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Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Research Article

La mortalité liée aux inondations en région méditerranéenne française (1980–2020)

Flood related mortality in the French Mediterranean region (1980–2020)

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Article: 2097022 | Published online: 01 Sep 2022

RÉSUMÉ

Affichée comme une priorité de la gestion du risque d’inondation, la sécurité des populations est rarement évaluée dans les bilans des catastrophes naturelles en France. Plus que les bilans humains, ce sont les dommages socio-économiques qui sont mis en avant comme indicateurs de la prévention. Cet article présente un recueil de données sur les décès liés aux inondations dans le sud de la France (BD Vict-In). 328 victimes ont étérecensées entre 1980 et 2020. L’article présente le profil des personnes décédées et une analyse des circonstances et des lieux de décès. Il ressort que les victimes sont majoritairement des hommes (61%) de la classe d’âge 40-70 ans. 35% des décès sont liés à l’automobile et 31 % ont lieu au domicile. Parmi les comportements dangereux, le franchissement de cours d’eau en véhicule ou à pied (50 cas recensés) ou les refus d’évacuation (24 cas) sont les plus représentés. 29 décès ont eu lieu dans des campings. La cartographie du taux de mortalité montre la forte exposition des arrière-pays méditerranéens qui associent fréquence des épisodes pluvieux, fortes pentes et urbanisation croissante. L’évolution temporelle montre une diminution du nombre de décès par événement mais une augmentation du nombre d’inondations meurtrières.

ABSTRACT

Considered as a priority of flood risk management policies, the safety of populations is rarely assessed in the balance sheets of natural disasters in France. More than human tolls, the socio-economic damage are currently used as indicators of prevention effectiveness. This article presents a database on flood-related deaths in the south of France (BD Vict-In). The survey focuses on the departments prone to Mediterranean flash floods. 328 victims were recorded between 1980 and 2020. The paper analyses the profile of the dead people and the circumstances and places of death. Dead people are mainly men (61%) in the 40-70 years old group. 35% of deaths are car-related and 31% occurred at home. Dangerous behaviors clearly identify the crossing of watercourses by vehicle or on foot (50 cases) or refusals to evacuate (24 cases). 29 deaths took place in campsites. The mapping of mortality rate shows the high exposure of the Mediterranean hinterlands that associate a high frequency of heavy rainfall, steep slopes and increasing urbanization. The temporal evolution of flood-related mortality shows a decrease of the average toll of flood events while the number of deadly events is increasing.

1. Introduction

D’après les évaluations effectuées en 2011 suite à la transposition de la directive Européenne inondation de 2007, 17 millions de personnes vivraient en France en zone inondable (MEDDE, Citation2011). Ce chiffre donne la mesure du défi à relever en matière de prévention du risque inondation. La préservation de la vie humaine est l’une des justifications régulièrement avancée de la politique de prévention des risques en France. L’article L562-1 du code de l’environnement rappelle que les Plans de Prévention des Risques (PPR), créés en 1995, ont pour objectif de “ne pas aggraver le risque pour les vies humaines”.Footnote1 De même, la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004 précise dans son article 3 que “la politique de sécurité civile doit permettre de s’attaquer résolument aux risques en les anticipant davantage, de refonder la protection des populations et de mobiliser tous les moyens encourageant les solidarités”.Footnote2 Les outils préventifs comme les Plans Submersion Rapides (2011) ont renforcé l’arsenal préventif.Footnote3 En 2014, l’augmentation de la sécurité des populations exposées est le premier des trois grands objectifs de la stratégie nationale de gestion du risque inondation (SNGRI) déclinant en cela le premier objectif de la Directive Européenne de “ réduction des conséquences des inondations sur la santé humaine”.Footnote4 La SNGRI propose “l’identification des zones dangereuses pour la vie humaine en y étudiant la mise en sécurité des populations existantes”.Footnote5

Tableau 1. Types de décès liés aux inondations et degré d’incertitude dans les renseignements recueillis.

Tableau 2. Répartition des lieux de décès par sexe.

Tableau 3. Les comportements à risque.

Tableau 4. Les événements de plus de 10 victimes (1980–2020) (sources : base Vict-In).

Tableau 5. Indicateurs de mortalité et d’activité pluviométrique par décennie.

L’enjeu de préservation de la vie humaine lors des catastrophes naturelles est confirmé par les nombreux retours d’expérience et rapports d’expertises dont font l’objet les inondations associées à de lourds bilans humains. L’ouverture d’informations judiciaires voire de procès est de plus en plus fréquente comme ce fut le cas lors de la submersion marine liée à la tempête Xynthia (41 morts ; Anisimov, Citation2020 ; Lumbroso et Vinet, Citation2011) et des inondations de Lamalou-les-Bains en 2014 (quatre décès dans un camping).

Parallèlement, l’augmentation des investissements et le coût des inondations ont fait émerger le besoin d’évaluation des politiques publiques. L’ONRN (Observatoire National des Risques NaturelsFootnote6) créé il y a une dizaine d’années agrège données publiques et assurantielles mais ne fournit pas d’indicateur de santé humaine faute de données appropriées. Le déficit en données ad hoc pour mesurer l’efficience et l’efficacité des politiques publiques de prévention est encore grand. L’évaluation des politiques publiques fonctionne souvent sur de la donnée existante non adaptée aux problèmes posés. On ne dispose pas par exemple du coût consolidé des inondations sur les infrastructures publiques ni de tableaux de bords fiables sur les sommes engagées dans la prévention, à part les tableaux de bord du fonds Barnier.

Face à ce déficit, la prise de conscience est réelle sur la nécessité d’une prise en compte de l’humain dans la prévention. Cette dernière ne saurait se cantonner aux travaux structurels ou à la maîtrise de l’occupation du sol, ni même aux simples incantations sur la nécessité de renforcer la couverture des communes en plans communaux de sauvegarde. Des initiatives récentes ont repris la thématique en axant la communication sur le comportement et la vulnérabilité des personnes en cas de crue.Footnote7

A l’échelle internationale, les travaux en épidémiologie des désastres (disaster epidemiology) ne manquent pas (Petrucci, Citation2022 ; Terti et al., Citation2017 ; Yari et al., Citation2020). Olga Petrucci (Citation2022) recense 73 articles entre 2010 et 2020 portant sur la mortalité liée aux inondations dans le monde. Elle anime par ailleurs un groupe de recherche euro-méditerranéen qui collecte de façon normalisée les données de mortalité liées aux inondations en Europe et sur certains pays méditerranéens. La base Vict-In utilise la même nomenclature que la base européenne appelée EUFF (European Flood Fatalities database ; Papagiannaki et al., Citation2022 ; Petrucci et al., Citation2019).

Les objectifs de cet article sont d’exposer les caractéristiques de la mortalité liée aux crues méditerranéennes en France depuis 40 ans et de contribuer ainsi à l’évaluation des mesures de prévention. Après une présentation de la base de donnée et de la méthode de collecte, les résultats sont examinés sous différents angles : profil des victimes, circonstances de décès, comportements à risque et répartition spatiale et évolution temporelle de la mortalité. La zone d’étude couvre le sud de la France concerné par le climat méditerranéen, depuis les Pyrénées-Orientales aux Alpes-Maritimes en passant par l’Ardèche et la Drôme et les deux départements corses, soit douze départements au total. La période d’étude couvre 41 années, de 1980 à 2020.

2. La mortalité liée aux inondations dans le sud de la France

Le recensement de la mortalité en Méditerranée française résulte d’un long travail de recueil d’information, en direct, dans les jours ou les mois suivants les décès depuis vingt ans et pour les cas antérieurs à 1999, par des travaux de recherche rétrospectifs aptes à reconstituer une série quasi complète depuis 1980 (Boissier, Citation2013).

2.1. Construction de la base de données des victimes des inondations (BD Vict-In)

2.1.1. Les données existantes

La constitution de la base de données sur les victimes des inondations (BD Vict-In) en France méditerranéenne a suivi plusieurs étapes. A partir des bases de données existantes (Antoine et al., Citation2001), un premier catalogue d’évènements ayant provoqué des décès a été établi. Les informations ont été précisées et consolidées à partir d’articles de presse, d’articles scientifiques ou de retours d’expérience (Belin et Moulin, Citation2013 ; Ruin, Citation2007) puis vérifiées sur le terrain, notamment auprès des mairies ou par des enquêtes de voisinage. La mémoire des décès dans les communes est souvent très vive.

La base de données Vict-In renseigne l’identité des victimes (sexe, âge, lieu de résidence), les causes de décès (noyade, traumatisme …), les circonstances (en voiture, au domicile …), les conditions de décès (pendant la nuit …), et les facteurs de vulnérabilité personnels (handicap, âge …). Des informations concernant l’aléa et la gestion du risque sont également introduites : le nom du cours d’eau où a eu lieu le décès, la hauteur d’eau, des données de pluviométrie, les niveaux de vigilance Météo-France et Vigicrues, etc. Les coordonnées géographiques des lieux de décès sont renseignées de la manière la plus précise possible, allant d’un géo-référencement de la commune jusqu’au lieu précis du décès, en fonction des informations disponibles. La base ainsi constituée regroupe 328 décès entre 1980 et 2020 (). C’est une base évolutive qui intègre en continu les nouveaux décès et de nouvelles informations. A ce titre la mise en ligne des bases de données “avis de décès” de l’INSEE a permis de vérifier bon nombre des éléments de la base Vict-In.Footnote8

Figure 1. Répartition communale des décès liés aux inondations dans le sud-est de la France (1980–2020, n = 328).

Figure 1. Répartition communale des décès liés aux inondations dans le sud-est de la France (1980–2020, n = 328).

Figure 2. Lieux de décès des victimes.

Figure 2. Lieux de décès des victimes.

2.1.2. Les décès retenus

Les décès retenus ont été précisés par ailleurs (Vinet et al., Citation2016). Ils sont conformes à la définition donnée par Jonkman et Kelman (Citation2005) et aux règles que s’est imposé le groupe de travail européen sur la mortalité liée aux inondations (European Flood Fatalities Group, Petrucci et al., Citation2019). Un décès est considéré comme lié à un événement d’inondation s’il n’aurait pas eu lieu en l’absence de cet événement. Sont inclus notamment les décès indirects immédiats lors des évacuations ou lors des opérations de secours (). En revanche, sont exclus les décès différés et indirects (décès à l’hôpital plusieurs jours après l’inondation) ou les décès dont le lien direct avec l’inondation ne peut être prouvé (suicide, etc.).

2.1.3. Les informations collectées

Les facteurs qui peuvent expliquer le décès des personnes lors d’inondations sont extrêmement nombreux. Yari et al. en recensent 114 (Yari et al., Citation2020, pp. 1649 et 1651). En simplifiant, ils peuvent être regroupés en quatre classes : les facteurs d’aléa, les facteurs d’exposition/environnement (localisation, type de bâtiment …), les facteurs de vulnérabilité/capacité individuelle (capacité physique, comportements, appréciation du risque, …) et collectifs (alerte, gestion de crise, secours …). Les informations retenues dans la base Vict-In fournissent des éléments pour caractériser ces facteurs. Elles se calent sur les champs de la base EUFF et concernent le profil des personnes décédées (âge, sexe, profession …), les modalités du décès, c’est-à-dire les causes cliniques et les circonstances de décès, les comportements lorsqu’ils sont connus, la localisation du décès. Les informations sur les comportements sont les plus parcellaires. Faute de témoin, pour les décès nocturnes en particulier, il est difficile d’établir si la personne a eu un comportement “à risque” avec toutes les précautions qu’impose cette expression.

Peuvent être agrégées via un Système d’Information Géographique d’autres données spatialisées comme la population, les mesures de prévention présentes dans les communes concernées par des décès, etc.

2.2. Précision de la localisation

Un soin particulier est apporté à la localisation des décès. De celle-ci dépend l’évaluation de l’altitude des décès et de la taille du bassin versant amont. La base de données inclut une information sur le degré de précision de la localisation : au bâtiment (précision 10 à 50 m), au quartier (100 à 500 m), à la commune (1 à 5 km) ou plus. Certains décès n’ont pu être localisés notamment pour les disparus des Alpes-Maritimes en octobre 2020.

L’altitude est connue avec une bonne précision pour 320 décès grâce à l’utilisation du modèle numérique de terrain BD ALTI 5 m de l’IGN. Le pas de mesure est de 25 m et la précision altitudinale de l’ordre du mètre. Des facteurs d’imprécision sont parfois à contrôler quand le lieu de décès se situe par exemple sur un pont qui se trouve par définition plus haut que le cours d’eau. Dans ce cas, c’est l’altitude du sol mesurée par la BD ALTI qui est conservée.

2.3. Le taux de mortalité

Pour mesurer son impact relatif sur un territoire, la mortalité est mise en relation avec la population. Ce type d’indicateur est couramment utilisé pour mesurer l’impact d’un risque naturel sur une population (Haynes et al., Citation2017) ou pour comparer des données de mortalité à différentes échelles et sur une longue période (Adhikari et al., Citation2010 ; Forzieri et al., Citation2017).

2.3.1. Le calcul du F

L’indicateur “taux de mortalité” nommé “F” en référence à sa traduction anglophone “fatality rate” (Haynes et al., Citation2017 ; Vinet et al., Citation2019) correspond au nombre de victimes par an et par million d’habitants. Sa mesure est la suivante :

F=NfPop1Ny×1000000

Nf : nombre de victimes

Pop : population de la zone d’étude (ici en 2015)

Ny : nombre d’années étudiées (41)

Les chiffres de population retenus sont ceux de la population totale. En effet, Toute la population est potentiellement exposée à l’inondation puisque des personnes ne vivant pas en zone inondable peuvent être victimes d’inondations notamment lors des déplacements à pied ou en véhicule lors des déplacements domicile travail, de commodité (achats) ou de loisir. Ne retenir que les personnes vivant en zone inondable reviendrait à minorer le nombre de personnes potentiellement exposées.

2.3.2. Les données de population

La population retenue pour le calcul du taux de mortalité par département est celle du recensement national (Insee) de 1999, soit une population totale de 7451307 habitants qui correspond à la mi-période de notre étude 1980–2020. Les calculs du taux de mortalité à maille fine (carroyage hexagonal) ont été effectués à partir des données carroyées de 2015 (carroyage à 250 m Filosofi de l’INSEE) puisqu’il n’existe pasd’estimation de la population par maille homogène pour d’autres dates.

2.4. La mortalité liée aux inondations : profil des victimes et circonstances de décès

2.4.1. Les causes cliniques des décès

Faute de pouvoir accéder aux certificats de décès, il n’est souvent pas possible d’établir la cause clinique exacte du décès. La plupart des personnes décèdent par noyade mais ce n’est pas exclusif. On compte 12 cas avérés de malaises ou crises cardiaques ayant causé directement ou indirectement la mort lors d’une inondation ou même pendant des évacuations. Lors de la crue de l’Argens de juin 2010, un Niçois est victime d’une crise cardiaque lors de son évacuation à Fréjus. Souffrant du cœur, il n’aurait pas pu prendre ses médicaments. Ce type de cas a été identifié à Bellegarde en décembre 2003 et à Aimargues en décembre 2002 où un homme meurt sur la place du village à l’annonce de l’arrivée de la crue du Vidourle qui avait déjà dévasté cette commune trois mois auparavant. Ces décès peuvent être dus au syndrome de Tako-Tsubo, cardiomyopathie de stress surreprésentée en phase post-catastrophe (Sato et al., Citation2006).

2.4.2. Les circonstances de décès

Les circonstances de décès couvrent le moment du décès (date, heure), son lieu et l’activité qu’avait la personne. Elles sont classées en trois grandes catégories à effectifs sensiblement égaux. 35% des décès sont en lien avec le véhicule et 30 % concernent des personnes piégées à leur domicile. Le dernier tiers regroupe les personnes décédées en extérieur en tant que piéton en incluant les personnes décédées dans les campings ().

2.4.3. La répartition par âge et par sexe

L’âge est connu pour 318 personnes. Les classes d’âge supérieur à 60 ans regroupent 41,2 % des décès alors qu’elles ne constituent que 20,6 % de la population française en 1999 (). Les jeunes sont sous-représentés. Les moins de 20 ans ne forment que 9,7% des décès (25 % de la population française en 1999). Les données de mortalité en Europe confirment cette répartition (Diakakis & Deligiannakis, Citation2017 ; Petrucci et al., Citation2019) mais les conditions géographiques de chaque pays induisent parfois des différences. En Australie, les moins de 29 ans sont les plus concernés principalement au cours d’activités récréatives près des cours d’eau (Haynes et al., Citation2017).

Figure 3. Pyramides des âges des victimes des inondations et de la population française (n = 328).

Figure 3. Pyramides des âges des victimes des inondations et de la population française (n = 328).

61% des 328 personnes décédées sont des hommes (200) et 39% des femmes. Cette répartition se retrouve en Europe (Petrucci et al., Citation2019), aux Etats-Unis (Terti et al., Citation2017) et en Australie (Haynes et al., Citation2017). Les hommes âgés de 40 à 79 ans sont surreprésentés. Ils représentent 39% de l’effectif total pour seulement 20% de la population française en 1999.Footnote9 La prévalence des hommes dans l’échantillon s’expliquerait par une plus forte mobilité (Petrucci, Citation2022). Les hommes sont surreprésentés dans les décès liés au véhicule et en extérieur (). Les femmes sont surreprésentées dans les décès à domicile (60 % des décès à domicile). L’activité professionnelle expliquerait également la surreprésentation des hommes adultes.

2.4.4. La profession

Compte tenu de la répartition par âge, les retraités sont surreprésentés (122 personnes de 65 ans et plus, soit 37% contre moins de 20% dans la population française de 1999). Sur les moins de 65 ans, la profession des personnes décédées n’est pas renseignée sur suffisamment de cas pour en tirer des conclusions significatives. Sept éleveurs décédés en voulant porter secours à leur troupeau ont été recensés. S’ajoutent 10 professionnels du secours dont 5 en accident d’hélicoptère. L’accident des 3 sapeurs-pompiers se rendant le 1er décembre 2019 sur un sauvetage dans le Var a beaucoup choqué la population et la profession. Pour les sauveteurs et les éleveurs, tous les décédés (17) sont des hommes ce qui pourrait expliquer en partie la surreprésentation masculine évoquée plus haut et confirmée dans d’autres lieux (Petrucci, Citation2022).

Globalement, très peu de décès sont enregistrés sur le lieu de travail. En dehors des agriculteurs/éleveurs et d’une dizaine de personnes décédées ayant des professions itinérantes (infirmière à domicile, livreur …), les personnes quittent suffisamment tôt leur lieu de travail pour ne pas y être piégés. En revanche, la presse relate de nombreux décès sur le trajet domicile-travail, en voiture ou à pied, mais il est impossible de les quantifier.

2.4.5. Les comportements dangereux

Le comportement de la personne dans les instants qui précèdent le décès est évidemment un point crucial (). Un comportement dangereux peut être défini comme toute attitude consistant à aller vers ou à rester près du danger plutôt qu’à le fuir. Ce type de comportement est documenté aux Etats-Unis (Terti et al., Citation2017). Trois types de comportements à risque ont été identifiés dans la base Vict-In : le franchissement d’une chaussée inondée, y compris les passages à gué et les ponts, le refus d’évacuation et les tentatives de secours d’une personne, d’un animal ou d’un bien.

Le franchissement de gués, de ponts submersibles ou de routes inondées est un comportement à risque fréquent. 50 cas sont avérés dans la base Vict-In soit 15% des décès. Les passages à gué sont nombreux dans le sud de la France car ils sont une réponse adaptée au régime hydrologique contrasté des cours d’eau et à l’importante charge de fond. On distingue deux types de passages à gué : soit le franchissement par une chaussée du fond du lit d’un talweg sans écoulement pérenne, soit un pont submersible qui laisse passer (généralement dans des buses) un débit d’étiage. Les ponts submersibles n’ont pas de barrières latérales car elles offrent trop de prise aux embâcles. Dans au moins 21 cas sur les 50, il y a eu transgression d’une interdiction de circuler (panneau d’interdiction, barrière …).

Autre comportement dangereux, les refus d’évacuation concernent (au moins) 24 décès (7,3%). Dans ce cas, les personnes décédées n’ont pas voulu se soumettre à une évacuation alors qu’elles y étaient invitées par le voisinage, les équipes municipales ou les services de secours.

Enfin, les tentatives de secours envers des personnes, des biens ou des animaux domestiques sont à l’origine de 35 décès (12%). Sont inclus par exemple les personnes qui ont pris des risques pour sauver leur automobile ou les éleveurs qui ont tenté de sauver leur troupeau. Ces tentatives de secours relèvent de comportements dangereux qui s’expliquent par une mauvaise appréciation du risque mais qui sont parfois compréhensibles lorsqu’il s’agit d’aller vers le danger pour tenter de sauver un proche (Weiss et Rateau, Citation2018).

Au total, les comportements à risque seraient à l’origine d’au moins un tiers des décès. Les hommes sont légèrement surreprésentés.

  

Ces chiffres invitent les gestionnaires de crise – dans le cadre des plans communaux de sauvegarde par exemple – à porter une attention particulière aux éleveurs qui ont des troupeaux en zone à risque. Il s’agit d’anticiper et de prêter main forte aux éleveurs afin de mettre les troupeaux à l’abri avant l’arrivée des fortes précipitations. Enfin la question de la gestion du réseau routier en cas de crue est fondamentale. Un simple avertissement ou bien le blocage d’une partie de la chaussée ne suffisent pas. Il convient d’empêcher physiquement et non seulement d’interdire le passage en cas de montée des eaux. C’est ce qui a été fait sur le Bevinco à Biguglia en Haute-Corse où deux personnes sont décédées dans les mêmes circonstances sur le même radier à un mois d’intervalle les 16 février et 17 mars 2015. 72% des personnes décédées sur des passages à gué ou assimilés sont des hommes. La plus forte propension des hommes à s’engager dans des comportements à risque expliquerait en partie la surmortalité masculine ce qui rejoint les observations effectuées dans d’autres pays européens (Petrucci, Citation2022).

2.4.6. Le cas des décès de touristes

L’immense majorité des personnes décédées lors des inondations sont des personnes qui a priori connaissent les lieux, le climat méditerranéen et ses extrêmes. Sur les 289 personnes pour lesquelles l’information est vérifiée, 230 (80%) sont des habitants de la commune du décès ou des communes voisines, 48 (17%) sont des non-résidents (touristes) et 11 (3%) sont des résidents secondaires. Par ailleurs, la période des précipitations intenses ne coïncide pas avec la saison touristique. Toutefois, deux types de situation où les touristes sont particulièrement exposés ressortent : les sports d’eau de plein air et les campings.

Les 14 décès liés à la pratique des sports d’eau (ex. le canyoning) ont été recensés dans les Pyrénées-Orientales et en Corse entre les mois de juin et septembre. Ils sont liés à des orages localisés dans les bassins à l’amont de gorges (ex. Gorges de Galamus dans les Pyrénées-Orientales).Footnote10 Ce type d’orage d’été de fin de journée, difficilement prévisible, est caractéristique des climats montagnards plus que du climat méditerranéen proprement dit.

Quant aux personnes décédées dans un camping, elles sont au nombre de 29 (9%), au cours de 6 épisodes. 23 des 29 décès en camping ont eu lieu en septembre. La criticité du mois de septembre est réelle car ce mois est très prisé des retraités qui trouvent des séjours à plus bas prix qu’en juillet/aout. De même ce mois est important pour les gestionnaires de camping qui réalisent parfois une partie non négligeable de leur chiffre d’affaire en arrière-saison.

Plus généralement, ces chiffres soulèvent la question de l’information des personnes étrangères à la région méditerranéenne que ce soient des touristes, des travailleurs étrangers ou des néo résidents. Ces personnes passent souvent au travers des dispositifs d’information et d’alerte officiels. D’autres pays méditerranéens comme l’Espagne sont aussi confrontés à l’arrivée de populations qui ne connaissent pas les risques climatiques propres à la région et qui sont de ce fait plus vulnérables (Ribas et al., Citation2020).

3. Analyse géographique des décès

La mortalité a été analysée à la maille départementale. Les départements sont des unités géographiques reconnues, cadres des SDIS (services départementaux des incendies de secours). Évidemment, les statistiques de mortalité par unité territoriale sont fortement dépendantes de l’occurrence d’un événement majeur dans ces unités et les 41 ans de la base Vict-In donnent un recul encore insuffisant pour juger de la mortalité moyenne sur un territoire. C’est pourquoi la mortalité a été représentée dans un second temps par maille homogène de 350 km2 en carroyage hexagonal.

L’étude porte sur les décès eux-mêmes mais aussi sur les épisodes meurtriers c’est-à-dire les épisodes pluvieux au cours desquels on a recensé au moins une victime.

3.1. La mortalité par département

3.1.1. Le nombre de décès

Ce sont dans les départements du Gard (59 décès) et du Vaucluse (49) que l’on a recensé le plus de décès suivis de l’Aude et du Var. L’Ardèche, les Bouches-du-Rhône et surtout la Drôme (2 décès) sont moins touchés ().

3.2. 3.1.2 Événements meurtriers

Le nombre de décès par département et, plus encore, le taux de mortalité, peut refléter un événement extrême, comme dans le Vaucluse où l’événement de Vaison-la-Romaine concentre 42 des 49 victimes recensées dans le département. Le nombre d’événements meurtriers semble plus représentatif de la prégnance du risque inondation sur les territoires. On considère comme “événement meurtrier” des jours de précipitations contigus sur un même département ayant entraîné des décès. La plupart des événements pluvio-hydrologiques durent 48 heures au maximum. Mais certains peuvent se prolonger sur plusieurs jours. En 1993, des précipitations intenses se sont succédées du 31 octobre au 2 novembre sur la Corse avec 4 morts le dimanche 31 octobre, 1 mort le 1er novembre et un autre le 2 novembre. Ces trois jours sont considérés comme un événement. En revanche, le décès occasionné par les crues du Fiumorbo (Haute-Corse) le 5 novembre 1993 est lié à un événement distinct. Entre 1980 et 2020, 73 événements meurtriers ont été recensés sur la zone d’étude, soit 4,5 victimes par événement. La médiane est de 1 puisque 36 évènements (soit 50%) ne recensent qu’une seule victime. 50 événements ont fait une ou deux victimes. Le nombre des épisodes meurtriers par département est très contrasté. Certains départements ont peu d’évènements comme l’Aude ou les Alpes-Maritimes mais avec un nombre élevé de décès par événement (). En revanche, les départements de l’Hérault, des Pyrénées-Orientales ou de Corse ont un nombre de décès par événement peu élevé (moins de 2).

3.2.1. Le taux de mortalité par département

Le taux de mortalité F présente de forts contrastes d’un département à l’autre (F extrêmes : 0,11 à 3,46 ; ). L’Aude et le Gard ont les taux de mortalité les plus élevés : 3,4 et 2,3 victimes/an/million d’habitants. Le Vaucluse marqué par l’épisode de Vaison-la-Romaine affiche un F de 2,39. La Corse est à plus de 2. Le Var, les Alpes Maritimes et à l’ouest, l’Hérault et les Pyrénées-Orientales affichent des taux intermédiaires (0,5 à 1,5). La Drôme et les Bouches-du-Rhône restent les départements les moins touchés avec respectivement des taux de 0,11 et 0,16 victime/an/million d’habitants.

Figure 4. Nombre de décès et taux de mortalité par département.

Figure 4. Nombre de décès et taux de mortalité par département.

Figure 5. Nombre d’évènements meurtriers par département (1980–2020).

Figure 5. Nombre d’évènements meurtriers par département (1980–2020).

Cette géographie reflète celle des événements pluviométriques extrêmes à quelques nuances près.Footnote11 Au cœur de la zone cévenole, le Gard, qui compte le plus de victimes, cumule une forte fréquence des précipitations intenses et de fortes densités de population. En revanche, on peut expliquer le taux de mortalité relativement faible de l’Hérault par les faibles densités de population dans l’intérieur. La population est plus dense sur le littoral où les précipitations intenses sont moins fréquentes et les pentes moins fortes. Les Bouches-du-Rhône bénéficient d’une moindre exposition et de fortes densités de population concentrées sur le littoral. Si l’on excepte l’événement de Vaison-la-Romaine, le Vaucluse a un F proche de celui des départements à l’est du Rhône (Drôme, Bouches-du-Rhône). L’exposition moyenne des départements azuréens et corses se retrouve dans le taux de mortalité avec toutefois une augmentation récente de la mortalité.

3.3. La mortalité à l’échelle locale : une concentration sur les piémonts

La carte par maille hexagonale isométrique permet de lisser les concentrations de victimes sur tel ou tel bassin versant ().

Figure 6. Taux de mortalité (F) par mailles de 350 km.

Figure 6. Taux de mortalité (F) par mailles de 350 km.

Globalement les décès ont lieu à une altitude basse (50% des décès ont lieu en-dessous de 100 m d’altitude et 75% à moins de 200 m). Les localités qui ont subi des crues meurtrières sont à basse altitude. Draguignan (crue de la Nartuby en 2010) se situe à 180 m et les six victimes à Trèbes en 2018 se trouvaient dans des zones à environ 80 m d’altitude. Alès, au pied des Cévennes, n’est qu’à 130 m d’altitude et Vaison-la-Romaine à moins de 200 m. Seul le sinistre de 2020 dans les vallées de la Vésubie et de la Roya était à une altitude supérieure à 1000 m. Les taux de mortalité les plus élevés se situent dans l’immédiat arrière-pays méditerranéen, c’est-à-dire dans la zone des piémonts au débouché des cours d’eau des collines de l’arrière-pays vers les basses plaines. Ces zones de contact connaissent des vitesses de montée d’eau rapides et des écoulements torrentiels.

Ces zones fortement exposées sont aussi très urbanisées dans des lits majeurs encore contraints par la topographie et où les possibilités d’urbanisation sur terrain plat sont peu nombreuses en dehors des zones inondables (cf la vallée de la Nartuby totalement urbanisée à Draguignan). Les zones littorales où les écoulements sont plus lents sont plus exposées à des événements qui combineraient des submersions marines et des crues continentales.

4. Les temporalités des décès

4.1. Répartition saisonnière

80% des décès ont lieu en automne (de septembre à décembre), en accord avec la répartition mensuelle des épisodes de précipitations intenses en Méditerranée (). A noter toutefois les crues de l’Argens du 15 juin 2010 dans le Var (26 morts).Footnote12 Le mois de septembre totalise à lui seul 31 % des décès mais ne cumule que 16% des épisodes pluvieux intenses. Ceci peut s’expliquer par une plus forte exposition en fin de saison touristique. L’épisode de Vaison-la-Romaine influence ce lourd bilan avec 15 personnes décédées dans les campings le 22 septembre 1992. Mais le cas de Vaison n’est pas unique et l’épisode de Lamalou-les-Bains le 17 septembre 2014 a vu quatre personnes emportées dans un camping. Le mois de septembre est donc un mois critique qui combine le début de la saison des précipitations intenses et la fin de la saison touristique. Il pose la question, sinon de la fermeture, du moins d’une extrême vigilance dans les terrains de camping en fin d’été.

Figure 7. Répartition mensuelle des décès liés aux inondations et du nombre d’épisodes avec précipitations > 200 mm/48 h sur la zone d'étude (1980–2020) (source : Pluies Extrêmes, Météo-France).

Figure 7. Répartition mensuelle des décès liés aux inondations et du nombre d’épisodes avec précipitations > 200 mm/48 h sur la zone d'étude (1980–2020) (source : Pluies Extrêmes, Météo-France).

Le mois d’octobre est le second mois le plus meurtrier. Le nombre de décès diminue en novembre et surtout en décembre alors que les épisodes de forts cumuls pluviométriques restent nombreux. Cela pourrait s’expliquer par un estompage des fortes intensités pluviométriques horaires en fin de saison automnale.

4.2. Répartition horaire

L’heure exacte du décès est parfois difficile à renseigner. La disparition de la personne n’a parfois eu aucun témoin. Par ailleurs il n’est pas possible d’appliquer au décès l’heure d’un événement pluvieux, cet événement pouvant se dérouler sur plusieurs heures voire plus d’une journée d’amont en aval. Pour 141 décès, l’heure est connue avec précision, soit qu’elle a été recueillie auprès de témoins, soit elle correspond à l’inondation du lieu de décès lui-même, inondation brève et connue avec précision (). La répartition horaire de ces décès montre certains pics le matin (vers 7 h), en fin d’après-midi (vers 17–18 h) et le soir. C’est sans doute cette dernière tranche horaire qui est la plus significative car 65 (46%) des 141 décès horodatés ont eu lieu entre 20 heures et 2 heures du matin. La surreprésentation de cette tranche horaire recouvre diverses situations dangereuses ou de prise de risque, notamment de la part des éleveurs partis secourir leur troupeau le soir ou la nuit. Pour les décès en automobile, plusieurs cas sont signalés où la mauvaise visibilité (confusion eau/chaussée) serait en cause au crépuscule. Ce type de situation est rapporté en France (Ruin et al., Citation2007) et aux Etats-Unis (Terti et al., Citation2017).

Figure 8. Répartition horaire des décès liés aux inondations.

Figure 8. Répartition horaire des décès liés aux inondations.

4.3. L’évolution de la mortalité liée aux inondations

4.3.1. Evolution sur la période d’étude

Sur la période étudiée, l’évolution du nombre de décès liés aux inondations ne présente pas de tendance nette (). Après une décennie 1980–1990 peu meurtrière, les années 1990 et le début des années 2000 ont été marqués par plusieurs graves inondations. Cette aggravation a d’ailleurs été ressentie comme telle et a donné lieu en France au renforcement de l’arsenal réglementaire de prévention des inondations (Ledoux, Citation2018) avec la création des PapisFootnote13 en 2002 et la promulgation de la loi risques de juillet 2003. La mortalité a connu un minimum entre 2004 et 2009 mais des sinistres graves (inondations du département du Var en 2010 ; inondations de la Côte d'Azur en 2015 ; inondations de l'Aude en 2018 et de la Vésubie en 2020) ont fait depuis remonter les bilans à plus de 10 décès par an en moyenne.

Figure 9. Évolution interannuelle du nombre de décès.

Figure 9. Évolution interannuelle du nombre de décès.

4.3.2. Les événements majeurs

Si l’on définit un événement majeur comme un épisode d’inondation ayant engendré la mort de plus de 10 personnes,Footnote14 huit événements majeurs totalisent 189 victimes soit 58 % du bilan total ().

Le nombre de victimes lors de ces événements majeurs a tendance à décroître : 49 victimes en 1992 (Vaison), vingt à trente victimes par événement majeur entre 1999 et 2015, une quinzaine de victimes en 2018 et 2020. Cette tendance est confirmée par des études historiques en France (Boudou et al., Citation2016) et dans d’autres pays comme en Grèce (Diakakis et Deligiannakis, Citation2013). L’amélioration de l’habitat et de la prévision expliquent en grande partie cette évolution (Vinet, Citation2017). En revanche, certains indices laissent augurer une augmentation de la fréquence des événements meurtriers. Faible dans les années 1980–1989, leur nombre s’est ensuite maintenu à un niveau d’environ 20 événements par décennie, la dernière décennie en concentrant 28. Quatre des huit événements meurtriers majeurs ont eu lieu depuis 2010 ().

4.3.3 Événements meurtriers et évolution des pluies extrêmes

L’interprétation de cette évolution impose de faire la part entre l’évolution naturelle des événements pluvieux intenses et l’augmentation des enjeux et de la vulnérabilité en zone à risque.

La première ne montre pas de tendance significative (). Les études confirment une relative stabilité de la fréquence des précipitations intenses en Méditerranée française et l’impact du réchauffement atmosphérique reste incertain (Ribes et al., Citation2019 ; Sauquet et Lang, Citation2018 ; Tramblay et al., Citation2021).

Un autre indicateur est à prendre en compte dans l’évolution de la mortalité : l’âge médian des personnes décédées. Il est en augmentation depuis les années 1980. Le chiffre des années 1980 (28 ans) repose sur un effectif faible mais il est autour de 50 ans dans les années 1990 et à plus de 60 ans sur la dernière décennie (). Ce chiffre reflète à la fois le vieillissement général de la population française et les régions touchées. Les derniers sinistres ont touché les départements azuréens qui ont une population âgée. La vigilance s’impose car les personnes âgées sont plus vulnérables face aux inondations comme l’a montré la pyramide des âges des décès. Le vieillissement attendu de la population d’ici 2050 est un facteur d’aggravation des bilans humains des inondations.

5. Conclusion

Les résultats présentés ci-dessus restent un indicateur comme d’autres (coût financiers …) de l’évolution des impacts des inondations. La consolidation des bilans épidémiologiques des inondations permettra de les intégrer aux bilans des dommages des catastrophes, bilans pour l’heure fondés quasi exclusivement sur les pertes matérielles. De même, les services de secours cherchent de plus en plus à évaluer les gains de leurs interventions en termes de dommages matériels et humains évités. Ces services de secours ont une connaissance empirique des situations à risques sources de décès lors des inondations. Cette connaissance doit être capitalisée et objectivée. Les analyses présentées ici offrent un premier panorama de la mortalité liée aux crues méditerranéennes en France. Des analyses complémentaires sont en cours notamment pour relier mortalité et prévention.

Que la mortalité actuelle soit résiduelle par rapport à des bilans passés, il faut en convenir. Le bilan sur les quarante dernières années est de l’ordre de 8 morts par an en moyenne, ce qui est sans commune mesure face aux bilans d’autres régions du monde (140 000 morts lors du cyclone Nargis en 2008 dans le golfe de Bengale) et par rapport aux bilans des inondations passées en France (Lang et Cœur, Citation2014). Les conclusions sont bien sûr temporaires car elles ne reposent que sur 40 ans de données alors que l’on évoque des événements pluviohydrologiques de période de retour de 50 à 100 ans voire plus localement. Par ailleurs, des scénarios d’inondations extrêmes n’apparaissent pas encore dans ces quarante années. On pense à des événements pluviométriques extrêmes sur des agglomérations comme Marseille, Aix-en-Provence ou Nice (Paillon)Footnote15 ou à une submersion marine majeure en Languedoc combinée à des crues fluviales.

Doit-on considérer le bilan actuel comme un plancher ? Peut-on encore réduire ce bilan ? Il reste sans doute une part de mortalité résiduelle, incompressible. L’amélioration de la vigilance (vigicrue, vigicrue flash, bureau d’étude spécialisés dans l’assistance aux communes) et de la prévention en général contribuent certainement à maintenir ces bilans à des taux faibles. Toutefois, il faut rester vigilant car des signaux faibles comme l’augmentation des décès dans les départements azuréens où l’on est passé de 2 victimes entre 1991 et 2000 à 59 décès dans la dernière décennie montrent que ces acquis de la prévention ne sont pas forcément définitifs. L’analyse de la mortalité montre l’existence de poches de vulnérabilité, de territoires à surveiller où la forte exposition aux phénomènes hydrologiques, la population croissante et vieillissante, l’augmentation des mobilités sont autant de facteurs de vulnérabilité à prendre en considération.

Déclaration

Les auteurs ne déclarent aucun intérêt concurrent.

Remerciements

Cette publication a été financée par l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet DEUFI.

Data availability statement

The data that support the findings of this study are available from the corresponding author, F. Vinet (https://lagam.xyz/ or [email protected]), upon reasonable request.

Additional information

Funding

This work has been supported by the French National Research Agency (ANR) under thegrant ANR-DEUFI 18-CE01-0020 and by the University Paul Valéry Montpellier 3.

Notes

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2. Loi n° 2004–811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile. Art. 3. Loi n° 2004–811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile (1). – Légifrance (legifrance.gouv.fr).

3. Ministère de la transition écologique et solidaire. Plan Submersions rapides. Mars 2011. 16 p. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Le_plan_submersion_rapide.pdf.

4. Directive 2007/60/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation Chap IV, art.7, alinéa 2. Journal Officiel de l’Union Européenne. 6/11/2007, L288/31.

5. Ministère de la transition écologique et solidaire (2014) Stratégie nationale de gestion du risque inondation P. 5 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2014_Strategie_nationale_gestion_risques_inondations.pdf.

6. Aujourd’hui inclus dans le portail Géorisques www.georisques.gouv.fr.

9. Source : Insee, Institut National de la statistique et des études économiques.

10. Pour les premiers les décès par noyade ou accident hors période de crue sur des cours d’eau n’ont bien sûr pas été pris en compte. Seuls les cas où la crue a provoqué la noyade soit directement soit indirectement (par exemple lorsque la vitesse du courant n’a pas permis de secourir la personne) ont été retenus.

12. Une autre inondation majeure s’est produite à peu près à la même époque de l’année, le 6 juillet 1827 (Belin et Moulin, Citation2013 ; Collombat, Citation2012).

13. Programmes d’action et de prévention des inondations.

14. C’est l’un des seuils retenus par le CRED dans sa base de données EM-DAT. https://www.emdat.be/database

15. Le rapport Ponton et al. (Citation1988) avait recensé une trentaine de site particulièrement exposés.

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