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Yékini, le roi des arènes ou la lutte sénégalaise entre pratique sportive et tradition

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Pages 214-232 | Received 03 Nov 2016, Accepted 09 May 2017, Published online: 15 Oct 2018
 

Abstract

One cannot tackle the issue of sports in Senegal without mentioning the ‘Lamb,’, a traditional form of wrestling. A true cultural and social phenomenon, the Lamb stands out as Senegal’s most popular sport but also as a specific physical practice that is specific to that country. The comic book Yékini, le roi des Arènes (‘Yékini, King of the Arenas’) by Lugrin and Xavier, published in 2014, tells the story of Yékini, Tyson, and Balla Gaye II, three outstanding Senegalese wrestlers who vie for the title of king of Dakar’s arenas. This article deals with Senegalese wrestling, both as a competitive, performance-driven sports practice, and as an aestheticized physical practice which resonates with Senegal’s cultural tradition, displaying a network of symbolic, social, and mystical meaning. This network is embodied by the comic’s heroes, as Yékini, Tyson, and others engage, in competing ways, with the definition of what tradition is, has been, or should be like.

Parler de sport au Sénégal, c’est évoquer le Lamb, la lutte traditionnelle. Véritable phénomène social et culturel, la lutte se présente non seulement comme le sport le plus prisé mais aussi comme une pratique sportive traditionnelle spécifique au Sénégal. La bande dessinée (BD) Yékini, le roi des arènes de Lugrin et Xavier publiée en 2014 relate l’histoire de Yékini, de Tyson et de Balla Gaye II, trois lutteurs sénégalais exceptionnels qui se disputent le titre de roi de l’arène dakaroise. Notre article s’intéresse à la lutte sénégalaise, d’une part, comme une pratique sportive compétitive orientée vers la recherche de la performance, et d’autre part, comme une pratique corporelle esthétique, qui renvoie à une dimension culturelle sénégalaise mettant en œuvre tout un système symbolique, social, mystique, que les figures des héros de la BD comme Yékini et Tyson viennent mettre en scène, du fait d’engagements et de rapports différenciés à la définition de ce qu’a été, qu’est ou pourrait être « la » tradition.

Déclaration

Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été rapporté par les auteurs.

Notes

1. Sans pour autant entrer dans les débats autour de la signification du terme sport comme ne relevant que des pratiques compétitives dans un contexte fédéral : un ensemble de pratiques sociales institutionnalisées et régies par le principe de rendement, l’entraînement, la compétition, la sélection (Brohm, Citation1976), ou l’utilisation de ce mot à toutes les pratiques (le sport « englobe tout type d’activité physique réalisé dans un but récréatif, hygiénique ou compétitif et dans un cadre règlementaire minimal » (Terret Citation2010, p. 10).

2. On la dit « traditionnelle, parce que renvoyant aussi à des modalités et à des règles suivant le cadre temporel (la société traditionnelle sénégalaise et la société moderne), géographique (milieu rural et milieu urbain) et socioculturel (les entités ethniques et régionales). Ses règles sont différentes d’une communauté à une autre, chaque communauté ayant sa propre réglementation. Ainsi parle-t-on de lutte diola, de lutte sérère, de lutte wolof, etc. Si chez certaines communautés il faut terrasser son adversaire à deux reprises pour être déclaré vainqueur, chez d’autres une seule suffit. Dans le même sens, les prises, les gardes, les éléments du rituel accompagnant les combats (danses, chants, pratiques magico-religieuses, etc.) présentent des variantes d’une communauté à une autre, et souvent même à l’intérieur d’une communauté ethnique, d’une localité à une autre » (Kane et Wane, Citation2014, p.67).

3. Cette forme de lutte est fondamentalement citadine. Elle apparaît au Sénégal dans les villes pendant la période coloniale. Bidiar (1990, pp. 17–18) parle des premières manifestations de lutte avec frappe dans la première moitié du vingtième siècle dans les centres de traite arachidière comme Khombole, Tivaouane, Pire, etc. Toutes les sources s’accordent sur le rôle pionnier joué par un ressortissant français installé à Dakar. Maurice Jacquin, un distributeur cinématographique, est le premier, en 1927, à organiser un combat de lutte payant à Dakar. La manifestation a lieu un dimanche après-midi dans une salle de cinéma et les spectateurs payent le ticket d’entrée pour assister au spectacle. Les lutteurs sont rémunérés.

4. Les Mbapattes sont des compétitions de lutte sans frappe organisées le soir dans les quartiers à l’initiative, aujourd’hui, d’anciens lutteurs. Ces compétitions sont une étape importante dans la formation des futurs champions de lutte avec frappe.

5. Appellation en Wolof de la lutte sénégalaise, c’est la grande manifestation de lutte avec frappe tenue maintenant les après-midis et récemment en semi nocturne. Rappelons que les Wolofs sont le groupe ethnique majoritaire au Sénégal.

6. En effet, au Sénégal, certains lutteurs ont une réputation égale sinon qui pourrait surpasser celle d’artistes ou d’acteurs. Le montant de leurs cachets est parfois tellement élevé, dans une société en crise, qu’ils ont le statut de « star » et servent de référent à de nombreux jeunes qui y voient un moyen de s’en sortir en devenant riche et célèbre. Comme le souligne Wane, « on en serait aujourd’hui à 200 millions fcfa (soit 305 000 euros) réclamés par le roi actuel de l’arène Bombardier, pour monter au créneau. Ces cachets importants ont complétement modifié l’engagement des lutteurs. Les stars de la lutte comme Tyson, Balla Gaye, Modou Lô, etc. s’exilent maintenant en France ou aux États-Unis pour préparer leur combat » (Wane, Citation2016, p.176).

7. Lisa Lugrin est née en 1983 à Thonon-les-Bains et Clément Xavier est né en 1981 à Maputo au Mozambique. Après des études d’anthropologie et de cinéma, Lisa Lugrin se tourne vers la bande dessinée. Avec son compagnon de route Clément Xavier, lui aussi diplômé de cinéma, elle fonde les éditions Na, et deux revues internationales de bande dessinée, Modern Spleen et L’Episode. Tous les deux sont diplômés de l’école de bande dessinée d’Angoulême. Ils mènent de nombreux ateliers de BD qui donnent lieu à des publications (Django Banjo, 2012, Légende du Voyages, 2013). En 2015, ils reçoivent le prix Révélation au festival d’Angoulême pour Yékini, le roi des arènes.

7. D’après Wane et al. (Citation2010) et Wane (Citation2012, Citation2014), les écuries ou les écoles de lutte sont des associations qui fonctionnent comme des clubs de football. Leur spécificité est liée au fait qu’elles sont des cadres de socialité à partir desquelles s’exprime une affirmation identitaire locale, régionale et ethnique. Chaque écurie a son champion qui joue le rôle de leader. Ici, ce sont les qualités de bagarreur, la réputation d’invincibilité, la force physique, le succès dans les arènes qui déterminent la place que l’on joue dans la structure.

8. Danse rituelle du Tuss exécutée tour à tour par Yékini (pp. 202–205) puis par Tyson (pp. 205–209).

9. Folklore ici entendu comme une tradition « morte » c’est à dire non vivante car par définition la tradition évolue.

10. Entretien avec B. Ly, historien, spécialiste de la lutte sénégalaise, réalisé par Wane (2012, p. 250).

11. Les griottes et les griots au Sénégal sont appelés des djéli ou jali, ce sont des bardes et des musiciens de talent. Considérés comme des historiens, des généalogistes et comme les gardiens de la tradition, ils sont au service d’une famille, d’un village, d’un pays dont ils sont la mémoire. Ils peuvent également officier en tant que médiateurs. Chargés de chanter les louanges des lutteurs dans l’arène, les griottes participent à polir l’image de ces derniers.

12. Comme le souligne le lutteur OD, « pour être champion dans la lutte avec frappe, il faut un bon encadrement, des moyens, c’est-à-dire des gens qui démarchent de bons combats, une salle d’entraînement, une bonne récupération et il faut surtout être très fort mystiquement », entretien réalisé par Wane (Citation2016, p. 172).

13. Nous pouvons lire cette BD de la page 239–259 à l’intérieur même de la BD Yékini, le roi des arènes.

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