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LHB
Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Special Section: Hydrometrie 2021

Courbes de tarage du fleuve Congo à Brazzaville-Kinshasa

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Article: 2082338 | Published online: 12 Jul 2022

RÉSUMÉ

Les stations hydrométriques de Brazzaville et Kinshasa contrôlent 98% du bassin versant du Congo. Elles se situent à la sortie d’un bassin de tranquillisation pour mesurer les hauteurs d’eau et juste en amont d’un déversoir stable et sensible pour contrôler la relation hauteur-débit. Grâce à l’équivalence entre les deux jeux d’échelles, une longue série de référence a été reconstituée à partir de relevés limnimétriques quotidiens depuis 1902. De plus, 154 jaugeages ont été recensés dont 139 au moulinet pour les périodes 1955–1962 et 1971–1981 et 15 autres à l’ADCP depuis 2010. Ils couvrent tout le cycle hydrologique comme les principales phases d’écoulement ainsi que la quasi-totalité du marnage observé depuis 120 ans. Ce travail permet d’une part d’évaluer la stabilité de la section de contrôle grâce aux jaugeages Doppler, initiés 30 ans après la fin de ceux au moulinet et d’autre part, il permet la construction des courbes de tarage hauteur-débit avec estimation de l’incertitude, en combinant la connaissance a priori sur les contrôles hydrauliques et le contenu d’information des jaugeages incertains via la méthode bayésienne BaRatin. Une première estimation de la vitesse du fond mobile du fleuve Congo entre Brazzaville et Kinshasa est présentée.

ABSTRACT

The Brazzaville-Kinshasa hydrometric stations monitor 98% of the Congo River catchment. Located at the outlet of a stilling basin (the giant Malebo pool), they measure water levels just upstream of a stable and sensitive control (the Djoué rapids). Once the offset between the staff gauges of Brazzaville and Kinshasa evaluated, a long series could be reconstructed from daily stage readings since 1902. In addition, 154 gaugings have been collected, 139 using mechanical currentmeters in 1955–1962 (85) and 1971–1981 (54), and 15 using an ADCP since 2010. The gaugings cover the entire hydrological cycle as well as the main flow phases and almost all the stage range observed over the last 120 years. This work evaluates the stability of the control thanks to the ADCP gaugings initiated 30 years after the end of the currentmeter gaugings. It also establishes stage-discharge rating curves with uncertainty estimation, by combining the prior knowledge on the hydraulic controls and the information content of the uncertain gaugings via the Bayesian method BaRatin. A first estimate of the moving bed velocity of the Congo River during floods in the Brazzaville-Kinshasa cross-section is presented.    

1. Introduction

Après un rappel des principaux traits du fleuve Congo et de son bassin versant et un résumé de l’historique des différentes stations hydrologiques utilisées depuis le début du XXème siècle au niveau du pool Malebo (ex. Stanley Pool ; )), ce travail réalise la première compilation de tous les jaugeages existants depuis les premiers recensés en 1955, jusqu’aux derniers effectués par profileur hydro-acoustique ou ADCP (Acoustic Doppler Current Profiler) en 2019.

Figure 1. (a) Carte du bassin versant du Congo (adaptée de Runge, Citation2007). (b) Profil en long du fleuve Congo et de ses principaux affluents (adapté de Runge, Citation2007) avec zoom sur (c) : le tronçon « BZV/KIN – Océan » (adapté de Robert, Citation1946) et (d) le pool Malebo indiquant d’amont en aval, les sections de Maluku-Tréchot, de BZV-KIN et de Kalina (adapté de Molinier, Citation1979).

Figure 1. (a) Carte du bassin versant du Congo (adaptée de Runge, Citation2007). (b) Profil en long du fleuve Congo et de ses principaux affluents (adapté de Runge, Citation2007) avec zoom sur (c) : le tronçon « BZV/KIN – Océan » (adapté de Robert, Citation1946) et (d) le pool Malebo indiquant d’amont en aval, les sections de Maluku-Tréchot, de BZV-KIN et de Kalina (adapté de Molinier, Citation1979).

Ce nouveau jeu de données permet de revisiter le tarage du Congo au niveau de ses deux principales stations jumelles contrôlant la presque totalité de son bassin versant, avec une approche sous des angles hydrauliques et statistiques grâce au logiciel BaRatin, pour enfin, disserter sur sa stabilité, dépendante de celle de leurs sections de jaugeage et de contrôle.

2. Présentation générale

2.1. Site d’étude

Le bassin du Congo ()), tant par sa superficie (près de 3,8 10 times 106 km2), que par le module interannuel de son fleuve (40 500 m3 s−1 pour la période 1902–2020) est le deuxième de la planète et le premier du continent africain. Situé au cœur de ce dernier, il est traversé par l’équateur. Ce fleuve long de 4 700 km, présente dans sa partie aval un régime équatorial bimodal, avec sa crue principale en décembre et sa secondaire en mai. Ce régime régulier est pondéré à la fois par la vaste superficie de son bassin versant, l’importance de son couvert forestier, sa morphologie relativement plane dont le centre est inondable, comme par la succession des apports des deux hémisphères. La faible variation saisonnière de ses débits (débit maximum mensuel/débit minimum mensuel = 1,86) se retrouve dans la faible variation interannuelle (module maximum/module minimum = 1,66). Les débits journaliers extrêmes vont de 22000 (juillet 1905) à 77000 m3 s−1 (décembre 1961) pour un marnage pouvant parfois dépasser 6,5 m. Enfin, sur près de 120 années de relevés hydrométriques, c’est la décennie d’écoulements excédentaires de 1960 qui constitue l’anomalie hydrologique majeure de ce fleuve (Laraque et al., Citation2020 ; Moukandi N’kaya et al., Citation2022).

Tant par son relief que par sa végétation et son climat, la structure physiographique de ce bassin est globalement concentrique autour d’une vaste cuvette perchée à près de 300 m d’altitude. Son centre dénommé à juste propos la cuvette centrale est une dépression, plus ou moins inondée en fonction du cycle hydro-pluviométrique. Cette morphologie est soulignée par les profils en long du fleuve et de ses principaux affluents ()).

La fin de son cours moyen est caractérisé par une vallée encaissée dénommée le « couloir » ( et Annexe 1a), en raison de la succession sur près de 200 km, de tronçons quasi rectilignes qui cisaillent des formations sablo gréseuses, où le fleuve peut dépasser 50 m de profondeur pour une largeur relativement faible (de 1 à 1,5 km). C’est à la sortie de ce couloir que se trouve la section de jaugeage de Maluku-Tréchot, utilisée par l’ORSTOM (actuellement l'Institut de recherche pour le développement - IRD) de 1971 à 1981, en amont du pool Malebo ( et ) dans lequel il débouche. Dans ce “pool” d’environ 25 km de large pour 35 km de long, un bras principal en rive gauche détourne environ 85% de ses débits (Laraque, Citation2013). Le reste contourne l’île Mbamou, où en rive droite, il se divise en plusieurs bras anastomosés séparant de multiples bancs de sable de toutes tailles émergés partiellement ou totalement en fonction du cycle hydrologique. Les profondeurs y dépassent rarement les 5 m. A sa sortie aval, le “pool” se resserre en un bief unique qui sépare Brazzaville (BZV) et Kinshasa (KIN), les capitales les plus proches du monde, respectivement de la République du Congo et de la République Démocratique du Congo (RDC). C’est à la fin de ce “pool” que se trouve la section de jaugeage (BZV-KIN), actuellement utilisée depuis 2010. Mais c’est un peu plus en aval dans la portion la plus étroite du fleuve, que se situait celle de Kalina, utilisée par l’ancien Congo belge de 1955 à 1961.

Figure 2. Carte du pool Malebo montrant les trois principales sections de jaugeage du fleuve Congo (A = Maluku-Tréchot, B = BZV/KIN, C = Kalina) et D = les rapides du Djoué. Légende : BZV = Brazzaville, KIN = Kinshasa, 1 = pointe Kalina, 2 = Baie Ngaliena.

Figure 2. Carte du pool Malebo montrant les trois principales sections de jaugeage du fleuve Congo (A = Maluku-Tréchot, B = BZV/KIN, C = Kalina) et D = les rapides du Djoué. Légende : BZV = Brazzaville, KIN = Kinshasa, 1 = pointe Kalina, 2 = Baie Ngaliena.

Figure 3. (a) Bathymétrie et répartition des vitesses dans la section ; (b) Répartition des vitesses de surface. Section Maluku-Tréchot – juillet 2010 – cartes Google Earth aux mêmes échelles.

Figure 3. (a) Bathymétrie et répartition des vitesses dans la section ; (b) Répartition des vitesses de surface. Section Maluku-Tréchot – juillet 2010 – cartes Google Earth aux mêmes échelles.

Enfin, à une dizaine de kilomètres en aval de la sortie du pool, le fleuve aborde les premières barres rocheuses de la série gréseuse des rapides du Djoué () et Annexes 1c, 1d), du nom d’un petit affluent de rive droite débouchant au début des rapides les plus puissants du monde, ceux du Congo. Ils sont également connus sous le nom de chutes de Livingstone avec une succession de 32 cataractes jusqu’à Matadi, suivant un dénivelé de 270 m sur 350 km. Matadi à 140 km de l’océan est le port fluvio-maritime le plus en amont d’un long bief maritime navigable qui débouche dans l’océan au niveau de Banana. C’est sur le pourtour du pool Malebo qui contrôle près de 98% de la superficie de son bassin qu’ont débuté les mesures hydrologiques sur le fleuve Congo.

Quant aux 2% restant à l’aval, Van Ganse (Citation1959) mentionne des apports latéraux mesurés de l’ordre de 470 m3 s−1 pour 4 tributaires entre Léopoldville et Inga, dont les bassins couvrent une superficie de près de 30000 km2. En appliquant la proportionnalité, entre la sortie du pool Malebo et celle de l’estuaire océanique, les apports au fleuve devraient avoisiner les 1 000 m3 s−1, pour une superficie totale non contrôlée d’environ 71000 km2.

Pourquoi le fleuve Congo possède-t-il deux principales stations hydrologiques (Brazzaville et Kinshasa) de part et d’autre de son cours et pourquoi le tracé de sa courbe de tarage provient-il de jaugeages effectués dans 3 sections différentes (soit d’amont vers l’aval : Maluku-Tréchot, BZV-KIN et Kalina ; ) ? Les réponses se trouvent dans le paragraphe suivant.

2.2. Historique

Le suivi hydrologique du fleuve Congo, remonte à l’époque coloniale lorsque la Belgique et la France se partageaient la plus grande partie de son bassin, respectivement en rives gauche et droite. Les Belges ont été les précurseurs de l’hydrologie dans le bassin du Congo, avec des premiers relevés limnimétriques entre Kinshasa (ex-Léopoldville) et Boma (45 km à l’aval de Matadi) à proximité de l’embouchure du fleuve. Mais dès la fin du XIXème siècle, Olivry et Sircoulon (Citation1998) rappellent que c’est Jean Rodier (1914–1994), chef du service hydrologique de l’ORSTOM (Office de Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer) de 1949 à 1977 qui peut être considéré comme le père de l’hydrologie tropicale africaine (Rodier, Citation1964). Ce premier constat de l’époque des pionniers de l’hydrologie dans la zone francophone de l’Afrique sub-saharienne retrace le partenariat Nord-Sud qui avait pour but de favoriser l’inventaire systématique des ressources en eau et la connaissance hydrologique de base, via le développement de réseaux hydrologiques.

En rive gauche, la Belgique occupait l’ex-Congo belge dont la capitale était Léopoldville devenue Kinshasa, capitale du Zaïre puis de la RDC après l’indépendance en 1960. Les premiers relevés de niveau d’eau remontent à 1885, non seulement sur le Congo mais aussi sur de nombreux affluents (Devroey, Citation1951). Ceux du Congo à Léopoldville sont devenus journaliers à compter de février 1902 jusqu’à nos jours, où ils continuent d’être assurés par la RVF (Régie des Voies Fluviales). Dès 1925, les Belges avaient pour principaux objectifs d’assurer au mieux la navigation fluviale dans le bief maritime et de servir le projet de construction du barrage Inga situé au pied des rapides Livingstone. Sur les 40 gigawatts de capacité du Grand Inga qui devait devenir le plus grand projet hydroélectrique du monde, moins de 2 mégawatts sont actuellement exploités (CICOS, Citation2016).

La France occupait les pays de rive droite (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon) où Brazzaville était la capitale de l’AEF (Afrique Equatoriale Française) avant qu’elle ne devienne celle de la République du Congo à l’époque des indépendances. A partir des années 1940, l’ORSTOM a créé puis géré leurs réseaux hydrométriques en partie conjointement avec les VN (Voies Navigables) du Congo et de République centrafricaine (RCA), essentiellement pour servir la navigation fluviale entre ces deux pays et le transport par flottaison des billes de bois extraites du cœur du bassin. Ces dernières étaient ensuite acheminées à l’océan par la voie ferrée “Congo-Océan”. Ces modes de transport furent abandonnés au début de ce siècle à l’avantage des pistes passant par le Cameroun. Aujourd’hui, au sein du bassin du Congo, seul le Cameroun a conservé un Service Hydrologique National (SHN) opérationnel. Les réseaux hydrométriques du Congo et de RCA ont été abandonnés à la fin du siècle dernier suite à la destruction de leurs centres ORSTOM lors de troubles nationaux. Heureusement, la majeure partie de la donnée hydrologique a pu être sauvegardée, en évitant une trop grande dispersion de ses documents et données (Laraque & Maziezoula, Citation1995).

Actuellement et toujours en l’absence de véritables SHN, ce sont les services affiliés à la navigation fluviale du Congo et de RCA (GIE-SCEVN – Groupement d’Intérêt Economique – Service Commun d’Entretien des Voies Navigables) et de RDC (RVF) qui ont hérité pour partie des données issues des réseaux hydrométriques précités. Dernièrement, la CICOS (Commission Internationale du bassin Congo-Oubangui-Sangha) a pris des initiatives visant à gérer au mieux cet héritage à l’échelle du bassin.

L’on comprend dès lors que l’étude des documents disponibles concernant les cotes et les débits est complexe. Plusieurs séries « circulent » et de l’une à l’autre, l’on constate des différences dues à de multiples raisons bien connues des hydrologues (succession de gestionnaires et d’observateurs, erreurs de frappe, de transcription, arrondis, oublis, confusions de chiffres, de dates, négligences, problème des années bissextiles, etc.). Une vérification d’archiviste ardue, pénible et fastidieuse est nécessaire sur des documents de toutes sortes (rapports techniques, annuaires, livres, publications, littérature grise, dont des courriers et notes diverses …), éparpillés dans différentes places des pays concernés, tant en Afrique qu’en Europe. Cette tâche ingrate se complexifie et devient divinatoire car plusieurs révisions et remaniements successifs s’entremêlent, parfois sans traces écrites pour les expliquer et des erreurs et/ou imprécisions sont reprises d’un document à l’autre et se retrouvent dans différentes banques de données hébergées au sein de plusieurs organismes nationaux ou internationaux comme le GRDC (Global Runoff Data Center) ou dans certains annuaires comme celui de l'UNESCO (Citation1995).

A titre anecdotique, la liste complète des jaugeages au moulinet effectués sur le Congo à Maluku-Tréchot par l’ORSTOM a été retrouvée dans un fichier SIEREM (Système d’Informations Environnementales sur les Ressources en Eau et leur Modélisation), provenant de l’ABN (Autorité du Bassin du Niger). Cette liste, d’ailleurs non dépourvue d’erreurs, reprend les 26 jaugeages de mai 1971 à février 1979, cités par Molinier (Citation1979), en la complétant jusqu’en juillet 1981, par 28 autres, dont un d’octobre 1955. Mais ces 28 derniers jaugeages affichaient les débits calculés par la courbe de tarage au lieu des débits jaugés ! Nous les avons corrigés grâce aux archives du GIE-SCEVN. De plus, alors même que ces jaugeages au moulinet ont chacun duré de 2 à 3 jours, seule une date apparaît pour chacun d’eux, rajoutant une source d’approximation pour les cotes.

Cette anecdote illustre une recherche de détective, rendue d’autant plus difficile qu’une succession d’hydrologues a établi en leur temps des corrections, interpolations, extrapolations diverses pour corriger les valeurs aberrantes, combler les lacunes de lecture, homogénéiser les séries tout comme pour assurer les correspondances de lectures d’échelle. De surcroît, l’historique des zéros des nombreux jeux échelles utilisées, obtenus par différents systèmes de nivellement devient flou, car il est de plus, ponctué de nombreux aléas (bornes de référence détruites puis déplacées, échelles abîmées, perdues, etc.). Le bon sens, le regard minutieux et critique ainsi que l’expérience restent parfois les derniers critères décisifs pour le départage. Le lecteur intéressé pourra consulter les péripéties de cette aventure hydrologique dans les références citées.

3. Données et méthodes

3.1. Données

Les cotes. Le cœur des ouvrages et annuaires de référence établis en rive gauche, comme ceux de Devroey (Citation1941, Citation1951, Citation1957), Van Ganse (Citation1959), Lempicka (Citation1971), Molinier (Citation1979), et (Citation1981), Bultot et Dupriez (Citation1987), ainsi que le rapport Mateba 22 (Citation1984) du nom d’une île du bief maritime du fleuve, proviennent des relevés et des mesures réalisées avant l’indépendance de l’actuelle RDC.

Une fiche technique (non datée), se basant sur un document de Roche (Citation1962) ayant débouché sur la publication de Pouyaud (Citation1972) a été retrouvée dans la base SIEREM (Rouché et al., Citation2020). Elle mentionne que de nombreux jeux d’échelles (au moins 13 !) ont existé plus ou moins successivement, aussi bien à Léopoldville (dès 1902) qu’à Brazzaville (dès 1912), respectivement au nombre de 4 et de 9. Ces différents jeux ont été gérés par des entreprises privées ou publiques.

En rive gauche, c’est à l’échelle de Kinshasa Est (−4°17ʹ45’’ ; 15°18ʹ30’’, ~273 m d’altitude), toujours en service depuis 1920, qu’ont été rapportées les hauteurs lues depuis 1902 aux autres échelles de la même rive. Dans ce travail, ses chroniques journalières de côtes et débits utilisées proviennent de la banque SIEREM, où elles sont thésaurisées.

En rive droite, l’échelle du Beach-Brazzaville (−4°16ʹ21,5’’ ; 15°17ʹ37,2“”, ~273 m d’altitude) est située au niveau de l’embarcadère passagers pour traverser le fleuve. Elle est toujours en service depuis février 1941 (avec des lectures très lacunaires jusqu’en 1952). Ses cotes et débits journaliers sont thésaurisées par le GIE-SCEVN et par ORSTOM/IRD au sein des sites www.hydrosciences.fr/sierem et https://hybam.obs-mip.fr.

A partir de leurs relevés conjoints et continus pendant la période des premiers jaugeages belges de 1955 à 1958, Molinier (Citation1979) a établi la première correspondance entre ces deux jeux d’échelles (1) :

(1) HB=0,9865HK60,3119;R2=0,9995(1)

HB et HK indiquent les cotes en cm, respectivement au Beach-Brazzaville et à Kinshasa Est. En tenant compte de l’extension de cette période jusqu’en 1962 (année des derniers jaugeages réalisés depuis la rive gauche) et de l’élimination de correspondances aberrantes en 1958, nous obtenons une relation (2) quasi identique :

(2) HB=0,9891HK60,523;R2=0,9991(2)

Elle permet de reconstituer les cotes journalières entre 1902 et 1952 au Beach Brazzaville à partir de celles de Kinshasa Est, situées au droit de son port public. Une différence d’environ 60 cm existe entre les lectures de ces deux jeux d’échelle, comme l’attestent les régressions précédentes.

Dans ce travail, toutes les cotes prises en compte sont celles des échelles du Beach BZV, qu’elles y aient été directement lues ou reconstituées. Ce choix s’explique par le fait que le suivi hydrologique en rive droite a été moins perturbé que celui de rive gauche après les indépendances des pays concernés. De plus dès 1971, les jaugeages de rive droite ont pris la relève de ceux de rive gauche dont le dernier, date de février 1962.

Les jaugeages. A ce jour, 154 jaugeages réalisés sur les 3 sections précitées, autour du pool Malebo, ont été recensés. Pendant 26 ans de 1955 à 1981, 139 jaugeages ont été réalisés au moulinet dans les sections de Kalina (85 entre 1955 et 1962) et de Maluku-Tréchot (54 entre 1971 et 1981). En 9 ans, de 2010 à 2019, 15 jaugeages par profileur hydro-acoustique Doppler (ADCP) ont été effectués dans les sections de Maluku-Tréchot (6) et de BZV-KIN (9), de part et d’autre du pool Malebo ().

Depuis la rive gauche, la première section de jaugeage du Congo fut celle de Kalina située entre la pointe Kalina et la baie Ngaliena ( et ) qui a été jaugée au moulinet de 1955 à 1962. Large de 1,5 km, profonde de 25 m maximum, avec des vitesses pouvant dépasser les 2 m s−1, elle a été judicieusement choisie dans l’unique portion la plus étroite du fleuve sur un secteur rectiligne de 3 kilomètres de long à l’amont du seuil du Djoué (ou des rapides de Livingstone), où le fleuve va débuter sa descente vers l’océan. Elle présente néanmoins des remous à l’origine de notables variations de courants.

Table 1. Caractéristiques des sections de jaugeage de Kalina, Maluku-Tréchot et BZV-KIN. Légende : M = Moulinet, D = Doppler, Hb = cote au Beach-BZV.

Les jaugeages au moulinet nécessitaient plusieurs opérateurs et duraient de 2 à 3 jours ou plus, avec une importante embarcation dotée de puissants moteurs. Pour chaque verticale, elle était positionnée au sextant. Sur chacune de ses 15 verticales (environ une tous les 100 m), 6 mesures de vitesse du courant étaient effectuées à différentes profondeurs, à l’aide d’un moulinet OTT entrainé par des saumons de 50 à 100 kg, le tout mu avec un treuil manuel ! Les jaugeages effectués à Kalina ont permis de reconstituer les débits depuis 1902 grâce aux relevés limnimétriques de Léopoldville. Van Ganse (Citation1959) présente les résultats de sa première campagne de jaugeages intensifs (1955–58) du Congo, repris au fur et à mesure de leurs avancements, par Lempicka (Citation1971) puis Bultot and Dupriez (Citation1987) en ajustant successivement sa courbe de tarage.

Depuis la rive droite, Molinier (Citation1979) mentionne qu’un premier jaugeage partiel fut effectué en 1951 par J. Aimé, hydrologue de l’ORSTOM, à la section de Maluku-Tréchot () située en amont du pool Malebo. Dès 1971, les hydrologues du centre ORSTOM de Brazzaville ont privilégié cette section pour sa situation et sa configuration (sortie d’un tronçon rectiligne d’une vingtaine de km à l’amont d’un élargissement du couloir débouchant sur le pool Malebo, faible largeur (~1,3 km), section régulière, profonde d’une trentaine de m avec des courants a priori très réguliers ()) confirmés par Molinier (Citation1979) qui note un rapport entre vitesse moyenne sur une verticale et vitesse de surface légèrement inférieur à 1.

Pouyaud (Citation1972) relate les péripéties des premiers jaugeages au moulinet réalisés dans des conditions épiques, voire héroïques. En effet, cette section est sujette à (i) des vortex pluri-métriques et sporadiques, à (ii) des vagues atteignant 1,5 m d’amplitude, dues aux tempêtes fluviales précédant de violents orages marqués par des bourrasques de vents aussi violentes que sporadiques, aux (iii) passages de nombreux îlots décamétriques de jacinthes d’eau comme d’imposants radeaux de bois dont certaines billes détachées et semi–submergées rendaient ces opérations parfois périlleuses, sans oublier les (iv) interventions des militaires de la rive opposée qui les compliquaient et les ralentissaient … En fortes crues, des vitesses estimées à plus de 5 m s−1 favorisent des remous aussi impressionnants que dangereux. Comme pour ceux réalisés depuis la rive gauche, ces jaugeages duraient de 2 à 3 jours, avec une verticale par heure (Molinier, Citation1979 ; Pouyaud, Citation1972). Dans cette section située à environ 279 m d’altitude, 8 à 10 mesures de vitesse étaient réalisées tout au long des 16 à 27 verticales de chaque jaugeage (environ une tous les 50 m). Les manœuvres étaient là aussi effectuées à l’aide d’un moulinet OTT entrainé par un saumon de 100 kg, l’ensemble également mu par un treuil manuel !

Outre le rattachement à l’échelle de la station de Maluku-Tréchot, les débits qui y étaient mesurés l’ont également été à l’échelle limnimétrique du Beach-Brazzaville située 50 km en aval.

Enfin, en 2010, sous les orientations du SO-Hybam (Service d’Observations des Contrôles géodynamique, hydrologique et biogéochimique de l’érosion/altération et des transferts de matière dans les bassins de l’Amazone, de l’Orénoque et du Congo – sigle résumé = SOH), programme initié au Congo en 2005 par l’IRD (ex. ORSTOM), le GIE-SCEVN a acquis un ADCP 600 kHz (Rio Grande Teledyne RDI). La section BZV-KIN qui relie les ports fluviaux du Beach-BZV et de KIN présente des profondeurs de plus de 25 m ; une largeur de 3 600 à 3 800 m et des vitesses parfois supérieures à 2 m s−1. Son fond présente des chenaux tapissés de dunes sablonneuses de plusieurs m d’amplitude.

Cette section est défavorable pour des jaugeages au moulinet de par sa trop grande largeur, l’irrégularité de son profil bathymétrique et compte tenu des courants croisés qui y règnent à la sortie du pool Malebo (). Fort heureusement, les jaugeages à l’ADCP permettent de s’affranchir de ces déconvenues, avec des mesures beaucoup plus sûres, précises, avec moins d’opérateurs et une embarcation plus légère. De plus leur rapidité, moins d’une heure !, permet (en principe) de les répéter à loisir.

Figure 4. (a) Bathymétrie et répartition des vitesses dans la section ; (b) Répartition des vitesses de surface – section BZV-KIN – juin 2010 – carte Google Earth.

Figure 4. (a) Bathymétrie et répartition des vitesses dans la section ; (b) Répartition des vitesses de surface – section BZV-KIN – juin 2010 – carte Google Earth.

Figure 5. Vue aérienne des rapides du Djoué sur une carte postale des années 1950.

Figure 5. Vue aérienne des rapides du Djoué sur une carte postale des années 1950.

Considération sur les trois sections de jaugeages utilisées. La section la plus convenable est celle de Kalina, idéalement située à un resserrement du fleuve entre les 2 capitales. Mais il serait délicat de continuer à l’utiliser aujourd’hui, car des propriétés étatiques se trouvent en rive gauche et il devient par conséquent déconseillé de s’en approcher. Celle de Maluku-Tréchot aurait pu être reprise, mais elle est située à une cinquantaine de kilomètres en amont et les manques de moyens logistiques et financiers d’aujourd’hui limitent son accès. Actuellement, le meilleur compromis est celle de BZV-KIN, au droit des services de navigation fluviale des deux rives. Elle est privilégiée pour des raisons de facilité, de proximité et de coûts d’opération plus réduits.

Pour conclure, ces trois sections se situent dans des configurations favorables, à la sortie du “couloir” et en amont du seuil géomorphologique constitué par la section de contrôle à seuil déversant des rapides du Djoué (, Annexe 1c, 1d). Ces sections sont séparées par la dépression du pool Malebo, dans laquelle le fleuve s’étale, avec une pente très faible de l’ordre de 0,12 pour mille ()). Compte tenu de l’absence d’apports latéraux significatifs dans ce pool, et en négligeant le laminage par stockage, l’on peut considérer que les débits qui en sortent sont semblables à ceux qui y entrent. De toute façon, ces apports négligeables restent largement inférieurs aux incertitudes des jaugeages, ce qui permet d’associer ceux de Maluku-Tréchot à l’établissement de la courbe de tarage du Congo à BZV-KIN.

Bien que perdurent toujours des tensions frontalières sur ce fleuve de facto international, les jaugeages se déroulent le plus souvent dans le cadre d’activités bilatérales entre la France et le Congo, mais aussi grâce à une coopération internationale au travers d’un Consortium inter-institutionnel (CICOS, IRD, IRSEN (Institut national de Recherche en Sciences Exactes et Naturelles), RVF, GIE-SCEVN, UMNG (Université Marien Ngouabi)), où les institutions nationales des deux pays riverains, sont amenées de plus en plus à prendre les initiatives.

Le présente les principales caractéristiques des stations de jaugeages utilisées. La et l’Annexe 3 montrent que les jaugeages réalisés autour du pool Malebo, couvrent tout le cycle hydrologique et concernent les deux phases d’écoulements dites stables séparées par la période excédentaire, tout en incluant la principale crue de toute la chronique séculaire (celle de 1961, jaugée à 80000 m3 s−1, cf. ).

Figure 6. Hydrogrammes moyen, maximum et minimum (période 1902 à 2020) du Congo à BZV/KIN avec la répartition des jaugeages au moulinet (traits verticaux grisés sur figure gauche) et à l’ADCP (traits verticaux verts sur figure droite).

Figure 6. Hydrogrammes moyen, maximum et minimum (période 1902 à 2020) du Congo à BZV/KIN avec la répartition des jaugeages au moulinet (traits verticaux grisés sur figure gauche) et à l’ADCP (traits verticaux verts sur figure droite).

L’amplitude des cotes (reconstituées ou lues à Brazzaville) depuis 1902 va de −107 à + 554 cm, soit un marnage de 661 cm, pour des débits calculés allant de 22000 à 77000 m3 s−1.

A titre indicatif, l’ présente les 9 jaugeages à l’ADCP réalisés par Oberg et al. (Citation2009), sur le cours aval du Congo séparant les premiers rapides de Livingstone (à 270 m d’altitude) de son bief maritime. Si ces jaugeages extrêmes sont méritoires à plus d’un titre, ils ne sont pas pris en compte pour la courbe de tarage, car trop en aval des trois sections du pourtour du pool et en contrebas du seuil déversant des rapides du Djoué. Ils ont néanmoins permis durant une dizaine de jours, lors d’une expédition scientifique d’hydrobiologistes, réalisée dans des conditions sportives (en kayak), d’explorer pour la première fois le dénivelé le plus prononcé du fleuve, sur plusieurs sections turbulentes de configurations très variables avec des largeurs allant de 380 à 2 200 m pour des profondeurs de 24 à 120 m et des vitesses maximales de 3 à près de 6 m s−1 ! Les débits mesurés de 30600 à 36800 m3 s−1 sont de l’ordre de grandeur de ceux du Congo à BZV-KIN pour cette période (juillet 2008). Dans ce cours encaissé et entrecoupé de cataractes, le Congo se transforme en un véritable “fleuve torrentiel”, le plus important de la planète. Une “échographie” Doppler a même été faite dans ce qui semble être la plus importante fosse fluviale du monde (avec plus de 220 m de profondeur) qui avait déjà été initialement repérée par le pionnier occidental de l’exploration du fleuve (Stanley, Citation1885).

3.2. Méthode BaRatin

La méthode bayésienne BaRatin (Le Coz et al., Citation2014) permet la construction des courbes de tarage hauteur-débit avec estimation de l’incertitude, en combinant la connaissance a priori sur les contrôles hydrauliques et le contenu d’information des jaugeages incertains. L’équation de la courbe de tarage est dérivée de la combinaison de fonctions puissance pour chacun des contrôles supposés sur le site. L’utilisateur définit également les distributions de probabilité a priori des paramètres physiques de cette équation hauteur-débit, « a priori » signifiant sans regarder les jaugeages utilisés dans l’estimation bayésienne. Une telle estimation bayésienne est basée sur l’échantillonnage par méthode Monte Carlo par Chaîne de Markov (MCMC) de la distribution a posteriori des paramètres de la courbe de tarage, inférée à partir du théorème de Bayes. Les conflits physiques entre les résultats et les a prioris supposés doivent être vérifiés et peuvent conduire à remettre en question le modèle de courbe de tarage ainsi que l’estimation des incertitudes des jaugeages. L’hydrogramme (série temporelle de débits) avec incertitudes est calculé à partir des réalisations de la courbe de tarage et du limnigramme (série temporelle de hauteurs d’eau) avec incertitudes selon la méthode de propagation décrite par Horner et al. (Citation2018).

Sans réaliser une analyse poussée des incertitudes des observations, il est possible de définir des niveaux d’incertitude réalistes à partir des informations et de l’expertise disponible. Eu égard aux conditions de mesure très difficile sur le Congo avec les moyens de jaugeage de l’époque, les incertitudes de mesure (au niveau de probabilité de 95%) ont été supposées égales à ± 15% pour l’ensemble des jaugeages au moulinet sauf pour les quatre plus élevés, réalisés dans des conditions de mesure extrêmes, puisqu’il s’agissait des plus importantes crues du fleuve (débits supérieurs à 70000 m3 s−1), pour lesquels l’incertitude est estimée à ± 20%. L’incertitude des jaugeages par ADCP réalisés à partir de 2010 est estimée à ± 10%. Ces valeurs correspondent à des niveaux d’incertitude réalistes pour des jaugeages au moulinet réalisés dans des conditions difficiles (Despax et al., Citation2016) et pour des jaugeages ADCP en conditions intermédiaires (Le Coz et al., Citation2016). Les incertitudes de mesure (au niveau de probabilité de 95%) des relevés de hauteur d’eau ont été supposées égales à ± 5 cm après le 1er janvier 1955 (lecture directe de l’échelle de Brazzaville) et à ± 10 cm avant, pour tenir compte des erreurs dues au transfert des cotes lues à l’échelle de Kinshasa vers celle de Brazzaville.

Le modèle de courbe de tarage est bâti sur hypo-thèse d’un contrôle par section exercé par les premiers rapides du Djoué, à l’aval immédiat du pool Malebo. La géométrie de cette section, impossible à approcher et à mesurer, étant inconnue, Le Coz et al. (Citation2021) ont d’abord représenté ce contrôle par un unique déversoir rectangulaire, qui pouvait se justifier, tout du moins jusque dans les années 1950 (). Ils ont noté que la courbe de tarage obtenue sous cette hypothèse s’écartait de la tendance des jaugeages des plus hautes eaux. Or, l’examen d’images satellites montre qu’une partie de la section de contrôle en rive gauche (SG, de longueur ~1000 m) a bien été modifiée avec la construction d’une digue le long de la première moitié du seuil SG émergé en étiage ( gauche) et immergé en crue, pour desservir l’île fluviale où serait exploitée une gravière, comme le prouve celle multi-spectrale de la constellation de nanosatellites Planet Scope à 3 m de résolution spatiale (, à droite). Si la longueur totale du seuil (SD+SG) est d’environ 2450 m, celle hydrauliquement équivalente du déversoir SD toujours actif en rive droite est sans doute inférieure à 1450 m, du fait de sa géométrie plus complexe que celle d’un déversoir rectangulaire droit. Ces observations ont motivé l’approximation du contrôle réel par deux déversoirs rectangulaires additifs au lieu d’un seul. L’équation (3) donnant le débit Q en fonction de la cote d’eau h est alors :

Q=C12gB1(hb1)n1 si h<b2
(3) Q=C12gB1(hb1)n1+C22gB2(hb2)n2 sinon(3)

Figure 7. Vues satellites du fleuve Congo autour des premiers rapides du Djoué formant le contrôle hydraulique de la station hydrométrique de Brazzaville-Kinshasa, avec l’identification de la probable section de contrôle, en deux sections SD et SG, (sources : à gauche, Google Earth en mars 2022 et à droite, nano satellite Planet le 17/12/2019).

Figure 7. Vues satellites du fleuve Congo autour des premiers rapides du Djoué formant le contrôle hydraulique de la station hydrométrique de Brazzaville-Kinshasa, avec l’identification de la probable section de contrôle, en deux sections SD et SG, (sources : à gauche, Google Earth en mars 2022 et à droite, nano satellite Planet le 17/12/2019).

C1 et C2 sont les coefficients de débit des deux déversoirs, g l’accélération de la gravité, B1 et B2 les longueurs déversantes des deux déversoirs (SD et SG), b1 et b2 les cotes moyennes de leurs crêtes respectives, et n1 et n2 des exposants.

Les a priori sur les différents paramètres sont exprimés sous forme de distributions gaussiennes (les incertitudes indiquées ci-après correspondent à deux fois l’écart-type, soit un niveau de probabilité de 95%). Chaque coefficient ai=Ci2gBi (avec i= 1 ou 2) est estimé comme un seul paramètre du modèle. La valeur centrale et l’incertitude de ce coefficient sont calculées par propagation selon la méthode du GUM (JCGM100-Citation2008 (GUM), 2008). Les a priori sont les suivants : Ci=0,4±0,1 (valeur typique d’un déversoir rectangulaire), g=9,81±0,01 m s−1, Bi=1000±300m (longueurs hydrauliquement équivalentes des déversoirs SD et SG), b1=5±5 m (estimé grossièrement d’après les plus basses valeurs du limnigramme), b2=4±1 m (estimé à partir des observations du contrôle en crue) et ni=1,5±0,05 (exposant théorique pour un déversoir rectangulaire).

4. Résultats

4.1. Les courbes de tarages

Plusieurs courbes de tarage successives ont été établies suite à l’augmentation des jaugeages au moulinet. L’équation (4a) obtenue dans ce travail et dont la courbe est tracée en , provient des 26 jaugeages au moulinet réalisés à Maluku-Tréchot de mai 1971 à février 1979.

(4a) Q=0,06HB2+56,04HB+29176;R2=0,9937(4a)

Figure 8. Courbes de tarage des 26 jaugeages au moulinet réalisés à Maluku-Tréchot (Molinier, Citation1979 ; en bleu – période 1971–79) et de la totalité des 139 réalisés à Kalina et Maluku-Tréchot (en vert – période 1955–81).

Figure 8. Courbes de tarage des 26 jaugeages au moulinet réalisés à Maluku-Tréchot (Molinier, Citation1979 ; en bleu – période 1971–79) et de la totalité des 139 réalisés à Kalina et Maluku-Tréchot (en vert – période 1955–81).

Elle est très proche de celle de Molinier (Citation1979) :

(4a) Q=0,0632HB2+56,66HB+29235(4a)

Ce dernier auteur précise que cette fonction parabolique présente un écart quadratique de 1,5% du débit moyen mesuré au cours des 26 jaugeages. Il avait aussi réalisé un ajustement à une fonction puissance (équation 4b) qui présentait un écart quadratique moyen de 1,7% du débit moyen.

(4b) Q=263,9HB100+9,32,1(4b)

C’est toujours cette équation (4b) dite ORSTOM, qui continue à être utilisée par le GIE-SCEVN. Ces équations sont très proches de celles établies pour les périodes 1955–1958 par Van Ganse (Citation1959), puis pour 1955–1962 par Lempicka (Citation1971) et ensuite par Bultot and Dupriez (Citation1987). A noter que pour les 85 jaugeages effectués à Kalina entre 1955 et 1962, ces derniers auteurs ont considéré que le meilleur ajustement est fourni par 2 fonctions quadratiques de part et d’autre d’une cote (HK en m) à Kinshasa, soit :

Q=(0,377HK2+5,898HK+24,181)×.103, pour HK 3,35m;
Q=(1,224HK2+0,224HK+33,683)×.103;pour HK> 3,35m

Enfin, à titre indicatif, l’équation de Van Ganse (Citation1959) (équation 4c), rapportée aux HB en cm et en tenant compte des 77 jaugeages belges disponibles à l’époque, est :

(4c) Q=260,4HB100+9,2222,106(4c)

L’équation (5) obtenue dans ce travail et dont la courbe est aussi tracée en , provient des 139 jaugeages au moulinet réalisés entre 1955 et 1981, tant dans les sections de Kalina que de Maluku-Tréchot.

(5) Q=0,0635HB2+57,696HB+28311;R2=0,9912(5)

Les ajustements (4b) et (5) sont très proches, mais divergent au-dessus de 3,5 m. Quarante ans plus tard, il semblait important de les revisiter en tenant compte des apports de 41 jaugeages ultérieurs, réalisés depuis la rive droite, soit 26 au moulinet de 1979 à 1981 dans la section de Maluku-Tréchot et 15 à l’ADCP entre 2010 et 2019, dont 6 dans cette section et 9 dans celle de BZV-KIN. Parce qu’elles présentent les meilleurs ajustements, les équations de tarage (4a, 4a’), (5), (6) et (7) sont basées sur des régressions polynomiales de degré 2. Leurs débits (Q) sont en m3 s−1 et les cotes (HB) en cm sont celles de l’échelle du Beach-Brazzaville.

L’élaboration de l’équation (6) dont la courbe est tracée en (en vert), provient de la compilation de la totalité des 149 jaugeages disponibles (139 au moulinet et 10 à l’ADCP avec le géoïde pris comme référence). Elle est parfaitement identique à l’équation (5) :

(6) Q=0,0635HB2+57,696HB+28311;R2=0,9912(6)

La présente les premières courbes de tarage 7a et 7b établies à partir des 15 jaugeages ADCP, réalisés entre 2010 et 2019, tant dans les sections de BZV-KIN que de Maluku-Tréchot. L’équation (7a) (en rouge), prend le fond comme référence (Q BT pour Bottom Track) :

(7a) QBT=0,0238HB2+67,747HB+29515;R2=0,9944(7a)

Figure 9. Courbes de tarage des jaugeages exploités (149 en vert), des 15 ADCP (période 2010–2019) sur le Congo autour du pool Malebo en modes GGA (10) en bleu) et BT (15 en rouge).

Figure 9. Courbes de tarage des jaugeages exploités (149 en vert), des 15 ADCP (période 2010–2019) sur le Congo autour du pool Malebo en modes GGA (10) en bleu) et BT (15 en rouge).

L’équation (7b) (en bleu), utilise le géoïde comme référence (Q GGA), pour les 10 jaugeages ADCP bénéficiant de données GPS exploitables :

(7b) QGGA=0,0616HB2+56,676HB+29395;R2=0,9915(7b)

La différence entre les équations 6 et 7b souligne l’activation d’un fond mobile, à partir d’un certain niveau et débit. Cet aspect est discuté au § 5.4.

4.2. Estimation de la courbe de tarage par la méthode BaRatin

Dans un premier temps, l’ensemble des jaugeages disponibles est utilisé pour l’estimation de la courbe de tarage par la méthode BaRatin (). L’on obtient l’équation (8) :

Q=1810HB100+6,251,50 si h<3,60
(8) Q=1810HB100+6,251,50+1974HB1003,601,50 sinon(8)

Figure 10. Courbe de tarage (ligne noire) du Congo à Brazzaville avec enveloppes d’incertitude paramétrique (en rose) et totale (en rouge) à 95% calculée par BaRatin avec l’ensemble des jaugeages au moulinet (points noirs) et ADCP (QGGA – carrés verts). La courbe de tarage ORSTOM en vigueur (EquationEquation 4b, ligne bleue tiretée) et le nouvel ajustement polynomial (EquationEquation 6, ligne rouge tiretée) sont affichées pour comparaison. L’amplitude des hauteurs d’eau relevées entre 1902 et 2019 va de −1 m à 5,55 m.

Figure 10. Courbe de tarage (ligne noire) du Congo à Brazzaville avec enveloppes d’incertitude paramétrique (en rose) et totale (en rouge) à 95% calculée par BaRatin avec l’ensemble des jaugeages au moulinet (points noirs) et ADCP (QGGA – carrés verts). La courbe de tarage ORSTOM en vigueur (EquationEquation 4b(4b) Q=263,9HB100+9,32,1(4b) , ligne bleue tiretée) et le nouvel ajustement polynomial (EquationEquation 6(6) Q=0,0635HB2+57,696HB+28311;R2=0,9912(6) , ligne rouge tiretée) sont affichées pour comparaison. L’amplitude des hauteurs d’eau relevées entre 1902 et 2019 va de −1 m à 5,55 m.

Les résultats sont compatibles avec les a priori (cf. ) : ceci signifie qu’il n’y a pas de conflit entre les hypothèses faites a priori sur le contrôle hydraulique et les observations (les jaugeages).

Table 2. Comparaison des valeurs de paramètres a priori et a posteriori.

Pour évaluer un éventuel détarage ou discontinuité métrologique, l’estimation a aussi été appliquée aux trois principales périodes de jaugeage : 1955–1962, 1971–1981, 2010–2019 (ADCP). Pour les deuxième et troisième périodes, les a prioris sont spécifiés égaux aux résultats de la période précédente, en considérant une variance additionnelle de 0,52 m2 sur la hauteur b1 du premier déversoir pour permettre l’estimation d’une éventuelle variation de ce paramètre. Les estimations de b1 pour les trois périodes sont respectivement : −6,33 ± 0,36 m, −6,41 ± 0,40 m, et −6,57 ± 0,32 m. On ne constate donc pas de détarage significatif, même si les jaugeages ADCP récents suggèrent une très faible diminution de b1 de l’ordre de 20 cm, inférieure à l’incertitude d’estimation de ce paramètre, donc peu significative. Même pour la cote la plus basse observée sur la période (h=1 m), cela ne représente qu’un écart de débit de 5%, et qui devient rapidement négligeable pour les débits plus élevés. La méthode de détection des détarages proposée par Darienzo et al. (Citation2021), basée sur une segmentation des résidus jaugeages/courbe de tarage tenant compte de leurs incertitudes, a également été appliquée à l’ensemble du jeu de jaugeages. Cette méthode non plus ne détecte aucun détarage.

Dans la gamme fréquemment jaugée jusqu’à h=4 m et Q=60 000 m3 s−1, la courbe de tarage BaRatin (), la courbe de tarage historique ORSTOM (EquationEquation 4b) établie à partir des jaugeages au moulinet sur la période 1971–1979, et le nouvel ajustement polynomial (EquationEquation 6) sont logiquement très proches. Pour les très basses eaux, la courbe BaRatin fournira des débits inférieurs à ceux extrapolés à partir des deux autres équations. Au-dessus de h=4 m, la courbe BaRatin se rapproche du nouvel ajustement polynomial, suivant ainsi mieux la tendance des jaugeages les plus hauts que la courbe ORSTOM plus basse. Néanmoins, les écarts entre courbes restent faibles (quelques pourcents du débit) et peu significatifs puisque toutes les courbes restent incluses dans l’enveloppe d’incertitude de la courbe BaRatin.

L’incertitude de la courbe de tarage du Congo à Brazzaville (cf., ) est extrêmement faible (entre 2 et 3%) sur la gamme jaugée avant activation du deuxième déversoir (entre 30000 et 60000 m3 s−1). L’incertitude relative augmente très légèrement pour les basses eaux, jusqu’à 4% pour 20000 m3 s−1. Cette incertitude reste très faible mais la sensibilité accrue de la relation hauteur-débit à un éventuel détarage du contrôle rocheux justifie un effort de jaugeage pour les conditions de très basses eaux, quand elles se produisent. L’incertitude sur les hautes eaux augmente au-dessus de 60000 m3 s−1 jusqu’à presque 5% pour 60000 m3 s−1. Cela reste également une incertitude faible mais qui pourra être réduite grâce à de futurs jaugeages en crue.

Figure 11. Incertitudes de la courbe de tarage du Congo à Brazzaville calculée par BaRatin. L’incertitude est calculée comme la moitié de l’intervalle d’incertitude totale au niveau de probabilité de 95%.

Figure 11. Incertitudes de la courbe de tarage du Congo à Brazzaville calculée par BaRatin. L’incertitude est calculée comme la moitié de l’intervalle d’incertitude totale au niveau de probabilité de 95%.

L’incertitude des débits sur la période 1902–2020 varie entre 2% et 5% avec une moyenne et médiane de 3%. Avant 1955, l’incertitude sur les hauteurs d’eau domine le budget d’incertitude quel que soit le débit. A partir de 1955, cette composante d’incertitude ne domine plus le budget et pour les plus hautes eaux, c’est même l’incertitude paramétrique qui domine les incertitudes structurelle et limnimétrique. Ceci suggère que même pour les plus fortes crues, les erreurs liées au modèle (équation de la courbe de tarage) et aux relevés de hauteur d’eau ont un impact limité sur l’incertitude des débits ()), tandis que l’incertitude pourrait encore être réduite en ajoutant des jaugeages pour ces gammes de débit. Etant donné les très faibles incertitudes de la courbe de tarage, il est remarquable que la contribution des incertitudes des relevés de hauteurs d’eau (limnigramme) reste aussi faible, même à très bas débit ()), en raison d’une excellente sensibilité du contrôle sur toute la gamme de débit.

Figure 12. Hydrogrammes avec incertitudes du Congo à Brazzaville calculées par BaRatin pour les deux plus fortes crues en 1961–1962 (a) et 2019–2020 (b), et deux des trois plus sévères étiages en 1905 (c) et 2011 (d). Les enveloppes d’incertitude à 95% correspondent à la combinaison des incertitudes du limnigramme (en jaune), et des incertitudes paramétrique (en rose) et structurelle (en rouge) de la courbe de tarage.

Figure 12. Hydrogrammes avec incertitudes du Congo à Brazzaville calculées par BaRatin pour les deux plus fortes crues en 1961–1962 (a) et 2019–2020 (b), et deux des trois plus sévères étiages en 1905 (c) et 2011 (d). Les enveloppes d’incertitude à 95% correspondent à la combinaison des incertitudes du limnigramme (en jaune), et des incertitudes paramétrique (en rose) et structurelle (en rouge) de la courbe de tarage.

5. Discussion

5.1. Précision des jaugeages au moulinet

En accord avec les considérations précédentes, les différentes sources consultées présentent parfois des valeurs quelque peu différentes sur les dates, les niveaux d’eau et les débits retranscrits, avec de temps en temps des écarts notoires. Le croisement de différentes sources, a permis de corriger certaines valeurs douteuses pour établir l’inventaire des jaugeages exposés dans .

A ces sources d’incertitudes, il faut rajouter celles concernant les jaugeages au moulinet dont la précision couramment admise est de l’ordre de 10%. Compte tenu que pour un tel cours d’eau, les jaugeages étaient aussi délicats que pionniers (surtout entre 1955 et 1958) pour des sections aussi amples et agitées et duraient de 2 à 3 jours et parfois plus avec d’inévitables variations de niveaux d’eau, ils sont probablement entachés d’incertitudes supérieures à 10%, surtout en crue. Une analyse détaillée des incertitudes avec une méthode de propagation de type ISO748, Q+, IVE ou Flaure (Despax et al., Citation2016) par exemple, pourrait être appliquée si les composantes brutes des jaugeages pouvaient être retrouvées.

5.2. Précision des jaugeages à l’ADCP

La rapidité et la multiplicité des mesures de vitesse des jaugeages ADCP, permet de les répéter et de s’assurer que les écarts de mesure entre un aller et un retour restent inférieurs à 10%. Toutefois, il n’a malheureusement pas toujours été possible de respecter ce protocole, compte tenu des tensions frontalières qui perdurent sur ce fleuve.

A l’avenir, il faudrait réaliser suffisamment de jaugeages ADCP pour couvrir tout le cycle hydrologique et surtout les crues, notamment pour évaluer la vitesse du fond mobile, avec des jaugeages prenant systématiquement comme références le lit du fleuve et le géoïde, ce qui n’a pas pu être toujours réalisé à cause de problèmes de GPS. Une perspective intéressante à explorer serait l’application des techniques de vélocimétrie vidéo à des images successives prises par satel-lite pour jauger le fleuve davantage et sur différentes sections.

5.3. Stabilité de la courbe de tarage

Pouyaud (Citation1972) notait que les résultats des 4 jaugeages de 1971 étaient 3% supérieurs à ceux des Belges réalisés 10 ans auparavant. Il suggérait que cette différence provenait d’un probable détarage due à l’érosion du seuil rocheux de la section de contrôle des rapides du Djoué. Molinier (Citation1979) soulignait aussi que les jaugeages ORSTOM (1971–1979) confirmaient l’étalonnage établi par Van Ganse (Citation1959), mais avec un détarage progressif du à l’érosion. En assimilant la section des rapides du Djoué à un seuil déversant, il suggérait que le niveau de ce seuil fictif se soit abaissé de 7,2 cm en quinze ou vingt ans, soit 4 à 5 mm par an. Cependant après avoir appliqué le test de Snedecor, basé sur la comparaison des variances de chaque série de jaugeages, le même auteur arrive à la conclusion de fluctuations fortuites dues à l’imprécision relative des jaugeages, pour expliquer les différences obtenues sur ces deux étalonnages que l’on peut considérer comme identiques.

Les équations (4a) et (5) () sont semblables, avec des débits légèrement supérieurs pour l’équation (4a) pour les cotes inférieures à 100 cm en conformité avec les observations des auteurs précédents. La régression (6) (), obtenue grâce à la compilation de la totalité des 149 jaugeages est très proche de la dernière encore en vigueur, celle de Molinier (Citation1979), ce qui souligne une remarquable stabilité de la section de contrôle pour la période considérée (1955–1981). L’Annexe 2, montre que les différences entre les débits jaugés et calculés par l’équation (6), sont inférieures à 7%. Après une interruption de jaugeages de 30 ans, l’équation (7b ; ) réalisée à partir de 10 jaugeages ADCP en mode GGA permet de comparer la relation hauteur-débit récente (2010–2019) avec celles du passé, réalisées entre 1955 et 1981, via des jaugeages au moulinet. Leurs grandes similitudes confirment la stabilité du seuil déversant de contrôle des rapides du Djoué et donc de sa courbe de tarage.

En conclusion, l’analyse de l’ensemble des 139 jaugeages au moulinet (période 1955–1981) et des 10 à l’ADCP (période 2010–2019, en prenant le géoïde comme référence) permet de proposer deux ajustements actualisés de la courbe de tarage : soit l’ajustement polynomial (EquationEquation 6) obtenu par régression linéaire, soit l’ajustement bayésien d’une loi de deux déversoirs horizontaux additifs (EquationEquation 8). Ces deux ajustements sont très proches. Ils sont également proches de la courbe ORSTOM en vigueur sur la gamme la plus jaugée mais ils présentent moins d’écarts aux jaugeages moulinets et ADCP en forte crue. Même si l’ajustement bayésien est contraint par un “modèle” hydraulique supposé (ici deux déversoirs additifs), de futurs jaugeages ADCP précis en conditions de forte crue seront précieux pour confirmer le haut de la courbe de tarage. De même, des jaugeages en très basses eaux permettront de vérifier la stabilité du contrôle.

5.4. Première estimation du fond mobile du fleuve Congo dans la section BZV-KIN

En règle générale lorsqu’un cours d’eau présente un fond meuble, à partir d’une certaine cote, les vitesses et débits mesurés à l’ADCP en prenant comme référence le géoïde (mode GPS ou GGA) sont supérieurs à ceux mesurés en se référant au fond (mode BT), lorsque celui-ci devient mobile. La comparaison de ces deux types de débits mesurés dans les sections de Maluku-Tréchot et de BZV-KIN () montre l’absence de fond mobile pour la première section, dont le fond est rocheux. Par contre pour la deuxième, le fond sablonneux du fleuve semble devenir mobile, pour les cotes supérieures à 350 cm (), lieu de divergence des régressions entre jaugeages à l’ADCP (référence BT) avec ceux à l’ADCP (référence GPS) ou au moulinet. En fonction du référentiel de positionnement utilisé, les différences de vitesses moyennes de l’eau dans la section donnent une estimation des vitesses moyennes du fond mobile du fleuve de l’ordre 10 cm s−1 en hautes eaux (). Mais, ce premier calcul sommaire ne permet pas de connaitre les variations des vitesses du fond sur toute la largeur de la section. Cette valeur provient du seul plus important jaugeage ADCP de décembre 2019 et elle devra être confirmée par d’autres jaugeages en hautes eaux.

A titre informatif, à Obidos, la principale station hydrologique de l’Amazone, une courbe de tarage de la vitesse du fond mobile a même pu être établie montrant des vitesses atteignant 50 cm s−1 en fortes crues (Callede et al., Citation2000). Pour le Congo, le manque d’une quantité suffisante de jaugeages ADCP en hautes eaux fait cruellement défaut tant pour consolider sa courbe de tarage que pour établir celle de la vitesse de son fond mobile.

6. Conclusions

La station du fleuve Congo à Brazzaville, d’une importance capitale pour les enjeux locaux et planétaires, bénéficie d’un site parfait pour une station hydrométrique, tel qu’on le représente dans les manuels d’hydrométrie à plus petite échelle : un bassin de tranquillisation (la mouille géante du pool Malebo) pour mesurer les hauteurs d’eau et un déversoir stable et sensible (rapides du Djoué) pour contrôler la relation hauteur-débit. Les relevés limnimétriques quotidiens sont heureusement quasi sans lacunes de 1902 jusqu’à aujourd’hui. Cette étude a permis d’obtenir 6 résultats majeurs. (i) Grâce à l’équivalence entre les deux jeux d’échelles de Brazzaville et de Kinshasa établie dans ce travail, une longue série de référence, notamment utile pour étudier l’impact des changements climatiques en cours, a pu être reconstituée.

Bien que limités aux périodes 1955–1962 et 1971–1981, les 139 jaugeages au moulinet disponibles ont été complétés à partir de 2010 par 15 autres à l’ADCP grâce à une coopération internationale. Ils couvrent tout le cycle hydrologique comme les principales phases d’écoulement ainsi que la quasi-totalité du marnage observé sur les 120 dernières années. Ces jaugeages récents confir- ment : (ii) l’absence de détarage significatif et réduisent l’incertitude de la courbe de tarage sur les plus basses et plus hautes eaux. Il sera utile de les poursuivre, en appréhendant mieux le fond mobile dont une première estimation des vitesses a pu être faite en crue (iii). Finalement, les incertitudes de la courbe de tarage et de l’hydrogramme estimées avec la méthode bayésienne BaRatin sont très faibles, confirmant qu’il s’agit d’une station hydrométrique parmi les meilleures au monde. Le régime très régulier du fleuve permet de limiter fortement les extrapolations hautes et basses de la courbe de tarage au-delà de la gamme jaugée. La prise en compte de la totalité de ces jaugeages a permis de proposer deux nouvelles équations de tarage très semblables, via un ajustement polynomial (éq. 6) et un ajustement à une fonction puissance (éq. 8), qui tiennent compte des plus hautes eaux enregistrées.

Ces résultats munis de leurs incertitudes permettront d’apprécier le régime hydrologique du fleuve Congo, à travers le calcul des flux d’eau (ressources en eau, risques naturels) mais aussi des tendances de moyen et long termes, en lien avec des forçages climatiques. Les protocoles et méthodes de suivi utilisés ont ainsi contribué à la connaissance globale du fonctionnement du fleuve Congo, à travers (iv) l’actualisation de sa courbe de tarage et (v) la quantification de ses incertitudes, tout comme à (vi) la première analyse de la géométrie fluctuante en crue, du seuil de contrôle du Djoué. Comme le signalent Alsdorf et al. (Citation2016), de nombreuses opportunités de recherches et de défis s’offrent au bassin du Congo. L’avenir dira si elles auront pu être relevées, par exemple en suivant l’exemple de l’Amazone à sa principale station d’Obidos, où depuis 1967, plus de 200 jaugeages ont été effectués dont 121 au moulinet, le reste l’étant à l’ADCP depuis 1994.

Déclaration de divulgation

L’auteur ne déclare aucun intérêt concurrent.

Remerciements

Nous adressons nos remerciements à Loïc Michel de Teledyne RDI Europe qui, passionné par ce travail, a accepté d’expertiser le dépouillement des jaugeages Doppler, ainsi qu’à Planet pour avoir fourni gratuitement les images Planet Scope du programme standard d’éducation et de recherche. Notre plus sincère reconnaissance s’adresse aussi aux « explorateurs » de l’hydrologie du bassin du Congo, qui dans les conditions extrêmement difficiles, ont réalisé les premiers jaugeages dès 1955. Avec ceux sur l’Orénoque à Ciudad Bolivar qui ont débuté en 1949–1950 (Leon, 2000), il s’agissait alors des plus importants jaugeages au moulinet jamais effectués sur la planète. Ceux sur l’Amazone ont commencé en 1967. Ce n’est que grâce à leur dévouement, engagement, passion et pugnacité que ces pionniers ont pu relever ces immenses défis afin d’établir leurs premières courbes de tarage. Elles constituent les clés “hydrologiques” permettant de gérer au mieux l’énorme potentiel de leurs ressources hydriques.

Disclosure statement

No potential conflict of interest was reported by the author(s).

Data availability statement

Les données de cette étude sont disponibles en annexe 2 et auprès de l’auteur correspondant, [A.L.], sur demande.

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Annexes

Annexe 1. Planche photos (A. Laraque). (a) Le “couloir” du Congo à Maluku-Tréchot en rive droite (octobre 2020) ; (b) Le pool Malebo en crue (octobre 1992) ; (c) et (d). Les rapides de Livingstone au début du seuil du Djoué (vues de rive droite – octobre 2020 et juillet 2015).

Annexe 1. Planche photos (A. Laraque). (a) Le “couloir” du Congo à Maluku-Tréchot en rive droite (octobre 2020) ; (b) Le pool Malebo en crue (octobre 1992) ; (c) et (d). Les rapides de Livingstone au début du seuil du Djoué (vues de rive droite – octobre 2020 et juillet 2015).

Annexe 2. Liste des 149 jaugeages (au moulinet et à l’ADCP = QGGA) du fleuve Congo au niveau du pool Malebo (sections de Maluku-Tréchot, BZV-KIN et Kalina). Légende : les dates en italiques semblent douteuses.

Annexe 4. Résumé des jaugeages du cours inférieur du Congo en juillet 2008 (d’après Oberg et al., Citation2009)

Annexe 5. Comparaison des débits Q (en modes BT et GGA) des jaugeages ADCP dans les sections de Maluku-Tréchot et de BZV-KIN. (légende : V = vitesse moyenne de l’eau dans les deux systèmes de référence BT et GGA).

Annexe 3. Débits annuels du Congo à BZV/KIN de 1902 à 2020 avec la répartition des périodes de jaugeages (bandes bleutées = moulinet ; beige = ADCP)

Annexe 3. Débits annuels du Congo à BZV/KIN de 1902 à 2020 avec la répartition des périodes de jaugeages (bandes bleutées = moulinet ; beige = ADCP)