65
Views
1
CrossRef citations to date
0
Altmetric
Original Articles

Le Cirque Molier et ses athlètes aristocrates à la Belle Époque: succès mondain et controverse politique

Pages 497-511 | Published online: 18 Oct 2007
 

Abstract

Au carrefour de l'histoire sociale et culturelle et du genre (gender), cet article propose une réflexion sur une pratique privée qui déborde, au cours d'une vive polémique entretenue par la presse nationale, dans l'espace public. En 1880, Ernest Molier fonde un cirque privé exceptionnel, les deux représentations annuelles de ce cirque l'impose pourtant comme un must de la saison parisienne jusqu'à la mort de Molier en 1933. La chronique mondaine puis les rubriques politiques s'emparent bientôt de l'évènement pour s'émouvoir de ce que les deux représentations s'adressent alternativement aux femmes du monde puis du demi-monde. Mais c'est surtout la participation active des héritiers de grandes familles aristocrates au spectacle qui est âprement discutée, certains journaux la stigmatisant comme un signe de décadence morale et politique à une époque où les débats sur la dégénérescence de la race battent leur plein.

Notes

 [1] Voir Bourget Citation1886, p. VI et Weber Citation1986.

 [2] Le 4 mai 1844 exactement, selon son acte de décès, conservé à la mairie du 16e arrondissement. Molier a été assez coquet pour dissimuler sa date de naissance et, après l'annonce de sa mort, le 1er août 1933, les spéculations allaient bon train sur son âge réel (voir les articles nécrologiques dans le fonds « CitationCirque Molier »).

 [3] Molier est rentier, et son acte de décès, qui porte la mention « sans profession », ignore sa qualité de directeur d'un cirque privé.

 [4] Voir l'analyse de CitationCorbin sur disponibilité et loisir, 1995, pp. 57–58, ainsi que les travaux de Nye Citation1993.

 [5] Vaux Citation1893, pp. 333–339 et 1888a, pp. 109–113. Paul Haynon, dictionnaire des artistes de cirque (1932), in CitationDossier Molier et Paris Midi, Citation 3 août 1933. Blanche Allarty a présenté pour la première fois son numéro d'« équitation » savante sur une chamelle en 1900, remportant un triomphe auprès du public (L'Illustré Parisien 1900).

 [6] Paul Haynon, dictionnaire des artistes de cirque (1932), in Dossier Molier.

 [7] L'Indépendance belge citée par L'Univers 1885.

 [8] L'acte de décès de Molier mentionne l'épouse sous le nom de Blanche Marie Allart et non Allarty. Sur les écuyères de cirque, voir Vaux Citation1893 et Thétard Citation1978, pp. 404–412.

 [9] 247 m2 sur 541,2 exactement; la propriété acquise par Molier en juin 1879, couvrait en tout 629 m2. À côté du cirque et de ses annexes (une écurie pour six chevaux et une remise pour six voitures), la maison d'habitation paraissait presque modeste, avec ses deux étages et ses cinq pièces-cuisine, « Calepins des propriétés bâties de 1876 », rue Bénouville (AD/S: D1P4/107).

[10] C'est l'évaluation donnée par Claretie Citation1883, p. 230.

[11] Sur la pratique du sport par les élites, voir Saint-Martin Citation1989, pp. 22–32.

[12] Léotard créa la voltige sur trapèze volant au cirque Napoléon en 1859 et rencontra immédiatement un vif succès auprès du public parisien.

[13] On peut avoir une idée assez précise de ces numéros en consultant le fonds « Cirque Molier », qui contient de nombreux programmes et comptes-rendus de la presse, ainsi que l'ouvrage de Molier Citation1905a, qui s'arrête cependant en 1904.

[14] En 1880, les écuyers étaient les comtes de Beauregard, de Pully, de Maulde, de Montherot, le baron de Bizy, le capitaine Paret et le lieutenant Bourgeois.

[15] Henri Martell, Maurice Acloque, Jules Ravaut, Guillaume Hugues, ainsi que MM. Durand, Vavasseur, Wagner: on les trouve presque tous cités (nommément ou par leur famille), comme leurs compagnons aristocrates, dans Tout-Paris, annuaire de la société parisienne, Citation1886.

[16] « J'avais bien quelques légitimes de mes amis, enragées chasseresses (…) qui me promettaient une foule de merveilles: sauter des barrières ou faire plusieurs tours de manège au galop, les mains en l'air, le buste renversé en arrière et les cheveux au vent »: on perçoit ici sans peine l'ironie dévalorisante de Molier quand il est question des talents des femmes, Molier Citation1905a, pp. 7, 8; le baron de Vaux s'y montre davantage réceptif dans son ouvrage sur Les Femmes de sport 1885.

[17] Le carton d'invitation pour la « soirée » stipule ainsi: « On fera un peu d'équitation, d'acrobatie, etc., et après on mangera des tripes à la mode de Bénouville » (« Cirque Molier »).

[18] Article de La Liberté, cité par Molier Citation1905, p. 10. « Le dessus du panier du monde du sport, du monde des cercles et des salles d'armes » pour Paris-Journal, Citation1881, qui relève également parmi les trois à quatre cents invités une cinquantaine de « dames artistes ».

[19] Le rapprochement des femmes du monde et de celles de l'autre lors de certaines occasions, comme les courses ou les kermesses de bienfaisance, a été noté par Jules Claretie 1881, pp. 248–249: « On illumine à la fois le fronton des cercles de high life et les guirlandes du bal Mabille et il y a dans ce rapprochement plus de philosophie qu'on ne croit ».

[20] Ragots que Molier appelle pudiquement des « petits nuages », 1905, p. 19.

[21] « Tout Paris voulut être de la petite fête qui, au lieu de demeurer intime, prit les proportions d'une solennité artistique, à laquelle assista l'élite du monde élégant », Vaux Citation1888a, p. 110.

[22] Voir par exemple Lemaître Citation1889; Guinon Citation1901; Bonnières Citation1885.

[23] La droite compte 201 députés élus contre 383 pour la gauche en 1885, quand elle en avait 90 contre 461 en 1881.

[24] Louis Veuillot, directeur emblématique du journal, est mort en 1883.

[25] Les journaux cités sont Le Figaro, Le Matin et L'Indépendance belge.

[26] Voir par exemple Le Voltaire (gauche gambettiste) 1885 et 1886; L'Écho de Paris 1885; Le Rappel (gauche radicale) 1885; Le Temps Citation1885 et 21 mai 1886; Le Radical 1886; L'Autorité (bonapartiste et violemment antirépublicain) 1886 ainsi que le dossier de presse rassemblé par Molier Citation1905, pp. 185–192.

[27] Notamment Anatole France (Le Temps Citation13 juin 1886), et Henry Fouquier qui, dans un article à la sévérité remarquée, se désolidarise de la ligne du Figaro, jusque-là acquis à Molier (28 mai 1886); Émile Blavet, sous le pseudonyme de Parisis, lui répond d'ailleurs dans le même journal (2 juin 1886).

[28] Le Nouveau Cirque venait d'être fondé par Joseph Oller, rue Saint-Honoré. Le Gaulois (Citation1886), journal royaliste du grand monde par ailleurs soutenu financièrement par la duchesse d'Uzès, donne un compte rendu dithyrambique de la fête avec le détail de la location des loges. Notons par exemple la présence des duchesses de Bisaccia, de la Roche-Guyon, de La Trémoïlle et d'Albuféra, des comtesses de Pourtalès et de Montesquiou, la princesse de Sagan, la vicomtesse de Greffulhe, la marquise de Galiffet, la baronne de Rothschild, les princes Henri d'Orléans et de Saxe-Cobourg-Gotha; parmi les commissaires, officiaient notamment les ducs d'Uzès et de la Trémoïlle, les comtes de Montgomery et de Maillé, les vicomtes de Flavigny et de Chabrol. Enfin, le duc de Crussol, deuxième fils de la duchesse d'Uzès, rejoignit pour l'occasion la troupe de Molier. La soirée aurait rapporté la somme rondelette de 40 000 f., selon Le Gaulois, 52 000 f., selon L'Art et la mode (1886) et L'Illustré théâtral (Citation1897, p. 5).

[29] « Tant dans l'Église que dans l'Épée », précise le Dictionnaire de la noblesse de La Chenaye-Desbois et Badier, Citation1772, qui fait remonter la famille au sieur Foucauld I, seigneur de La Roche en 1019.

[30] Voir Le Rappel (1885) qui évoque « un descendant des croisés » et « quatre messieurs dont les aïeux étaient peut-être à Fontenoy », Le Radical (1886), qui imagine « que l'ombre de Godefroy de Bouillon a tressailli dans sa tombe lorsqu'elle a su que les petits-fils de ses compagnons s'abandonnaient à ce genre d'exercices », mais aussi Le Figaro (28 mai 1886), Le Voltaire (1886), Le Temps (Citation13 juin 1886), ainsi que Dalsème (Citation1888, p. 115).

[31] La remarque vaut aussi pour l'escrime, autre art académique de la noblesse; mais le cirque Molier, encore une fois, donnait priorité au cheval.

[32] « L'orgueil d'étaler sous les regards curieux des femmes, des costumes pailletés d'or qui moulent les torses puissants (…) la tentation exquise du péril bravé au milieu des battements de ces petites mains fines et douces qu'on espère ensuite couvrir de baisers fous », L'Écho de Paris 1885. Voir aussi Le Temps Citation1885 et Le Figaro du 28 mai 1886.

[33] Voir aussi Maugue Citation1987.

[34] Et la dame à qui ce discours s'adresse de s'écrier « Venez à mon secours ! On me souille, on me viole et je me meurs de honte ! », 1889, pp. 10–11.

[35] Entre autres CitationHoussaye, préface à Vaux Citation1885, p. II; Le Figaro 7 février 1884 et Le Temps 11 janvier 1885.

[36] Sur ce thème, voir Borie Citation1981, p. 161.

[37] Voir aussi L'Écho de Paris 1885.

[38] Voir la mise au point de Carol Citation1995, chap. 4 « La dégénérescence ».

[39] Henry Fouquier, dans Le Figaro (28 mai 1886), en pointant ce « volontariat du cabotinisme », se montre le plus sévère. Voir aussi la gauche radicale (« désarticulations de haut goût », se moque Le Radical 1886), la droite dure (« cabotinage en chambre », s'afflige L'Écho de Paris 1885), voire la droite extrême (« histrionisme », stigmatise ainsi Édouard Drumont Citation1886).

[40] Hubert de la Rochefoucauld a été la cible des critiques les plus violentes. Le correspondant parisien de L'Indépendance belge (cité par L'Univers 1885), le chahute en rapportant qu'il ne « s'occupe pas de politique, et que le rétablissement sur les reins l'intéresse plus que celui de la monarchie ». C'est cette même image, caricaturée, que véhicule la pièce de Guinon (Citation1901), qui le peint de façon peu flatteuse sous les traits du Prince Enguerrand de Barfleur; Guinon, dans cette pièce violemment antisémite, fait du cirque Molier d'une part, de l'alliance avec la haute bourgeoisie financière juive de l'autre, deux signes majeurs de la décadence de l'aristocratie française.

[41] Voir aussi Le Figaro 28 mai 1886.

[42] Rappelons qu'en 1858, Napoléon III, qui tentait de rallier la noblesse à son régime, fit abroger les décrets de 1848 proclamant l'abolition de tous les titres de noblesse et de toute distinction de naissance, de classe ou de caste; par l'article 259 du Code Pénal, il voulut lui reconnaître la légitime possession de ses titres et les protégea contre toute usurpation. C'est pour abroger cet article que le député Beauquier déposa, en vain, un projet de loi en 1882, puis en 1885. Voir Bonnefon Citation1910, pp. 270, 279. Anatole France fait également état d'une demande de suppression des titres nobiliaires par le conseil municipal de Paris (Le Temps Citation13 juin 1886).

[43] Voir les articles nécrologiques consacrés à Molier dans le fonds « Cirque Molier » de la bibliothèque de l'Arsenal, Ro 16749–16757.

Log in via your institution

Log in to Taylor & Francis Online

PDF download + Online access

  • 48 hours access to article PDF & online version
  • Article PDF can be downloaded
  • Article PDF can be printed
USD 53.00 Add to cart

Issue Purchase

  • 30 days online access to complete issue
  • Article PDFs can be downloaded
  • Article PDFs can be printed
USD 328.00 Add to cart

* Local tax will be added as applicable

Related Research

People also read lists articles that other readers of this article have read.

Recommended articles lists articles that we recommend and is powered by our AI driven recommendation engine.

Cited by lists all citing articles based on Crossref citations.
Articles with the Crossref icon will open in a new tab.