Embarquement à destination d’une pratique innovante : l’initiative d’un échange de données informatisé (EDI) non standard dans la filière aéronautique

RÉSUMÉ

Recourir à une solution d’échange de données informatisé (EDI) reste une problématique récurrente dans la filière aéronautique tant les freins exprimés par ses acteurs sont multiples. Afin de dépasser ces barrières, un site du groupe Hutchinson, spécialisé dans la fabrication de joints pour le secteur aéronautique, propose une alternative inédite et hybride appelée « faux EDI » dont le principe consiste à exploiter certains avantages de l’EDI sans pour autant être exclusivement la solution hébergée et unique soutenue par les ténors du secteur. Nous croisons un double niveau analytique pour saisir les raisons de l’acceptation de cette innovation digitale et managériale ainsi que sa diffusion auprès des clients du site Hutchinson. Notre travail montre qu’une lecture plurielle est nécessaire, tant au niveau des décideurs qu’au niveau inter-organisationnel. La complémentarité des grilles de lecture mobilisées rend ainsi davantage compte de « l’état d’esprit » actuel des entreprises du secteur aéronautique en matière d’acceptation d’un EDI.

ABSTRACT

Using a common, standard hosted electronic data interchange (EDI) solution remains a recurring problem in the aerospace industry. In these circumstances, a site of the Hutchinson group, specialised in the manufacture of seals for the aeronautical sector, proposes a new and hybrid alternative called “faux EDI” which exploits some of the benefits of EDI without being a single hosted solution. In this paper, we use a double analytical level to understand the reasons for the acceptance of this digital and managerial innovation as well as its dissemination to Hutchinson site customers. Our work shows that a plural reading is necessary, both at the level of the decision makers and at the inter-organisational level. This case study illustrates the current ‘state of mind’ of aerospace companies regarding EDI adoption.

MOTS CLÉS:

• Echange de données informatisé (EDI) 
• modèles théoriques d’adoption d’un EDI 
• industrie aéronautique 
• systèmes d’information inter-organisationnels

KEYWORDS:

• Electronic data interchange
• EDI adoption models
• aerospace industry
• inter-organisational information system

Déclaration

Les auteurs confirment qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt

Notes

1. Dans le cas des entreprises du secteur aéronautique de Montréal, Rebolledo et Dumouchel (2006) montrent que les systèmes d’information ont des incidences économiques (baisse des coûts de transaction), opérationnelles (amélioration des processus et du contrôle), inter-organisationnelles (amélioration de la confiance entre partenaires, accroissement des communications, des interactions et des collaborations, baisse des coûts de coordination) et épistémiques (accroissement de l’échange d’idées avec les fournisseurs) globalement positives.

2. Le groupe Hutchinson est composé de 100 sites dans le monde implantés dans 25 pays avec 44 000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 4,154 milliards € (2018). Le site étudié est à 99 % aéronautique et dépend du secteur aerospace–défense–industrie et représente 23 % du CA total d’Hutchinson.

3. Pour une revue récente de la littérature, voir Marangunić et Granić (2015).

4. Comme les individus montrent des différences de degré dans la volonté d’adopter une innovation, Rogers (2003) propose de les classer selon le critère de précocité d’adoption qui les singularise : innovateurs, adoptants précoces, majorité précoce, majorité tardive et retardataires.

5. Le cadre TOE a récemment été étendu en intégrant l’attitude des managers par rapport à l’innovation (Rowe, Truex, et Huynh 2012) ainsi que les capacités absorptives des entreprises en ce domaine (Youssef, Hadhri, et Maherzi 2015).

6. Dans le secteur automobile, la stratégie des grands donneurs d’ordres a été d’imposer à leurs fournisseurs le flux EDI, quitte à prendre à leur charge une grande partie des coûts, ce qui n’a pas été le cas dans l’aéronautique avant l’initiative de Hutchinson dans ce domaine. Seules des aides non financières ont été proposées.

7. L’argument peut être partiellement relativisé au regard des problématiques de rationalisation budgétaire auxquels de nombreux secteurs de la Défense des économies nationales sont désormais confrontés. Dolan (1994) explique que, confronté à des restrictions budgétaires, le département de la Défense nord-américain a décidé d’adopter un EDI pour l’aéronavale dans le but d’optimiser coûts opérationnels et efficacité de ses missions. Cet exemple démontre que l’argument sécuritaire a partiellement cédé face au poids de l’argument budgétaire.

8. Talbot (2011) précise l’importance de la logique de contrôle au sein de la supply chain aéronautique européenne : il y reconnaît la fonction de la proximité géographique en tant qu’instrument de contrôle mais relativise l’argument en affirmant que dans un contexte où de nombreux architectes-intégrateurs du secteur recourent à l’externalisation, il devient nécessaire d’améliorer la coordination entre parties prenantes en matière d’échanges d’informations : l’EDI peut être un outil utile à cette recherche d’une meilleure coordination en favorisant une meilleure proximité organisationnelle – cette dernière étant complémentaire de la proximité géographique habituelle dans le secteur.

9. Des écarts ponctuels peuvent subvenir lors de l’introduction de nouvelles références.

10. Les verbatim ne sont pas joints à ce travail mais peuvent être communiqués au besoin par les auteurs.

11. La solution généralement privilégiée était jusqu’alors plutôt la mise à disposition des informations dans le portail de l’entreprise (accès direct à ces données via le web sans en attendre l’envoi). Retenir cette solution aurait surtout eu pour incidence d’alourdir le temps de traitement du coté fournisseur.

12. La filiale française d’Hutchinson jouit de par son activité de spécialiste en pièces d’étanchéité d’une position centrale dans la filière aéronautique et bénéficie d’une forte réputation sur ce marché oligopolistique de niche (pour rappel, trois autres sociétés seulement se partagent le marché : l’américain Kurkhill, l’anglais Meggit et le suédois Trelleborg).

Additional information

Notes on contributors

David Rossi

David Rossi est PRAG en sciences économiques, sciences sociales et sciences de gestion à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Il assume la fonction de vice-doyen de sciences économiques, sciences sociales et sciences de gestion au campus Comte de Champagne (Troyes) et est responsable de la licence professionnelle « management des activités commerciales – développement d’affaires » « Business to Business ». Ses travaux portent sur la logistique des déchets et la gestion de la production (séquenceur synchrone numérisé, échange informatisé de données dans le secteur de l’aéronautique).

Hervé Lanotte

Hervé Lanotte est maître de conférence en sciences de gestion à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Il est responsable du master gestion de production, logistique, achats – parcours « logistique durable et management des flux » Ses travaux portent sur la logistique des déchets et la gestion de la production (séquenceur synchrone numérisé, échange informatisé de données dans le secteur de l’aéronautique).

Antonio Ferreira

Antonio Ferreira est Supply Chain Business Process Owner at Hadvance Project chez Hutchinson. Il est maître de conférence associé (MAST) en sciences de gestion à l’Université de Reims Champagne-Ardenne et intervient dans le cadre du master gestion de production, logistique, achats – parcours « logistique durable et management des flux »