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« Innover pour exister ». Les élites allemandes et l’invention du ski führerlos au tournant du vingtième siècle

Pages 315-329 | Received 17 Dec 2014, Accepted 12 Jan 2015, Published online: 22 Dec 2015
 

Abstract

In Germany at the turn of the twentieth century, activities in the mountains underwent profound changes characterized by material and technological innovations but also by the rise of varying forms of more intense and streamlined activities with relation to the body. Skiing formed part of this movement. Standing apart from the excursion with scholarly aims, as well as from utilitarian concepts of skiing (the movement of mountain people), some participants favored an activity with a high level of difficulty, führerlos skiing (skiing without a guide). This article intends to show, through the example of the first skiing promoters from Alsace (a French territory annexed to the Reich in 1871), that the legitimation of this practice revealed a ‘culture of innovation’ (complementarity between ‘theoretical knowledge and practical solutions’, improvements in equipment, etc.) that drove the new Wilhelmine administrative and scientific elites.

En Allemagne, les pratiques de montagne connaissent, au tournant du vingtième siècle, de profondes évolutions caractérisées par des innovations matérielles et technologiques mais aussi par l’avènement de formes de rapports au corps plus intenses et rationnalisées. Le ski s’inscrit dans ce mouvement. En marge du modèle de l’excursion hivernale à des fins savantes mais aussi des conceptions utilitaristes du ski (le décloisonnement des populations montagnardes), certains pratiquants vont privilégier une activité de haute difficulté, le ski führerlos (« ski sans guides »). La présente contribution entend montrer, à travers l’exemple des premiers promoteurs du ski installés en Alsace (territoire français annexé au Reich en 1871), que la légitimation de cette pratique révèle la « culture de l’innovation » (complémentarité entre « savoirs théoriques et solutions concrètes », perfectionnement du matériel, etc.) qui anime les nouvelles élites administratives et scientifiques wilhelminiennes.

Notes

1. Par univers, on entend le fait que les sports de montagne regroupent différentes modalités d’usage qui, tout en ayant chacune leurs spécificités, se conjuguent parfois. La pratique du ski en haute montagne nécessite par exemple la maîtrise et la connaissance fine des techniques de glisse et d’ascension.

2. Ainsi, après les premières expériences à skis menées dans divers massifs européens (Thuringe, Harz et Riesengebierge et Forêt Noire en Allemagne, Alpes suisses, italiennes et françaises…) par de jeunes bourgeois épris d’aventure et de découverte, l’armée va rapidement pérenniser cette activité pour faciliter la surveillance des frontières d’altitude en période hivernale. Dans le même temps (ou parfois, comme en France, avec un léger décalage) vont se développer, au sein des sphères civiles, des usages scientifique, touristique, utilitaire et sportif du ski (Busset, Citation2006; Drouet, Citation2004; Falkner, Citation2005).

3. Dès lors, la frontière franco-allemande, située avant 1870 sur le Rhin, se déplace plus à l’ouest vers les Vosges; la ligne de crête de cette chaîne montagneuse matérialisant dorénavant la nouvelle limite politique entre les deux pays.

4. Ce sont des immigrés provenant des différentes régions du Reich et installés en Alsace à la faveur de l’annexion. Ils sont couramment dénommés vieux-Allemands (Altdeutschen).

5. Notre recherche mobilise différents types de sources : journaux (Straβburger Post, Bote vom Münsterthal, Vogesen Blatt), bulletins associatifs (Mitteilungen aus dem Vogesenklub [MVK], Mitteilungen des Dëutscher und Österreischicher Alpen-Vereins [MDÖAV], Mitteilungen der Gesellschaft für Erdkunde und Colonialwesen [MGEC]), ouvrages rédigés par des acteurs du développement du ski führerlos.

6. Le Lac Blanc est situé dans le secteur des Hautes Vosges, à proximité de la frontière franco-allemande.

7. On recense alors une vingtaine de membres.

8. Sur l’utilisation des pratiques sportives comme moyen pour les classes moyennes supérieures de rompre avec les rituels des fraternités estudiantines, on lira avec profit les travaux de Christiane Eisenberg (Citation1990).

9. Vosges et Forêt Noire sont séparées par le fossé rhénan, dont la largeur n’excède pas 50 kilomètres en certains endroits. Les skieurs installés en Alsace peuvent donc, par le biais des transports ferroviaires, se rendre à la journée dans l’un ou l’autre massif.

10. « Nous, les jeunes alpinistes, voulions suivre les exemples de Hermann von Barth, Purtscheller et Zsigmondy » (Paulcke, Citation1936, p. 112). Ainsi, Wilhelm Lohmüller insiste bien sur le fait que Wilhelm Paulcke et lui sont « les premiers Allemands à avoir conquis le sommet de la Meije » tout en regrettant que cette ascension de « haute difficulté » ait, quelques années auparavant, « coûté la vie à [l’alpiniste autrichien] Emil Zsigmondy » (Straβburger Post, 10 février 1900).

11. Wilhelm Paulcke préfacera ainsi en 1908 la quatrième édition de l’ouvrage d’Emil Zsigmondy, Die Gefahren der Alpen (1885).

12. Litt. « Le ski. Son apprentissage et son usage comme moyen de déplacement, mais aussi pour les besoins du tourisme, des sorties alpines et de l’armée ».

13. Gustav Moennichs avait également projeté, peu avant sa mort dans une avalanche au col de Susten lors d’une sortie führerlos, de participer à une expédition polaire (Straβburger Post, 17 janvier 1899).

14. À titre de comparaison, Georg Gerland, Otto Winckelmann et Hugo Hergesell, restés au sein de la section du Lac Blanc du Club vosgien au moment de la création du SCVS en 1896, sont nés respectivement en 1833, 1859 et 1858.

15. cité par Christophe Charle (Citation1996).

16. Cette expression, vulgarisée par Karl Greitbauer (Citation1973) dans le domaine de l’alpinisme, renvoie à un style artistique – l’Art Nouveau – fondé au tournant du vingtième siècle.

17. Les skieurs führerlos utilisent couramment l’adjectif energisch pour caractériser la force de leur engagement.

18. Elias (Citation1991) évoque dans son autobiographie le caractère « très allemand » de la fascination pour le sacrifice et la mort. En ce qui concerne le cas plus spécifique des alpinistes, on se référera aux travaux de Michel Mestre (Citation2003).

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