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Proust et le changement : Sésame ou Séisme?

Pages 409-419 | Published online: 31 Aug 2010
 

Notes

Notes

1 Le colloque sur l’œuvre de Tahar Ben Jelloun, intitulé « Départs », eut lieu entre le 3 et le 6 mars 2009 à l’Université de Miami, et fut organisé par Ralph Heyndels et David Ellison.

2 Voir l’analyse des « grandes articulations narratives » que propose Gérard Genette dans son « Discours du récit » Figures III (124–30).

3 Pour trois « lectures » du jeu complexe entre mémoire et oubli chez Proust, voir Georges Poulet, « Proust » (Études sur le temps humain [Studies in Human Time]) ; Maurice Blanchot, qui note le va-et-vient entre la plénitude du souvenir involontaire et le néant de « l’angoisse mortelle » dans « L’Expérience de Proust » (54–56) ; et Walter Benjamin, « L’image proustienne ». On lira, dès le deuxième paragraphe de « L’image proustienne », la formule frappante : « On sait que, dans son œuvre, Proust n’a pas décrit une vie telle qu’elle fut, mais une vie telle que celui qui l’a vécue la remémore. Et encore cette formule reste approximative et beaucoup trop grossière. Car ce qui joue ici le rôle essentiel, pour l’auteur qui se rappelle ses souvenirs, n’est aucunement ce qu’il a vécu, mais le tissage de ses souvenirs, le travail de Pénélope de la remémoration. Ou bien ne faudrait-il pas plutôt parler d’un travail de Pénélope de l’oubli ? La mémoire involontaire de Proust n’est-elle pas, en effet, beaucoup plus proche de l’oubli que de ce que l’on appelle en général le souvenir ? » (136).

4 Voir Paul Ricoeur, La Métaphore vive. Pour une lecture qui, dans son travail « déconstructeur », met en question, par avance, les présupposés méthodologiques de Ricoeur, voir Jacques Derrida, « La Mythologie blanche ». Pour une discussion de la valeur relative des positions de Ricoeur et de Derrida face à l’œuvre proustienne, voir David R. Ellison, The Reading of Proust (5–9).

5 Il y a une coïncidence curieuse, ou disons, la présence d’affinités intellectuelles fort intéressantes, entre la conceptualisation proustienne du sujet pensant dans son attitude défensive contre les chocs du monde extérieur dirigés contre son intériorité vulnérable, et la notion de « choc » telle qu’elle est développée par Walter Benjamin dans son essai « Sur quelques thèmes baudelairiens ». Benjamin élabore sa propre théorie du « choc » et son importance pour une compréhension de la modernité de Baudelaire à partir d’une lecture subtile de « Au-delà du principe de plaisir » de Freud (« Sur quelques thèmes baudelairiens », in Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, 155–64).

6 C’est dans la première version de son roman A Portrait of the Artist as a Young Man (1916), que nous évoquons aujourd’hui par le titre Stephen Hero, que Joyce établit sa théorie de l’épiphanie, se servant de la philosophie de Saint Thomas d’Aquin comme point de départ. Selon Stephen, St. Thomas aurait postulé : « The three things requisite for beauty are, integrity, a wholeness, symmetry and radiance ». Après le premier moment dans lequel le sujet pensant appréhende l’objet « in a simple sudden synthesis », il passe à l’analyse de l’objet, à une perception différenciée de celui-ci dans ses parties constitutives. Enfin, la découverte de la troisième qualité de l’objet (« symmetry and radiance ») a lieu lors du moment priviliégié de l’epiphany. Voici le jeune Stephen en professeur d’esthétique : « First we recognise that the object is one integral thing, then we recognise that it is an organised composite structure, a thing in fact: finally, when the relation of the parts is exquisite, when the parts are adjusted to the special point, we recognise that it is that thing which it is. Its soul, its whatness, leaps to us from the vestment of its appearance. The soul of the commonest object, the structure of which is so adjusted, seems to us radiant. The object achieves its epiphany » (Stephen Hero, 212–13; Joyce souligne). Dans la version plus développée de ces propos (A Portrait of the Artist as a Young Man [184–88]), le mot epiphany disparaît, et le troisième moment de la révélation esthétique est décrit ainsi : « The instant wherein that supreme quality of beauty, the clear radiance of the esthetic image, is apprehended luminously by the mind which has been arrested by its wholenesss and fascinated by its harmony is the luminous silent stasis of esthetic pleasure » (185; je souligne).

7 Voir la première note en bas de page dans Sésame et les lys, la traduction que fit Proust de l’ouvrage de John Ruskin du même titre (publiée initialement par Mercure de France en 1906, et rééditée en 1987 par Editions Complexe, avec une introduction d’Antoine Compagnon). Dans cette note, Proust explique que le titre de la première conférence du volume, « Sésame », fait allusion non seulement aux Mille et une Nuits et à « la parole magique qui ouvre la porte de la caverne des voleurs », mais constitue, symboliquement, « l’allégorie de la lecture qui nous ouvre la porte de ces trésors où est enfermée la plus précieuse sagesse des hommes : les livres » (Sésame et les lys, Editions Complexe, 101). Ce motif de l’ouverture magique des portes traverse la Recherche, et il est intéressant de noter que, dès bien avant la composition de son roman, Proust associait l’acte de la lecture à ce genre d’ouverture et de révélation à la fois profonde et inattendue.

8 Lors de l’expérience de la petite madeleine, quelques instants avant qu’il ne découvre ce qui est à l’origine de ses souvenirs involontaires, le narrateur écrit : « Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient » (I, 45 ; je souligne).

9 Voir Martin Heidegger, « Brief über den Humanismus » : « Das ‘Sein’–das ist nicht Gott und nicht ein Weltgrund. Das Sein ist wesenhaft weiter denn alles Seiende und ist gleichwohl dem Menschen näher als jedes Seiende, sei dies ein Fels, ein Tier, ein Kunstwerk, eine Maschine, sei es ein Engel oder Gott. Das Sein ist das Nächste. Doch die Nähe bleibt dem Menschen am fernsten » (331; je souligne). En traduction anglaise: « ‘Being’–that is not God and not a cosmic ground. Being is farther than all beings and is yet nearer to man than every being, be it a rock, a beast, a work of art, a machine, be it an angel or God. Being is the nearest. Yet the near remains farthest from man » (« Letter on Humanism » 210; je souligne).

10 Pour une discussion de l'Unheimlichkeit (« l’inquiétante étrangeté ») proustienne telle qu’elle se manifeste dans l’épisode de Venise d’Albertine disparue, voir David R. Ellison, « The Disquieting Strangeness of Marcel Proust ».

11 Dans La Prisonnière, alors qu’il est en train d’imaginer une liaison sapphique entre Albertine et Mme Verdurin, le narrateur se livre à des réflexions générales sur ces êtres que nous aimons plus que tous les autres mais qui échappent à notre désir de les posséder en tout temps et en tout lieu, et qui, ce faisant, offrent à notre inquiétude un corps : « Mais enfin ce sont surtout de tels êtres [i.e., ces êtres qui nous échappent] qui inspirent l’amour. Le plus souvent l’amour n’a pour objet un corps que si une émotion, la peur de le perdre, l’incertitude de le retrouver se fondent en lui. Or ce genre d’anxiété a une grande affinité pour les corps. Il leur ajoute une qualité qui passe la beauté même, ce qui est une des raisons pour quoi l’on voit des hommes, indifférents aux femmes les plus belles, en aimer passionnément certaines qui nous semblent laides. À ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes » (III, 600; je souligne).

12 S’adressant à la Mort, le poète du « Voyage » conclut ainsi : Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! (Les Fleurs du Mal 192) La plongée au fond de l’Inconnu, le désir du nouveau, c’est l’ouverture du sujet pensant au choc, à savoir sa capacité d’accueillir la force de l’univers sismique qui le traverse.

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