https://orcid.org/0000-0002-4273-5633
Les 14e rencontres de l’AIRL-SCM se sont tenues à Clermont-Ferrand, du 18 au 20 mai 2022. Cette édition à la frontière entre les sciences de gestion et de l’ingénieur se voulait pluridisciplinaire et a permis de réaffirmer la diversité de la communauté logistique tant sur les plans disciplinaires, que méthodologiques, théoriques et applicatifs. Le thème de la conférences « La logistique et le supply chain management à la croisée des chemins », aura tenu toutes ses promesses, et, ces trois journées ont permis de mettre en lumière plusieurs orientations majeures.
La première s’appuie sur des questions d’actualité qui permettent de placer les organisations logistiques au centre des débats professionnels et des acteurs de la société civile. Trois thématiques ressortent plus particulièrement.
La première d’entre elles est liée à l’apparition de crises de tous ordres : politiques, économiques sanitaires… Ces crises multiples et successives permettent de requestionner fondamentalement le rôle et le pouvoir de la logistique dans la société postmoderne. Souvent peu médiatisés et peu visibles, la logistique et le supply chain management se retrouvent alors sur le devant de la scène médiatique et des préoccupations de « tout un chacun ». Ceci a permis de rappeler que cet acteur souvent « invisible » et peu médiatisé était en réalité « LE », rouage essentiel permettant à tous les niveaux, la satisfaction des besoins. Pour les chercheurs et les praticiens, ces crises se traduisent par de nombreux questionnements pour comprendre et explique comment, dans une exigence toujours plus forte de résilience des chaînes logistiques, il est possible d’inventer des solutions performantes et pérennes.
En lien direct avec la précédente, la deuxième thématique, aborde les problématiques de sécurité des chaines logistiques. La logistique doit s’attacher à établir - à la fois continuité et adaptations - dans les modèles organisationnels et/ou dans les technologies en place. Elle doit donc trouver de multiples solutions pour assurer une certaine stabilité du système en vigueur ad minima en maintenant les niveaux de performance, voire en les améliorant. La difficulté réside dans la remise en question perpétuelle de cette stabilité, et le nécessaire pilotage des multiples changements à opérer au niveau de la coordination, de la coopération, des technologies et/ou des compétences.
La dernière thématique en lien avec l’actualité concerne l’inévitable question de la durabilité. Le besoin d’une certaine « éthique économique », pousse les organisations à repenser leurs modèles pour répondre à cette tendance. Les décisions logistiques sont donc directement affectées. La gestion des flux et de leurs circularités, tant aux niveaux local, international, rural, urbain, mais également les systèmes de transport, de pilotage, de coordination ou de motivation qui les pilotent, sont alors (re)questionnés. Pour répondre au mieux à ces enjeux, il faut parfois considérablement transformer les modèles existants.
En lien étroit avec la première, la seconde orientation est liée aux dimensions « racines et contemporaines » de la logistique qui se concentrent sur la compréhension et la performance des systèmes. Ici, les questionnements tournent autour des outils et des technologies qui permettent d’une part de faciliter et de fluidifier les systèmes de gouvernance de la supply chain, et d’autre part de faciliter, à toutes les échelles de la logistique (ateliers, fonctions, organisations au sens large…), la coopération, la coordination, la planification et plus largement, la performance des structures. Cette recherche perpétuelle d’optimisation, tant dans ses dimensions techniques, technologique et/ou humaine, fait sans cesse l’objet de questionnements et d’améliorations portées par les besoins de performances inhérents à la demande finale. Les systèmes sont donc perpétuellement « en mouvement » et en tensions pour améliorer leur réponse à ces attentes tout en gardant la maîtrise des coûts.
La logistique et le supply chain management sont donc bien à « la croisée des chemins ». En effet, la variété des thématiques traitées et des terrains de recherche traduisent l’expression des questionnements à de multiples niveaux : ceux des consommateurs, ceux des États par rapport à leur population (santé, armement, éducation, etc.), ceux des entreprises et des organisations, ceux des acteurs des supply chains, et enfin ceux des chercheurs qui tentent de comprendre et d’articuler au mieux les demandes de parties prenantes parfois contradictoires. Chacun de ces acteurs choisit sa voie, ce qui se traduit par des modèles logistiques multiples, pouvant être divergents, voire même parfois incompatibles et incohérents. Cette multiple réalité a clairement été notamment mise en lumière dans les riches et constructifs échanges des 14e rencontres de l’AIRL-SCM.
Ce numéro spécial de Logistique & Management propose une sélection d’articles qui reflètent ces différentes voies – terrains d’étude, méthodologies, théories mobilisées - empruntées par la recherche dans le cadre de ces questionnements nouveaux.
Dans un premier article « La naissance de la pensée logistique d’entreprise en France », Aurélien Rouquet revient sur la manière dont la pensée théorique en logistique a émergé dans le contexte français. Pour cela, l’article présente une démarche historique qui débute au début des années soixante-dix. Cette analyse couple une colossale collecte de documents et treize entretiens avec des acteurs clés. Cet éclairage nous permet de comprendre les principales influences intellectuelles, institutionnelles et personnelles qui expliquent le courant en France. Il interpelle ainsi praticiens et chercheurs sur leurs pratiques actuelles, en mettant en lumière l’histoire de la discipline.
Dans un second article « Les mécanismes de conversion de la confiance multiniveau : étude du point de vue de 4PL », Nejib Fattam et Tarik Saikouk interrogent le rôle de la confiance interpersonnelle et inter-organisationnelle dans la coordination de la supply chain. Ils cherchent à comprendre et à expliquer les mécanismes permettant aux 4PL d’explorer la complexité du capital relationnel. Utilisant une démarche qualitative qui s’appuie sur une double analyse de données – une analyse de contenu thématique du discours sous Tropes et le codage des données selon la méthode Gioia -, ils éclairent notre lecture des relations inter-organisationnelles et interpersonnelles dans la supply chain et mettent en lumière trois dimensions qui permettent de faciliter les liens entre les acteurs.
Jérémy Roumian, Pierre Feniès et Christian Clot proposent dans leur article « La temporalité dans la fabrication de la coordination en situation extrême de gestion » d’interroger le processus de construction de la coordination permettant d’accomplir des tâches dans un univers logistique soumis à un haut niveau de pression et dans un environnement extrême. Leur étude de cas cherche à identifier et à comprendre les comportements des acteurs dans un contexte à haute tension : une expédition scientifique où les acteurs sont enfermés dans une grotte quarante jours sans lumière, sans indicateur temporel, et sans technologies. Cette étude de cas permet de déterminer quatre phases dans la construction de la coordination. Leurs résultats nous invitent à interroger le temps dans les organisations logistiques pour améliorer la coordination.
Dans « Attribution des défaillances de livraison des achats en ligne : le transporteur toujours fautif aux yeux du consommateur ? », Sophie Claye-Puaux, Laure Jacquemier-Paquin et Sophie Jeanpert cherchent à analyser les perceptions et attentes du consommateur d’un achat en ligne envers les acteurs de la chaîne logistique lors des incidents de livraison. A partir d’une méthodologie quantitative menée auprès de 118 répondants, les auteurs expliquent la part d’attribution des défaillances donnée par le consommateur. Au-delà de préconisations managériales très précises à l’attention des e-commerçants et des transporteurs, ils contribuent à la connaissance des phénomènes d’attribution en confirmant l’intérêt d’analyser les récriminations envers différents acteurs de la chaine logistique.
Enfin, dans leur article « Bourdieu au pays de la logistique : quelles implications méthodologiques pour la recherche en supply chain management », Raphaël Lissillour, François Fulconis et Gilles Paché se tournent résolument vers l’avenir en proposant une nouvelle perspective méthodologique dans le champ de la logistique. Pour ce faire, ils invitent à transposer la théorie de la pratique du sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002) pour étudier les rapports entre les acteurs affectant la chaîne logistique. Pour cela, ils présentent une méthode permettant aux chercheurs d’employer la théorie de la pratique en sciences de gestion. Ils soulignent les différentes étapes permettant de mettre en œuvre la démarche, et ouvrent ainsi la voie à de vastes perceptives de recherche.
Les rencontres de l’AIRL-SCM 2022 l’ont montré de nouveau, le SCM et la logistique se réinventent à mesure des (r)évolutions. Dans ce moment d’incertitudes multiples, économique, politique et climatologique, le moment est venu pour chacun des acteurs de faire des choix. Ce qui est sûr c’est que ces questions nous promettent à nouveau de fertiles échanges lors des 15e rencontres de l’AIRL-SCM qui se tiendront en mai 2024 à La Rochelle.