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Terre africaine, terre européenne : Trois femmes puissantes de Marie NDiaye

Abstract

This article offers an ecocritical postcolonial reading of Marie Ndiaye’s novel Trois femmes puissantes (2009). It aims to investigate the representation of nature, its function in the interaction between the characters and unveil different attitudes towards the Earth. The analysis is divided in three parts, following the three sections of the narrative, while comparing them. In the first part, the focus is on the communicative issues between an African father and his daughter, whose mother is French, and how the flamboyant tree helps them to interact without conflict, enables them to transform symbolically into birds. The second part pictures a Franco-African family living in the French countryside and failing to communicate. The analysis concentrates on how nature seems to come between them and hinder the communicative efforts, as if they represented different groups, having opposing views on nature. The third part tells the story of a migrant from Africa, ending up in a hostile no man’s land where the sole function of nature is to provide wood for the construction of ladders supposed to help climb the fence separating them from Europe.

Trois femmes puissantes (2009) de Marie NDiaye est divisé en trois parties, chacune représentant sa vision du rapport entre les personnages et la terre qu’ils habitent.Footnote1 La première partie dépeint un coin de la terre africaine, centrée sur l’interaction et la communication entre les personnages, facilitées grâce à un flamboyant, établissant un pont entre les êtres humains. La deuxième partie se déroule en France au sein d’une famille franco-africaine en échec total de communication, où la nature semble plutôt enfreindre la compréhension entre eux, représentant des fractions différentes, des positionnements opposés vis-à-vis de la nature. La troisième partie illustre une tentative de migration entre l’Afrique et la France se terminant dans un no man’s land hostile, où la végétation n’a d’importance que comme matériaux de constructions d’échelles censées servir à escalader le grillage et de continuer la fuite vers l’Europe. Le présent article prend « an earth-centered approach » (Glotfelty xviii) et étudie la représentation de la nature et sa fonction dans l’interaction entre les personnages, suggérant ainsi une lecture éco-critique du roman afin de distinguer des attitudes différentes par rapport à la terre qu’on habite. Les similarités entre l’éco-critique et la théorie postcoloniale que remarque Graham Huggan et Helen Tiffin (6) justifie l’introduction de cette perspective afin de déceler les postures face aux Autres, humains et non-humains. L’analyse suivra la structure du roman avec ses trois parties. Des comparaisons entre elles seront esquissées tout au long de l’article, qui se clôt avec une discussion rassemblant les résultats et proposant un cadre interprétatif qui permet de lire les particularités contre un fond éco-critique et postcoloniale.

Norah et le flamboyant – la nature comme dépassement communicatif

La première partie se déroule essentiellement au Sénégal comme la protagoniste Norah s’installe à Grand-Yoff, une partie de Dakar (90, 92). L’unique représentant de l’univers des plantes avec un rôle significatif est un flamboyant jaune. Dès la première page, l’arbre est associé au père de Norah, « tombé sans doute sur le seuil de sa maison arrogante depuis la branche de quelque flamboyant dont le jardin était planté » (11), « ayant quitté peut-être d’un coup d’aile la grosse branche du flamboyant qui ombrageait de jaune la maison » (12). Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de cet exemple. L’une concerne l’impression que le père agit comme un oiseau, motif récurrent à travers cette première partie du roman.Footnote2 C’est un cas de zoomorphisme (Garrard 154), où le père est indirectement comparé à un animal, non pour lui assigner une valeur moindre mais en réalité pour le montrer en bonne disposition pour communiquer avec sa fille, Norah, venue le joindre dans le flamboyant à la fin de la partie, passage écrit du point de vue du père. La présence de sa fille dans l’arbre ne l’irrite pas, car il interprète sa venue ainsi : « pourquoi serait-elle venue se nicher dans le flamboyant si ce n’était pour établir une concorde définitive ? » (98), suggérant que la nature offre un endroit de communication libre entre père et fille.Footnote3

Une autre remarque regarde l’effort humain impliqué dans la plantation des arbres du jardin, créant une représentation de la nature gouvernée par l’être humain, et non pas comme une entité en possession d’agentivité, « as self-standing agents » (Huggan and Tiffin 13). La terre africaine est domestiquée par l’humain, rappelant un autre rapport de soumission de ses habitants par les esclavagistes et les colonisateurs, responsables d’avoir instauré un régime anthropocentrique et colonialiste, deux concepts qui vont souvent de pair, selon Huggan et Tiffin (11). Paradoxalement, les espèces se confondent en même temps, les gens deviennent oiseaux installés dans le flamboyant comme le constate Parent (76), symboliquement ou selon la logique du réalisme magique. Effacer ainsi la distinction anthropocentrique entre animal et humain pourrait s’interpréter comme une tentative de montrer que la communication est facilitée par le rejet de toutes les normes qui découlent de la colonisation et l’échange qui s’ensuit. Car, malgré leur lien filial, Norah incarne vis-à-vis de son père la France, qui a tout le pouvoir mais demeure sans force. Cette faiblesse de la fille envers son père a certes des explications familiales – il a été un père très dominant – mais son emprise sur Norah a décliné avec l’âge. Pourtant, les réactions de Norah dénotent la perte de contrôle de l’ancien colonisateur sur la colonie et s’exprime par son incapacité de contrôler sa vessie – elle urine sans faire exprès à plusieurs reprises dans le texte.Footnote4

À un autre moment, Norah et son père se disputent à propos d’une photo qui la représenterait devant une maison, vêtue de manière tout à fait semblable à ce qu’elle porte en arrivant chez son père : « Elle portait une robe vert tilleul […] semée de petites fleurs jaunes assez semblables à celle qui jonchaient le seuil tombées du flamboyant » (14). La photo est floue, Norah refuse d’abord de s’identifier, son geste ressemblant à celui du colonisateur qui se lave les mains de toute implication dans le projet colonial. Or, la couleur de la robe fait penser à l’arbre français par excellence, le tilleul, et à la tisane bue par le protagoniste de l’œuvre monumentale de Proust, qui fait apparaître tous ses souvenirs d’enfance. Les fleurs imprimées sur l’étoffe semblent arrachées au flamboyant, telles les ressources naturelles volées de l’Afrique par les colonisateurs. Le tissu de la robe devient une représentation unidimensionnelle de l’abus du pouvoir colonial, retourné contre Norah comme représentant de la France dans une scène brève où le père écrasant les fleurs du flamboyant provoque cette réaction : « Norah eut alors l’impression qu’il piétinait sa robe semée de fleurs semblables » (19). La lecture de l’Afrique faite par le colonisateur se matérialise dans l’étoffe, et l’image du père marchant dessus crée un sentiment de malaise chez Norah.

Rudy et la nature domestiquée – défenseur de la glycine assassinée

La deuxième partie du roman raconte l’histoire de la famille de Rudy, qui vit dans une France provinciale. Leur relation, datant de l’époque où ils vivaient au Sénégal, s’est depuis lors détériorée et le récit rend compte d’un moment d’échec total de communication entre eux. Rudy est victime d’une véritable crise et tandis que le lecteur est invité à suivre ses pensées les plus intimes, Rudy observe le château surplombant le paysage, tel un personnage de Kafka.Footnote5 Ainsi, lorsqu’il s’arrête pour téléphoner à sa femme, « [s]on regard errait […] sur le calme petit château frais et blond, bien à l’abri sous le feuillage dense, discipliné de ses chênes sombres » (116–117). En contraste, il aperçoit son propre visage, stressé et en sueur, se refléter dans la vitre de la cabine téléphonique. Tandis que son expression corporelle montre une agitation hors du commun, le paysage est imprégné d’un sentiment de calme et de contrôle. Cet antagonisme subvertit le partage qui se fait depuis les Lumières, selon Kate Soper (97), entre l’être humain incarnant la raison et le contrôle et la nature sauvage s’y opposant. L’image proposée ici montre les arbres taillés selon le goût des humains par l’adjectif « discipliné », offrant un lieu de protection pour le château, indirectement comparé à Rudy, qui est blond. Ce lien est encore souligné en constatant que les propriétaires du château « avaient fait élaguer avec une telle sévérité que les arbres paraissaient humiliés, châtiés pour avoir eu le front de pousser leur feuillage […] jusqu’à dissimuler en partie la pierre […] blonde et fraîche, de ce qui n’était […] qu’une grosse maison qu’on affublait ici du nom respectueux de château, oui, se rappelait-il, le scintillement particulier là-bas de sa propre blondeur » (127–28). Grâce aux mots « humiliés » et « châtiés », la perspective des arbres est de nouveau représentée. La fin du passage établit explicitement un lien entre Rudy et le château, par la blondeur et le respect qu’on leur porte, à tort. Les chênes vacillent entre ce qui est naturel et ce qui est planté et dompté par l’homme. Rudy est anxieux de préserver les arbres dans leur état naturel, il « n’aurait jamais, lui, ratiboisé ces pauvres vieux arbres comme avaient osé le faire » (134) les propriétaires, et représente ainsi une vision écologique particulière.

Par ailleurs, la parole à l’origine de la crise de Rudy, lancée à Fanta le matin même – « Tu peux retourner d’où tu viens » (111) – dévoile le racisme sous-jacent, lié au château, car inhabité maintenant par des « Américains ou [d]es Australiens qui avaient l’outrecuidance, selon maman, de se sentir assez Français pour se croire capables de produire le même excellent vin » (134). Cette attitude, réservant aux Français seuls des connaissances de viticulteurs, montre bien le chauvinisme de la mère de Rudy et explique sa cécité par rapport au colonialisme français. Le père de Rudy exploite la colonie pour son gain personnel et sans soucis de l’Autre. Paradoxalement, Rudy se souvient « que son père avait manifesté une sentimentalité séduisante envers les bêtes, parlant, après certains repas, de se faire végétarien » (224). Sans que ce soit explicitement exprimé, on comprend que cela cache l’hypocrisie du père, relative à son manque de scrupule à l’égard de ses collègues africains, autres Autres.Footnote6

Le positionnement écologique de Rudy est également visible dans sa forte réaction lorsqu’une cliente a enlevé une glycine de son jardin. Lors de la première visite, Rudy « s’était haussé pour humer les fleurs, ému, enchanté par tant de beauté et de senteur données pour rien, et il avait ensuite félicité Menotti pour la luxuriance de sa glycine qui lui rappelait, oh oui, avait-il laissé échapper lui qui ne parlait jamais de sa vie passée, les fleurs de frangipanier de Dara Salam » (195). Le lien établi entre les deux mondes de Rudy, la France et le Sénégal, insiste sur les sens olfactif et visuel et la manière dont il réagit montre sa sensibilité envers la beauté de la nature. Au moment du retour auprès de la cliente Menotti, il découvre qu’elle s’est débarrassé de la plante, entre autres : « Les transports dévastateurs de Menotti, qui voulait nettoyer, faire propre, avoir du gazon, s’en étaient pris à la haie de charmes, ratiboisée, au vieux noyer, coupé au pied, aux nombreux rosiers, déterrés puis, Menotti s’étant ravisée, replantés ailleurs, et qui agonisaient. […] rien ne démontrait mieux la légitimité de sa toute-puissance que l’anéantissement du travail patient […] de tous ceux […] qui avaient planté, semé, ordonné la végétation » (196). Menotti est décrite comme une véritable force destructrice visant la nature, incarnant l’effort humain, et colonisateur avant tout, de tout arracher afin de recommencer à neuf, les rosiers jouant le rôle des victimes des esclavagistes, forcés de replonger leurs racines dans le sol étranger de l’Amérique. Son manque total de respect pour le labeur de la terre qui précède son arrivée détruit complètement le jardin.

Le seul argument prononcé par Rudy est : « La glycine ! Elle n’était pas à vous ! […] Elle appartenait… à elle-même, à tout le monde… » (199). Sans éloquence, Rudy s’attaque à l’anthropocentrisme, au spécisme flagrant qui met l’être humain au pouvoir en subordonnant tout autre espèce, qu’elle soit animale ou végétale. Ce qu’il tente de faire est d’accorder de l’agentivité aux plantes (Huggan and Tiffin 13). Rudy incarne la mauvaise conscience des anciens colonisateurs et devient ainsi le défenseur de la glycine, faute d’avoir pu respecter l’Autre africain, et son droit à lui-même.Footnote7 Comme Norah perd le contrôle de sa vessie dans la première partie, Rudy souffre de démangeaisons de l’anus, et frappé de stupeur à cause de « la glycine massacrée » (224), il se gratte sans inhibition devant Menotti. Les soucis liés à l’intimité du corps humain, et surtout à la façon dont le corps se débarrasse de ses déchets, sont accentués pour signaler la nature honteuse du colonialisme et du traitement plein de préjugés envers les animaux et d’indifférence envers les plantes.Footnote8 Dans l’esprit de Rudy, l’action de Menotti équivaut à ce dont il est coupable lui-même, d’avoir anéanti Fanta en l’enlevant de Dakar. « J’ai coupé cette glycine » (203), dit-il à ce propos. En même temps, Rudy décrit sa femme avec des pouvoirs de sorcière, proche de la nature et contrôlant les animaux à ses propres fins, stratégie commune soulevée par Soper pour parler des femmes et de la nature (103–107), les posant entre elle et son mari afin de brouiller la communication. En effet, une buse hante Rudy – elle se retrouve contre le parebrise de sa voiture (192–193), l’attaque à plusieurs reprises (231, 235–236), et en ramenant son fils, Rudy finit par l’écraser sous les roues de sa voiture (257). D’après lui, et selon Parent (81), ce serait Fanta qui lui a envoyé l’oiseau sous guise de vengeance (208).

Khady – l’infertilité, la valeur humaine et les échelles du no man’s land

La troisième et ultime partie du roman a pour protagoniste Khady, une jeune veuve qui au début du récit vit chez les parents de son mari décédé, sans enfants et sans ressources économiques. Poussée à quitter le Sénégal par sa belle-famille, elle entreprend la tâche difficile d’atteindre l’Europe mais sans réussir. Tout au long du récit, un glissement troublant se fait entre être humain, oiseau ou simple objet encombrant et gênant, ou une commodité sexuelle. En effet, aux yeux des beaux-parents, Khady est parfaitement inutile car incapable de leur donner des petits-enfants, et ils veulent se débarrasser d’elle comme d’« une pauvre chose » (264), privée de toute humanité : « ils l’avaient tacitement, naturellement, sans haine ni arrière-pensée, écartée de la communauté humaine, et leurs yeux durs […] ne distinguaient pas entre cette forme nommée Khady et celles, innombrables, des bêtes et des choses qui se trouvent aussi habiter le monde » (268–269). L’attitude des beaux-parents est problématique de plusieurs façons. Ignorer les limites entre les choses, les animaux et Khady et la séparer ainsi des êtres humains, ressemble aux stratégies de déshumanisation propre au racisme (Soper 66) et séparer humains et animaux est un signe d’anthropocentrisme.

Une fois partie pour l’Europe, Khady se retrouve sans argent et la prostitution semble la seule possibilité de survivre et pouvoir poursuivre le voyage grâce à ce qu’elle gagne. Même dans cette position dégradante avec « les muscles des cuisses endoloris, la vulve gonflée et douloureuse et le vagin brûlant, irrité » (312), elle se considère intacte, elle pense « avec cette impondérable fierté, cette assurance discrète et inébranlable : Je suis Khady Demba » (312), comme le remarque Asibong (153). Selon Parent, « Plus le corps de Khady Demba se désintègre, jusqu’à devenir autre, plus l’identité de Khady Demba s’affirme et se raffermit » (77). Sans jamais perdre le sens de son identité, Khady pense au moment de mourir : « C’est moi, Khady Demba, songeait-elle encore à l’instant où son crâne heurta le sol et où, les yeux grands ouverts, elle voyait planer lentement par-dessus le grillage un oiseau aux longues ailes grises – c’est moi, Khady Demba, songea-t-elle dans l’éblouissement de cette révélation, sachant qu’elle était cet oiseau et que l’oiseau le savait » (333). Exprimer ainsi son identité à travers le nom rend le destin tragique du protagoniste plus visible (Toivanen 139). Les tentatives de déshumanisation échouent face à l’affirmation du nom propre.

Comme dans les deux parties précédentes, les oiseaux jouent un rôle prépondérant. Quand Khady suit l’homme que sa belle-famille a payé pour son passage en Europe, il est comparé à un oiseau, « arpentant fébrile le bitume sableux et défoncé, et dansotant, rebondissant involontairement dans ses chaussures de sport vertes exactement […] comme sautillaient non loin les corbeaux noir et blanc, noirs au cou largement bordé de blanc, desquels il était peut-être, peut-être, le frère finement changé en homme le temps d’emporter Khady » (282–283). C’est un cas de zoomorphisme (Garrard 154) qui apparaît en filigrane tout au long du récit, créant une ambiance troublante, remplie de menace et de peur de se retrouver « dans l’antre aux corbeaux » (287). Comme dans la première partie, le passage entre forme humaine et forme animale est suggéré selon la logique du réalisme magique. La fonction unificatrice que possède cette métamorphose en oiseau pour Norah et son père est cependant remplacée dans le cas de Khady par une angoisse grandissante. À la fin du récit, Khady se retrouve dans une forêt près du grillage qui la sépare de l’Europe. Comme les autres personnes autour d’elle, elle essaie d’assembler à l’aide de branches éparses, des échelles pour escalader le grillage placé dans ce no man’s land hostile. Symboliquement, l’infertilité de Khady, qui est la raison du rejet de sa belle-famille, se traduit par ce paysage hostile, un cul de sac abstrait et en même temps très concret.

Remarques finales

En fin de compte, les trois parties de Trois femmes puissantes propose chacune une réflexion sur l’état du monde actuel. L’histoire de Norah et de son père met en relief les complications dues au passé colonial qui lie le Sénégal à la France. La robe à fleur de Norah semble symboliquement représenter la description de la colonie faite par le colonisateur. Malgré les ressemblances à des fleurs authentiques par la forme et la couleur, l’odeur manque à cette nature morte. En outre, il manque au tissu la faculté de facilitateur communicatif entre père et fille que possède le flamboyant, grâce auquel ils se débarrassent des normes instaurées entre colonisateur et colonisé. C’est grâce à la nature et à l’effacement des frontières entre oiseau et être humain que la communication fonctionne.

L’histoire de Rudy et de Fanta représente les difficultés entre colonisateur et colonisé non plus sur la terre africaine mais sur le sol européen. Le racisme et les positionnements hiérarchiques issus de la colonisation marquent la partie. La nature est clairement représentée comme contrôlée, domptée, domestiquée et le pouvoir exercé sur elle ressemble aux actes destructeurs des colonisateurs. Le massacre de la glycine doit se lire en parallèle à la destruction de la carrière et de la vie de Fanta. Rudy ne peut ainsi guère critiquer le chauvinisme de sa mère et l’hypocrisie meurtrière de son père. Cependant, il se veut le chevalier de la glycine, des lauriers et des chênes, comme si sa mauvaise conscience lui dicte ce comportement. Dans cette partie, la buse attaque ouvertement Rudy, qui finit par l’écraser par mégarde au moment où il essaie de réparer la relation avec son fils. L’oiseau est dessiné sous les couleurs du messager envoyé sans doute par Fanta, ainsi démonisée.

L’histoire de Khady, finalement, met le doigt sur les réalités de la migration entre les anciennes colonies et la France à l’échelle mondiale : l’abus économique et sexuel que rencontrent les migrants et la séparation de l’Europe et le reste du monde par un grillage. Bien qu’elle soit rejetée par sa belle-famille, réduite à la prostitution, malade, blessée et affamée, Khady montre une conscience de soi à travers toute l’histoire. Jamais elle ne perd de vue le sens de sa valeur et de son caractère unique, rappelant aux lecteurs européens l’importance de voir le destin individuel de chaque migrant plutôt que des masses sans visage envahissant l’Europe, comme le dépeint Toivanen (133–134). Le grillage installé représente l’anthropocentrisme et l’eurocentrisme joints (Huggan and Tiffin 5) qui prétendent que la terre appartient aux hommes européens d’abord.

Additional information

Notes on contributors

Ann-Sofie Persson

Ann-Sofie Persson is an Associate Professor at Linköping University where she teaches Comparative Literature, French and Francophone Literature as well as Language and Literature Education. Her research interest include gender, postcolonial theory, autobiography studies, ecocriticism and animal studies. She has published articles on authors such as Nina Bouraoui, Leïla Sebbar, Gisèle Pineau, Fabienne Kanor, Maryse Condé, Yanick Lahens and Marie Cardinal. From an ecocritical perspective, her publications include articles on J-M.G. Le Clézio and Albert Camus.

Notes

1 Toute référence au roman est faite à l’édition de poche, Folio.

2 Voir aussi pp.13, 14, 15, 19, 20, 21, 24, 25, 29, 38, 39, 42, 43, 45, 53, 54, 61, 71, 75, 80, 83, 84, 91.

3 Asibong (156) offre une interprétation moins optimiste de ce passage.

4 Voir pp.68, 74, 90. L’explication de Parent est plutôt psychologique (79–80).

5 En lisant NDiaye à la lumière de Kafka, on relèverait la structure répétitive « un rêve avilissant », décrivant l’état d’esprit de Rudy, proche du protagoniste du Château.

6 Manes (15–16) observe le lien entre les animaux et d’autres groupes non-privilégiés.

7 Voir Huggan and Tiffin qui clarifient le rapport entre éco-critique et postcolonialisme (11).

8 Parent explique les démangeaisons par le rapport au père meurtrier (81–82).

Works Cited

  • Asibong, Andrew. « Three Is the Loneliest Number: Marie Vieux Chauvet, Marie NDiaye, and the Traumatized Triptych ». Yale French Studies, 2015, No. 128, pp. 146–160.
  • Garrard, Greg. Ecocriticism. Routledge, 2012.
  • Glotfelty, Cheryll. « Introduction: Literary Studies in an Age of Environmental Crisis ». The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology. Edited by Cheryll Glotfelty and Harold Fromm, U of Georgia P, 1996, pp. xv–xxxvii.
  • Huggan, Graham and Helen Tiffin. Postcolonial Ecocriticism: Literature, Animals, Environment. Routledge, 2015.
  • Manes, Christopher. « Nature and Silence ». The Ecocriticism Reader: Landmarks in Literary Ecology. Edited by Cheryll Glotfelty and Harold Fromm, U of Georgia P, 1996, pp. 15–29.
  • Ndiaye, Marie. Trois femmes puissantes. Paris, Gallimard, 2009.
  • Parent, Anne Martine. « À leur corps défendant: défaillances et excrétions dans Trois femmes puissantes de Marie NDiaye ». L'Esprit Créateur, Vol. 53, No. 2, Marie NDiaye’s Worlds/Mondes de Marie NDiaye (Summer 2013), pp. 76–89.
  • Soper, Kate. What is Nature ? Blackwell, 1995. Toivanen, Anna-Leena. « The Unattainable Mediterranean: Arrested Clandestine Odysseys in Sefi Atta's ‘Twilight Trek’ and Marie NDiaye's Trois femmes puissantes ». Research in African Literatures, Vol. 47, No. 4 (Winter 2016), pp. 133–151.