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Résister sous les tropiques. Les réseaux de résistance en Indochine (1940–1945)

Pages 295-311 | Received 22 Jan 2017, Accepted 22 Nov 2017, Published online: 27 Feb 2018
 

Résumé

La défaite de la France en mai–juin 1940 provoqua des réactions individuelles et collectives en métropole, mais aussi dans l'Empire français. Des militaires et des civils en Indochine formèrent ainsi des organisations de résistance homologuées à la Libération parmi les 268 réseaux reconnus Forces Françaises Combattantes. Au nombre de huit, en liaison avec les différents services secrets alliés, gaullistes et non gaullistes, ils n'eurent pas à lutter contre les nazis, mais contre les Japonais présents dans la péninsule avec lesquels le Gouvernement Général de l'Amiral Decoux tenta de maintenir un modus vivendi au nom du Régime de Vichy. Ils s'inscrivent dans une temporalité différente de celle de leurs homologues en métropole. Ils poursuivirent en effet la lutte bien après la Libération du territoire métropolitain jusqu'à leur destruction lors du coup de force japonais sur la péninsule du 9 mars 1945. Pourtant, si l'application de la politique de Vichy en Indochine est bien connue, la résistance anti-japonaise dans cette région n'a pas fait l'objet d'études récentes, pas plus que le rôle des réseaux de résistance à l'intérieur et hors de la métropole dans la victoire des Alliés. L’objectif est de présenter les dynamiques de l'action de ces réseaux ayant combattu en Indochine. Comment maintinrent-ils la liaison avec la France libre et les Alliés en dépit de leur isolement géographique ? Quel fut leur rôle dans la victoire finale contre les Japonais ? Il s’agit de démontrer que, tout comme le conflit, la Résistance fut un phénomène qui ne se limita pas aux frontières européennes mais s'est étendu au monde entier à travers les liaisons construites et entretenues avec les services secrets alliés. Cet article souhaite analyser la construction de ces liaisons et leur matérialité et constater les incidences sur les relations entre la France Libre et les Alliés.

Abstract

After the French defeat in May–June 1940, Japan invaded Indochina, a French colony. Then, many women and men decided to create some circuits to resist this occupation. Their mission dealt with the Japanese soldiers in the peninsula, with whom Admiral Decoux’s General Government wanted to maintain a modus vivendi in the name of Vichy. The time constraints were different for these groups than for their metropolitan counterparts: they kept on fighting until their destruction on 9 March 1945 and the Japanese overthrow of the peninsula. Although Vichy’s implication in Indochina is well known, the anti-Japanese resistance groups from this region and their participation in the Allied victory in and out of mainland France have not been studied recently. This paper intends to focus on the dynamics of these circuits’ interventions during their fight in Indochina. How did they maintain contact with Free French Forces despite their geographical isolation? What was their implication in the final victory against the Japanese forces? As with the war itself, Resistance was an international phenomenon which was not limited to European borders but spread throughout the world through contacts with the Allied secret services. This paper will study the construction and materiality of these contacts.

Remerciements

Cet article est la version développée d’une communication présentée le 4 juin 2016 lors du colloque ‘les réseaux internationaux de la France Libre’ à l’ULIP. Je remercie les organisatrices, Charlotte Faucher et Laure Humbert, pour leur confiance et leur disponibilité, ainsi que les autres participants pour leurs questions qui m’ont permis d’enrichir mon propos. Je remercie également ma directrice de thèse, Alya Aglan, ainsi que Hugues Tertrais pour leurs conseils et leur aide. Enfin, ma reconnaissance est acquise à Mélanie Leneveu et Stépanie Pirez-Huart pour leur relecture.

Notes

1. Tertrais, “Les résistances en Asie” in Aglan, La guerre-monde (1937–1947), 1: 1270.

2. Devillers, Histoire du Vietnam, 19401952, 96–113 ; Fourniau, Viet-Nâm. Domination coloniale et résistances nationales.

3. Tertrais, “les résistances en Asie,” 1276.

4. Turpin, “Indochine,” in Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, 332–3.

5. Il semble que d’autres organisations non homologuées à la Libération existèrent parallèlement. Par exemple le groupe GBT, récemment étudié dans Cabanes, Le GBT Group.

6. L’homologation des réseaux est une procédure administrative mise en œuvre par la France Libre dès le décret n°366 du 27 juillet 1942. Ce décret fixe les règles d’intégration aux Forces françaises combattantes du ‘personnel des territoires occupés par l’ennemi’. Ces règles concernent tous les résistants qui appartiennent à des organisations autres que les mouvements et les maquis. Tous les réseaux sont considérés comme dissous le 31 octobre 1944, sauf ceux d’Indochine. Une commission nationale d’homologation établit un questionnaire que les chefs de réseau doivent renseigner et qui comprend l’identification, l’affiliation, l’organisation et les activités, les moyens de liaison, le financement et l’inventaire numérique du personnel divisé en trois catégories dont les frontières demeurent floues: P2 (activité clandestine permanente rémunérée ou agent ayant été arrêté ou tué), P1 (activité clandestine menée en parallèle à une activité professionnelle dont l’agent tire sa rémunération), P0 (activité occasionnelle). Une liste de chaque catégorie d’agents est également fournie. A l’issue, les services liquidateurs vérifient les liens des réseaux avec les Alliés à l’aide des archives du BCRA conservées à la DGER. Le dossier est ensuite validé, ou non, par la commission nationale d’homologation. L’ensemble de ces fonds sont aujourd’hui disponible au SHD dans la sous-série GR 17 P. La publication de Longuet, Genet-Rouffiac, Les réseaux de résistance de la France Combattante. Dictionnaire historique fait figure de vaste inventaire.

7. Laborie, “Qu’est-ce que la Résistance?,” in Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, 32.

8. Un des principaux contentieux étant l’existence d’une ligne de chemin de fer de Hai-Phong, au Viet-Nâm à Yunnan, en Chine, qui permettait à l’armée de Tchang Kaï Chek d’être ravitaillée.

9. Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre, 1939–1945; Thomas, The French Empire at War, 19401945.

10. Aglan and Frank, La guerre-monde (19371947), 1: 12–13.

11. Valette, Indochine. 19401945.

12. Turpin, De Gaulle, les gaullistes et l’Indochine, 19401946

13. Les références des dossiers de liquidation par réseau sont: Bjerring: SHD/GR 17 P 87; Giraud-Lan SHD/GR 17 P 134; Graille: SHD/GR 17 P 137; Maupin-Levain: SHD/GR 17 P 168; Mingant SHD/GR 17 P 169; Nicolau-Bocquet: SHD/GR 17 P 179; Plasson: SHD/GR 17 P 193; Tricoire SHD/GR 17 P 235.

14. Né le 19 avril 1876, député socialiste du Rhône puis de la Drôme entre 1914 et 1947, avec un intermède durant l’Occupation, membre de la Ligue des Droits de l’Homme, il est ministre des Colonies lors du gouvernement du Front populaire et occupe cette charge de 1936 à avril 1938. Il profite de son mandat pour tenter d’améliorer le sort des colonisés notamment en abrogeant le code de l’Indigénat le 6 avril 1938 après l’avoir complètement vidé de sa substance. Le 10 juillet 1940, il fait partie des députés qui refusent d’accorder les pleins-pouvoirs au Maréchal Pétain et se réfugie en Suisse. A la Libération, il retrouve son mandat de parlementaire, siège aux deux Assemblées Constituantes et poursuit une activité politique nationale et internationale jusqu’à sa mort en 1968. Voir Gratien, Marius Moutet; Delavignette, “La politique de Marius Moutet au ministère des Colonies,” 391–4.

15. Le renseignement impérial faisait alors partie intégrante de la défense nationale, voir Forcade, La République secrète. Histoire des services spéciaux français de 1918 à 1939, 413–19.

16. Michel, “La Résistance clandestine française en Indochine de 1940 à 1945,” Bulletin de la Fédération des réseaux de la Résistance en Indochine (FRRIC), mars 1999, 1–2.

17. Historique du réseau Graille, SHD/GR 17 P 137.

18. Historique du réseau Tricoire, SHD/GR 17 P 235.

19. Historique du réseau Plasson, SHD/GR 17 P 193 ; Historique du réseau Nicolau-Bocquet, SHD/GR 17 P 179.

20. Rapport de Marcel Mingant sur l’activité de son réseau, mai 1959, SHD/GR 17 P 169. On remarque que ce rôle dévolu aux femmes dans ces réseaux obéit aux mêmes règles et au même regard que celles de leurs homologues du SOE en Europe. Voir à ce sujet Pattinson, Behind enemy lines

21. Brocheux, “Le mouvement indépendantiste vietnamien pendant la Seconde Guerre Mondiale (1939–1945)”, in Cantier and Jennings, L’Empire colonial sous Vichy, 265–85.

22. Jennings, Vichy sous les tropiques

23. SHD/GR 17 P 169. Rapport du chef de bataillon Marcel Mingant sur l’activité du réseau de renseignement qu’il a dirigé en Indochine de mars 1943 au 10 février 1945.

24. SHD/GR 17 P 168, lettre du médecin-général Lormeau, 29 décembre 1949. Il explique ce refus par le danger que ferait courir cette reconnaissance aux Vietnamiens dans le contexte de la guerre d’indépendance qui s’y déroule au même moment.

25. “Nul parmi nos compatriotes et nos protégés ne concevait que la France pût renoncer à la lutte. La prise de pouvoir par le Maréchal Pétain, annoncée par la radio, avait été accueillie par eux comme le signe indiscutable de la volonté des français de ne point s’incliner devant la défaite. Chacun était persuadé que l’homme de Verdun imprimerait à la conduite de la guerre une impulsion énergique et que son mot d’ordre serait celui de 1916: ‘ils ne passeront pas’. aussi la consternation et la révolte s’emparèrent-elles des cœurs, lorsqu’il fut connu que le premier acte du nouveau gouvernement avait été de solliciter un armistice. Il ne fut pas un français qui ne désavouât le mal et qui ne repoussât l’idée d’une capitulation” Catroux, Deux actes du drame indochinois. Hanoi: juin 1940. Dien-Bien Phu: mars-mai 1954 (Paris: Plon, 1959), 44.

26. Turpin, De Gaulle, les gaullistes et l’Indochine, 19401946, 23.

27. Note sur la situation de l’Indochine, 1er aout 1944, cité par Turpin, De Gaulle, les gaullistes et l’Indochine, 61.

28. De Gaulle, Mémoires de Guerre, 137.

29. Mémorandum du Conseil de L’Empire remis au gouvernement britannique le 20 janvier 1941. Document cité par Valette, Indochine 19401944, 209–10.

30. Forcade, “Le renseignement dans la guerre” in Aglan and Frank, La guerre-monde (19371947), 881–907 (881).

31. Ibid., 882.

32. Voir par exemple: Debruyne, “Combattre l’occupant en Belgique et dans les départements français occupés en 1914–1918,” 15–30; Lahaie, Renseignements et services de renseignements en France pendant la guerre de 19141918 (PHD diss. Université Paris-Sorbonne, 2007); Forcade, La République secrète.

33. Historique du réseau Phratrie, SHD/GR 17 P 192.

34. Turpin, De Gaulle, les gaullistes et l’Indochine, 19401946, 44. Le général Mordant ne rallie en réalité la résistance en Indochine qu’au début de l’année 1944. Il est désigné représentant en Indochine du Comité français de Libération Nationale puis du GPRF par le général de Gaulle après que ce dernier l’a contacté par lettre le 29 février 1944 pour ‘l’affermir dans les bonnes intentions dont je sais qu’elles sont les siennes’ (De Gaulle, Mémoires de guerre, 558). Le général Mordant publie après la guerre un plaidoyer pro domo, Au service de la France en Indochine, 19411945. La lettre du général de Gaulle au général Mordant est reproduite dans Valette, Indochine 19401944, 339–45.

35. Albertelli, Les services secrets du général de Gaulle.

36. La preuve de ces contacts nous est donnée par la répression qui s’abat contre ceux qui sont pris, comme le lieutenant Pibrac, exécuté à Monkay le 23 juillet 1943 après avoir rencontré un émissaire de la France Libre, le commandant Coudray, sur la frontière chinoise dans la province de Quang Toung. Voir Bulletin de la Fédération des réseaux de la Résistance en Indochine (FRRIC), 02/2000, 2.

37. Rapport de Marcel Mingant, SHD/GR 17 P 169.

38. Historique du réseau Tricoire, SHD/GR 17 P 235.

39. Rapport de Marcel Mingant, SHD/GR 17 P 169.

40. Historique du réseau Graille, SHD/GR 17 P 137.

41. Historique du réseau Mingant, SHD/GR 17 P 169.

42. Lettre envoyée au colonel Roos, de la DGER de Calcutta, 16 décembre 1945. Document cité par Valette, Indochine. 19401945, 294.

43. Historique du réseau Giraud-Lan, SHD/GR 17 P 134.

44. Historique du réseau Mingant, SHD/GR 17 P 169.

45. Lettre du général de Gaulle au général Mordant in Valette, Indochine. 1940–1945, 339–45.

46. Historique du réseau Giraud-Lan, SHD/GR 17 P 134.

47. Historique du réseau Tricoire, SHD/GR 17 P 235.

48. Historique du réseau Plasson, SHD/GR 17 P 193.

49. Historique du réseau Tricoire, SHD/GR 17 P 235.

50. Amiral Decoux, A la barre de l'Indochine, 315.

51. Turpin, De Gaulle, les gaullistes et l’Indochine, 19401946, 35–9.

52. Tertrais, “Les résistances en Asie,” 136.

53. Mingant mentionne dans son rapport d’activité (SHD/GR 17 P 169) un Colonel Robert qui, membre de son réseau, aurait été crucifié pendant de longues heures puis décapité. Dans le même rapport, il mentionne la décapitation de 80 à 85 officiers à Lang Son. Il est possible également de consulter en ligne Cornil-Frerrot, “La répression de la Résistance en Indochine,” Fondation de la France Libre, consulté le 1er mai 2016. http://www.france-libre.net/repression-resistance-indochine/

54. Historique du réseau Tricoire, SHD/GR 17 P 235.

55. Sainteny, Histoire d’une paix manquée, 49.

56. Douzou, “Gaullistes,” in Marcot, Dictionnaire historique de la Résistance, 936.

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