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Editorial

Dossier spécial « La mutualisation logistique : passé, présent et futur. Quels enseignements organisationnels et disciplinaires ? »

, &

Issue des démarches de gestion mutualisée des approvisionnements qui permettaient, et permettent toujours, de piloter les approvisionnements en provenance d’industriels n’ayant pas les volumes pour faire des camions complets, la mutualisation logistique a depuis largement élargi le spectre de ses possibilités. Elle est définie aujourd’hui comme l’utilisation commune de ressources par des entreprises juridiquement indépendantes. Ces ressources concernent aussi bien les moyens de transport que les entrepôts ou plates-formes, c’est-à-dire les actifs logistiques traditionnels dont une utilisation plus efficiente est recherchée afin d’améliorer la compétitivité des acteurs impliqués mais aussi leur performance environnementale. Depuis plus d’une quinzaine d’années, les démarches observées ont pu témoigner de la diversité des acteurs effectivement impliqués et de leurs rôles respectifs. Si les premiers dossiers français ont été initiés par des industriels, suite à des contraintes nouvelles mises en place par des distributeurs, ces derniers ont également développé ces solutions tout comme des transporteurs ou des prestataires de services logistiques qui les ont intégrées dans leur offre commerciale. Outre les produits de grande consommation et leur distribution, la mutualisation a également conquis de nombreux secteurs d’activités depuis la pharmacie jusqu’à l’hôpital, en passant par les questions de logistique urbaine largement abordées sous cet angle.

Aussi, comme le met en exergue un certain nombre de travaux, la mutualisation apparaît comme une innovation organisationnelle fondée sur une vision plus collaborative de la logistique, une approche transversale proposant des angles d’attaque logistique différents, sources de productivité et de différenciation (Frisk et al. Citation2010 ; Chanut et Paché Citation2012 ; Camman et al. Citation2013 ; Senkel, Durand, et Vo Hoa Citation2013).

Cependant, si la mutualisation logistique est annoncée depuis plus d’une quinzaine d’années comme une innovation organisationnelle allant révolutionner les schémas logistiques, en développant une approche plus collaborative, les initiatives demeurent pionnières et de portée et d’ampleur encore limitées. Rappelons que certains rapports annonçaient une quasi-généralisation de ces organisations à l’horizon 2016 ! Plus précisément, les derniers travaux menés sur la mutualisation logistique, peu nombreux, constatent que malgré les avantages de cette pratique collaborative, les expériences restent relativement limitées et ce quel que soit le secteur d’activité étudié (Tanguy et Martin Citation2015 ; Gonzalez-Feliu et Battaia Citation2017 ; Gozé-Bardin Citation2017 ; Michon Citation2017). Les difficultés à diffuser la mutualisation déterminée comme une innovation organisationnelle allant révolutionner les schémas logistiques et ce jusqu’au dernier kilomètre, en développant une approche plus collaborative sont aussi à rapprocher des travaux déjà menés sur la coopération au sein des chaînes logistiques. En effet, ces travaux soulignent l’existence de différents obstacles à la mise en place de structures collaboratives en raison de divergences d’intérêts entre les acteurs, de comportements opportunistes, de difficultés à trouver des partenaires pour coopérer, etc. (Cruijssen, Cools, et Dullaert Citation2007).

Les articles retenus dans ce dossier spécial se font l’écho de ces difficultés à élaborer des structures communes entre des acteurs aux intérêts souvent divergents tout en apportant des pistes de réflexion.

Dans le premier article de ce dossier spécial consacré à la mutualisation logistique, Corinne Tanguy et Michel Martin s’intéressent aux stratégies de mutualisation des activités logistiques aval dans la filière viti-vinicole bourguignonne en choisissant comme grille de lecture une combinaison des analyses en termes de stratégies collectives et de proximité. Dans une filière constituée principalement d’entreprises de petite taille, les auteurs constatent que les stratégies de mutualisation sont privilégiées par les grands domaines alors que la mutualisation logistique semble être une alternative pertinente pour des structures de petite taille et sans compétence logistique. Ils soulignent aussi les facteurs facilitant la construction d’un projet de mutualisation des moyens logistiques comme l’appartenance à une structure professionnelle, l’émergence d’un leader, etc. Enfin, ils mettent aussi en exergue l’importance des proximités institutionnelles et géographique dans la genèse d’un projet collectif tel que la mutualisation.

Puis, Valérie Michon et Claire Capo proposent de s’intéresser plus spécifiquement au prestataire de services logistiques (PSL) en se posant la question de savoir quel est le rôle clé que peut jouer le PSL dans la prise de décision des chargeurs à initier un projet de mutualisation d’autant plus qu’elles constatent le faible nombre de structures collectives existantes. En s’intéressant plus particulièrement à la grande distribution alimentaire, les auteurs soulignent les bénéfices perçus par les acteurs impliqués mais aussi les obstacles auxquels ils sont confrontés. Ensuite, elles retiennent deux rôles clés pour l’adoption d’un projet collectif tel que la mutualisation des moyens logistiques : le « champion », c’est-à-dire le responsable logistique convaincu par l’intérêt de cette structure collaborative, qui portera le projet au sein de sa structure et le PSL. Pour le PSL, si son rôle s’avère a priori légitime au regard de son positionnement comme acteur tiers au sein des chaînes logistiques alimentaires, il peut être aussi perçu comme une menace dans un contexte où les relations industriels/PSL sont empreintes de méfiance.

Ensuite, le groupement d'intérêt economique (GIE) « Chargeurs Pointe de Bretagne » est un exemple emblématique d’une structure mutualisée en réponse à la fois à un enclavement territorial, à des exigences logistiques du distributeur et à un PSL leader imposant des conditions tarifaires fragilisant le modèle économique de certains industriels. Ce GIE fait l’objet de la part d’Hicham Abbad et de Vincent Salaun d’un travail d’analyse dont l’objectif est de faire émerger les conditions à la réussite d’un projet de mutualisation. Pour répondre à leur problématique, ils ont choisi de mobiliser comme grille de lecture l’approche des proximités de l’école de la structuration en retenant trois formes de proximités : la proximité géographique, la proximité culturelle et la proximité organisationnelle. Il ressort de ce travail que les trois formes de proximité n’agissent pas de la même façon et avec la même intensité sur les interactions entre les membres du GIE, expliquant ainsi les raisons de la réussite d’un projet collectif tel que le GIE « Chargeurs Pointe de Bretagne ».

Enfin, pour clore ce dossier spécial nous avions souhaité remettre à l’ordre du jour, la présentation d’un cas, cas que l’on pouvait retrouver il y a maintenant quelques années dans Logistique & Management. Ce cas se présente sous une forme malgré tout un peu différente ; il est moins descriptif que les cas que nous pouvions retrouver dans ces anciens numéros.Footnote1 En effet, le cas proposé à la lecture comporte une revue de la littérature préalable à une approche plus analytique. Aussi, Salomée Ruel nous propose d’étudier le cas d’une entreprise industrielle dans le domaine agroalimentaire en s’interrogeant plus particulièrement sur les raisons pour lesquelles la mutualisation horizontale semble si difficile à se développer. Par ailleurs, elle nous propose, à la lecture du cas étudié, des clés pour réussir l’opérationnalisation de la mutualisation horizontale (l’utilisation d’un tiers comme par exemple le PSL, l’existence de valeurs communes à partager, d’intérêts communs, etc.).

Si les différents papiers proposés dans ce dossier spécial concernent plus particulièrement les filières agroalimentaires, les différentes questions abordées par les travaux proposés à la lecture, comme par exemple les questions de confiance et de stratégie des acteurs, apportent quel que soit le secteur d’activité des éléments de compréhension, de réflexion, d’analyse sur cet objet de recherche si passionnant !

Pour conclure, la mutualisation est un objet de recherche qui à notre sens devrait connaître une autre forme de développement avec la digitalisation. En effet, la mutualisation logistique peut aussi être mise en place désormais au travers de plates-formes d’intermédiation qui permettent une rencontre facilitée entre les acteurs, qu’ils soient chargeurs, prestataires logistiques ou transporteurs, et réduisent ainsi les questions de confiance, ou les déplacent vers les technologies supports ce qui ouvre de nouveaux thèmes de recherche.

Nous souhaitons remercier chacun de ces auteurs pour leur contribution à la recherche sur les structures collaboratives innovantes, tous les évaluateurs pour leur travail rigoureux dans une démarche bienveillante ainsi que toutes les personnes qui ont œuvré à la réalisation de ce dossier spécial et tout particulièrement Corinne Affagard pour sa patience et sa réactivité.

Notes

1. Comme par exemple : La GPA : la collaboration entre Solinest et ses clients (Logistique & Management 2001, Vol. 9, n°2, pp. 67–69) ; Exemple d’une supply intégrée dans le textile (Logistique & Management 2002, J.J. Salaun, Vol. 10, n°1, pp. 97–101).

Références

  • Camman, C., M. Monnet, G. Guieu, et L. Livolsi. 2013. « Les stratégies d’acteurs dans la mutualisation logistique. » Logistique & Management 21 (3) : 57–73. doi : 10.1080/12507970.2013.11517025.
  • Chanut, O., & G. Paché. 2012. « Stratégies logistiques émergentes : De la grande distribution aux réseaux contractuelles. » Marchés et organisations 1 (17) : 91–115. doi : 10.3917/maorg.015.0091.
  • Cruijssen, F., M. Cools, et W. Dullaert. 2007. “Horizontal Cooperation in : Opportunities and Impediments.” Transportation Research Part E : Logistics and Transportation Review 43 (2) : 129–142. doi : 10.1016/j.tre.2005.09.007.
  • Frisk, M., M. Göthe-Lundgren, K. Jörnsten, et M. Rönnqvist. 2010. “Cost Allocation in Collaborative Forest Transportation.” European Journal of Operational Research 205 (2) : 448–458. doi : 10.1016/j.ejor.2010.01.015.
  • Gonzalez-Feliu, J., et G. Battaia. 2017. « la mutualisation des livraisons urbaines : Quels impacts sur les coûts et la congestion. » Logistique & Management 25 (2) : 107–118. doi : 10.1080/12507970.2017.1334515.
  • Gozé-Bardin, I. 2017. « La ville : Paroxysme des enjeux et contraintes pour la chaine logistique. » Dans Images de la logistique: éclairages managériaux et sociétaux dirigée par Gilles Paché, 203–212. Aix-en-Provence : Presses Universitaires d'Aix-Marseille.
  • Michon, V. 2017. « La coopération logistique au service de la chasse au gaspillage alimentaire. » Dans Images de la logistique : éclairages managériaux et sociétaux, dirigée par Gilles Paché, 187–193. Aix-en-Provence : Presses Universitaires d'Aix-Marseille.
  • Senkel, M.-P., B. Durand, et T. Vo Hoa. 2013. « La mutualisation logistique : Entre théories et pratiques. » Logistique & Management 1 (1) : 19–30. doi : 10.1080/12507970.2013.11517006.
  • Tanguy, C., et F. Martin. 2015. « Innovations et stratégies logistiques dans la filière vitivinicole. Le rôle des proximités. » Economie Rurale 349-350 : 83–99. doi : 10.4000/economierurale.4744.

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