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LHB
Hydroscience Journal
Volume 108, 2022 - Issue 1
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Special Section: HydroES 2021

Approche Hybride innovante pour la mesure des débits s’écoulant dans les conduites de groupes hydroélectriques de moyenne chute

Innovative hydrid solution for measuring discharge flowing in the pipe of medium head

, , &
Article: 2163200 | Published online: 15 Mar 2023

RÉSUMÉ

La Compagnie Nationale du Rhône gère 19 centrales hydro-électriques sur le Rhône. Six turbines Francis équipent l’aménagement de Génissiat. La connaissance précise du débit turbiné, entre 80 et 130m3/s par groupe, est un des facteurs clés pour l’optimisation de la production. Entre 2008 et 2011, les six conduites ont été instrumentées : 4 plans de mesures avec cordes croisées, soit 16 capteurs ultrason (US) par conduite. Deux campagnes de jaugeage avec une trentaine d’ADCP ont été organisées en aval de l’usine. Un écart de 3 % a été obtenu entre le débit mesuré en conduite et la valeur ADCP. Un modèle CFD a permis de confirmer que l’écoulement peut être, soit rectiligne, soit tourbillonnaire, selon les conditions d’écoulement en amont des prises d’eau. Il a également montré que le débit US calculé est fiable à moins de 1% sous réserve de disposer des valeurs des 8 cordes acoustiques. La cartographie des rendements absolu a montré un écart entre groupe de 4 à 6 points. Ainsi une meilleure répartition entre groupes du débit total à turbiner conduirait à gain de l’ordre de 400 k €/an à comparer aux 800 k € nécessaires à la mise en place du système US.

ABSTRACT

Compagnie Nationale du Rhône manages 19 hydropower plants along the Rhône River. Six Francis turbines equip the Génissiat hydropower plant. The precise knowledge of turbinated flow rate, between 80 and 130m3/s, is one of the key factors for optimising energy production. Between 2008 and 2011, the six turbines were equipped: 4 measurement plans with crossing path, then 16 ultrasonic sensors for each turbine. Two gauging campaigns with about thirty ADCP were organised downstream of the plant. A difference of 3% was reached between US measurements and ADCP. A simulation using a CFD model confirmed that the flow can be either straight or swirling, depending on the flow conditions upstream of the water intakes. It also confirmed that the calculated US flow rate was less than 1% accurate subject to availability of the values of the 8 acoustic paths. The mapping of the efficiency of all turbine units shown a difference of 4 to 6 points. Then, a better distribution in each turbine of the total flow could lead to a gain of about 400k € per year to be compared to the 800k € of initial investment for the implementation of the US system.

1. Introduction

La Compagnie Nationale du Rhône (CNR) gère 19 centrales hydro-électriques sur le Rhône depuis la frontière Suisse jusqu’à la Méditerranée. La connaissance précise du débit turbiné est un des facteurs clés pour l’optimisation de l’exploitation de ces groupes, notamment pour la production d’énergie. Six turbines Francis équipent l’aménagement de Génissiat portant à 420 MW la puissance installée. Sur Génissiat, le débit de chaque groupe est de l’ordre de 100 m3/s sous 65 m de chute. Entre 2008 et 2011, les six conduites de 5.75 m de diamètre ont été instrumentées avec des équipements ultrasons. Ce système intègre 16 capteurs répartis en quatre plans de mesures horizontaux contenant chacun deux cordes acoustiques croisées, inclinée à 45° par rapport à l’écoulement principal. La position de ces capteurs est guidée par la norme IEC 60041 (Citation1991). La vitesse d’écoulement est proche de 4 m/s. Un 1er groupe a été installé en 2008, puis les cinq autres ont été équipés de 2010 à 2012 suite à une vérification du débit fournie par les équipements ultrason en conduite. Cette vérification s’est faite en trois étapes : avec un ADCP mesurant le débit total produit en aval de l’usine avec le seul groupe équipé suite à l’équipement du 1er groupe en 2008, puis avec 27 ADCP en 2010 et à nouveau 37 ADCP en 2012 lors de campagnes d’inter-comparaison réalisées avec l’appui du groupe Doppler Hydrométrie (GDH). Le GDH fédère depuis 2005 les spécialistes de la mesure hydrométrique francophone dont CNR, les Dréal, EDF, INRAE et quelques organismes internationaux. Le nombre important d’ADCP utilisé en simultané a permis de réduire l’incertitude sur le débit proche de 1 % et de le comparer aux valeurs fournies par le système ultrason en conduite. L’observation des mesures élémentaires de vitesse en conduite à partir du système ultrason a révélé que l’écoulement pouvait être parallèle à la conduite ou au contraire tourbillonnaire. De même, au cours du temps, une ou plusieurs cordes acoustiques pouvaient présenter des défaillances. Il a donc été réalisé deux modélisations CFD afin de mieux cerner l’incertitude sur le débit. Un premier modèle d’ensemble a permis de mieux comprendre les conditions d’alimentation des pertuis des groupes en fonction de la bathymétrie de la retenue. Le second s’est focalisé sur l’écoulement à l’intérieur de la conduite permettant une analyse fine du champ de répartition de vitesse et ses conséquences sur l’estimation du débit.

Ce document présente la démarche ainsi que les conclusions validant l’installation de mesure de débit en conduite et ses conséquences positives sur l’optimisation de l’outil de production.

2. Contexte et objectif

Fondée en 1933, la Compagnie Nationale du Rhône gère la concession de 19 aménagements hydroélectriques sur le Rhône depuis la frontière Suisse jusqu’à la mer (). Ses trois missions sont la production d’énergie, le transport fluvial et l’irrigation selon un principe de neutralité en crue permettant de ne pas aggraver les niveaux d’eau par rapport à la situation originelle du Rhône.

Figure 1. Implantation des aménagements hydro-électriques CNR dont Génissiat.

Figure 1. Implantation des aménagements hydro-électriques CNR dont Génissiat.

Le premier aménagement construit fut celui de Génissiat achevé en 1948 et le dernier celui de Sault-Brénaz en 1986.

L’aménagement de Génissiat se classe en position de tête dans la chaine de production de CNR et représente 14 % du volume produit.

Six groupes d’une centaine de m3/s équipent cette usine avec 65 m de hauteur de chute contre environ 20 m en moyenne pour les autres aménagements sur le Rhône.

Ce sont donc 420 MW qui sont produit par six turbines Francis alimentées par des tubes de 5.75 m de diamètre. La vitesse moyenne d’écoulement est de l’ordre de 4 m/s.

La connaissance précise du débit passant par les groupes est essentielle pour :

  • optimiser la production via la maitrise des rendements de la chaine prise d’eau/turbine/alternateur ;

  • gérer au mieux le volume d’eau disponible dans la retenue, notamment à l’étiage ;

  • garantir le débit minimal à maintenir en sortie de l’aménagement pour les CNPE situés en aval.

Depuis toujours, les valeurs de débit ont été utilisées pour exploiter les ouvrages hydrauliques. Des lois d’ouvertures de vannes sous différentes hauteurs de chutes ont été déterminées via modélisation lors de la construction des ouvrages et éventuellement complétées par des mesures ponctuelles avec moulinet. L’incertitude sur le débit de chaque groupe était alors de l’ordre de 5 %. L’objectif initié en 2008 était de réduire cette valeur à 1 % voire 2 % afin d’optimiser au mieux la ressource en eau et l’utilisation des groupes.

3. Process d’estimation de débit mis en œuvre

3.1. Capteurs ultrason selon temps de transit en conduite

Le système de mesure de vitesse ultrason à temps de transit a été retenu compte tenu de la géométrie de l’installation des turbines Francis depuis la prise d’eau. Les préconisations selon la norme IEC 60041 (Citation1991) ont conduit à installer les équipements de mesures dans un tronçon le plus homogène possible (), soit à une fois le diamètre en amont de la turbine et cinq fois le diamètre en aval du coude amont.

Figure 2. Position du tronçon des capteurs loin des perturbations hydrauliques – tableau de réduction d’incertitude sur le débit selon la position des capteurs et la méthode de calcul employée.

Figure 2. Position du tronçon des capteurs loin des perturbations hydrauliques – tableau de réduction d’incertitude sur le débit selon la position des capteurs et la méthode de calcul employée.

Quatre plans de mesures () incluant chacun deux cordes croisées permettent d’atteindre une incertitude de l’ordre de 1 % () selon les préconisations de la norme IEC41 et ASME PTC 18–002 complété par les travaux relatifs à la méthode OWICS (Voser & Staubli, Citation1998).

Tableau 1. Réduction de l’incertitude via la méthode OWICS intégrant la position réelle des capteurs ultrason.

Figure 3. Visualisation depuis l’amont vers l’aval des 4 plans de mesures et des fourreaux hébergeant les câbles.

Figure 3. Visualisation depuis l’amont vers l’aval des 4 plans de mesures et des fourreaux hébergeant les câbles.

Chaque corde située dans le plan de mesure () est orientée d’environ 45° par rapport à l’écoulement principal. Compte tenu de la position des tubes noyés dans la structure béton de l’ouvrage, les capteurs de 200 k Hz ont été fixés sur la paroi intérieure des tubes acier. Les câbles de liaison entre ces capteurs et la centrale de mesures sont hébergés dans des fourreaux acier eux-mêmes soudés sur la paroi intérieure de chaque tube. Ce type d’installation « apparente » engendre une méthodologie de maintenance spécifique de type travaux acrobatiques ou échafaudage roulant.

Il est important d’archiver les mesures de vitesses élémentaires des cordes croisées afin de pouvoir re-estimer les valeurs de débit et leur incertitudes associées. En effet, certains systèmes ne fournissent que la valeur de débit sans indication sur le nombre de corde réellement utilisées. C’était notre cas entre 2008 et 2015. Depuis 2016, toutes les données élémentaires sont stockées pour une maitrise totale de l’installation tant en termes de connaissance de la valeur de débit qu’en termes d’anticipation des opérations de maintenance.

3.2. Démarche de validation à la mise en service des mesures

CNR a fait appel à un prestataire pour la fourniture et l’installation des équipements de mesures en gardant la maitrise de validation des résultats de débit fournis par le système de mesure. Une première conduite a été équipée en 2008 suivi d’un bilan de fonctionnement avant d’équiper les cinq autres conduites entre 2010 et 2012 ().

Figure 4. Visualisation du tronçon amont de Génissiat.

Figure 4. Visualisation du tronçon amont de Génissiat.

Deux campagnes de mesures multi ADCP en rivière ont également été déployées et ont contribué à valider le système. La durée du chantier pour équiper un groupe est de l’ordre de trois à quatre semaines.

Les tests de vérifications assurés par le prestataire se limitent à :

  • la vérification des impédances des câbles ;

  • la vérification des impédances des capteurs en place ;

  • la vérification de la qualité du signal acoustique dont détection du signal reçu et gain d’amplification ;

  • la calibration du zéro via fermeture des vannes de groupe afin d’observer les vitesses les plus réduites ;

  • l’observation des vitesses à débit nominal ;

  • l’estimation de la température de l’eau via temps de transit.

CNR a souhaité valider le système de mesure par une méthodologie indépendante des équipements ultrason en conduite. Le problème principal résidait dans la difficulté à trouver une méthode au moins aussi précise que le système à vérifier proche du pourcent. Le prestataire a fait des vérifications techniques intrinsèques à l’installation.

Dans un 1er temps CNR a réalisé plusieurs jaugeages ADCP en aval de l’usine de Génissiat faisant transiter le débit uniquement avec le groupe instrumenté. L’observation de l’évolution du débit ADCP (), jaugeage réalisé dans très bonnes conditions, a révélé une très bonne cohérence avec la valeur de débit fourni par le système ultrason en conduite. Compte tenu de l’incertitude du jaugeage entre 3 et 5 % (Despax et al., Citation2020 ; Le Coz et al., Citation2008 ; Le Coz, Larrarte, et al., Citation2009 ; Olivier et al., Citation2008 ; Pierrefeu, Citation2004, Citation2007 ; Pierrefeu et al., Citation2017), cette étape doit être considérée comme un test de non-défaillance du système et non de validation. Le feu vert a donc été donné pour déployer l’équipement des cinq autres conduites sur 2010 et 2011. Pour limiter les pertes d’exploitation dues à l’arrêt des machines, cette opération a été menée en phase avec des opérations de maintenance préventives déjà programmées nécessitant de vidanger la conduite.

Dans un 2nd temps, CNR avec l’appui du Groupe Doppler Hydrométrie a réalisé deux campagnes de mesures multi-ADCP en 2010 (26 ADCP simultanés – Pobanz et al., Citation2011) et 2012 (37 ADCP simultanés – Pobanz et al., Citation2015). Ces campagnes avaient le double objectif de (1) maitriser le process de jaugeage avec ADCP et (2) comparer les résultats de jaugeages en aval usine avec les débits issus du systèmes ultrason en conduite.

Ces campagnes ont fait l’objet de publications (Dramais et al., Citation2014 ; Hauet et al., Citation2011 ; Le Coz et al., Citation2016) montrant la réduction de l’incertitude de la valeur de débit estimée par les mesures des ADCP utilisés en simultanés (2 % à 3 %). Des conditions de mesures quasi idéales ont été mises en œuvre :

  • stabilité de débit sortant usine pendant 2 heures pour disposer de 30 min de régime stable sur les tronçons de mesures situés en aval de l’usine et pouvoir ainsi moyenner l’ensemble des mesures ADCP ;

  • stabilité assurée d’une part en adaptant le débit sortant en fonction des conditions hydrologiques et du volume de retenue disponible, et d’autre part avec le passage en manuel du pilotage des groupes tout en bridant le réglage primaire de fréquence pour une stabilité maitrisée ;

  • suivi de la variation de hauteur de chute pendant les paliers de 2 heures même si très limitée afin d’intégrer son impact sur l’évolution du débit aval ;

  • passage d’un palier de débit à un autre avec la mise en service d’un groupe alors que les autres restaient en conditions de fonctionnement inchangées. Ceci afin de pouvoir affecter la variation de débit jaugé avec les ADCP au débit du groupe ayant été mis en route.

Chaque campagne de mesure multi ADCP s’est déroulée sur 2 jours consécutifs. La campagne de 2010 a permis d’utiliser les groupes G1/G2/G4/G6 et 2012 les groupes G1/G3/G5. Compte tenu de l’hydrologie du moment les paliers de débits ont été différents 110/220/330/440 m3/s pour 2010 et 220/330/440/550 sur 2012.

Il a donc été possible de comparer :

  • d’une part le débit total sortant de l’aménagement avec le débit total jaugé multi ADCP ;

  • d’autre part l’augmentation de débit générée par un seul groupe, les autres étant stables, avec l’augmentation du débit jaugé multi ADCP.

Le graphe ci-dessous () illustre la réduction de l’incertitude d’un jaugeage multi ADCP en fonction du nombre de transects, nombre proportionnel à la durée de la mesure.

Figure 5. Incertitude d’un jaugeage réalisé avec un nombre P d’ADCP intégrant un nombre N de transects.

Figure 5. Incertitude d’un jaugeage réalisé avec un nombre P d’ADCP intégrant un nombre N de transects.

Usuellement un jaugeage avec un seul ADCP et 6 transects conduit à une incertitude de l’ordre de 6 %.

L’utilisation de multi-ADCP avec 2 × 6 transects permet de réduire cette incertitude entre 2 % et 3 %.

Comme détaillé aux paragraphes suivants, cette méthodologie de jaugeage multi ADCP a permis de détecter une défaillance de paramétrage dans l’installation ultrason qui aurait été difficile à détecter autrement.

3.3. Suivi de la validité du système dans le temps

Outre l’observation du débit total transitant dans la conduite, il est impératif de vérifier les vitesses de chaque corde. D’une part pour voir la cohérence avec les autres cordes et d’autre part s’assurer qu’elles fonctionnent bien.

L’analyse des mesures des vitesses élémentaires montre des disparités entre groupe. Ce constat a été confirmé par la réalisation de modèle numérique CFD. Un modèle d’ensemble a montré l’impact de la bathymétrie de la retenue amont sur les conditions d’alimentation des prises d’eau. Un autre modèle CFD se focalisant sur la conduite a montré que l’écoulement des groupes du centre était parallèle à la conduite et que ceux de rive présentaient un écoulement tourbillonnaire. Ces modélisations ont confirmé que la valeur de débit estimée avec les 8 cordes acoustiques était fiable à moins de 1% quelles que soient les conditions d’alimentation amont des prises d’eau.

Dans l’idéal, il est préférable de réaliser ces modèles CFD avant la pose des capteurs afin de confirmer que l’emplacement des capteurs dans la conduite permettra d’avoir la précision souhaitée.

Enfin le système de mesure à temps de transit est fiable tant que l’ensemble des capteurs fonctionnent correctement. En d’autres termes : avoir des signaux ultrason de qualité (détection de début ping, amplitude du signal correcte versus bruit) et disposer de toutes les cordes de mesures.

Les signaux ultrason peuvent se dégrader dans le temps par infiltration d’eau dans les connecteurs. Ces défauts peuvent dégrader la mesure de vitesse d’une corde acoustique voire même rendre impossible la mesure. En ce cas le système fonctionnera en mode dégradé. Le débit pourra être calculé mais avec une incertitude pouvant être bien supérieure aux 1 à 2 % attendus.

4. Résultats

4.1. Test internes

Les mesures électriques d’impédance permettent de mettre en évidence les bonnes connexions ou au contraire les défauts d’isolement.

Les tests avec vanne fermée montrent un fonctionnement de corde acoustique cohérente (±3 cm/s selon corde) et conduisent à observer un débit de fuite de 300 l/s sur cinq groupes et presque 1 m3/s sur le sixième.

L’estimation de la température par chacune des cordes conduit à observer une cohérence à moins de 1°C aussi bien entre corde qu’avec une référence externe via une sonde température dans la retenue de type PT100.

L’expérience montre que les principales défaillances matérielles pouvant apparaitre au cours du temps concernent les raccordements câble/connecteur immergés. Une attention particulière doit être portée sur la qualité de ces étanchéités.

Ces tests internes sont nécessaires mais pas suffisants. Un contrôle du champ de vitesse par conduite ainsi que le contrôle du débit par jaugeage aval s’avèrent indispensables pour détecter notamment des erreurs de configuration.

4.2. Contrôle du champ de vitesse et conséquence sur l’incertitude de débit

La montre la répartition du champ de vitesse horizontale sur la verticale au droit des ultrason conduite :

  • les groupes du centre (G2/G3/G4) présentent des vitesses par cordes homogène pour un même plan entre corde paire et impaire. En cas de défaillance d’une corde d’un plan, l’autre corde du même plan peut suffire pour connaitre le débit sans perte de précision ;

  • les groupes de rive (G1/G5/G6) présentent des vitesses par plan inhomogènes entre corde paire et impaire illustrant par là un écoulement non parallèle à la conduite. Ce constat surprenant au premier abord sera confirmé par l’exploitation du modèle CFD. Ainsi, pour ces groupes, il est primordial d’avoir l’ensemble des cordes acoustiques pour estimer le débit avec une incertitude de l’ordre du pourcent. L’absence d’une corde de mesure peut être comblée par une recomposition de vitesse selon les données historiques mais sans garantie de précision sur le résultat de débit.

Figure 6. Répartition de la composante horizontale de vitesse d’écoulement sur la verticale pour les groupes du centre (par ex G2) ou de rive (par ex G6).

Figure 6. Répartition de la composante horizontale de vitesse d’écoulement sur la verticale pour les groupes du centre (par ex G2) ou de rive (par ex G6).

4.2.1. Apport de la modélisation CFD

Compte tenu de la disparité des mesures de vitesse entre cordes acoustiques d’un même plan, deux modèles CFD ont été construits postérieurement à l’installation des capteurs en conduite. Dans l’idéal, et compte tenu de leurs apports, ces modélisations devraient être réalisées avant de définir l’installation de mesure (He-ming Hu et al., Citation2010 ; Wang et al., Citation2010).

Le modèle retenu est stationnaire et deux équations de transport supplémentaires ont été adjointes aux équations de Navier-Stokes pour la prise en compte d’un modèle turbulence très classique de type k-ε. Le fluide est considéré comme incompressible (eau). Ces équations sont résolues avec la suite logiciel ANSYS-Fluent.

La montre le modèle d’ensemble prenant en compte la bathymétrie de la retenue. Les groupes centraux sont alimentés de manière très homogène alors que les prises d’eau de ceux de rive présentent une dissymétrie d’écoulement. Cela a des conséquences directes sur l’écoulement à l’intérieur de la conduite alimentant les turbines. Le respect des contraintes d’alignement droit et l’éloignement de toutes perturbation est parfois difficile à respecter. Il convient donc de vérifier via modélisation la qualité de ces écoulements.

Figure 7. Modèle CFD d’ensemble de la retenue et focus sur les prises d’eau des groupes.

Figure 7. Modèle CFD d’ensemble de la retenue et focus sur les prises d’eau des groupes.

La illustre le second modèle CFD à mailles fines localisées sur la conduite depuis la prise d’eau jusqu’en amont de la turbine. Plusieurs maillages ont été réalisés. Celui retenu pour les simulations contient environ 14 millions de cellules.

Figure 8. Illustration CFD d’écoulement parallèle à la conduite (image à gauche) pour les groupes du centre ou tourbillonnaire pour ceux de rive (image à droite).

Figure 8. Illustration CFD d’écoulement parallèle à la conduite (image à gauche) pour les groupes du centre ou tourbillonnaire pour ceux de rive (image à droite).

Il est constaté que toutes perturbations au droit de la prise d’eau se propagent dans la conduite aval jusqu’à l’amont de la turbine sans atténuation. Les groupes du centre alimentés de manière homogène présentent un écoulement parallèle à la conduite, ce qui est conforme aux mesures ultrason. Inversement les groupes de rives, selon la bathymétrie ou l’encombrement des grilles de prise d’eau, peuvent afficher un écoulement plutôt tourbillonnaire. Ce constat explique la disparité des mesures acoustiques sur un même plan de mesure pour une conduite donnée.

L’intérêt de la modélisation CFD est triple :

  • anticiper la position des équipements ultrason pour avoir une bonne estimation du débit malgré les perturbations hydrauliques ;

  • comprendre la disparité des mesures entre les cordes d’un même plan ;

  • vérifier la justesse du débit en fonction du nombre de cordes réellement disponible par comparaison entre le débit injecté dans la conduite modélisée et le débit estimé avec les valeurs de vitesses du modèle CFD à l’emplacement réel des cordes.

Le constat de ces modélisations valide le bon emplacement des capteurs ultrason et la justesse de l’estimation de débit quelles que soient les conditions d’alimentation des groupes tant que toutes les cordes de mesures fonctionnement correctement. Inversement en cas d’absence d’une ou plusieurs cordes de mesure, notamment sur les groupes de rives, l’incertitude sur le débit peut évoluer entre 1 et 20 %.

4.2.2. Estimation du débit en mode dégradé

Le logiciel de pilotage des équipements de mesures ultrason permet l’estimation du débit même en l’absence d’une ou plusieurs cordes de mesures. Comme constaté avec les mesures ou avec la modélisation CFD, ce mode dégradé doit être utilisé avec précaution. L’impact sur la précision de débit est mineur pour les groupes du centre où l’écoulement est parallèle à la conduite. A contrario, pour les groupes de rive, l’impact va fortement dégrader la précision de mesure.

Une attention particulière doit donc être portée sur le logiciel utilisé et les indicateurs qualité sur l’estimation de débit.

4.3. Test par jaugeage en aval usine

Comme indiqué précédemment, ces tests sont nécessaires pour fermer la boucle de validation de l’installation de débit en conduite. Pour que ces contrôles soient pertinents en termes d’incertitude, des jaugeages multi ADCP par palier de débit s’imposent :

  • multi-ADCP : pour avoir l’incertitude la plus petite possible, entre 2 et 3% ;

  • par palier de débit : pour extraire du jaugeage total aval usine la valeur de débit transitant par un groupe alors que les autres fonctionnent en simultané. Cette méthodologie s’avère particulièrement intéressante quand il est impossible d’arrêter tous les groupes de l’usine sauf celui à tester.

La illustre les jaugeages de 2008 réalisés avec un seul ADCP et le seul groupe G2 en fonctionnement. La comparaison entre l’évolution temporelle des jaugeages et l’évolution du débit en conduite G2 est encourageante et a motivé la poursuite de l’équipement des autres conduites entre 2010 et 2012. Ce test est nécessaire mais pas suffisant.

Figure 9. Évolution temporelle des jaugeages en aval usine avec un seul ADCP avec le seul G2 en fonctionnement versus les données ultrason du G2.

Figure 9. Évolution temporelle des jaugeages en aval usine avec un seul ADCP avec le seul G2 en fonctionnement versus les données ultrason du G2.

Le illustre la campagne de jaugeage multi ADCP (26 ADCP) réalisée en aval usine de 2010.

Tableau 2. Valeurs de débit total aval usine jaugé multi ADCP versus débit ultrason – avant et après correctif de Bug.

Une campagne analogue a été réalisée en 2012 permettant de valider l’ensemble des six groupes de l’usine de Génissiat.

Il est à noter que les premiers constats de 2010 montraient un écart entre débit jaugé et débit ultrason compris entre 4 % et 8 %. Ces valeurs étaient bien trop fortes au regard de l’incertitude de jaugeage multi ADCP et de l’incertitude attendue des équipement ultrason en conduite. Un examen a été demandé par CNR auprès du prestataire d’équipement ultrason sans leur transmettre les valeurs de jaugeage multi ADCP. Une erreur sur la longueur de corde acoustique a été détectée. En effet, il n’avait pas été pris en compte le fait d’avoir les capteurs en apparent à l’intérieur de la conduite. Usuellement les capteurs sont affleurant à la conduite.

La correction sur le paramétrage des équipements ultrason a réduit les écarts avec les jaugeages à une valeur d’environ 2 %, donc acceptable compte tenu des méthodes de mesures.

La illustre l’évolution des paliers de débit permettant d’extraire les débits du G1 et G4 lors de la journée du 13 octobre 2010 et du G6 et G2 pour la journée du 14 octobre 2010. L’hydrologie d’octobre et la capacité de l’usine étaient incompatibles avec un seul groupe en fonctionnement.

Figure 10. Palier de débit propice à l’extraction de la contribution d’un groupe sur la valeur du jaugeage total.

Figure 10. Palier de débit propice à l’extraction de la contribution d’un groupe sur la valeur du jaugeage total.

Les écarts de débit jaugés entre paliers ont permis d’extraire les contributions des valeurs de débit affectées à la mise en route de G1 et G4 le 13/10 et des G2 et G6 le 14/10.

A titre d’exemple, le débit QG1 du G1 pendant le palier « Q1 » correspond à la différence de débit entre Q1 et Q0*. Le débit Q0* correspond au débit de la configuration Q0 pendant le palier Q1. Or même en bloquant la position pale-vannage et autres organes de régulation, le débit Q0 évolue en fonction de la variation de hauteur de chute (H1-H0). Ainsi, le débit Q0* se déduit du Q0 en prenant en compte la variation de hauteur de chute qui influence directement la vitesse, la position du vannage étant stable pendant toute la durée des mesures :

QG1=Q1 Q0xH1H012

L’application de cette méthodologie de jaugeage par paliers successifs avec multi ADCP a permis de qualifier le débit sortant de chaque groupe. L’écart entre valeur ADCP et valeur ultrason conduite est de l’ordre de 2% sur les six groupes instrumentés à Génissiat.

Il est à noter que cette méthodologie avait été appliquée en 2009 sur un des groupes hydrauliques de l’usine de Châteauneuf-du-Rhône (P. Roumieu et al., Citation2010) et en 2011 sur l’aménagement de Vaugris (R. Roumieu et al., Citation2012). Un des groupes était équipé de capteurs scintillation (ASFM). Les écarts observés entre jaugeage multi ADCP et ASFM étaient de l’ordre de 1 % à 3 % tant sur le groupe de Châteauneuf-du-Rhone que celui de Vaugris.

5. Application à la cartographie des rendements

La recherche de précision sur les débits turbinés est motivée par l’enjeu d’optimisation de l’outil de production.

Ces valeurs de débit issues du système ultrason permettent de cartographier le rendement absolu de chaque groupe de l’aménagement de Génissiat. Il est utile de noter que ce rendement intègre l’ensemble du système depuis la prise d’eau jusqu’à l’alternateur.

La illustre l’évolution du rendement d’un des groupes de Génissiat en fonction du débit.

Figure 11. Exemple de cartographie du rendement d’un groupe en fonction du débit.

Figure 11. Exemple de cartographie du rendement d’un groupe en fonction du débit.

Cette cartographie s’obtient de manière automatique après quelques semaines de fonctionnement sans essai particulier. Les pointillés rouges montrent la bonne correspondance avec des essais ponctuels.

La illustre que chaque groupe dispose d’une courbe de rendement qui lui est propre. Les écarts constatés sur ces différentes performances de groupes sont bien supérieurs à l’incertitude de la mesure de débit par ultrason en conduite. Les écarts sont donc bien réels.

Figure 12. Écart significatif de rendement entre chaque groupe.

Figure 12. Écart significatif de rendement entre chaque groupe.

Les premières simulations d’optimisation du débit par groupe à durée de fonctionnement de groupe constant montrent un gain de l’ordre de 400 k€/an. Ce gain est à comparer aux 800 k€ d’investissement pour l’équipement des six groupes.

6. Conclusions et perspectives

La mise en place d’équipement de mesure de débit ultrason en conduite pour les usines de moyennes et basses chutes nécessite une approche multi-critères pour garantir une incertitude la plus réduite possible :

  • modéliser via CFD pour valider l’emplacement des équipements de mesure ;

  • jauger par palier de débit sur site à partir d’une approche mobilisant en simultané plusieurs ADCP pour valider la pertinence des valeurs de débit ultrason ;

  • analyser les données internes des équipements ultrason pour valider la mesure élémentaire de vitesse.

Ces trois approches sont complémentaires pour concevoir une installation de débit à moins de 1 %. La convergence des bons résultats de ces trois approches est un consensus optimal qui permet de garantir le bon fonctionnement. En effet, il n’existe pas d’équipement étalon à l’image d’un « méga débitmètre » étalonné à 0.1% pour valider à moins de 1 % l’installation ultrason en place dans ces usines de moyenne et basse chute.

La vérification régulière de ces systèmes s’impose pour garantir la pertinence des valeurs de débit dans le temps et leur exploitation pour optimiser les outils de production.

Enfin, il est très important de noter que l’investissement nécessaire pour mener à bien ce type de mesures s’avère très vite amorti par les gains de production obtenus.

Déclaration de divulgation

L’auteur ne déclare aucun intérêt concurrent.

Data Availability Statement

Les données présentées et utilisées dans cet article peuvent être demandées auprès de l’auteur sur demande raisonnable. à « [email protected] ».

Références

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