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Édito

Achats et création de valeur durable

&

La fragmentation du système productif et la concentration des acteurs économiques sur le cœur de leur activité impliquent d’avoir un recours croissant à des sous-traitants, toujours plus spécialisés, et de favoriser l’intégration des fournisseurs, en particulier ceux qui détiennent des expertises stratégiques. L’émergence et le développement des entreprises en réseau conduit à une redéfinition des frontières de la firme, des relations entre les organisations, des territoires d’affaires et des stratégies individuelles et collectives. Des chaînes logistiques collaboratives se forment malgré certaines difficultés comme le manque de confiance, une maturité trop faible ou la perception d’un déséquilibre dans la prise de risque et les bénéfices attendus (Spekman et Davis Citation2016).

Dans ce contexte, la fonction achats joue un rôle essentiel de coordination des différents maillons de la chaîne de création de valeur dans une démarche plus durable, de sorte que chacun de ceux-ci soient le plus solide possible, selon les dimensions à la fois financière, industrielle, technologique, commerciale, sociétale et écologique (Durand et de Faultrier Citation2007). L’interdépendance des organisations conduit à exclure les approches agressives, d’autant plus en période de crise, et à privilégier la solidarité et les partenariats avec des fournisseurs de rangs de plus en plus éloignés, conduisant à la formation d’entreprises étendues ou chaque acteur est connecté aux autres en permanence via, notamment, des systèmes d’information inter-organisationnels (Allal-Chérif et Babai Citation2012).

Une gestion collaborative de la fonction achats peut ainsi être observée dans de grandes entreprises pionnières et très matures telles que Airbus, PSA, Schneider Electric, IBM ou Nestlé. Ces sociétés expérimentent de nouvelles méthodes de management des ressources externes, comme sont désormais qualifiés les fournisseurs et sous-traitants (Tchokogué, Nollet, et Chiurciu Citation2014). Cependant, les nouvelles pratiques d’achats durables, innovants et collaboratifs ne sont pas l’apanage des multinationales et les PME développent, elles aussi, de nouveaux modes de gestion des relations entre acheteurs et fournisseurs afin d’améliorer leurs performances. Les compétences des acheteurs évoluent donc pour être capables de piloter des partenariats de plus en plus complexes et d’interagir avec des interlocuteurs aux expertises diverses et aux niveaux hiérarchiques variés (Bichon, Merminod, et Kamann Citation2010 ; Allal-Chérif, Maira, et Poissonnier Citation2011).

Au-delà de la gestion opérationnelle et tactique de la fonction achats, celle-ci revêt désormais un caractère hautement stratégique. L’accent n’est plus mis sur les transactions ou les informations, ni même sur les connaissances, mais sur le pilotage de relations multiculturelles et multilatérales, avec un fort engagement réciproque. Il s’agit de gérer des projets et plus seulement des contrats, des partenaires et plus simplement des fournisseurs, de la collaboration ou de la coopétition et pas uniquement de la mise en concurrence, de la création de valeur durable et plus une basique et relative réduction des coûts (Chick et Handfield Citation2014).

En interne, les achats collaboratifs sont essentiellement caractérisés par (1) des synergies entre les achats et d’autres fonctions telles que la logistique, la production, la R&D et le marketing, (2) des décisions prises conjointement par différents niveaux hiérarchiques, et (3) des projets transverses pilotés par la fonction achats. En externe, les principales manifestations d’une gestion collaborative des achats sont (1) le co-développement, le co-design et la co-conception de produit et de technologies en partenariat avec les fournisseurs, (2) des investissements conjoints dans des projets de R&D, (3) le pilotage assisté de la production des fournisseurs stratégiques, (4) l’intégration des systèmes d’information entre différentes organisations, (5) l’automatisation ou l’externalisation de certaines catégories d’achats, et (6) la gestion de relations stratégiques (Poissonnier, Philippart, et Kourim Citation2012).

Dans le premier article de ce numéro spécial consacré à la création de valeur durable par les achats, Laurent Bompar et Oihab Allal-Chérif s’intéressent à la dynamique de la confiance dans la coopération acheteur/vendeur. Dans un contexte d’achats de prestations intellectuelles par des PME qui donnent souvent lieu à des relations tendues et à de la méfiance, ils démontrent que pour obtenir un engagement collaboratif durable des acteurs, ceux-ci doivent sortir du rapport de force et tenter de comprendre les motivations de l’autre pour s’adapter à lui à chaque étape de la relation.

Puis, Nathalie Merminod, Jean Nollet et Claudia Rebolledo proposent d’aller plus loin et de déterminer la façon dont les entreprises doivent manager leur attractivité pour devenir le client privilégié de leurs fournisseurs stratégiques. Les auteurs s’appuient sur l’étude du cas d’une société leader du secteur du divertissement en France. Ils proposent une démarche de reverse marketing qui concerne la fonction achats mais également d’autres fonctions et qui implique elle-aussi de développer une confiance réciproque et un pilotage rigoureux de la qualité de la relation.

C’est ensuite la dimension durable des achats qui est abordée par Nathalie Touratier-Muller et Jacques Jaussaud dans leur papier consacré au transport routier de marchandise. À travers l’exemple du programme FRET 21 de l’ADEME, ils étudient les motivations et les processus des entreprises qui se sont engagées de manière volontaire dans des pratiques d’achats de transport durable. Leur enquête auprès des 10 signataires de la charte démontre le rôle essentiel de la collaboration entre achats et logistique et la dynamique insufflée par les parties prenantes internes qui souhaitent que leurs activités reflètent leurs valeurs.

Dans l’article suivant, ce sont les obstacles à la création de valeur durable par les achats qui sont explorés par Gilles Neubert, Christine Lambey-Checchin et Jean-Pierre Bosle. Ils analysent les freins à l’adoption d’une offre innovante produit/service à partir du cas d’une douchette dans le domaine hospitalier. De cet échec, ils déduisent que la bonne conception n’est pas un gage d’adoption, que l’innovation durable amène une forte résistance au changement, et qu’une étude d’impact spécifique à chaque client doit être menée par le fournisseur pour identifier les attentes et les points de blocage de l’ensemble des parties prenantes, ainsi que les processus impactés.

Pour conclure ce numéro spécial, Jean Potage propose une approche unifiée des modèles de maturité de la fonction achats, synthèse de ses travaux sur le sujet depuis vingt ans. L’auteur insiste sur la place de plus en plus importante des technologies numériques et leur capacité à offrir de nouveaux modes de création de valeur aux acheteurs. Cette mise en perspective permet d’enraciner dans la durée les évolutions et les bonnes pratiques suggérées par les contributeurs de ce dossier.

Nous souhaitons remercier chacun de ces auteurs pour leur contribution à la recherche sur le management de la fonction achats, tous les évaluateurs qui ont fourni un travail remarquable dans une démarche bienveillante et constructive, ainsi que toutes les personnes qui ont œuvré à la coordination de ce numéro spécial.

Références

  • Allal-Chérif, O., and M. Z. Babai. 2012. “Improving the Procurement Performance through the Use of Electronic Marketplaces: A Case Study.” Supply Chain Forum: An International Journal 13 (4): 40–54.
  • Allal-Chérif, O., S. Maira, et H. Poissonnier. 2011. « Nouvelles formes de management des achats : vers l’acheteur collaboratif. » Revue Française de Gestion Industrielle 30 (3) : 5–24.
  • Bichon, A., N. Merminod, et D.-J. Kamann. 2010. « Nouveaux rôles et profils de compétences des acheteurs – de la gestion des fournisseurs au management des clients internes. » Revue Française de Gestion 36 (205) : 139–155. doi:10.3166/rfg.205.139-155.
  • Chick, G., and R. Handfield. 2014. The Procurement Value Proposition: The Rise of Supply Management. London: Kogan Page Publishers.
  • Durand, B., et B. de Faultrier. 2007. « L’impact de la supply chain sur les métiers de la logistique et des achats. » Logistique et Management 15 (2) : 55–70. doi:10.1080/12507970.2007.11516884.
  • Poissonnier, H., M. Philippart, et N. Kourim. 2012. Pourquoi et comment collaborer avec vos fournisseurs. Paris : De Boeck.
  • Spekman, R., and E. W. Davis. 2016. “The Extended Enterprise: A Decade Later.” Journal of Physical Distribution & Logistics Management 46 (1): 43–61. doi:10.1108/IJPDLM-07-2015-0164.
  • Tchokogué, A., J. Nollet, et R. M. Chiurciu. 2014. « Misez aussi sur la légitimité externe de la fonction achats ! » Revue française de gestion 2 (239) : 143–156. doi:10.3166/rfg.239.143-156.

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