citation2016; Paré Citation2016), l’harmonisation vie personnelle et professionnelle (Cerdin Citation2011; Stine et al. Citation2018) et le climat de de travail (Auclair et al. Citation2021; Baillie Smith et al. Citation2018). Cet article a trois principales contributions aux plans scientifique et pratique.

Recension et analyse intersectionnelle de pratiques organisationnelles d’inclusion pour la rétention et la progression du personnel des OCI

Sur la base de données empiriques et documentaires, la première contribution est de recenser et d’analyser dans une perspective intersectionnelle des pratiques organisationnelles visant la rétention du personnel dans les OCI. Dans le contexte où la littérature sur ces organisations présente les enjeux et obstacles liés à la progression et la rétention de carrière, cette recension ajoute de façon originale aux connaissances scientifiques sur le sujet tout en alimentant les interventions possibles pour réaliser des changements visant la réduction des inégalités inhérentes aux systèmes d’oppression et à leurs intersections.

Les pratiques présentées viennent renforcer les études produites sur les différents types de parcours de carrière dans les OCI (Auclair et al. Citation2019; Brassart Citation2019; Garbe et Cadin Citation2015), mais bonifient les connaissances en les présentant et les analysant selon les différents concepts liés à la rétention au travail et en considérant l’inclusion des groupes historiquement et socialement marginalisés. Les différentes pratiques présentées tiennent compte de ces perspectives.

Proposition d’un modèle participatif et collectif pour des pratiques équitables et inclusives

Une deuxième contribution est de montrer l’importance du travail collectif à réaliser dans l’identification et l’implantation des pratiques proposées. Les résultats ont montré les responsabilités que les différentes parties prenantes ont pour favoriser la rétention et la carrière au sein des OCI qui ne peuvent, à elles seules, avoir la responsabilité d’implanter des changements. Les nombreux témoignages ont montré que les pratiques de gestion dans les OCI sont interreliées dans un plus large écosystème composé des bailleurs de fonds, des associations et des fédérations d’OCI et de partenaires tels que les Universités et les organisations de la société civile aux Nords et aux Suds. À partir des pratiques organisationnelles recensées et analysées dans les résultats, la propose dans un modèle original les différents rôles que pourraient jouer les parties prenantes.

Figure 2. Modèle collectif pour des pratiques équitables et inclusives.

Figure 2. Modèle collectif pour des pratiques équitables et inclusives.

Le modèle indique les responsabilités des bailleurs de fonds et l’importance qu’ils revoient les modalités de financement et d’attribution des accords de contribution des projets pour permettre une application des pratiques proposées au sein des OCI que ce soit pour le soutien à la carrière l’harmonisation vie personnelle et professionnelle, la sécurité ou le climat de travail. Les rôles identifiés indiquent également un changement de paradigme à l’effet que les bailleurs ne soient plus seulement les pourvoyeurs dans une logique purement administrative, mais qu’ils accompagnent et soutiennent les processus permettant aux OCI d’être bienveillantes et inclusives pour leur personnel tant aux Nords qu’aux Suds. Cela implique également une réflexion critique sur les pratiques organisationnelles et les processus qui sont marqués par des relations de pouvoir inégalitaires qui émanent des systèmes d’oppression comme le sexisme, le racisme et le colonialisme. Dans une optique de réduire les inégalités, il importe de valoriser et favoriser le protagonisme des personnes appartenant aux groupes historiquement et socialement marginalisés et des organisations (OCI, universités, partenaires, etc.) des Suds.

Dans cette perspective collaborative où les OCI n’ont pas toutes les mêmes moyens en termes de ressources humaines et financières, le modèle montre l’important rôle d’appui que peuvent jouer les associations et les fédérations d’OCI. Ce rôle peut se traduire par exemple dans la préparation de politiques et mesures de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles, les politiques familiales ainsi que la production et le suivi des données liées à la rétention et progression de carrière des personnes appartenant aux groupes marginalisés. Ce travail de développement et partage collectif permet de maximiser les connaissances et de soutenir les OCI dans la mise en place des pratiques.

Le développement de l’expertise doit également être soutenu par différents partenaires des Nords et des Suds, que ce soit le milieu académique, les entreprises, les associations communautaires, etc. Tous ces savoirs, issus de différents contextes et ne bénéficiant pas toujours de la même valorisation, représentent une contribution importante dans l’implantation des pratiques qui visent à réduire les inégalités et qui peuvent revêtir une certaine complexité, que ce soit par exemple la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles, les politiques de recrutement et de nomination dans une perspective intersectionnelle et inclusive ou encore la reconnaissance du travail invisible.

Enfin, la troisième contribution de cette recherche est de proposer des pratiques et un modèle qui alimentent à la fois les interventions sur le terrain et les connaissances scientifiques sur le sujet. Par le choix méthodologique basé sur le DBR (Järvinen Citation2007; Stockless Citation2016), il est prévu comme prochaine étape de présenter le modèle collaboratif afin d’obtenir de nouvelles rétroactions des parties prenantes, leur niveau d’appropriation, les modalités d’expérimentation des différentes pratiques et les rôles suggérés. Du point de vue scientifique, le modèle proposé, malgré les limites inhérentes à la généralisation des résultats compte tenu que la collecte de données s’est déroulée auprès d’organisations canadiennes, pourra inspirer la réalisation d’autres recherches dans des contextes de coopération différents. À notre connaissance, le besoin de réaliser des études pour documenter de façon participative et collective l’implantation de pratiques équitables et inclusives participant à réduire les inégalités de carrière dans les organisations de coopération internationale est bien présent.

Remerciements

Les autrices remercient toutes les personnes et les organisations ayant participé à la recherche pour leur temps et le partage de leurs expériences.

Additional information

Funding

Ce projet a été financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) [Numéro de dossier CRSH: 430-2018-00568].

Notes on contributors

Isabelle Auclair

Isabelle Auclair est professeure au département de management de la Faculté des Sciences de l’administration (FSA) de l’Université Laval et Titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés. Elle détient un doctorat (Ph.D.) en anthropologie de l’Université Laval. Ses activités de recherche et d’enseignement portent notamment sur le continuum des violences, l’équité, la diversité et l’inclusion en milieu de travail et la gestion des projets de coopération internationale depuis les approches et les méthodologies féministes.

Sophie Brière

Sophie Brière est professeure titulaire au département de management de la Faculté des sciences de l’administration (FSA ULaval). Elle détient un doctorat (Ph.D.) de l’École nationale d’administration publique du Québec et un post doctorat de l’École de développement international et de mondialisation de l’Université d’Ottawa. Elle est directrice de l’Institut EDI2 (équité, diversité, inclusion, intersectionnalité) et responsable de la maitrise en développement international et action humanitaire et de la maitrise sur mesure en EDI.

Jade St-Georges

Jade St-Georges est doctorante en gestion du développement international et de l’action humanitaire au département de management de la Faculté des sciences de l’administration (FSA) à l’Université Laval. Elle est titulaire d’une maîtrise en développement international à l’Institut des hautes études internationales de l’Université Laval. Elle est également chargée de cours à la FSA où elle enseigne sur la gestion du développement international et les enjeux d’équité, diversité et inclusion en milieux de travail.

Stéphanie Maltais

Stéphanie Maltais est chercheuse postdoctorale à l'École de développement international et mondialisation de l'Université d'Ottawa. Elle est titulaire d'un Ph.D. en développement international de l'Université d'Ottawa où elle est professeure à temps partiel. Elle est également chargée de cours à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et professeure affiliée à l’Université Mohammed VI Polytechnique au Maroc.

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