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Hydroscience Journal
Volume 110, 2024 - Issue 1
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Research Article

Mise en oeuvre de la surveillance réglementaire des réseaux d’assainissement. L’expérience des agglomérations lyonnaise et nantaise (1990–2015)

Implementation of regulatory monitoring of wastewarer systems. The experience of the Lyon and Nantes cities (1990–2015)

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Article: 2363621 | Published online: 20 Jun 2024

RÉSUMÉ

Cet article s’intéresse à la mise en œuvre de la démarche d’autosurveillance des réseaux d’assainissement, obligatoire en France depuis 1994. Cette démarche vise à contrôler surtout les rejets d’eaux usées non traitées par temps de pluie dans les milieux récepteurs. Sa mise en œuvre n’est pas encore généralisée parmi les collectivités territoriales. L’article a pour objectif d’examiner ces difficultés. Pour cela, il s’appuie sur une analyse du cadre législatif et réglementaire de l’autosurveillance et deux études de cas : la Métropole de Lyon et Nantes Métropole, qui se sont engagées dans cette démarche à la fin des années 1990. Ces études de cas portent sur l’organisation déployée pour gérer cette surveillance. Elles ont impliqué la réalisation d’observations et d’entretiens au sein des services mobilisés dans l’autosurveillance (collectivités territoriales et agence de l’eau). Les études de cas montrent que l’obligation réglementaire est à l’origine du développement de l’autosurveillance. Celle-ci modifie l’organisation des services enquêtés, tout particulièrement à Lyon. Les changements permettent de répondre aux exigences réglementaires (produire des données sur les rejets). Toutefois, les moyens disponibles (personnels et budget) se révèlent limités pour exploiter totalement les potentialités des systèmes de mesure installés et répondre aux enjeux environnementaux rappelés par la réglementation.

ABSTRACT

This article looks at the implementation of the self-monitoring approach for wastewater systems, mandated in France since 1994. Specifically, it focuses on monitoring untreated wastewater discharges, particularly by wet weather into receiving water. The adoption of this approach remains limited among French local authorities. This article aims to analyze the challenges associated with its implementation. To do this, the article is based on an analysis of the legislative and regulatory texts establishing the self-monitoring approach and two cases studies: the Metropole of Lyon and Nantes Métropole, which adopted this approach in the late 1990s. The study incorporates on-site observations and interviews within the departments involved in this approach (local authorities and water agency). In both case studies, regulatory requirements drove the adoption of self-monitoring practices. This led to organizational changes within local authority departments, with more pronounced adjustments observed in Lyon compared to Nantes. While these new organizations facilitated compliance with regulatory (generating discharge data), their capacity to fully leverage installed systems and address environmental imperatives outlined in regulations is limited. These limitations are primarily attributed to resource deficiencies, including shortages in staff, expertise, and technical know-how.

1. Introduction

Cet article porte sur la surveillance des réseaux d’assainissement développée en France à partir des années 1990. Cette surveillance vise à mieux contrôler les rejets d’eaux usées non traitées dans les milieux aquatiques récepteurs (fleuve, rivière, lac, étang, etc.). Ces rejets ont lieu principalement lors d’événements pluvieux importants entrainant un dépassement des capacités hydrauliques des réseaux ou des stations de traitement des eaux. Ils se font au niveau de différents ouvrages d’évacuation : déversoirs d’orage des réseaux unitaires et en tête des stations de traitement et trop-pleins des postes de refoulement des réseaux séparatifs. Ils sont en grande partie responsables de la détérioration de la qualité écologique des milieux aquatiques.

La surveillance des réseaux d’assainissement mise en œuvre relève d’un ensemble de textes législatifs et réglementaires, européens et français, portant sur la collecte et le traitement des « eaux résiduaires urbaines ».Footnote1 Ces textes (en particulier les directives et les lois) reprennent à leur compte des enjeux environnementaux sur la qualité des masses d’eau et fixent des objectifs à atteindre pour l’état écologique de ces milieux. Pour répondre à ces objectifs, l’Arrêté du 22 décembre 1994 relatif à la surveillance des ouvrages de collecte et de traitement des eaux usées définit une procédure couramment appelée « la démarche d’autosurveillance ».

Cette procédure consiste à produire des données pour suivre les flux transitant dans les réseaux d’assainissement et caractériser leurs rejets non traités vers les milieux récepteurs. Sa mise en œuvre est obligatoire et s’impose aux exploitants de réseaux (communes, intercommunalités ou délégataires). Elle implique le déploiement de dispositifs techniques et d’une organisation pour faire fonctionner ces dispositifs. Ceux-ci sont deux types :

  • un système de métrologie composé d’appareils de mesure (généralement des capteurs posés dans les réseaux) et d’appareils de stockage et de transmission (des transmetteurs et des automates) placés dans une armoire électrique située en surface, à proximité des capteurs ;

  • un système de supervision intégrant des logiciels de télésurveillance et de traitement automatique des données installé dans les bureaux des services d’assainissement.

Les mesures produites par les capteurs sont transmises via des connexions téléphoniques ou internet au système de supervision où elles sont traitées et exploitées par les services compétents.

En dépit de son caractère obligatoire, la mise en œuvre de l’autosurveillance des réseaux n’est aujourd’hui pas généralisée parmi les collectivités territoriales françaises (Chabanel-Durrand et al., Citation2018 ; Graie, Citation2019 ; Ollagnon, Citation2012). D’après les recherches et bilans réalisés (Alis et al., Citation2001 ; Deshons & Laplace, Citation2001 ; Graie, Citation2013, Citation2016 ; Hodeau & Varnier, Citation2001 ; Joannis, Citation2001 ; Meradou, Citation2001), les difficultés rencontrées par les exploitants de réseaux sont liées aux appareils de métrologie (choix), aux données produites (stockage, traitement et validation) et aux coûts élevés de la démarche. Dans l’ensemble, ces travaux traitent peu des conditions organisationnelles de son déploiement. Cet article vise à combler ce manque et traite de ces conditions. De quelles manières la démarche d’autosurveillance est-elle mise en œuvre par les exploitants de réseaux ? Comment modifie-t-elle les organisations existantes ? En quoi la réglementation oriente-t-elle cette mise en œuvre ?

Pour répondre à ces questions, nous étudierons l’expérience de deux collectivités territoriales, la Métropole de Lyon et Nantes Métropole, qui se sont engagées dans la démarche à la fin des années 1990. Ces études de cas ont impliqué la réalisation d’entretiens et d’observations directes au sein des services mobilisés dans cette démarche. Cette enquête de terrain a été réalisée durant les années 2012, 2013 et 2014. Elle a été complétée par une analyse des textes législatifs et réglementaires, européens et français relatif au suivi et au contrôle des systèmes d’assainissement collectif (Baati, Citation2021 ; Toussaint et al., Citation2016). Ces enquêtes permettent de mieux comprendre les conditions de mise en œuvre de la démarche d’autosurveillance et les difficultés que cette mise en œuvre soulève.

2. L’autosurveillance : une démarche normalisée

La démarche d’autosurveillance dépend d’une série de textes législatifs et réglementaires (directives, lois, arrêtés, décrets, etc.). Notre étude porte plus particulièrement sur les textes parus entre 1990 et 2015Footnote2 (). Ces textes intéressent à la fois les ouvrages à instrumenter, les types de mesure à réaliser, les données à produire et les contrôles à effectuer.

Tableau 1. Les textes législatifs et réglementaires encadrant l’autosurveillance des réseaux (1990–2015).

Ainsi, les ouvrages de collecte à surveiller et les paramètres à considérer sont définis réglementairement en fonction de la Charge brute de pollution organique (CBPOFootnote3) transitant par temps secs en amont de ces ouvrages et de valeurs seuils. Trois catégories d’ouvrages sont distinguées : les déversoirs d’orage des réseaux unitaires, les trop-pleins des postes de refoulement équipant les réseaux séparatifs d’eaux usées et les tronçons de réseaux. Les paramètres à étudier peuvent concerner, selon les cas, les débits ou la charge polluante déversés dans les milieux récepteurs, les temps journaliers de déversement ou les débits de transit dans le réseau. Ce sont des mesures ou des estimations. Le présente une synthèse des règles générales à appliquer définies par la réglementation. Pour les déversoirs d’orage, il existe une possibilité de déroger à ces règles. Avec l’accord du préfet, la surveillance peut être limitée à l’ensemble des déversoirs d’orage représentant au moins 70% de la totalité des rejets annuels du système de collecte. Pour obtenir cette dérogation, l’exploitant des réseaux doit justifier auprès du préfet des coûts excessifs que l’application de la règle générale constituerait pour la collectivité territoriale.

Tableau 2. Identification des ouvrages de collecte à surveiller et type de surveillance à mettre en place.

La réglementation fixe également les contrôles à différentes étapes de la mise en œuvre de la démarche d’autosurveillance. Ces contrôles sont réalisés par l’agence de l’eau et la police de l’eau. Le premier contrôle porte sur la définition du dispositif de surveillance et son déploiement. Pour cela, l’exploitant de réseaux rédige un manuel d’autosurveillance dans lequel il définit les points de mesure et les équipements envisagés ainsi que l’organisation prévue pour la gestion et l’exploitation de ces équipements. L’agence de l’eau vérifie la pertinence a priori de cette installation et de cette organisation. Lors de la mise en fonctionnement de l’installation, elle contrôle aussi la conformité des dispositifs installés avec les indications du manuel et la qualité des données produites.Footnote4

Une fois le système d’autosurveillance déployé, la réglementation prévoit d’autres contrôles mensuels et annuels. Le bon état de marche du système est vérifié chaque année par l’agence de l’eau : cette vérification consiste à s’assurer de la présence des instruments permettant les mesures prévues et de la représentativité des données produites. Ces données sont contrôlées plus précisément à travers des bilans mensuels et annuels élaborés par l’exploitant de réseaux et envoyés à l’agence de l’eau et à la police de l’eau. Les bilans mensuels comprennent les débits moyens journaliers des rejets des effluents non traités dans les milieux récepteurs, calculés à partir des données acquises par les appareils de mesure. Ces bilans sont envoyés sous un format informatique particulier, réglementaire, le format SANDRE, développé par le Service d’administration nationale des données et référentiels de l’eau. L’agence de l’eau examine ces bilans afin d’identifier les données correctes et utilisables. Cet état est défini par la réglementation. Selon celle-ci, une donnée est considérée comme correcte et utilisable si elle a été envoyée dans les délais prescrits et dans le format requis (ici mensuellement et dans le format SANDRE) et que le fonctionnement du dispositif de mesure a été évalué comme correct (MEDDAT, Citation2009). L’agence de l’eau transmet les résultats de cet examen à la police de l’eau. Le bilan annuel consiste en une synthèse des données d’autosurveillance produites dans l’année et des performances du système d’assainissement. Comme les bilans mensuels, il est envoyé à la fois à l’agence de l’eau et à la police de l’eau. La réglementation prévoit en outre une procédure pour des circonstances exceptionnelles de fonctionnement qui entraineraient des rejets d’effluents par temps sec. D’après cette procédure, les données acquises pendant cette période (hauteurs ou vitesse d’effluents) doivent être transmises immédiatement aux autorités de contrôle selon les modalités mentionnées dans le manuel d’autosurveillance.

De cette façon, les textes législatifs et réglementaires orientent fortement la mise en œuvre de la démarche d’autosurveillance par les exploitants de réseaux. La marge de manœuvre de ceux-ci peut apparaître restreinte : elle réside en grand partie dans l’organisation des personnels et le choix des appareils de mesure et des outils de traitement des données. Afin d’analyser l’application de ces textes, nous nous intéressons dans les deux parties suivantes à deux collectivités territoriales, la Métropole de Lyon et Nantes Métropole, qui se sont engagées dans une démarche d’autosurveillance à la fin des années 1990, suite à la publication de l’arrêté du 22 décembre 1994.

3. La Métropole de Lyon : création d’une entité spécialisée en métrologie des réseaux

Dans l’agglomération lyonnaise, le service d’assainissement urbain est géré en régie directe par la Direction de l’eau de la Métropole de Lyon. Cette situation n’a pas évolué depuis 1966, date de la création de la communauté urbaine de Lyon. Dans ces conditions, c’est la Direction de l’eau qui est à l’origine du développement de la surveillance des réseaux. Dans les années 2000, 24 sites de mesure ont été créés sur les réseaux. Cet équipement s’est fait en deux phases :

  • 2001–2002 : 6 sites sur des déversoirs d’orage (suivi des débits de rejet), 5 sites sur des collecteurs (suivi des débits de transit) et 4 sites à l’exutoire de zones industrielles (suivi de paramètres physico-chimiques et des concentrations en polluants) ;

  • 2005–2007 : 4 sites sur des déversoirs d’orage et 5 sites sur des collecteurs.

Ces sites de mesure s’ajoutent aux 30 pluviomètres installés dès 1986 dans l’agglomération dans le cadre de la lutte contre les inondations. Le réseau de surveillance lyonnais est ainsi composé de 54 sites de mesure (). La création des premiers sites de mesure en réseau s’accompagne du déploiement d’un système de télégestion et de supervision, permettant de traiter et d’exploiter les données produites. Ce système intègre un logiciel d’aide à la validation des données, appelé Supervision de la télégestion lyonnaise de l’assainissement (STELLA).

Tableau 3. Principales caractéristiques des études de cas.

La situation lyonnaise est particulière dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse en raison du nombre important de déversoirs d’orage. Un inventaire réalisé en 1996 en compte 397 dont 102 qui devraient être surveillés en continu selon la réglementation (). L’équipement de ces ouvrages apparaît trop onéreuxFootnote5 pour la collectivité territoriale, qui demande à bénéficier de la règle dérogatoire. Cette demande est acceptée par le préfet du Rhône. L’identification des déversoirs d’orage responsables d’au moins 70% des rejets annuels du système d’assainissement passe par la modélisation hydraulique du réseau d’assainissement développée par le service Études de la Direction de l’eau. Le modèle hydraulique permet de hiérarchiser les rejets du système d’assainissement par temps de pluie et de sélectionner les ouvrages à équiper.

Cette solution marque la première organisation de l’autosurveillance dans l’agglomération lyonnaise. Elle amène la Direction de l’eau à créer en 2000 une entité spécialisée au sein de son service Études : l’unité Autosurveillance. Cette unité est chargée de la modélisation hydraulique du réseau, de l’identification des ouvrages et des tronçons à instrumenter, du choix des équipements à installer et de l’exploitation des pluviomètres. Cette organisation fonctionne jusqu’en 2002. À cette période, elle n’apparaît plus adaptée aux objectifs fixés par la Métropole de Lyon. Deux nouvelles entités sont créées : l’unité Études générales et modélisation au sein du service Études et l’équipe Métrologie réseau au sein du service Exploitation réseau. La première entité est chargée de la modélisation et des pluviomètres ; la seconde du développement et de l’exploitation de l’autosurveillance des réseaux. En 2003, le service Pilotage eaux usées et autosurveillance, nouvellement créé, se dote d’une mission de coordination des acteurs de l’autosurveillance, qui complète ce dispositif organisationnel. Cette mission s’occupe en particulier des relations de la collectivité territoriale avec l’agence de l’eau et la police de l’eau.

L’équipe Métrologie réseau effectue la majorité des tâches relevant de l’autosurveillance. Elle est composée de huit personnes : un responsable (technicien), un responsable adjoint (agent de maîtrise principal), deux chefs d’équipe (agents de maîtrise) et quatre agents. Elle agit sur tout le territoire de la Métropole de Lyon. À partir de la liste des ouvrages à surveiller établie par l’unité Études générales et modélisation, l’équipe prépare un programme annuel d’équipement. Elle choisit les capteurs à installer, détermine leur emplacement dans le réseau et réalise le montage des armoires électriques (câblage des appareils et connexions aux réseaux téléphoniques, électriques et internet). L’équipe assure également la maintenance des appareils de mesure. Elle vérifie pour cela le fonctionnement des chaines de mesure et l’état de marche des capteurs selon des modes opératoires normalisés. Elle répare aussi les pannes, qui peuvent être signalées par le système de supervision (absence de mesure) : par exemple rétablissement d’une ligne téléphonique ou remplacement d’un appareil hors service. Elle récupère en outre les échantillons d’eaux usées sur les sites équipant les exutoires des zones industrielles et les amène au laboratoire de la Métropole de Lyon, qui les analyse. Elle valide enfin les données produites avec le logiciel d’aide à la validation intégré dans le système de supervision. Chaque jour, les données de la veille sont traitées, sauf le lundi où les données du vendredi et du week-end sont examinées. Le système de supervision calcule avec les données mesurées (hauteurs et/ou vitesse des effluents) les débits moyens journaliers de rejet. Trois types de données sont alors identifiés en fonction de valeurs seuils fixées préalablement pour chaque ouvrage.

  • Les données qualifiées comme « bonnes » sont automatiquement validées.

  • Les données « mauvaises » ou « douteuses » ne sont pas automatiques validées et sont analysées manuellement par un agent. Celui-ci peut soit les accepter et les valider, soit les rejeter et les substituer par des valeurs reconstituées. Ces valeurs sont établies à partir de courbes d’étalonnage hauteur-débit déterminées expérimentalement pour chaque ouvrage ou d’une formule empirique.Footnote6 Ces relations sont intégrées dans le système de supervision.

  • Les données manquantes (qui n’ont pas pu être reçues par le système de supervision en raison d’un défaut sur un appareil) sont aussi remplacées par des valeurs reconstituées.

L’exploitation de ces données est essentiellement réglementaire. Les données validées et reconstituées sont utilisées par le service Pilotage eaux usées et autosurveillance pour élaborer les bilans réglementaires (mensuels et annuels). Ces bilans sont envoyés par ce service à l’agence de l’eau et à la police de l’eau. Seule l’agence de l’eau fait un examen de ces bilans. Cet examen est relativement sommaire et n’a lieu qu’une fois par an en raison des moyens limités de l’agence.Footnote7 Celle-ci s’attache surtout à surveiller les rejets par temps sec, qu’elle juge les plus problématiques pour la qualité des milieux récepteurs.

Les données produites sont par ailleurs enregistrées pour une durée de six mois sur la base de données VIGILANCE partagée par les services de la Direction de l’eau. Leur exploitation par les autres services est limitée à cause de l’absence d’information fiable sur leur qualité. Les incertitudes sur ces données (résultant des appareils utilisés et de la configuration non standardisée des ouvragesFootnote8) ne sont aujourd’hui pas estimées. Cette estimation nécessiterait des compétences en statistiques et en gestion de données qui ne sont aujourd’hui pas disponibles à la Direction de l’eau (du moins pour cette tâche).

4. Nantes Métropole : une coopération entre services pour gérer l’autosurveillance

Pendant la période étudiée (1990–2015), l’organisation du service d’assainissement dans l’agglomération nantaise a changé trois fois, en partie sous l’effet de modifications touchant les coopérations intercommunales. En dépit de ces changements, l’autosurveillance des réseaux est restée gérée par les collectivités territoriales. Sa mise en œuvre à la fin des années 1990 s’appuie d’abord sur un ensemble de dispositifs de mesure installés par la ville de Nantes sur son territoire. L’installation de ces dispositifs est liée au déploiement, au début des années 1980, d’une démarche de diagnostic permanent du réseau d’assainissement. Ces dispositifs comprennent 8 points de mesure sur des déversoirs d’orage, 7 pluviomètres et 3 points de suivi de cote sur des cours d’eau récepteurs. Pour répondre aux obligations de l’arrêté du 22 décembre 1994, ce réseau de mesure est étendu à toute l’agglomération nantaise. Cette extension se fait en deux phases (1996–1999 et 2004–2006) en partenariat avec l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Les règles générales sont appliquées pour le choix des ouvrages instrumentés (). Aujourd’hui, le réseau de mesure nantais compte 89 points (). Comme dans l’agglomération lyonnaise, il est associé à un système de télégestion et de supervision, qui intègre une application d’aide à la validation données, dénommée Mesures informatisées pour l’autosurveillance des réseaux (MINAUTOR).

Depuis les années 1990, l’organisation de l’autosurveillance a évolué avec les changements affectant le service d’assainissement. Jusqu’en 2000, le Syndicat d’assainissement de l’agglomération nantaise (SAAN) gère l’assainissement pour treize communes de l’agglomération dont Nantes. C’est lui qui lance la première phase d’extension du réseau de mesure. Il délègue l’exploitation de ces nouveaux points de mesure à la Régie municipale d’assainissement de la ville de Nantes (RMA Nantes). Celle-ci constitue alors une cellule Métrologie pour assurer cette tâche. Cette cellule est composée de personnels volontaires issus de différents services de la régie. Le 30 décembre 2000, le SAAN est dissout et ses compétences d’assainissement sont transférées à la communauté urbaine de Nantes (Nantes Métropole), instituée le 1er janvier 2001. Cette nouvelle collectivité territoriale met en place une gestion mixte de l’assainissement : une partie du service est gérée en régie directe, l’autre partie est déléguée à des entreprises privées. Pendant les années 2001–2012, Nantes Métropole est organisée avec une Direction de l’eau et une Direction d’assainissement. Celle-ci a la gestion du dispositif d’autosurveillance. Elle reprend l’ancienne organisation de la RMA Nantes et forme une cellule Métrologie pour gérer ce dispositif. Cette cellule réunit une douzaine de personnes dont la plupart travaillait précédemment dans la cellule de la régie. En 2012, Nantes Métropole opère un nouveau changement afin de mieux gérer ses services d’eau et d’assainissement ainsi que ses relations avec les exploitants privés. Deux nouvelles directions sont créées et remplacent les Directions de l’eau et l’assainissement : la Direction du cycle de l’eau (DCE) et la Direction des opérateurs publics de l’eau et de l’assainissement (DOPEA). La DCE est l’autorité organisatrice, qui définit la politique publique de l’eau et de l’assainissement. Elle fixe également pour les opérateurs privés et publics le niveau de service à rendre et sa tarification. La DOPEA est structurée en deux pôles : le pôle Eau et le pôle Assainissement. L’autosurveillance des réseaux dépend de ce second pôle. Dans cette nouvelle organisation, la cellule Métrologie disparaît et ses activités sont réparties entre des personnels de ce pôle :

  • le magasinier du service Logistique;

  • le technicien responsable de l’unité Exploitation STEPFootnote11 et métrologie ;

  • les électromécaniciens du service Exploitation équipement assainissement ;

  • les égoutiers du service Exploitation réseau assainissement.

Les tâches de l’autosurveillance s’ajoutent aux tâches initialement affectées à ces acteurs. Leur réalisation est donc moins régulière et quotidienne qu’à Lyon. Elle correspond à 1,5 équivalents temps plein. Les activités d’autosurveillance réalisées à Nantes recoupent en grande partie celles observées à Lyon. Elles comprennent la récupération in situ de données qui ne sont pas directement transmises au système de supervision, la vérification des chaînes de mesure, le traitement et la validation des données produites par le système de supervision. La récupération des données in situ est effectuée une fois par mois par le magasinier et concerne des détecteurs de surverse, qui enregistrent l’heure et la durée des déversements. La vérification des appareils est biannuelle. Elle se déroule lors de deux campagnes dites d’étalonnage organisées par le magasinier. Ces campagnes durent entre une semaine et dix jours et mobilisent, en plus du magasinier, des électromécaniciens et des égoutiers (lorsque le travail à réaliser nécessite de descendre dans les égouts). En dehors de ces campagnes, il n’y a pas de vérification de l’état de marche des appareils. Les alertes du système de supervision ne sont par exemple pas suivies. Dans ces conditions, une panne sur un appareil peut durer longtemps et altérer les données produites sur une grande période. Le traitement et la validation des données sont effectués par le technicien responsable de l’unité Exploitation STEP et métrologie. Comme dans l’agglomération lyonnaise, l’application intégrée dans le système de télésurveillance permet de calculer les débits moyens journaliers déversés et de qualifier les données produites. Les données « bonnes » sont validées automatiquement ; toutes les autres données (« mauvaises », « non représentatives » et « suspectes ») sont rejetées. Le technicien remplace ces données et les données manquantes par des données reconstituées à partir de relations hauteurs-débits établies pour chaque ouvrage et incluses dans l’application.

Compte tenu de sa charge de travail au moment de l’enquête, le technicien examine seulement les données issues des points de mesure sur les ouvrages d’évacuation (essentiellement des déversoirs d’orage). Ainsi, depuis 2012, les données sur les débits de transfert ne sont plus traitées. Avant cette date, une aide de l’agence de l’eau Loire-BretagneFootnote12 couvrait intégralement les coûts d’exploitation des dispositifs de mesure (environ 1 équivalent temps plein). Sa suppression en 2012 n’a pas été compensée par des moyens supplémentaires alloués au budget de l’autosurveillance et les activités de celle-ci ont été réduites. Outre l’examen restreint des données, lors de nos observations, les données validées ne sont plus transcrites dans le format SANDRE et les bilans réglementaires ne sont plus envoyés à l’agence de l’eau ni à la police de l’eau. Le technicien justifie cet arrêt par sa trop grande charge de travail et l’absence de retour de l’agence de l’eau à ses envois précédents. Cet arrêt n’a pas suscité de réaction des autorités de contrôle.

L’exploitation des données validées est de cette manière relativement limitée. Toutes ces données sont stockées sur le serveur de la DOPEA et sont également à la disposition de la DCE. La DOPEA ne les utilise pas au-delà de l’analyse du technicien chargé de leur validation. La DCE pourrait les exploiter, mais l’organisation de la base de données actuelle ne correspond pas à ses besoinsFootnote13 et cette direction n’a pas les moyens de la reprendre.

5. Conclusions

Les expériences lyonnaise et nantaise rendent compte des effets de la réglementation sur la mise en œuvre et le développement de l’autosurveillance. Si les deux agglomérations comptaient des dispositifs de mesure avant la publication de l’Arrêté du 22 décembre 1994, elles ont étendu et diversifié ces dispositifs à la fin des années 1990 afin de mieux répondre aux objectifs réglementaires.

Le déploiement de ces dispositifs a entrainé des réorganisations au sein des services en charge de l’assainissement des deux collectivités territoriales étudiées. L’organisation lyonnaise a été rapidement stabilisée : l’organisation actuelle (une équipe dédiée à l’autosurveillance) date de 2002. Dans l’agglomération nantaise, les premières organisations de l’autosurveillance étaient semblables à celle de Lyon et se structuraient autour d’une entité spécialisée. Cette entité a été supprimée en 2012 et a été remplacée par une organisation de moindre ampleur (collaboration entre services). Dans tous les cas, ces organisations se sont accompagnées d’une montée en compétences des personnels engagés dans l’autosurveillance. Ces personnels n’étaient pas au départ spécialistes de la métrologie, ni du traitement de données. Ils se sont formés progressivement pour être capables de réaliser les tâches nécessaires au fonctionnement et à l’exploitation des dispositifs de mesure et de traitement des données. Pour cela, ils ont suivi des formations proposées par leur hiérarchie et portant sur des points particuliers : par exemple habilitation électrique (Lyon) et systèmes de validation des données (Lyon et Nantes). Ils ont aussi appris « sur le tas » en consultant les notices des appareils et avec l’expérience.

Nos études de cas mettent également en évidence les limites de la réglementation quant au déploiement de l’autosurveillance et à l’amélioration de la qualité des milieux aquatiques. Les organisations mises en œuvre permettent de répondre a minima à la réglementation, c’est-à-dire calculer des débits moyens journaliers de déversement dans les milieux récepteurs et produire des bilans mensuels et annuels. En dehors de la production de ces données, l’exploitation des données recueillies est réduite. D’autres utilisations possibles sont néanmoins évoquées par les acteurs rencontrés : elles concernent en particulier l’amélioration des modèles hydrauliques des réseaux d’assainissement et l’évaluation des impacts des rejets directs dans les cours d’eau classés sensibles (par temps sec et lors d’épisodes pluvieux). Ces utilisations ne sont pas mises en place faute de moyens.

Ce problème de moyens est récurrent dans les discours des personnes interviewées (collectivités territoriales et agence de l’eau). Il n’est pas propre aux seules agglomérations étudiées et trente ans après la publication de l’Arrêté du 22/12/1994, il n’apparaît pas résolu (Chabanel-Durrand et al., Citation2018 ; Graie, Citation2019 ; Ollagnon, Citation2012). L’analyse des expériences lyonnaise et nantaise montre les conséquences de ce manque de moyens sur l’exploitation des systèmes d’autosurveillance et des informations contenues dans les données acquises. Cette exploitation reste partielle, voire sommaire. Dans ces conditions, les objectifs environnementaux à l’origine de la démarche (préserver les milieux aquatiques et améliorer leur qualité écologique) sont peu travaillés. Dans l’agglomération nantaise, ce problème de moyens fragilise plus largement l’organisation créée pour gérer le système d’autosurveillance. La pérennisation de cette organisation pourrait être remise en cause. De fait, si les obligations règlementaires en matière d’autosurveillance des réseaux peuvent inciter des collectivités territoriales à s’engager dans la démarche, elles semblent actuellement insuffisantes pour orienter leur budget et dégager les moyens nécessaires pour un déploiement optimal de l’autosurveillance et une préservation efficace des milieux aquatiques.

Disponibilité des données

Les données qui étayent les résultats de cette étude sont disponibles auprès de l’auteur correspondant, sur demande raisonnable.

Remerciements

Ce texte reprend un travail d’enquête réalisé dans le cadre du programme de recherche ANR-ECOTECH 2011 « Méthodologie et outils opérationnels de conception et de qualification de sites de mesures en réseau d’assainissement (MENTOR) » (ANR 11 ECOT 007 01).

Notes

1 D’après la Directive 91/271/CEE, les eaux résiduaires urbaines regroupent les eaux ménagères seules ou le mélange des eaux ménagères avec des eaux usées industrielles, des eaux de ruissellement ou encore les deux.

2 Cette période débute avec la publication des premiers textes sur l’autosurveillance au début des années 1990 et se termine à la fin de notre enquête en 2015.

3 La CBPO est égale à la Demande biochimique en oxygène en cinq jours (DBO5) calculée sur la base de la charge journalière moyenne de la semaine au cours de laquelle la plus forte charge de substances polluantes de l’année est produite (CGCT, art. R. 224–6).

4 Un jour de déversement correspond à un déversement continu durant moins de 24 heures ou à plusieurs déversements successifs dans une même journée.

9 Au moment de l’enquête (2012–2014). Aujourd’hui, les opérateurs de l’assainissement sont l’entreprise SUEZ et Nantes Métropole.

10 Nous reprenons ici les recensements des deux collectivités territoriales, qui comptent différemment leurs points de mesure : la Métropole de Lyon inventorie les sites de mesure (qui peuvent comprendre plusieurs points de mesure), Nantes Métropole la totalité des points, indépendamment des sites.

5 À titre d’exemple, les coûts d’équipement d’un point de mesure en réseau varient entre 15 000 et 50 000 euros ; les coûts de leur exploitation sont évalués en moyenne à 8 500 euros ; le remplacement d’un capteur peut atteindre18 000 euros (Baati, Citation2021).

6 L’équation de Manning-Strickler.

7 D’après la réglementation, les agences de l’eau devraient analyser les bilans mensuels à leur réception, c’est-à-dire chaque mois.

8 Par exemple, les géométries irrégulières des déversoirs d’orage ne correspondent pas aux standards utilisés par les appareils de mesure (Laurent et al., Citation2006). Cette inadéquation peut altérer la qualité des mesures. Historiquement, la conception et la construction de ces ouvrages ne dépendent pas de normes de dimensionnement. Elles sont liées à la configuration du réseau existant et aux possibilités de l’aménager (Chocat B. (coord.), EURYDICE 92, Citation1997).

11 Station d’épuration des eaux usées. Ces stations sont aussi appelées Station de traitement des eaux usées (STEU).

12 L’Aide au transfert maximum, en vigueur sur la période 2007–2012.

13 Par exemple, mieux comprendre le fonctionnement des réseaux séparatifs d’eaux usées, en particulier leurs rejets dans des petits cours d’eau sensibles de l’agglomération.

Références

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