377
Views
0
CrossRef citations to date
0
Altmetric

Saint-Louis, 18 mars 2016.

Nous avons souhaité rendre hommage à Michael Sheringham, disparu le 21 janvier dernier à l’âge de 68 ans, des suites d'une longue maladie.

Né au Caire en 1948, Michael Sheringham était une grande figure des lettres françaises au Royaume-Uni. Spécialiste de littérature française contemporaine, il fut d'abord étudiant à l'Université du Kent, à Canterbury, enseigna deux années à Coleraine, dans le comté de Derry, en Irlande du Nord, et revint à Canterbury en 1974, d'abord comme lecteur, puis comme « Senior Lecturer », et enfin comme professeur de Littérature française à partir de 1992. Entre 1995 et 2004, il fut professeur à la Royal Holloway University de Londres, avant d’être élu à la plus prestigieuse des chaires de littérature française en Angleterre, la chaire Maréchal Foch à Oxford, déjà occupée par le grand historien de l'art Jean Seznec et les éminents proustiens Malcolm Bowie et Jean-Yves Tadié.

Après un premier ouvrage biographique sur le poète surréaliste André Breton, publié en 1972 (Breton: A Bibliography), c'est au Molloy de Samuel Beckett que Michael Sheringham s'attache (Beckett: Molloy, 1985). Poésie et fiction d'avant-garde le conduisent alors vers les domaines de l'autobiographie et du quotidien, où il fait jouer ensemble littérature, philosophie et sciences humaines. Les deux livres qui découlèrent de ces enquêtes – French Autobiography: Devices and Desires. Rousseau to Perec, en 1993, et Everyday Life: Theories and Practices from Surrealism to the Present, en 2006 – ont été abondamment commentés. Le second, très remarqué, a été traduit en français en 2013, sous le titre Traversées du quotidien. Par le biais d'une lecture comparatiste, analysant les œuvres de Lefebvre, Barthes, Blanchot, De Certeau ou encore Perec, Michael Sheringham y a proposé une vue d'ensemble des différentes approches de cette notion et de ce thème. À côté de ce travail considérable, il a en outre édité Parisian Fields en 1996 et The Art of the Project: Projects and Experiments in Modern French Culture en 2005.

Ces dernières années, c'est la notion d'archive dans la littérature et la culture françaises qui retenait toute son attention (un nouveau livre, provisoirement intitulé The Afterlives of Pierre Rivière: Foucault/Archive/Film, était en préparation).

Je ne peux mentionner toutes les œuvres qu'il a fréquentées et dont il a rendu compte. Unanimes, les hommages ont souligné son rayonnement intellectuel, la profondeur de ses travaux, les liens d'amitié fidèle qu'il noua au fil des ans avec nombre d'universitaires et d’écrivains. Ils ont aussi salué son engagement sans faille au service de la culture et la littérature françaises qu'il aimait profondément et qu'il servit de mille façons : en tant que président de la Society for French Studies ; en tant que président du Comité de la Maison française d'Oxford ; à travers les étudiants qu'il a formés, leur transmettant comme un bien précieux son amour de notre langue, de notre culture et de notre poésie ; par les livres qu'il a écrits ; par les séminaires qu'il a dirigés ; par ses interventions au Collège de France en 2007 ; par ses collaborations régulières, pendant plus de trente années, au Times Literary Supplement (son dernier article publié porta sur le poète Philippe Jaccottet dont les œuvres venaient d’être publiées dans la prestigieuse « Bibliothèque de la Pléiade »).

Esprit éclairé, arpenteur des deux rives, on le présentait parfois comme un « passeur » : entre les disciplines académiques, entre les langues et les cultures, entre la France, l'Angleterre et les États-Unis, entremêlant les savoirs, multipliant les rencontres, favorisant les collaborations.

Au début du mois de janvier 2016, quelques jours avant sa disparition, un colloque sur le thème « What forms can do » lui a été consacré. Ce colloque a réuni des collègues, des amis, d'anciens étudiants anglais et nord-américains qui voulaient souligner combien la présence et la pensée de celui qu'ils appelaient affectueusement et respectueusement « Micky » avaient compté pour eux et compteraient toujours.

À une époque, la nôtre, où l'on ne distingue plus guère culture et divertissement ; à une époque où l'on ferme les lieux où cette chose supposée inutile – la littérature – se lit et s'enseigne encore ; à une époque où le mot même de littérature, dont la valeur boursière est nulle, engendre un sourire entendu sur les lèvres des comptables, le nom de Michael Sheringham résonne avec force comme un encouragement.

Encouragement à défendre cette chose étrange qui nous mobilise et qui échappe à la règle administrative autant qu'au divertissement culturel.

Encouragement à transmettre par l'analyse critique et par l'enseignement cette chose essentielle dont la puissance égale la fragilité.

Encouragement, sans jamais céder à la désillusion, à proclamer la littérature nécessaire, indispensable même, et à relever le défi de cette affirmation.

Le nom de Michael Sheringham résonne comme un avertissement et comme un appel. Partout, on le sait, la littérature est menacée. Elle est menacée par bêtise, par indifférence, par inculture ou par suspicion ; elle est menacée par le calcul administratif ; elle est menacée par la mise au pas politique, voire policière, quand on la censure ou quand on veut la conformer au « politiquement correct ».

Le souci de littérature que revendiquait Michael Sheringham est sans doute son legs le plus précieux. Il en savait les forces d'interpellation, les pouvoirs de subversion et de transgression des normes établies, de la bonne conscience collective, de l'imaginaire commun. Il en savait aussi l'exigence et, parfois, la beauté.

C'est tout cela que nous aimerions partager.

Ce souci, cette exigence, cet appel de la littérature, nous les faisons nôtres, ici, à Saint Louis. C'est notre manière de rendre hommage à Michael Sheringham, et c'est notre manière de le saluer.

Additional information

Notes on contributors

Olivier Penot-Lacassagne

Olivier Penot-Lacassagne is a maître de conférences HDR at the Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. He has published and edited many works, including: Beat Generation. L'Inservitude volontaire (ed.) (CNRS éditions, 2018); Poésie & Performance (co-ed.) (Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2018); Back to Baudrillard (ed.) (CNRS éditions, 2015); Vies et morts d'Antonin Artaud (CNRS éditions, coll. « Biblis », 2015); Contre-cultures! (co-ed.) (CNRS éditions, 2013); Engagements et déchirements. Les intellectuels et la guerre d'Algérie, co-authored with Catherine Brun (Gallimard/IMEC, 2012); Le Surréalisme en héritage: les avant-gardes après 1945 (co-ed.) (L'Age d'Homme, 2008); « Moi, Antonin Artaud, homme de la terre » (Aden, 2007); Le Grand Jeu en mouvement (ed.) (L'Age d'Homme, 2006); Antonin Artaud et les avant-gardes théâtrales (Minard, 2005). He is a member of the UMR THALIM (Théorie et histoire des arts et des littératures de la modernité XIXe-XXIe siècles).

Reprints and Corporate Permissions

Please note: Selecting permissions does not provide access to the full text of the article, please see our help page How do I view content?

To request a reprint or corporate permissions for this article, please click on the relevant link below:

Academic Permissions

Please note: Selecting permissions does not provide access to the full text of the article, please see our help page How do I view content?

Obtain permissions instantly via Rightslink by clicking on the button below:

If you are unable to obtain permissions via Rightslink, please complete and submit this Permissions form. For more information, please visit our Permissions help page.