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Le Type Timbre-Poste

Pages 216-228 | Published online: 04 Dec 2015

NOTES

  • De la création actuelle de mots nouveaux dans la langue française et des lois qui la régissent (Paris 1877) 156 ff.
  • Au sujet des deux derniers mots Darmesteter ajoute les notes suivantes:
  • Vigneron, l'homme-canon, telle est l'affiche qu'on lisait naguère sur les murs de Paris. Ce Vigneron portait sur son épaule un canon chargé que l'on faisait partir….
  • [l'homme-chandelle] Nom donné par le Petit-Journal à un voleur qui, dans ses exploits, avait pour tout instrument une chandelle.
  • On ne doit pas confondre l'omission d'une préposition comme dans le type moderne timbre-poste avec le procédé du type anc.fr. la fille le roi, où le second nom est au cas oblique, celui-ci continuant le génitif-datif latin.
  • Ces deux expressions ont donné lieu à l'adjectif nord-africain et même aux noms Nord- Amérique, Nord-Afrique—lesquels, selon Thérive (Querelles de langage, 2.68 ff., 1933) ne sont supportables qu'avec l'article au masculin (comme s'il était accordé avec le nom Nord); la Nord-Afrique (Amérique), où l'inversion saute aux yeux, serait du dernier barbarisme.
  • Je laisse de côté le second exemple de Darmesteter, café-concert, parce que celui-ci n'aurait jamais pu représenter l'apposition, avec le sens que D. lui attribue; comment un café peut-il être un concert? Dans le ‘traité’ servant d'introduction au Dictionnaire Générale, café-concert est traduit ‘café où se donne un concert,’ mais figure toujours dans le paragraphe ‘apposition.’
  • Darmesteter ne nous dit pas que la formation café-concert est le remplaçant de café- chantant (forcément sans préposition) ‘café où l'on chante’; pour cet emploi du participle présent, cf. une rue passante, une école payante etc.
  • Puisque la formation roman-feuilleton semble avoir été improductive dans le développement que postule Darmesteter, il aurait fait mieux de choisir un composé tel que cannesabre. Celui-ci, comme roman-feuilleton, est susceptible d'une interprétation soit comme apposition (‘canne qui est un [sert de] sabre’) soit comme ellipse (‘canne à sabre’: cf. canne à épée); de plus, le rapport ‘trait caractéristique,’ au contraire du type suspect *maison campagne, est bien représenté dans les composés elliptiques: cf. le fauteuil-médaillon (homme-canon etc.) de Darmesteter.
  • Une condition nécessaire de la formation de composés A de B, A à B, selon l'opinion générale des grammariens, est l'omission de l'article devant le second nom: une robe de femme est un composé, mais non pas une robe de la femme, ou même la robe d'une femme.
  • Lasituation est pourtant plus compliquée: d'une part, l'absence de l'article ne garantit pas le caractère de composé: cf. les expressions partitives comme une quantité de lait, un verre de lait, ou le type similaire, une pyramide de gâteaux. Ici nous n'avons pas le concept unifié indispensable au composé: un verre de lait n'est pas une espèce particulière de verre, ni une pyramide de gâteaux une espèce particulière de pyramide: le second nom, loin d'être subordonné au premier, est le plus important des deux. Il en est de même des noms propres qui ne comportent pas d'article: une tragédie de Corneille ne montre pas de subordination mais évoque l'individu nommé.
  • D'autre part, on hésiterait à refuser le titre de composé à peinture à l'huile à cause de la présence ici de l'article qui manque dans lampe à huile: dans les deux formations le second nom qualifie le premier. Le fait est que l'article est plus fermement établi en français qu'en anglais et que, dans quelques catégories surtout, il est difficile à déloger, même quand le nom sert à qualifier.
  • Continuant non seulement le lat. ad (lui-même enrichi par le fait d'avoir absorbé certaines fonctions du datif et du génitif) mais aussi apud.
  • Ce type, d'ordre commercial, apparaît chez Saint-Exupéry (Pilote de guerre, New York 1942) nuancé de poésie ou d'ironie:
  • Lespetits châteaux de province eux-mêmes qui, avec leur pelouse un peu ridicules et leurs douzaines d'arbres apprivoisés, paraissent des écrins naifs pour jeunes filles candides, ne sont que pièges de guerre. (156).
  • Jecomprends mieux l'image de mon feu pour aveugle. Si l'aveugle marche vers le feu c'est qu'est né en lui le besoin du feu. (214).
  • Ilnous faut demeurer bien visibles, et offrir ainsi au tir allemand une cible pour écoliers. (152).
  • Cela ne veut pas dire que tous les composés (ou types de composés) avec de mentionnés ci-dessus remontent à des formations antérieures avec à: il n'existait probablement pas de composé *goupille à sécurité. Dans le cas de certains rapports, il n'y avait pas de composés correspondants: le développement de la prép. de ne se définit pas exclusivement en fonction de la déchéance de la prép. à.
  • Cf. pourtant fer à chauffage.
  • C'est à dire: 'trait concret caractéristique': lorsque la caractérisation comprend une qualité abstraite, on a toujours employé de, comme dans les expressions (de caractère savant): Dieu de majesté, un homme de talent (cf. anc. fr. feme de biauté, continuant le génitif qualificatif du latin postclassique—et, en dernier lieu, de l'hébreu—dont parle Alf Lombard, Les constructions nominales dans le français moderne, Uppsala 1930, p. 177). Et dans les cas rares où la préposition à se trouve devant une qualité abstraite, le ton est nécessairement péjoratif; dans la création moderne homme à succès, le ‘succès’ se présente comme quelque chose de vulgairement concret: une étiquette, une affiche.
  • Que le mot cheval apparaisse dans tous les exemples de ces deux catégories, peut être l'effet du hasard. Mais on pourrait imaginer que c'est pour distinguer entre l'activité d'un être animé (le cheval était, avant la machine, le générateur d'énergie) et le fonctionnement d'une machine, que cheval de main est en train de chasser cheval à main. On trouve aussi, dans la même catégorie, cheval de selle, de harnais, ou il s'agit encore du moyen de faire fonctionner le cheval à notre profit.
  • Ence qui concerne cheval d'arçons (= Eng. vaulting horse), qui est le seul exemple que j'aie pu trouver (à moins qu'on ne compte ici lettre de cachet du dix-huitième siècle: formation assex curieuse) où de introduise un trait caractéristique concret, l'emploi de de s'explique sans doute par l'influence de cheval de selle, dit d'un cheval ‘véritable’ (bien que celui-ci ne soit pas ‘un cheval avec une selle’ mais ‘… destiné pour être sellé’).
  • On peut se demander si le dépérissement de la prép. à dans les composés ne s'explique pas, en partie, par sa contexture phonétique (de étant mieux protégé par sa consonne initiale): la liaison tendait à introduire un pluriel intérieur que la langue française (au contraire du roumain, par exemple) ne tolère guère. Verre-à-eau, plur. verres-à-eau va à l'encontre de la tendence populaire qui altérait bonshommes en bonhommes, et remplaçait jeunes hommes par jeunes gens (cf. O. Bloch dans Mélanges Thorhas, 29 ff.).
  • Il est à remarquer que les efforts de réparation ont procédé selon deux principes contraires: lorsqu'on substitue par et pour à la prép. à, on choisit des prépositions d'une signification concrète et spécifique pour remplacer une particule, vide de signification, servant seulement d'outil de composition. Mais, en remplaçant à par de, on ne fait, le plus souvent, que substituer une particule sans signification à une autre (surtout dans la catégorie ‘déstination’: sauf dans les composés, de ne signifie pas ‘destiné pour…’—au moins en rapport avec des inanimés: cf. note 24. La présence de cette préposition dans salle d'étude (au lieu de *salle à étudier) s'explique par le développement continu du type A de B où de représente le génitif (ou bien le lat. de = ‘extrait de, au sujet de’); grâce à ce développement de finit par se faire sentir comme la particule de composition par excellence, et commence à pénétrer même dans les domaines réservés à d'autres prépositions.
  • Dans cette extension de la préposition de, on entrevoit une possibilité d'unification finale du système de composés substantivaux au moyen de prépositions en français: A de B pourrait, à la longue, s'arroger tous les droits de A à B (chassant aussi par et pour, aussi bien que les autres prépositions qui se trouvent quelquefois dans les composés: cf. arc-en-ciel: pourquoi non *arc-de-ciel, comme pomme de terre?), schéma susceptible, parce que vide de signification, de suggérer n'importe quel rapport. Si les choses en venaient là, le système français aurait acquis l'élasticité sans limites du système anglais, lequel n'a pas besoin de prépositions et peut suggérer des rapports au delà de la puissance d'expression de celles-ci. (On pourrait dire, en effet, que de a déjà fait des progrès dans cette direction: cf. dent de lait ou coup d'état).
  • Poste-radio et train-radio sont assez peu communs: dans la plupart des composés avec radio, l'ordre des mots est l'inverse: radio-reportage, radio-patrouille, radio-concert, radiophare, radiorécepteur.
  • Evidemment, cet ordre est dû à l'influence, non pas des composés anglais, mais des composés grecs (et latins): une formation telle que radio-reportage est l'extension du procédé, généralement connu aux langues européennes modernes, de former des composés en combinant, au moyen d'une voyelle de liaison, des éléments grecs ou latins: radiotélégraphie, radiogoniométrie etc. Or, bien que ces derniers composés soient, tous les deux, des emprunts au grec, il y a entre eux cette différence que le second membre de radiotélégraphie (c'est à dire, le mot télégraphie, lui-même un composé) était devenue un mot français avant la création du composé; par conséquent, il a été possible de créer, par analogie, des formations comme radio-diffusion, radio-émission (voir Darmesteter, p. 248, pour d'autres exemples du 19. siècle; il critique l'hybridisme de telles formations, sans considérer le procédé lent et imperceptible par lequel elles ont pu prendre pied dans la langue). Et, peu après l'introduction de radiotélégraphie, ce composé s'est trouvé abrégé en radio tout court: à partir de ce moment, il s'est établi dans la langue un radio n° 2 (=‘radiotélégraphie’), homonyme de radio n° 1 (= ‘rayon, onde’); grâce à l'identité de forme, ce radio2 se combine à son tour avec d'autres mots français, produisant ainsi des composés français avec inversion: radio-reportage.
  • Même situation pour auto (abrégé d'automobile) et ciné[ma] (abrégé de cinématographie), qui entrent en composition avec des mots français pour former des composés comme autogarage, auto-école, et ciné-roman, ciné-actualités, cinéprojecteur. Ici, comme dans radioreportage, il s'agit de la combinaison de deux mots français (dont l'un est un emprunt) avec inversion (Darmesteter n'offre pas d'exemples parallèles pour le 19e siècle).
  • Ceprocédé, est-il possible lorsque les deux membres sont des mots français autocthones? A en juger d'après cheval-heure, lampe-heure (on dit aussi heure-lampe), c'est bien possible. Et pourtant la formation de ces deux composés n'aurait probablement jamais pu se produire sans le modèle kilowatt-heure (dont le premier membre est un mot d'emprunt): c'est -heure qui a servi de pivot. Mais le mot année, par example, n'est jamais entré en composition avec un mot étranger; et c'est pourquoi on ne dit jamais *lumière-année, mais seulement année-lumière, sans inversion. Il paraît donc que, à l'époque actuelle, la combinaison, avec inversion, de deux mots d'origine française n'est possible que si l'un des mots a été associé avec un mot d'emprunt.
  • Bien entendu, il n'est pas question ici des noms propres du type Paris-Soir ou Nord-Afrique, où l'inversion est due à l'influence anglaise. Doit-on reconnaître cette même influence (comme facteur accessoire) pour lampe-heure et radio-reportage? A mon avis, une telle supposition serait superflue—et même très suspecte—puisque, dans le cas de la traduction en français des composés anglais, l'observation de l'ordre des mots usuel en français est de rigueur (à part les noms propres): le Français 100 pourcent, le championnat poidsléger, ‘matches’-retour etc. (Il est évident que Darmesteter avait tort de choisir l'ordre des mots comme critérium pour juger de la question, oui ou non, d'un emprunt à l'anglais: s'il y a l'ordre des mots caractéristiquement français, une influence anglaise est toujours possible; s'il y a inversion, nous aurons à faire à des emprunts aux langues classiques, plutôt qu'à l'anglais.)
  • Comment, alors, expliquer lits-salon, mot sans parallèle parmi mes exemples (il ne s'agit ni d'un nom propre, ni du produit d'une contamination par des composés étrangers)? Que ce composé ait été influencé ou non par I'anglais, on s'attendrait à *salon-lit(s), parallèle à wagon-lit, wagon-couchettes, coupé-lit, compartiment-couchette. Cette formation curieuse devrait angoisser Thérive: puisqu'il trouvait barbare la Nord-Afrique, que penserait-il d'un lits-salon?
  • Au point de vue logique on pourrait grouper avec wagon-lit, les formations wagon-citerne (-restaurant), bateau-citerne (-hôpital, école) etc. Mais en ce qui concerne bateauciterne, nous avons l'affirmation de M. Abel Hermant (Chroniques de Lancelot, 1936, p. 178) qui, à propos d'aéronef, remarque: ‘Un bateau-citerne est un bateau qui tient lieu de citerne (et une aéronef n'est pas un aéro qui sert de nef).’ De plus, il y a probablement parmi les exemples présentés ci-dessus comme elliptiques, quelques uns qui font aujourd'hui l'impression d'apposition: papier (á) tenture, papier (à) filtre: ‘papier qui est, qui sert de tenture, de filtre.’ Quant à aide-maçon, ce composé remonte évidemment à aide à maçon (et. Littré), mais il est fort probable qu'on l'interprète selon le type appositionnel garçon boucher, apprentie modiste, élève-consul (cf. Nyrop, Gram. hist. 3.262, chez qui on trouve les mots aide-bourreau, aide-chirugien attestés comme appositionnels).
  • Iln'y a pas de doute que la tendence de ‘penser par apposition’ va en augmentant dans le français d'aujourd'hui. Darmesteter, lui-même, parlait de ‘l'extension de l'apposition’ (par laquelle devait s'expliquer notre type elliptique), mais il faisait par là allusion à une imitation prétendue de la forme de l'apposition, due à la mécompréhension du ‘fonds’ de ce type—roman-feuilleton finissant par donner l'impression d'un rapport de subordination. Tandis que le développement papier à tenture papier tenture, aide à maçon aide-maçon représente, tout au contraire, la réjection du rapport de subordination en faveur de celui d'apposition.
  • J'ai trouvé aussi coutre-main dans les annonces, mais j'ignore si cette expression reflète le langage parlé.
  • Doit-on traiter ici (dans la catégorie ‘destination’) les composés avec garde-, tels que garde-chasse, garde-côte, garde-chiourme, garde-canal etc. etc. etc.? Du point de vue historique il est évident que ce type n'a rien à faire avec les formations elliptiques: garde- chasse ne remonte pas au type substantival A à(de) B, mais reflète un procédé tout à fait différent de composition: la combinaison d'une forme verbale (à l'origine l'impératif, comme l'a prouvé Darmesteter) avec un nom servant de complément: serre-tete, essuie-mains, porte-monnaie etc.
  • Il existe pourtant, aujourd'hui, une tendence forte à voir dans le premier membre de ces composés le nom garde, et à donner à celui-ci un -s au pluriel (des gardes-chasse)—au moins lorsqu'il s'agit d'une personne (le type garde-cendres, désignant un objet, reste invariable). Le Grand Larousse se réclame du Code orthographique d'Albert Hetrel pour cette distinction (à laquelle il se conforme en enregistrant ses 75 exemples); Littré cite à cet égard Laveaux comme autorité. LeBidois (2.134) accepte la distinction ‘comme naturelie et claire,’ affirmant que, tandis que garde-cendres = ‘(ce qui) garde les cendres,’ garde-chasse = ‘garde de chasse’ (bien qu'il n'offre pas la moindre preuve pour son interprétation de ce dernier). Et Thérive (1.179), qui traite garde-chasse à côté de timbre-poste, constate: 'garde est bel et bien le substantif et non le verbe… à preuve la tradition orthographique… des gardes-chasse sont vraiment des gardes de chasse.'
  • Pour Littré, au contraire, cette façon de tranchar la question est sans justification: à la suivre rigoureusement, on se trouverait obligé de donner deux pluriels à garde-mevhles: des gardes-meubles, désignant les individus qui gardent les meubles, et des garde-meubles, désignant les lieux où on les garde—raison suffisante pour laisser garde- invariable dans tous les cas. Ses conclusions sont rejetées par LeBidois comme ceux d'un ‘médiocre grammairien’; le Dictionnaire général, cependant, se range du côté de Littré et donne les deux types garde-chasse et garde-cendres comme dérivés du verbe garder (avec la seule exception de gardes-marine qui remonte à gardes de [la] marine). Nyrop, lui aussi, déclare (2.339): 'dans les deux cas [personne et objet] garde est un verbe et doit toujours rester invariable.' Et, dans son livre La pensée et la langue (p. 57), Brunot, sans débattre le problème, atteste garde-chasse aussi bien que garde-crotte comme dérivés verbaux.
  • Dupoint de vue historique et logique on doit opter pour l'invariabilité de garde-; d'autre part, les affirmations de l'école opposée, quelque suspectes qu'en soient les raisonnements, témoignent d'un sentiment profond pour la qualité substantivale de garde- (lorsque celui-ci désigne une personne), d'un sentiment qu'il s'agit ici d'une ellipse. Bien entendu, c'est à cause du développement des composés elliptiques qu'une telle confusion a pu se produire en français moderne; mais pourquoi le mot garde, seul, aurait-il provoqué cette confusion (pourquoi pas des *soutiens-garde, puisque soutien existe comme nom désignant un instrument?)? La distinction entre personne et objet en soi est compréhensible: nous nous expliquons facilement pourquoi l'interprétation de garde comme substantif n'est pas possible lorsque le composé désigne un objet (garde est toujours au féminin dans ce cas-là: la garde d'un livre), mais cela n'explique pas encore pourquoi cette conception substantivale s'imposerait lorsqu'il s'agit d'un individu.
  • Jesuggère que le développement qui nous concerne s'explique par le manque, en français moderne, du type verbal désignant une personne—sauf pour des exemples de nuance péjorative (ou trop familière). C'était pour caractériser les individus que ce type a été créé, et il pouvait, autrefois, avoir une nuance aussi bien laudative (Taillefer) que péjorative (Hurtebise); mais, aujourd'hui, c'est dans les expressions comme grippe-sou, trouble-fête, souffre-douleur, gagne-denier, gâte-pâte qu'il subsiste—si bien que garde-chasse, interprété selon le type verbal, devrait nécessairement perdre de sa dignité.
  • Lechef de file du groupe représenté par des gardes-chasse est, probablement, gardes-marine, attesté avant la fin du 18e siècle (cf. Littré s.v. garde2) comme forme elliptique de gardes de (la) marine. L'omission de la préposition dans cette expression peut s'expliquer par la prépondérance du type verbal dans les désignations des ‘personnes qui gardent’ (l'emploi du substantif garde semble avoir été très restreint: gardes du corps, gardes du commerce, gardes des sceaux)—à part la difficulté phonétique offerte par 'gardes de marine.' La formation elliptique gardes-marine (qui retenait, naturellement, le pluriel en -s) a pu, à son tour, influencer le type verbal, prêtant ce pluriel à garde(s)-chasse etc.—développement que favorisait la tendence générale de former des composés par ellipses, aussi bien que le désir d'éviter la nuance péjorative du type verbal quant il s'agit des individus.
  • On peut remarquer aussi que des appuis-main offre un second exemple de la substantivisation d'un élement verbal [pour des raisons différentes]: l'e muet d'appuie-main (formation bien attestée) cessant d'être prononcé, on a fini par écrire appui-main, où appui- est interprété comme le nom, le composé représentant apparemment l'ellipse d'une préposition (cf. appui de fourchettes).
  • Selon Lombard, op. cit.
  • Il faut remarquer que dans chaque exemple la matière désignée est plus ou moins hors du commun: on ne trouve pas de *robe-laine.
  • Ce papier-tabac est bel et bien du papier fait de tabac, selon Larousse.
  • A côté de papier d'émeri on pourrait ranger aussi savon, ponce—sauf que celui-ci a été sans doute formé d'après le composé appositionnel pierre ponce. Et, en effet, papier-êmeri lui-même (et peut-être poupée-chiffon aussi) peuvent très bien faire aujourd'hui l'impression d'appositions.
  • Le type selle de dame, qui est menacé par l'extension de la préposition pour, est lui- même le remplaçant du type A à B (anc. fr. sele a demoisele). Pour cette raison, nous aurions pu le traiter dans le premier groupe, qui illustrait la déchéance de la prép. à, dans la catégorie de destination. Mais puisque la présence de de dans selle de dame représente non pas l'empiétement récent et sporadique ce cette préposition sur le domaine de la prép. à, mais un procédé vieux de plusieurs siècles, qui consiste à étendre le rapport ‘appartenance,’ déjà en évidence avec de en ancien français (lei de chevalier) et inhérent au génitif—il a semblé préférable d'interpréter vêtements pour hommes exclusivement comme remplaçant vêtements d'hommes.
  • C'est à dire: à un type A de B originaire ou bien établi: évidemment je ne nie pas un développement tel que cheval-arçons, < cheval d'arçons, où de représente une substitution récente à la prép. à.
  • Ence qui concerne le type moderne le facteur-feu, cité par Thérive (1.34), celui-ci n'est pas une exception, non plus, à notre affirmation: bien qu'il faille y voir l'omission de de, cette préposition représente le ‘génitif appositionnel,’ si bien que le développement de facteur-feu fait partie, tout simplement, de l'extension générale de l'apposition dont nous avons parlé. Thérive, qui traite cette façon de parler en ‘charabia philosophique’ en affirme l'origine ‘germanique.’ Il est bien vrai que notre génération a vu une augmentation en anglais des composés du type salary factor, time element, etc., lequel a pu exercer une certaine influence sur la langue française. Mais, du point de vue du rapport logique, le type facteur-feu est une variation de l'apposition depuis longtemps plus caractéristique du français (au moins dans le langage officiel) que de l'anglais: c'est le type dont les deux membres ont le rapport entre espèce et genre—comme dans costume tailleur, ou bien artiste décorateur, commis marchand (en anglais, ce type général se trouve surtout dans le langage populaire: pussy cat, poodle dog, hound dog, widow woman, boss man, artist fellow).—Ce qui est récent en français aussi bien qu'en anglais, c'est l'extension du rapport espècegenre à des catégories subjectives ou accidentelles: que ‘feu’ soit un représentant de la classe ‘facteur’ est un jugement tout personnel.
  • Enfin, j'ai omis de cette discussion (comme l'a fait Darmesteter de la sienne) les composés avec noms propres, tels que, d'un côté, Rue St. Jacques, remontant à un ancien cas oblique et, de l'autre, l'affaire Dreyfus, le projet de Gaulle, la traduction Faboulet, l'armée Giraud, où il faut voir l'omission de la préposition. Si on acceptait ces dernières tournures comme formes elliptiques des composés A de B, il ne serait plus possible de limiter à deux catégories l'omission de de.
  • Mais le type l'affaire de Dreyfus—qui doit avoir précédé le type l'affaire Dreyfus—n'est pas, comme nous avons dit à la note 7 (à propos d'une tragédie de Corneille) un véritable composé. Avec les noms de personnes, l'individualité de celles-ci ressort avec tant de force, que toute composition est nécessairement inhibée par la présence de la préposition. Si nous voulons vraiment former un composé avec un nom de personne, seul nous reste l'expédient d'omettre la préposition qui isolerait p.ex. Dreyfus de affaire. Donc, l'affaire Dreyfus n'est pas un composé abrégé, comme l'est bureau-ministre, mais un composé créé ad hoc.
  • Leclimat de style de la tournure l'affaire Dreyfus est, bien entendu, le même que celui de bureau-ministre: c'est celui de la formule technique de la réclame; ce type nous offre, plutôt que le nom d'un individu, une étiquette—et, le plus souvent, une marque de fabrique: dans une voiture Renault, ou acier Bessemer, le nom de l'individu devient le nom du produit lui-même, sur le même niveau qu'un fusil Express.
  • On peut relever aussi les avantages de la formation elliptique dans les cas ou ni à ni de ne pouvait servir. Bien que la préposition de semble en voie de devenir une simple particule (cf. dent de lait), il serait assez difficile de concevoir des formations telles que *un Français de 100 pourcent ou *un phare de code (pour désigner un phare qui se conforme au code réglant la circulation). Et la commodité du type AB se recommande davantage à mesure que les composés en général augmentent (en effet, les composés ont augmenté en anglais 400 pour cent depuis le commencement du 18e siècle): dans une époque moins pressée que la nôtre on pouvait se contenter de locutions explicatives.
  • Demême on trouve le type équilibre acide-base, rapport langue-langage, balance import-export, l'accord Washington-Alger, le parti Briand-Berthelot, où le second élément du composé est lui-même un composé (additif). De serait impossible ici, non seulement pour des raisons sémantiques (‘le rapport…’ exige plutôt l'emploi de la préposition entré), mais aussi parce que la présence de n'importe quelle préposition donnerait l'impression de l'existence d'un complexe *langue-langage, en réalité inexistant. Fait curieux et d'ailleurs pas du tout particulier au français, les composés additifs peuvent très bien apparaître dans une fonction attributive dans des cas où leur emploi indépendent serait impossible: en anglais, aussi, on trouve a father-daughter relationship, mais pas de *father-daughter, et, en grec (classique) batracho-myo-machia, mais pas de *batracho-mys. Cependant la difficulté de l'emploi indépendent des composés additifs est moindre, lorsqu'il s'agit de ‘1 envisagé comme 2’ que dans le cas de ‘2 envisagé comme 1’: une lieuse-faucheuse (Eng. thresher-binder) est acceptable.
  • Ceci est aussi la conclusion de Darmesteter ('nous n'arriverons pas à dire le pays-ancêtres pour traduire Vaterland'), mais il va trop loin lorsqu'il constate que les formations elliptiques ne peuvent porter que sur ‘des éléments matériels’; plusieurs parmi les composés nouveaux réunissent des entités abstraites: année-lumière.

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