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Research Articles

« Un cri noué en forme de langage » : Malemort, ou la naissance du modernisme antillais

Abstract

Glissant’s novel Malemort triggered in Chamoiseau a lasting fascination for this style of writing that was both negative and almost impenetrable in its language and narration, but paradoxically liberating in terms of what the novelistic form—a form that this article calls Antillean Modernism—can accomplish. Stylistically marked in its form by Faulkner and Joyce, Malemort’s Modernism is at the same time Caribbean and planetary. The political and aesthetic stakes of Malemort cannot really be understood in isolation and must be put in relation with its direct tributaries and other contemporaneous key works of Caribbean modernism. However, the notion of hierarchical influence must be rejected, and that of generations also further interrogated, in keeping with the non-linear history of the Caribbean, with its spiral temporalities and inherent multiplicity. Finally, this article will put forward that Malemort performs an apparently conflicting but truly fertile relationship between Antillean Modernism and key tenets of Adorno’s aesthetic theory.

« Emplissons nos œuvres d’ombres pour qu’en jaillisse la lumière ». (Placoly Citation1991)

« Il n’est filiation ô conteur

ni du nom à la terre ni du vent

à la cendre ». (Glissant Citation1985)

Naissance d’un modernisme antillais

Au mitan de son essai autobiographique et politique, Écrire en pays dominé (Chamoiseau Citation1997), Patrick Chamoiseau mentionne sa rencontre décisive avec Malemort, roman de Édouard Glissant paru en 1975, à un moment charnière de l’histoire de la Martinique, et qui le frappa par la difficulté de la forme, sa densité déroutante, l’absence de protagonistes ou de direction politique clairement définis. Ce roman déclenchera pourtant une fascination qui ne l’a plus quitté pour cette écriture à la fois négative et sombre, quasiment impénétrable dans son langage et sa narration, mais paradoxalement libératrice quant à ce que la forme romanesque – forme que je nommerai ici modernisme antillais – peut accomplir. Ce mot de modernisme, comme celui de modernité, est bien sûr doublement chargé, puisqu’il n’existe pas comme mouvement d’autonomie esthétique en langue française, et puisque son pendant anglo-américain a souvent été taxé d’eurocentrisme ou de complicité avec le colonialisme. L’œuvre n’a pas besoin d’être « classifiée » de cette façon, surtout si cette classification la positionne d’emblée dans une histoire et un parcours générationnel linéaires venant d’un dehors qui est synonyme d’oppression coloniale, et que Glissant renverse justement de fond en comble. C’est pour cela que nous entendrons par modernisme une tentative de nouer une recherche esthétique et politique qui puisse rompre avec une tradition littéraire, et qui vienne semer le trouble dans les champs littéraires et les classifications générationnelles de l’époque, ceux des Antilles comme des métropoles coloniales, tout en jetant les bases d’une fondation langagière qui perdurera. De surcroît, si une longue tradition critique fait du Cahier d’un retour au pays natal (Césaire Citation1939) l’œuvre première du modernisme antillais ou caribéen, de par son usage subversif des techniques d’écritures modernistes européennes et américaines, j’avancerai ici que Glissant développe à son tour une esthétique moderniste fondamentalement autonome, et plus seulement subversive, en particulier dans Malemort. Ce roman fait des Antilles le lieu de la conscience déchirée, à un moment-clé de leur entrée dans la seconde modernité (Appadurai Citation2001), et il s’y déploie une autre forme d’affirmation négative cette fois ; non plus identitaire, mais esthétiquement plurielle (Message Citation2013) et politiquement autonome, qui confronte un néant de l’être (mal-être est une anagramme partielle du titre) pour en faire naître l’étant.

Malemort, qui marque un nouveau tournant – et non une rupture totaleFootnote1 – par rapport aux premiers romans de Glissant, tout en s’inscrivant dans la continuation de L’Intention poétique (Citation1969) et en préparant sur le plan fictionnel les préoccupations centrales de Boises : histoire naturelle d’une aridité (Citation1979) et du Discours antillais (Citation1981), est stylistiquement inspiré dans sa forme, tout en s’en démarquant dans son contenu, par le modernisme de Faulkner, de Joyce et de Beckett. Son modernisme est à la fois caribéen et planétaire, pour reprendre le terme de Susan Stanford Friedman, dont le livre Planetary Modernisms puise ouvertement dans la pensée de Glissant pour élargir l’échelle spatio-temporelle du modernisme, qu’elle définit comme la dimension esthétique et relationnelle des modernités :

Modernism is the aesthetic dimension of modernity. Multiple and recurrent modernities produce their own particular multiple and recurrent modernisms. Across the globe and through time, these modernisms are not only distinctive but also linked to other modernisms in vast relational networks. They constitute a vast multimodal world system of expressive/symbolic culture, one not set apart from but embedded within the other dimensions of the modernities of which they are a part […] as aesthetic articulations repeatedly read, viewed and dialogued with, they have an afterlife with each new iteration, with each new engagement […]. (Friedman Citation2015, 216)

Loin d’être totalement isolé, mais en porte-à-faux avec le postmodernisme littéraire émergeant alors dans les littératures de langue anglaise et espagnole,Footnote2 Malemort se situe dans la mouvance des romans caribéens aux formes fortement modernistes, tels The Guyana Quartet (Citation1985) de Wilson Harris, The Hills of Hebron (Citation1962) de Sylvia Wynter, Natives of my Person (Citation1972) de George Lamming, L’Eau-de-mort guildive (Citation1973) de Vincent Placoly et le Dézafi (Citation1975) de Frankétienne,Footnote3 sans oublier le puissant cycle poétique Nostrom (Citation1982) du grand théoricien « rival » des Antilles qu’est Monchachi, qui incarne la nouvelle génération dissidente (Disidans [Citation1976], Konpè Lawouzé [Citation1978]) jusqu’à aujourd’hui. Nous y voyons se dessiner un modernisme caribéen et postcolonial, qui entre en résonance avec d’autres modernismes et avec les tourments accélérés de la modernité planétaire (Latham and Rogers Citation2015). Afin de mieux saisir les enjeux esthétiques de Malemort, nous suivrons l’analyse en profondeur du roman que nous donne Chamoiseau, en la mettant en dialogue avec la théorie esthétique du modernisme que Theodor Adorno avait rassemblée dans son Aesthetic Theory (Citation1997) au cours des années soixante. Le sillon de négation moderniste mis en avant par AdornoFootnote4 – à la fois symptôme lucide, expérimentation fictionnelle, et projet oppositionnel sans précédents – qui se trouve inscrit dans la forme langagière de Malemort, nous conduira à mieux sonder la portée de ce roman, qui a marqué toute une génération d’écrivain.e.s, mais aussi de critiques, par son hermétisme et opacité.Footnote5

Relire Malemort avec Chamoiseau et Adorno

Dans Écrire en pays dominé (Chamoiseau Citation1997), la découverte des potentialités de l’écriture révélées par Malemort est décrite en trois temps, chacun étant symptomatique d’une étape de la révolution opérée par ce livre sur le jeune Chamoiseau et toute la génération de créateurs antillais que ce dernier représente.Footnote6 Dans un premier temps, Chamoiseau décrit un choc littéraire nimbé d’ambiguïté et de consternation, face au livre d’un auteur qu’il admirait déjà et pensait bien connaître :

C’est Édouard Glissant qui allait m’ouvrir la barrière de corail […] j’avais lu Malemort une première fois […] J’avais aussi lu ses précédents romans, La Lézarde et Le Quatrième siècle […] Malemort, par contre, m’avait dérouté, et même débouté. Avec mes lunettes-négritude, je n’y comprenais rien. […] Ce roman semblait étranger à la lutte contre le Monde blanc colonialiste. Il n’exposait pas les fastes de la langue française pour étonner le Dominant et s’étonner soi-même […] Il n’arpentait aucune de nos résistances habituelles. Rien. […] Quelque chose s’était pourtant produit entre ce texte et moi. (Chamoiseau Citation1997, 87–88)

Il faut rappeler que 1975 représente un nadir dans le parcours historique de la Martinique : trente ans de colonisation sous forme d’assimilation culturelle et administrative, vagues de révoltes, d’émancipations culturelles et ouvrières réprimées dans le sang (1959, 1961 et surtout février 1974 où la grève des ouvriers agricoles des plantations de bananes se soldera par de nombreux blessés et deux morts, tombés sous la mitraille des gendarmes).Footnote7 La crise économique et écologique ainsi que l’apogée de ce qu’Adorno et Horkheimer appellent « l’industrie culturelle »Footnote8 entraînent une déculturation foudroyante, avec pour corollaire l’exploitation dévastatrice d’un tourisme néocolonial. C’est une période de déshérence où la communauté martiniquaise – selon le diagnostic qu’en font René Ménil (Citation1980) et les membres de la revue Acoma et de l’Institut Martiniquais d’Études par exemple (Clark Citation1989) – rejoint le monde de la globalisation dans son atmosphère de désœuvrement, d’une lente dissolution des révoltes et des espoirs d’indépendance, d’un oubli et déni du soi et du « nous ». Monchoachi décrira très précisément dans son essai Éloge de la servilité (Citation2007) cette rupture intérieure : « l’achèvement de la marchandisation du monde dans la marchandisation de la parole de l’homme […] constitue une rupture essentielle » (105) ; cette rupture est celle d’avec soi, d’avec la terre, dans l’inauguration tragique de ce que Monchoachi appelle « une terre sans monde » (100). Cette terre sans monde, ce « rétrécissement du monde » (Monchoachi, Citation2007), qui fait écho à ce que le poète et penseur de la catastrophe Günther Anders appelait la condition atopique de « l’homme sans monde »,Footnote9 c’est ce que Glissant nommera une Malemort. Terme médiéval qui fut d’abord repris par Jacques Stephen Alexis dans Les arbres musiciens (Citation1957),Footnote10 la malemort devient un état de mort culturelle qui scelle un échec et semble interdire tout réveil des consciences, à l’ère de l’hyper-globalisation naissante et laminante : « Là se lisent déjà les fantômes, monoprisés » (« Usine Encore », Glissant Citation1979, 157).

Ces années soixante-dix marquent donc l’ère de la dépendance absolue et entérinée, où le « cordon » colonial devient la « corde » d’étranglement, pour reprendre une image-symptôme du roman (Glissant Citation1975, 190). Chamoiseau nous dit qu’il se trouve à ce moment-là confronté au doute et à l’impuissance de la révolte : « j’affrontais une amère stérilisation. La langue-négritude m’avait laissé en panne […] J’étais stoppé » (Citation1997, 88). Ce retrait apparent de l’art directement engagé, que Chamoiseau repère dans Malemort sous forme de techniques et de style anti-réalistes (« Rien que l’alchimie d’un travail de la langue et d’une pénétration de notre réel » [Chamoiseau Citation1997]), ne doit cependant pas être confondu avec un quelconque reniement. Le retrait apparent d’une écriture engagée et mimétique correspond à un déplacement interne de la lutte et du politique dans les procédés même de l’écriture et dans la structure autonome de l’œuvre. Ni renoncement, ni capitulation, ce retrait est en fait le lieu, le rété créole selon Monchoachi, d’où viendra sourdre l’appel et le réveil (Citation2007, 28) ; l’esthétique déroutante et hermétique de l’œuvre correspond de façon frappante au subterfuge caribéen de migration interne vers les hauts et les « profonds », de marronnage stylistique, et de « camouflage » (Suzanne Césaire) narratif.

On reconnaît également ici un aspect clé de la définition du modernisme comme œuvre d’art autonome, telle qu’Adorno l’a analysée dans son Aesthetic Theory (Citation1997) et ses Notes to Literature (Citation1992), livres dont les répercussions sur l’esthétique postcoloniale restent encore à approfondir, mais de façon critique et transversale, dans le sillage des travaux pionniers de Simon Gikandi, Anjali Prabhu, John Drabinski et Jahan Ramazani. Le diagnostic qu’Adorno fait du modernisme, concomitamment d’ailleurs avec Glissant dans les années cinquante et soixante,Footnote11 peut ainsi nous aider à prêter attention aux fonctionnements internes de l’œuvre, où le politique et l’esthétique sont fondus d’une façon qui est loin d’être évidente : « This is not a time for political works of art; rather, politics has migrated into the autonomous work of art, and it has penetrated most deeply into works that present themselves as politically dead » (Adorno Citation1992, 93–94). Selon l’analyse de Robert Pippin (Citation2020), le constat adornien est double : « art is the social antithesis to society, not directly deducible from it » et « If thought is in any way to gain a relation to art it must be on the basis that something in reality, something back of the veil spun by the interplay of institutions and false needs, objectively demands art, and that it demands an art that speaks for what the veil hides ». L’art ne peut prétendre à émanciper ou s’émanciper directement du réel, du socius, sans devenir complice involontaire des forces de domination : à l’ère du capitalisme généralisé et de la globalisation, et l’année 1975 en représente l’acmé, toute forme de production culturelle, qu’elle soit ouvertement complice ou rebelle, devient de fait une forme de reproduction. C’est pourquoi les analyses d’Adorno, qui sont issues de la catastrophe, importent dans un contexte postcolonial : l’œuvre qui est au contact de la destruction et de la domination coloniale ne peut pas directement s’y opposer, mais elle peut en tirer une lucidité éclairante, dans sa technique et son langage. Impuissante dans le monde réel, l’œuvre peut induire un changement radical et social dans le rapport cognitif et de conscientisation qu’elle crée avec son audience : son contenu de vérité n’est pas la transmission d’un noyau dur et transparent qui serait pur et intact, mais la révélation de ses propres illusions qui sont aussi celles des réalités nées de la domination. Là se trouve l’authenticité de l’œuvre, la marque de son engagement en tant que fidélité granulaire au réel sous-jacent, la trace infiniment protégée des souffrances réelles, de derrière le voile colonial (l’on pense également aux analyses de W. E. B. du Bois).

La négation qu’opère l’œuvre d’art et qu’elle oppose à la domination n’est donc pas démission ou trahison, comme l’a tout d’abord cru Chamoiseau en lisant Malemort pour la première fois, et comme Glissant a souvent lui même été ensuite analysé par la théorie postcoloniale, mais aussi par ses contemporains aux Antilles eu égard à ce livre, puis à ses romans et essais dits du Tout-monde. Or, chez Glissant, si l’on veut littéralement chercher la politique de son esthétique, c’est dans la négation qu’on la trouvera – négation qu’on qualifiera ici de moderniste, et qui restera le fil conducteur, visible et invisible, à des degrés divers d’intensité, de toute son œuvre. Glissant lui donne même une incarnation figurale (un nom-sans-nom, puisque le nom serait déjà une assignation imposée, une appellation faussement identitaire), c’est le Négateur, le rebelle marron primordial.Footnote12

Ce moment de désillusion et de négativité se retouve dans le scintillement obscur qui frappe le jeune militant Chamoiseau, marquant ainsi le deuxième temps de sa relecture de Malemort :

C’est échoué comme cela que je repris la lecture de Malemort. En exil en France. Et là, le texte s’anima d’une clarté mouvante, sans plate transparence […] Je revins donc avec des bonnes soifs pour lesquelles Glissant diffusait l’eau dérangeante d’une source écartée. […] Un livre-hiéroglyphe endormi, proche et indéchiffrable, rayonnant d’étrange manière jusqu’au fondoc de moi dans les imminences de mon réveil. (Chamoiseau Citation1997, 92)

Du fond de l’aporie de son écriture et de ses lectures immédiatement engagées, Chamoiseau saisit que c’est dans la technique d’une écriture impénétrable et « indéchiffrable » où « la langue » est « problématisée » (Citation1997) dans l’opacité de l’Intention poétique, que l’œuvre acquiert son autonomie, et partant, redevient profondément sociale, à l’instar de ce qu’Adorno décrit dans son Aesthetic Theory : « In its autonomous forms art decries domination […] and stands witness for what domination represses and disavows » (Adorno Citation1997, 49). Dans Malemort, l’indépendantiste Glissant déclarait de fait l’indépendance de l’œuvre antillaise, ouvrant l’écriture antillaise au paradoxe moderniste suivant : l’art devient pleinement social lorsqu’il se definit en affirmant son autonomie, son « écart ». Cette approche esthétique rompt avec les attentes politiques et esthétiques dans le contexte chargé de l’époque, et risque gros à refuser un engagement direct avec son lectorat au profit d’une exploration langagière et fictionnelle inédite dans la littérature francophone d’alors (comparée par exemple à Yourcenar, Tournier et Duras, mais plus proche cependant de Perec, Simon et de Guyotat sur le plan de la forme). Cette condition paradoxale et intrinsèquement ambiguë de l’œuvre est en effet ce que rejetteront beaucoup d’intellectuels de l’époque, de droite comme de gauche, Antillais ou métropolitains, à l’image du compte rendu lapidaire et symptomatique publié par Willy Alante-Lima dans Présence Africaine (Citation1976), qui repère parfaitement « l’ambiguïté » de l’auteur (178), tout en réduisant le roman à une « préciosité » (180), un « amphigouri contrôlé » (181), l’accusant d’une « quasi-incompréhensibilité » et finalement d’une incapacité à « bâtir des consciences » (182). Selon Alante-Lima, Malemort est une mise en abîme involontaire de ce que le roman prétend (dé)construire, le roman étant inapte à toucher un lectorat des Antilles (« l’œuvre n’est nullement antillaise » [181]), et ne servant qu’à flatter les intellectuels des avant-gardes parisiennes de l’époque, férus de textualismes et de formalismes à même de révolutionner le social. Ce compte rendu règle son compte à la tentative glissantienne d’opérer un branchement entre la quête intrinsèquement antillaise d’une exploration d’un nous collectif, et les recherches formalistes initiées par la génération d’écrivains d’avant-garde de 1968, Tel Quel (Sollers et al. Citation1968) mais surtout Change (Faye Citation1968), revue dont Glissant était proche (par le biais de Maurice Roche) et que le critique mentionne dans un clin d‘oeil politique (« cette recherche formelle outrancière » ; « disciple ou un émule de la revue Change » [Alante-Lima Citation1976, 180]) destiné aux artistes de cette génération post-1968 déchirée (Gobille Citation2005).

Pourtant, c’est la question légitime de l’ambiguïté inhérente à ce roman, ambiguïté moderniste selon nous, qui va être réappropriée par Chamoiseau : là où Alante-Lima voit une impasse totale (confondant sans doute celle de la situation coloniale avec celle du roman), Chamoiseau y perçoit la possibilité d’une refondation, pour les Antilles, et pour le roman en général. En effet, Chamoiseau comprend que Malemort inaugure une nouvelle forme d’esthétique, ouvertement (et, pourquoi pas, ironiquement) complexe, nimbée d’une négativité constante qui irrigue chaque section du livre, et que c’est là qu’une nouvelle source de résistance exploratrice, insaisissable, déroutée et déroutante, vient sourdre. Autrement dit, l’œuvre ne doit pas s’effrayer de son désintérêt apparent pour le réel transparent (ici la réalité objective de la colonie, où tout est médié par une dépendance assimilatrice et irrépressible), de son détachement d’une mimésis première, car cela correspond en fait à un engagement second, à une mimésis seconde apparemment plus abstraite, mais en réalité bien plus concrète et ancrée dans le corps de la parole créole.Footnote13 Cette forme de figuration énigmatique et auratique n’offre aucun répit et ne masque rien de la longue agonie de ce que Monchoachi a décrit, à la suite de Fanon, comme étant la déréalisation, la fascination dénaturalisante pour la Loi (l’école et le fonctionnariat, telle la « petite bougeoisie » figurée dans Malemort) et la non-appartenance à soi de la société martiniquaise durant les trente glorieuses de la métropole (2007, 164). Malemort est un roman qui prend sur lui le poison qui l’entoure, mais l’œuvre empoisonnée jusqu’à l’étouffement devient aussi son propre contre-poison (Jameson Citation2007, 180) ; c’est l’ultime façon de résister à la « mal-mort », la mort lente et insidieuse qui détache la société d’elle-même sous les auspices du progrès et de la modernisation universelle. C’est à ce prix, toujours selon Adorno, que l’œuvre moderniste peut maintenir en elle la notion de possibilité et justifier son existence comme forme résistante aux forces de domination : « art keeps itself alive through its social form of resistance; unless it reifies itself, it becomes a commodity […] Nothing social in art is immediately social, not even when this is its aim » (Citation1997, 226).

Le troisième temps de relecture de Malemort sera lié au travail social qu’effectuera Chamoiseau, alors âgé de 23 ans, au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Tout d’abord, Malemort lui fournit un refuge « c’était mon oasis hors du monde pénitentiaire. […] » (Chamoiseau Citation1997, 93). Puis, ayant appris par hasard qu’un exemplaire du Cahier d’un retour au pays natal (Césaire Citation1939) avait été commandé par un détenu martiniquais, Chamoiseau va engager un dialogue littéraire avec l’ancien chef du « Gang des Antillais » : d’abord ce seront des romans de Lima, Roumain, Alexis, Faulkner etc. Le détenu va se mettre à écrire, et Chamoiseau pren-dra la gestion de la bibliothèque, puis quelques mois plus tard : « je lui parlais de Malemort et Dézafi […] Clarifier enfin pour lui et pour moi, leurs bouleversants réveils » (Citation1997, 100). Puis, soudain, plus qu’aucun autre livre à ce moment-là, Malemort va provoquer une révolution esthétiqueFootnote14 chez Chamoiseau, cristallisant l’irruption de l’antillanité (et plus seulement la Négritude) dans la modernité et vice-versa, la naissance d’un modernisme postcolonial inédit, critique et radical. Ces termes sont insuffisants, et sont bien évidemment encore à interroger, mais la rupture induite par cette œuvre dans le continuum du canon occidental trace une nouvelle route (mot qui vient justement du latin rupta, qui signifiait voie rompue ou frayée, comme nous le rappelle Monchoachi [Citation2007, 38]). C’est pourquoi j’argumente ici, guidé par Chamoiseau, que Malemort s’inscrit dans le modernisme planétaire en le faisant dévier de façon ineffaçable, dans un détour qui sera sans retour possible. Malemort trace – en parallèle avec celle de la littérature haïtienne de Alexis, Frankétienne, Chauvet, Charles, Philoctète – une nouvelle route d’opacité esthétique, qui sera rejetée ou critiquée parfois, mais qui sera incontournable dans les générations d’écrivains qui commencent à écrire et qui suivront (Chamoiseau, Condé, Maximin, Dracius, Placoly et Monchoachi par exemple). La négativité éclatante de Malemort amène le combat au cœur même de l’endroit, du lieu, où la culture dominante n’attendait pas les créateurs des postcolonies, c’est-à-dire à l’avant-poste de ce que la littérature – martiniquaise, antillaise, et décoloniale – peut induire de manière indélébile dans l’art du roman. Une offensive aussi imparable qu’éclair dans les tranchées des champs littéraires d’alors (Bourdieu), narcissiquement pris dans leurs propres rets, que nous savons maintenant être ceux de la nation postcolonisatrice.

Toujours dans ce troisième temps de lecture, Chamoiseau marque longuement cette « déflagration » (101) esthétique :

Malemort, c’est l’irruption d’une conscience autre dans la langue […] j’avais pressenti que l’écriture de Malemort signifiait une disponibilité salutaire qu’il m’était encore impossible de nommer […] C’était une autre manière de voir le sol, les arbres, le ciel, la vie, les forces magiques. Une autre manière d’accepter nos gestes, de lire nos échecs, d’envisager notre émergence, une rage et un grand rire pour présager notre tragique et l’explorer à ciel ouvert […] l’écriture semblait vivre une réalité torturée, sans démonstration […] Malemort, ameutant langue dominée et langue dominante, renvoie le monde à de complexes épaisseurs […] Ces livres [Malemort, Dézafi] me conviaient à un point fondateur […] un regard neuf. (Citation1997, 100–103)

Cette forme d’appel est similaire en portée à celui créé par la lecture du Cahier césairien, mais poussant l’horizon esthétique vers une matière non encore abordée. Malgré le lent délitement d’une communauté fragmentée, il s’agit désormais de tisser l’énonciation collective d’un peuple, un pays toujours « déjà jadis » certainement comme l’avaient pensé René Ménil et Suzanne Césaire en particulier, mais dans un langage neuf et avec un regard neuf – déjà conscient des intrications débordantes de la mondialisation nivelante et des solidarités naissantes de la mondialité imprévisible ; en tout cas, un regard détaché pour de bon de la métropole, de l’occident, puisque fixé sur un imaginaire et mode de pensée diffractant. Malemort, au plus proche de l’abîme, cherche à transmuer, faire résonner et concenter plutôt, le cri en parole, c’est-à-dire, « la difficulté elle-même (qui prenait donc corps, frêle diffus) d’avoir à articuler […] quelque cri que ce fût […] qui pût réellement se nouer en forme de langage » (Glissant Citation1975, 67–68) pour reprendre une formulation clé du roman, qu’on retrouvera répétée et entassée sous d’autres modulations. Chamoiseau nomme précisément la nouveauté radicale de Malemort ; il en perçoit sa dose de poison et de contre-poison. D’un côté il note et admire l’opacité indéchiffrable du roman, mais de l’autre, il se l’approprie pour féconder sa propre écriture à naître. Pour autant, Malemort est un roman où les limites du genre ont déjà été incorporées dans sa texture ; absolument rien (l’humour souvent acerbe excepté) n’échappe à la malemort qui circule dans le livre et la terre martiniquaise qu’il décrit, et c’est là que demeure son énigme, qu’il faut aller fouiller dans l’œuvre même.

Le roman du Négateur

Dans une notule traitant du roman, « À partir de Malemort », au début du Discours antillais (Glissant Citation1981) – à la fois thèse de doctorat et reprise des travaux sociologiques, anthropologiques et littéraires effectués dans la revue Acoma au début des années 70 – Glissant dévoile sans ambages l’ambition esthétique du roman, et l’ampleur de son constat de négation :

Ce livre en grande ambition tâchait de surprendre quelques aspects de notre usure collective et peut-être par là de contribuer à ralentir cette usure, à contester le renoncement. Je voulais y dire les turbulences comme figées du déracinement antillais. Supputer ce dépérissement imperceptible : l’en-aller d’un peuple qui ne disparaît certes pas mais à mesure s’effrite dans le soleil, ombre aigrie et contentée. Chanter l’histoire : impénétrable incomprise. Tenter aussi la façon d’un langage : dérision soufferte et lieu difficile […] Exemple banal de liquidation par l’absurde, dans l’horrible sans horreurs d’une colonisation réussie. Qu’y peut l’écriture ? Elle ne rattrape jamais. Hormis pourtant l’action nécessaire (le bouleversement sans réserve de cette banalité de mort), il reste à crier le pays dans son histoire vraie : hommes et sables, ravines, cyclones et tremblements, végétations taries, bêtes arrachées, enfants béants. (Citation1981, 19–20)

Le défi et l’enjeu du modernisme antillais postcolonial se trouvent lovés dans ce commentaire aux résonances fanonniennes : nécessité de l’action, qui est celle de trouver une forme d’énonciation collective capable de contrecarrer l’effacement lent et progressif de « l’histoire vraie » (géographique, sous-jacente, refoulée, tétanisée) du peuple martiniquais, sous couvert d’une assimilation comparée à la banalité de la mort, l’âme morte d’un peuple et d’un pays étant nichée en anagramme dans le titre de Malemort. Mais, comme le dit Dlan, une des entités-personnages d’un trio de djobeurs, le trois-en-un DlanMedellusSilacier, qui allégorisent les trois pans indissociables de la création antillaise (la pensée, la création, l’action) : « rien n’est rien » (Glissant Citation1975, 179). Toute figure et figuration d’une forme résistante ouverte et positive est devenue impossible en ces Antilles décomposées des années soixante-dix. Nulle geste épique, nul héros n’ont survécu semble-t-il à l’usure et à l’effacement induits par l’assimilation (« [the] crisis faced by French Caribbean literature in the 1970s […] traumatized consciousness of departmentalized Martinique and the pathological nature of self-expression » [Dash Citation1995, 113]), et l’artiste n’a d’autre choix que de bâtir et de suivre jusqu’au bout une esthétique négative, sorte de via negativa de la « conscience incréée » d’un peuple, comme le disait déjà l’Irlandais « semi-colonisé », James Joyce, dans A Portrait of the Artist as a Young Man (Citation1916).

C’est non seulement l’histoire officielle que Malemort met à mal, mais aussi les composantes narratives du roman: Malemort déploie une esthétique moderniste qui dénoue et déjoue la temporalité de manière toute faulkérienne (Absalom, Absalom ! [Faulkner Citation1936], Go Down, Moses [Faulkner Citation1942] et Requiem for a Nun [Faulkner Citation1953] en particulier, quant aux périodes, genres, personnages et récits imbriqués). Le temps homogène et linéaire de l’historiographie occidentale (informant les fictions, qu’elles soient classiques ou de type nouveau roman) est ici remplacé par une temporalité en spiraleFootnote15 et en « pans » (Glissant Citation1981, 18) : (1940), (1941), (/1936/-1943), (1788) (1939), (1945-1946), (1945) etc. brillamment décortiquée par Bernadette Cailler (Citation1988, 150–152) et Michael Dash (Citation1995, 111–125). Chaque datation est typographiquement mise entre parenthèses, comme pour mieux signifier la suspension de tout effort de périodisation classique, et comme si les dates et événements étaient devenus des traces à défricher, dans la mémoire, et sur la matière feuillue de la page. Cette néantisation de la temporalité et du temps homogène est un des partis pris de la narration de Malemort, comme on en voit un exemple ici : « Quel temps, dit Dlan, et qu’est-ce que quoi le temps ? La stupéfaction du temps qui s’accrochait à cette chaleur brûlée sur la terre, sans pas une feuille d’eau pas un détour de frais pas une ravine à écume où remonter – comment remonter le temps quand la terre est ainsi plate et l’herbe rase et sèche et durcie en paille sans vie […] » (Glissant Citation1975, 48). Notons les marqueurs de négation, les prépositions privatives, qui sont des allusions au « not language » de Faulkner, transformées en négation esthétique et politique et en mode métanarratif. Ce rapport explosif au temps et à l’histoire nous renvoie de surcroît aux thèses de l’Histoire de l’autre grand penseur du modernisme, Walter Benjamin. Il suffit de voir comment le temps dans Malemort est dynamité par l’image dialectique en suspens qu’a théorisée Benjamin, c’est-à-dire par la technique moderniste et constructiviste du montage, à rapprocher du montage de la parole créole mise en évidence dans Malemort (Céry Citation2022, 309–368) et de la syntaxe qui cherche à instaurer une autre forme de durée dans le temps évidé de la postcolonie « which is shot through with chips of Messianic time » (Benjamin Citation1999, 254–255).

On retrouvera dispersés dans Malemort ces éclats de temps messianique, l’antillanité comme utopie éveillée d’une terre et d’un peuple réconciliés, sise dans un langage autonome encadré par une voix narrative pluraliste (Message Citation2013, 404–405) oscillant entre l’ironie et le pathique, ce dernier n’étant ni le pathologique ni le pathétique, mais le moment d’une rencontre bouleversante, du réel jamais attendu, selon Henri Maldiney (Dastur Citation2008). L’exemple le plus probant en est l’utopie de redistribution agraire théorisée par Médellus (et virtuellement mise en pratique), avant d’être arasée à jamais par les tracteurs de la compagnie SOMIVAG (Glissant Citation1975, 196–214). Ce sont aussi les apparitions messianiques du Négateur (Cailler Citation1988, 107–169), le « marron primordial », dont les traces s’effacent progressivement des consciences, interdisant toute idéalisation, mais aussi tout refuge dans une origine absolue. Ironiquement, pour que le Négateur continue de vivre et reste un criterium de vérité de la conscience libre, il doit être effacé, trahi, folklorisé même, puisque c’est ainsi qu’il reste en relation avec le présent, aussi mortifère soit-il. Le Négateur est à la fois le trope unificateur du roman (et de toute l’œuvre glissantienne, son liseré d’ombre, à l’instar de l’invisible qui double en chiasme le visible chez Merleau-Ponty), et la charge qui fait voler en éclats toute tentative d’homogénéiser et d’effacer définitivement la conscience du peuple antillais, qui pourtant le nie (l’oublie) ou le fantasme (le glorifie ou le craint). En voici un témoignage, daté « 1974 » :

Dernièrement donc, sous trois plants de bois sans feuilles […] l’envasement de la trace par où le Négateur, le Marron primordial, non pas le premier peut-être mais à coup sûr le plus raide et rêche, descendit pour connaître le pays et enlever sa compagne. Pour quoi faire, disent-ils – désassemblés – le passé quel passé, Négateur quel négateur, qui vient qui est né c’est le même […] La trace ainsi envasée dans ni le limon ni la grasse rouge ni l’eau libre mais dans la grisaille le tuf où planter arcades bungalows grandes surfaces points fixes d’hélicoptères. Tous questionnant : « Mais alors, qu’est-ce qu’il faut faire ? ». (Glissant Citation1975, 189)

La négation libre et rebelle du Négateur se voit ici tournée en farce et dérision, la négation primordiale et fondatrice est réduite en figure vide d’impuissance. La trace, parcours initial des marrons dans les Mornes, les hauteurs protectrices des temps de l’esclavage, et surtout le graphème fragile de la culture orale du conte antillais, est elle aussi niée dans les consciences modernes et effacée par l’industrie du tourisme. Les personnages eux-mêmes se confondent avec les paysages détruits. La trace du Négateur, fil rassembleur, se perd et s’efface :

(Ils ne savaient pas qu’ils avaient suivi ces traces déracinées […] et le Négateur, celui que dans toute autre langue que cette absence et ce manque d’ici on eût sans doute appelé l’Ancêtre et qui n’était plus qu’un vague nœud au ventre, un cri sans feuille ni racine, un pleurer sans yeux, un mort sans retour : qu’ils étaient Médellus Silacier la trace qui tourne sur elle-même et se perd dans son devant : qu’il était Dlan le vent sur la trace.) […] (Tous confondus au plat pays où s’achevait la trace, tous commençant de reproduire par dérision violence innocence ou plaisir de jeu le chemin du Négateur venu d’ailleurs […]). (Glissant Citation1975, 61)

Malemort fait le constat d’une dynamique culturelle et langagière d’autant plus insidieuse et paralysante (la paralysie coloniale des Dubliners de Joyce étant un écho prégnant dans Malemort) qu’elle se drape de valeurs progressistes économiques et sociales, alors que le déni de soi semble régner dans l’apathie, le contentement ou les révoltes vite réprimées. Malemort est à la fois le roman-diagnostic d’un pays rêvé et maintenant échoué dans une forme d’impasse en 1975, 30 ans après les premiers poèmes et essais de Glissant qui étaient encore tout empreints, naïvement sans doute, d’espoirs de refondation radicale, et le roman-pronostic d’un réel mortifère et fragmentaire surtout qui sous-tend l’exploitation économique et écologique de l’île (selon les observations précises de Chamoiseau, Ménil, et du collectif Lakouzémi). Le constat glissantien rejoint celui fait par Adorno quant à la négation de l’œuvre d‘art moderniste : « The work of art is diagnostic and proleptic ; if successful, it allows us to experience the essential shortcomings of modern life, while at the same time demanding change by resisting all false forms of reconciliation » (Hammer Citation2015, 220).

Le roman des silences derrière le cri

Le style du roman est indissociable d’opacités formelles qui renouvellent, selon d’autres paramètres, les techniques du modernisme, ce réalisme abstrait qui définissait l’esthétique beckettienne selon Adorno, mais qu’on trouve aussi bien dans le modernisme baroque de Frankétienne que dans le modernisme polyphonique et joycien de L’Eau-de-mort guildive (Citation1973) de Vincent Placoly, et du très influent Le monde tel qu’il est (Citation1967) de Salvat Etchart. Notons le rôle prépondérant des techniques suivantes : négations, récit fragmenté et fragmentaire, temporalités en spirales, typo-graphie variée, alinéas faulknériens, ponctuation variable ou absente, syntaxe hypo-/paratactique, aposiopèses, géminations, sautes ou coupes franches, déroutante substitution de toutes les formes pronominales et narratives (excepté le « vous », réservé aux romans qui suivront), ou encore le changement permanent de rythme, de cadence (la descente du corps dans l’incipit du roman) et une instabilité voire fragilité de la narration auctoriale qui refuse ou joue avec la « ‘grâce de la parole,’ d’une vision totalitaire où le sujet et la parole sont privilégiés » (Dash Citation1990, 26). Dans Malemort, l’écriture tout comme la lecture sont mises sur un même plan, deviennent participantes et perfomatrices, loin d’une logique d’admiration, ou de consommation. C’est là que se forge cette esthétique de la conscience perdue (et donc retrouvable), dans une ruse de retrait qui assume le risque de l’exil hors de tout horizon d’attente (le fameux et tant décrié « lecteur futur » (Glissant Citation1975, 231) du glossaire est bien évidemment toujours présent dans le moment de lecture et dans l’entour originaire de l’œuvre). Michael Dash, dans son article séminal « Le roman de Nous », résume parfaitement ce souci de ton : « Chez Glissant, la parole devient l’invitation à une errance, à des détours, à une exploration des absences et des silences qui palpitent derrière le cri » (Citation1990, 26).

Trente ans plus tard, dans ses deux derniers essais de poétique, Glissant insistera sur l’anti-mimésis critique de son art (« Il n’y a pas de description réaliste qui tienne » [Citation2009, 102]), et sur l’autonomie de l’esthétique (74), non par goût ou choix élitiste du formalisme, mais par ce même souci du réalisme plus profond et plus authentique qu’on trouve chez les modernistes. Ce réalisme au second degré ne veut plus dire représentation ou reproduction ressemblante du réel – le réel est de toute façon inextricable nous dirait Glissant – mais relation non coercitive du détail à la totalité de l’entour. Reprenant et adaptant la dialectique négative d’Adorno, ou pourrait nommer ce formalisme esthétique, frappé de l’intention poétique glissantienne, un réalisme du non-identique (Neumann Citation2016, 126) c’est-à-dire de l’objet – que ce soit le paysage, le langage, le peuple – qui est sauvegardé de la pensée instrumentale et des lois universalisantes du roman occidental (dont la domination demeure, même quand elle est contestée), y compris celles d‘un modernisme importé et non problématisé. Dans Malemort, toute l’attention est portée sur le détail et son rapport à la totalité, qui elle-même est toujours diffractée et changeante. La préservation de ce qui est rejeté et laminé, les souffrances de la société coloniale, ses renoncements, les défaites, est justement ce qui assure le maintien du différent, constitutif de la Relation glissantienne, et c’est à ce niveau-là qu’on pourrait trouver la politique esthétique du modernisme antillais de Glissant.

Pour autant, Malemort ne fait pas œuvre de réconciliation – qu’elle soit politique ou autre – cette notion étant elle-même redevable d’une logique adventice. Il ne faudrait pas se méprendre sur le caractère apparemment hermétique et abstrait du formalisme moderniste glissantien souvent taxé de complaisance esthétique, voire d’une compromission irénique face à la mondialisation (Monchoachi Citation2008a, 14) ou d’une trahison de « l’originalité d’hier » (Placoly Citation1991, 163). Dans Voices of Negritude (Citation2015), Carrie Noland a remarquablement analysé le rapport nouveau que la typographie moderniste des poèmes de la négritude établit avec son audience, déplaçant les débats politiques vers la sphère de l’esthétique et de la mise en page, du graphème, du mot ; ce rapport repolitise ces textes de façon surprenante, en dégageant ce qu’Adorno appelait la voix hybride de la subjectivité esthétique, ni empiriquement incarnée dans le sujet, ni déterminée par le médium, nous invitant ainsi à une lecture de Malemort axée sur le matérialisme graphique de sa composition hautement poétique (retravaillée de surcroît dans les sections du recueil Boises, en particulier « Bois des Hauts » et « Malemort ») : « […] these demands transform a personal voice into a hybrid entity, a set of marks on the page that can be phenomenalized, given sensual and cognitive form in the mouth and mind of a reader. Adorno named this peculiarly textual entity an “aesthetic subjectivity,” a creation of craft that is neither entirely coincident with the poet’s empirical self nor an overdetermined result of the medium » (Noland Citation2015, 3).

Cette remarque, qui fait de la matérialité du médium et des caractéristiques formelles du modernisme européen un tremplin de la négritude, soulève la question du rapport nouveau que la voix poétique, cette subjectivité esthétique dont parle Adorno, crée avec son audience, mais aussi avec elle-même. C’est au travers de son hermétisme que Malemort parvient à conjoindre la nécessité de « la loi l’expression » (Glissant Citation1975, 158) et l’impossible à exprimer dans les composantes formelles de son « ingrat langage » (158), que ce soit typographiquement (le son) ou dans le travail sur la langue (l’écriture-geste) : « l’alliance en terre d’un son enfin connu et d’un geste enfin délié » (166). Et reprenant en écho la célèbre question de Fanon qui clôt Peau noire, masques blancs (Citation1952) c’est la voix de l’œuvre même qui nomme et qui (se) dit par un langage qui cherche encore son « nous », son audience sans qui rien ne peut valoir : « Mais qui peut comprendre cela ? Le monde ne te comprend pas si tu t’enlourdis dans ta voix, si tu ne claironnes pas tes mots avec leur jet d’écume ou le lait des splendeurs ensevelies : pour parler au monde, étrenne une langue d’éclats drossée sur les mers comme une nasse d’argent, Sinon tiens-toi béant dans ton silence et mâche tes mots pour à la fin germer de ta tête un serpent de flammes qui de vrai nouera la terre à ton corps » (Glissant Citation1975, 69).

L’intention politique du modernisme antillais de Glissant reste énigmatique, et ce plusieurs générations plus tard, jusque dans la dernière phrase du livre, décrivant un détenu, Silacier, frère en armes sans doute du détenu à qui parlait Chamoiseau : « Et ainsi barré par la porte, à travers cette sorte de gant que lui faisaient les trous, il effilait doucement le coupant de son coutelas » (228). Malemort serait bien le livre où le mot-larme, peut devenir aussi un mot-arme. Monchoachi le dira différemment par le biais d’un proverbe créole, trente ans plus tard, et dans l’autre grande théorie esthétique des Caraïbes qu’est Éloge de la servilité, en opposition ouverte à la mondialité glissantienne, mais de connivence avec Malemort et dans « la constante interaction » (Mannheim Citation1952, 301) des générations caribéennes : « Mais où pousse le Mancenillier, là aussi croît l’olivier » (107–108).

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No potential conflict of interest was reported by the author(s).

Additional information

Notes on contributors

Hugues Azérad

Hugues Azérad is Professor of Comparative Literature at the University of Cambridge; he recently co-edited (with Loïc Céry et al.) the volume Edouard Glissant et Le Discours antillais (2020) and (with Loïc Céry) a special issue for Cahiers du Tout-Monde, Les pédagogies d’Édouard Glissant (2023). He is co-editor (with Marion Schmid) for the book series European Connections: Studies in Comparative Literature, Intermediality and Aesthetics.

Notes

1 Sur la place de Malemort dans le parcours de l’œuvre glissantienne, et dans le contexte de la littérature des Antilles, voir en particulier les analyses de Régis Antoine, René Ménil et Jack Corzani dans Europe (Antoine et al. Citation1980); voir aussi les travaux de Jacques André (Citation1981), Roger Toumson (Citation2003), Michael Dash (Citation1990, Citation1995), Bernadette Cailler (Citation1988) et Celia Britton (Citation1999).

2 Voir les travaux de Linda Hutcheon (Citation1998) et Brian McHale (Citation2003).

3 Roman d’abord écrit en créole en 1975 puis repris et modifié en français dans Les Affres d’un défi en Citation1979.

4 Voir Espen Hammer, « An Aesthetics of Negativity », dans Adorno’s Modernism, pp. 180–207.

5 Voir Bernadette Cailler, Conquérants de la nuit nue (Citation1988), Michael Dash, Édouard Glissant (Citation1995), et Celia Britton, Édouard Glissant and Postcolonial Theory: Strategies of Language and Resistance (Citation1999).

6 Chamoiseau revient souvent sur l’importance de Malemort : (Chamoiseau Citation1990, 144) ; (Bernabé et al. Citation1989, 23).

7 Voir Qui ne connait pas Monsieur Donoma ? (Monchoachi et al. Citation2009). Voir aussi Mathieu Rigouste (Citation2009).

8 Adorno and Horkheimer, Dialectic of Enlightenment (Citation2002).

9 Günther Anders, L’Homme sans monde, Citation2015.

10 Voir Michael Dash, Citation1995, pp. 183–184.

11 Si Glissant et Adorno ne se sont probablement jamais rencontrés, les liens de pensée entre Glissant et le penseur phare de l’école de Francfort sont brillamment explorés par Alexander Neumann : « tous deux partent de l’intervention orale pour peaufiner le discours, tous deux ont horreur du jargon, tous deux considèrent la pensée comme une musique et l’écriture comme une forme libre […] deux oxymores esquissent leur relation : le sel noir, graine aride, mais fertile et pleine de promesses […] et l’image adornienne d’une prison aux fenêtres ouvertes qui désigne une société fermée par l’esprit positiviste, mais qui présente pourtant plein de brèches libératrices » (Citation2016, 124).

12 Voir les brillantes analyses de Cailler (Citation1988), Chancé (Citation2000) et Britton (Citation1999).

13 Sur l’importance de la parole créole, voir Britton (Citation1999) ; Monchoachi (Citation2007, 5), (Citation2008b) et le documentaire d’Arlette Pacquit, Monchoachi, la parole sovaj (Citation2021) ; Jacques Berque distingue « poésie de langue » et « poésie de parole » dans sa préface à Boises (Citation1983, 9–10).

14 Ce choc de lecture nous rappelle l’effet créé par Ulysses et Absalom, Absalom ! (Faulkner Citation1936) sur le jeune Glissant, et celui des poètes-penseurs de la Harlem Renaissance (Toomer, Hurston, Hughes, McKay) sur Jeanne et Paulette Nardal d’abord, puis sur Suzanne et Aimé Césaire.

15 Sur les affinités entre Glissant et les auteurs du spiralisme, leur rapport à une temporalité non linéaire, chez Frankétienne et Philoctète surtout, nous renvoyons aux travaux séminaux de Rachel Douglas (Citation2009) et de Kaiama Glover (Citation2010) – dans le sillage de Martin Munro, Mary Gallagher et de Michael Dash – quant aux innovations esthétiques formalistes du spiralisme haïtien. Glover postule une opposition intéressante entre le « telling » glissantien (esthétique finalement désincarnée) et le « showing » chez Frankétienne (plus radicalement fidèle à sa praxis esthétique) : « Glissant proves far more adept at telling diegetically than at showing mimetically, the veritable drama of self-expression evoked in his fiction » (Citation2010, 106–107). Glover admet cependant le caractère exceptionnel de Malemort, où le « showing » se fondrait au « telling » dans « une polyphonie chaotique » (116). Pour autant, un rapprochement plus poussé entre Malemort et le spiralisme de Frankétienne reste à faire, comme l’intime Nick Nesbitt dans sa recension du livre de Glover, et en suivant une approche adornienne (Nesbitt, Citation2011). De fait, vues dans leur totalité, les œuvres caribéennes semblent adopter une cohérence spiralique et non linéaire, de « roche » en « roche » disait Glissant (parlant tout aussi bien de chacun de ses livres et de leur ensemble archipélique), dans une recherche / fondation d’un temps « éperdu », et partant, « imprédictible ».

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