Abstract
Le texte sebaldien fonctionne comme le lieu où l'histoire n'arrive pas à se faire discours, en laissant le lecteur étonné face aux fragments d'un passé où erre le regard, autrefois celui de l'Ange de l'histoire benjaminien. En formulant les difficultés auxquelles se heurte l'historiographie contemporaine, Sebald postule en même temps le besoin du savoir historique, sinon sa nécessité: il apparaît comme le seul lieu susceptible d'accueillir une possible recomposition des dimensions temporelles qui tissent notre expérience du monde.
The Sebaldian text works as a place in which history cannot become speech, leaving the bewildered reader in front of the fragments of a past through which he roams looking like Benjamin's History Angel. Reintroducing the difficulties to which contemporary historiography seems to be compared, Sebald at the same time sets out the need for historical knowledge – if not its necessity – as if this were the only possible place for reassembling the temporal dimensions which plot our experience of the world.
Notes
1. « Je m'interroge: quelle inquiétante étrangeté l’écriture freudienne trace-t-elle dans le “territoire de l'historien”, où elle entre en dansant », Certeau, L’écriture de l'histoire, 366. Les écrits de Freud considérés ici par Certeau sont : L'Homme Moïse et la religion monothéiste et Une névrose démoniaque au XVIIe siècle sur la lecture desquels Certeau construit l'extraordinaire chapitre Ecritures freudiennes qui termine le livre L’écriture de l'histoire.
2. CitationCerteau, L’écriture de l'histoire, 412.
3. Il l'est comme le jeune allemand du poème D'après nature, personnage autobiographique. Voir Sebald, D'après nature, Actes Sud, 2007.
4. Sebald en parle souvent dans le recueil de témoignages et d'entretiens établi et préfacé par L. S. Schwartz, L'Archéologue de la mémoire. Conversation avec W.G. Sebald.
5. CitationSebald, Campo Santo , 239–40.
6. CitationHartog, Régimes d'historicité, 64.
7. Il s'agit d'une expression d'Eleanor Watchel, dans un entretien avec Sebald, in L.S. Schwartz, L'Archéologue de la mémoire, 39.
8. CitationSebald, Les Emigrants , 125–7.
9. D'ailleurs, dans le carnet de Adelwarth on lit : « Le souvenir […] m'apparaît souvent comme une forme de bêtise. On a la tête lourde, on est pris de vertige, comme si le regard ne se portait pas en arrière pour s'enfoncer dans les couloirs du temps révolu, mais plongeait vers la terre du haut d'une de ces tours qui se perdent dans le ciel », 192).
10. Il s'agit de la nouvelle de CitationBorges, « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius ».
11. CitationSebald, Les Anneaux de Saturne, 201.
12. CitationSebald, Austerlitz , 124–5.
13. On a repris une observation de Didi-Huberman in L'Image survivante.
14. Sebald, Austerlitz, 89.
15. Sebald, Austerlitz, 221.
16. Sebald, Austerlitz, 168.
17. Benjamin, Paris capitale du XIX siècle, in Œuvres, III, 44–66.
18. Sebald, Austerlitz, 27.
19. Sebald, Austerlitz, 39.
20. Sebald, Austerlitz, 338.
21. Sebald, Austerlitz, 237–8.
22. CitationEshel, “Against the Power of Time. The Poetic of Suspension in W.G. Sebald”, 71–96.
23. Sebald, Austerlitz, 343.
24. Sebald, Austerlitz, 304–6.
25. Sebald, Austerlitz, 124.
26. Schieffermüller, “Austerlitz o l'esigenza dei morti. Sull'ultima opera di W.G. Sebald”, 121–44.
28. La référence est au livre de CitationRobin, Le Deuil de l'origine.
29. Sebald, Austerlitz, 347.
30. Sebald, Austerlitz, 349–50.
31. Il s'agit d'une considération du jeune allemand, personnage autobiographique de D'après nature lequel médite sur la possibilité de donner de sens à une histoire de la destruction ; (Sebald, D'après nature)
32. Certeau, L’écriture de l'histoire, 140.
33. Il n'est pas inutile de rappeler que les propos de Sebald doivent être lus dans le cadre de son rapport complexe à l'Allemagne, dont témoigne le discours qu'il prononça à l'occasion de son admission à l'Académie allemande. mais surtout Il faut lire dans ce sens une série de conférences prononcées à Zurich et ensuite rassemblées dans Luftkrieg und Literatur. Ce livre n'avait pas seulement l'pour intention de témoigner d'une lecture décevante de la littérature dite « des ruines ». Il se voulait le constat que l'horreur de la guerre, qui avait signifié pour les Allemands notamment la destruction des villes par les bombardements alliés, n'avait pas été transformée une en véritable expérience sur laquelle bâtir un savoir historique. Les Allemands, au bout du compte, avaient réélaboré cet épisode moins comme l'emblème d'une défaite que comme la première étape d'une reconstruction enfin réussie. Il s'agissait d'une sorte d'attitude schizophrénique : les Allemands n'avaient pas, face à la défaite, réarticulé leurs attentes (et ni même changé leur quotidienneté – ils allaient au théâtre sous les bombes) de façon à re-comprendre leur vécu dans la direction d'une expérience. Ce comportement avait abouti à une construction de la société dont le fondement était l'oubli. Cette société s'était revélée incapable d'entamer la construction d'un savoir historique (la simple élaboration du changement d'expérience avait fait défaut) à la place duquel on retrouvait une « ombre » qui, obscure, était désormais gravée sur l' existence. Sebald, qui avait la sensation d’être un fils de l'oubli, écrit ainsi : « Dennoch ist es mir bis heute, wenn ich Photographien oder dokumentarische Filme aus dem Krieg sehe, als stammte ich, sozusagen, von ihm ab und als fiele von dorther, von diesen von mir gar nicht erlebten Schrecknissen, ein Schatten auf mich, unter dem ich nie ganz herauskommen werde », Luftkrieg und Literatur, 77–8.
34. CitationKrakauer, L'Histoire des avant-dernières choses, 68.
35. CitationBenjamin, “Le conteur”, Œuvres, 150–1.
36. CitationCerteau, La Fable mystique, 69–70.