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La notion de situation-problème en mathématiques au début du XXIe siècle au Québec : rupture ou continuité ?

&
 

RÉSUMÉ

Une analyse historique de la résolution de problèmes au cours du XXe siècle, sous l’angle de la nature des problèmes, du rôle dévolu à cette résolution et des conseils donnés aux enseignants, nous a permis de caractériser l’évolution de ce concept pivot de l’enseignement des mathématiques au Québec et de mettre en évidence les continuités et changements qui se sont opérés au fil du temps (Lajoie et Bednarz, 2012). Nous poursuivons cette analyse pour la période récente (2000 à aujourd’hui) au regard de la nature et des caractéristiques des situations-problèmes proposées et dégageons, à cette occasion, certaines sources d’influence ayant pu interférer dans cette caractérisation. Au moment où une réforme majeure des programmes est en place dans les écoles, et ce du début de l’école primaire à la fin du secondaire, peut-on parler de rupture ou de continuité avec ce qui a été développé depuis un siècle en résolution de problèmes au Québec ?

ABSTRACT

Abstract A historical analysis of problem solving in the 20th century, which examines the nature of the problems, the intended role of the problem-solving process, and the guidance given to teachers, allows us to characterize the development of this pivotal concept in math teaching in Quebec and highlight what has changed or remained consistent over time (Lajoie & Bednarz, 2012). We continue with this analysis by examining a more recent period (2000 to present), looking at the nature and characteristics of proposed situational problems. In doing so, we determine that there are certain influences which may have interfered with this characterization. At a time when major program reform is taking place in schools, from early primary to the end of secondary, the question is whether there is a break from or continuity with the developments in problem solving that have taken place in Quebec for over a century.

Annexe

Notes

1Quatre escales importantes ont constitué les étapes de ce voyage dans le temps : le Québec d’avant la seconde guerre mondiale, de l’après-guerre, de l’après-révolution tranquille (1960-1970), puis des années 1980-1990.

2Le rôle associé à cette résolution de situations-problèmes et les conseils donnés aux enseignants font l’objet d’un autre article (Lajoie et Bednarz, 2014).

3« Le concept d’acteur, que nous empruntons à Latour (1989), s’applique tout autant aux humains, aux instruments qu’aux choses. Ainsi les manuels, les programmes, les micro-ordinateurs ou une réaction chimique (spectaculaire ou non) font partie d’une catégorie d’acteurs dans la mesure où on peut les mobiliser n’importe comment et qu’ils peuvent imposer des types d’interactions aux autres acteurs. Leur passivité n’est qu’apparente. En fait, ils sont les porte-parole (Callon, 1989) de ceux et de celles qui les ont inventés et, lorsqu’on les mobilise, on mobilise simultanément les acteurs humains et non-humains qu’ils représentent » (note tirée de Larochelle et Bednarz, Citation1994, p. 15).

4Le mot « balise » utilisé ici, et qui sera repris à plusieurs endroits dans le texte, renvoie, sur un plan étymologique, à l’idée d’un repère destiné à indiquer le chemin, d’un jalon, à ce qui pourra servir en quelque sorte à se diriger, se situer. Il s’agit pour nous de cerner, dans les différents documents analysés, les jalons susceptibles de guider le choix des situations-problèmes proposées aux élèves.

5Il n’est nullement question dans cet article d’une analyse des manuels ou de la manière dont ces situations-problèmes sont réappropriées et retravaillées par les enseignants en classe. De telles recherches, bien sûr pertinentes pour pousser plus loin la réflexion, sont toutes autres et demanderaient une investigation de nature différente. L’étude présentée (2e partie d’un article déjà paru) rejoint une toute autre intention, celle d’une mise en perspective historique permettant de comprendre l’évolution d’un concept pivot en enseignement des mathématiques.

6Cette citation provient de la version préliminaire du 15 juin 2000 du Programme de formation de l’école québécoise pour le primaire.

7Le programme de formation de l’école québécoise aurait pu prendre une toute autre orientation pour atteindre cette visée de réussite pour tous, on peut par exemple penser ici au socle commun de connaissances retenu par la France dans cette perspective (Artigue et Rinaldi, Citation2012). Nous voulons ici avant tout faire ressortir que les choix qui ont été faits par les acteurs au Québec pour poursuivre cette visée de démocratisation de la réussite a été d’y aller par le développement des compétences des élèves.

8Initialement dans le programme du primaire, cette dernière était formulée en termes de « raisonner à l’aide de concepts et de processus mathématiques ».

9Du latin « ruptura » venant de ruptum, dérivé de rumpere (rompre), le mot rupture renvoie, sur le plan étymologique, à l’idée de cassure, de bris, de séparation brusque, à une « discontinuité, forte variation d’aspect » (Hugo, Notre Dame de Paris, 1832, p. 140). C’est dans ce sens qu’il sera utilisé tout au long du texte. Autrement dit ce que nous cherchons à mettre en évidence ce sont les discontinuités, si elles existent, entre les caractéristiques mises de l’avant à propos des situations-problèmes et celles mises de l’avant antérieurement à propos des problèmes. Peut-on parler en ce sens d’une cassure entre ce qui se faisait antérieurement et ce qui est proposé ici ?

10Dans le document pédagogique associé au programme cadre de mathématiques (1974) on parle également de situation (plutôt que de problème). Le terme situation-problème n’y apparaît toutefois pas.

11Nous faisons valoir ici, dans une posture interprétative (Denzin et Lincoln, Citation1994; Savoie-Zajc, Citation2000) qui cherche à comprendre un certain phénomène à partir du point de vue qu’en ont les acteurs, la voix des acteurs (ici institutionnels), en faisant ressortir le sens qu’ils donnent à cette distinction. Ces propos sont donc ceux qui se dégagent de l’analyse, qui font sens pour les acteurs. Ils sont juxtaposés dans le texte comme différentes composantes en jeu dans le processus de résolution de situations-problèmes. Dans une posture critique, il serait bien sûr possible de prendre une distance par rapport à cet énoncé. Les travaux de didacticiens des mathématiques montrent en effet que ce n’est pas aussi simple, qu’il y a différents types d’exercices et que des exercices peuvent solliciter raisonnement et réflexion (voir par exemple Blum, Galbraith, Henn et Niss, Citation2007).

12Quel sens donner à cette expression ? Des concepts mathématiques ayant été abordés antérieurement par l’enseignant avec les élèves, et des processus mathématiques ayant été travaillés en classe (p. ex. preuve), la situation, pour être une situation-problème, ne peut se contenter de mettre en jeu ces concepts ou processsus de façon immédiate (dans leur fonction d’outil), il ne s’agit pas d’appliquer immédiatement tel ou tel concept ou processus vu en cours. On suppose ici que la combinaison nouvelle de ces concepts et processus qu’elle met en œuvre va nécessiter des mises en relation, une organisation, une adaptation.

13Le mot « obstacle », en latin obstaculum, tire son origine du mot obstare, qui signifie ob « se tenir devant » et stare « être debout, dressé ». Celle-ci pourrait être rapprochée de l’étymologie du mot « défi » qui renvoie historiquement à une « provocation à un combat singulier » (Brant, 1575, Des couronnels françois, Œuv., VI, 114 dans Gdf. Compl.); au « refus de s’incliner » (Balzac, 1847, Cous. Bette, p. 5). http://www.cnrtl.fr/etymologie/défi

14Il ne s’agit nullement ici d’une analyse systématique de guides ou manuels.

15Rappelons que, suivant le Fascicule K (MEQ, Citation1988), un contexte est réel s’il se produit effectivement dans la réalité (p. 26), réaliste s’il est susceptible de se produire réellement (p. 26), fantaisiste s’il est le fruit de l’imagination et qu’il est sans fondement dans la réalité (p. 27) et purement mathématique s’il fait exclusivement référence à des objets mathématiques (p. 27).

16Pour mieux illustrer cette balise, nous donnerons plus loin un exemple de situation-problème utilisée en milieu scolaire, dont nous analyserons la complexité.

17Voir à ce sujet pour plus de détails, l’analyse que nous avions réalisée sur la nature et les caractéristiques des problèmes au cours du XXe siècle (Lajoie et Bednarz, Citation2012).

18Voir à ce sujet le problème présenté à la note 20.

19Nous reprenons ici, et dans ce qui suivra, certains éléments qui ressortaient de l’analyse de la période 1900-1999, de manière à faire clairement apparaître les éléments invariants (des critères de choix qui traversent les époques) tout en faisant apparaître les changements de sens (un même critère change de sens, ne réfère pas tout à fait à la même chose).

20Voici un exemple de problème d’arithmétique qui réfère à cette fonction pratique (on voit bien ici que la notion de problème, comme nous l’avons mis en évidence précédemment, déborde du problème écrit usuel): Aujourd’hui, la classe est transformée en magasin général. Les enfants sont des acheteurs qui viennent passer des commandes. On fournit aux élèves différents objets (ou dessins des objets) avec le prix attribué à chacun des objets : Bonbons : 2 cents  Ballons : 90 cents Bicyclette : 45 $  Crayons : 5 cents Cahiers : 10 cents Tu achètes 6 bonbons. Combien paieras-tu? Tu achètes plusieurs choses au ma-gasin. Tu paies avec 2,00$. Qu’est-ce que tu as pu acheter ? Et si tu paies avec un 5,00$, qu’est-ce que tu as pu acheter ? Et si tu avais eu 50,00$, qu’aurais-tu pu acheter ? Peux-tu toi même établir une commande au magasin et me dire ce que tu devras payer ? (Beaudry, 1950, p. 417).

21Les exemples suivants illustrent de tels problèmes, présents dans les manuels de l’époque : • Il y a une épidémie de grippe dans l’école et on remarque qu’il y a beaucoup d’absents. L’enseignante demande aux élèves : « peux-tu trouver pour chacun des degrés le pourcentage d’élèves absents ? ». • On veut partager une somme d’argent entre deux enfants de la classe en donnant à l’un deux fois plus qu’à l’autre. Comment établir le montant qu’on donnera à chacun ? • Le prix d’achat d’un tissu à la verge, les dépenses totales et le bénéfice sont donnés. Comment trouver le prix de vente total d’un nombre donné de verges ?

22Le problème suivant illustre cette volonté d’impliquer l’enfant dans la formulation même de l’énoncé : « Votre papa est marchand. Il achète 3 douzaines de cravates à 9,60 $ la douzaine, il les revend 1,25 $ chacune. Combien de profit fait-il sur cette vente ? » (Beaudry, 1950, p. 398).

23Pour nous, cette analyse ne rend en effet compte que partiellement de ce qui se passe au regard de l’utilisation de contextes car si elle couvre l’ensemble des activités d’apprentissage présentées aux élèves dans le cadre du contenu très spécifique de l’introduction à l’algèbre, elle n’est cependant pas propre aux situations-problèmes.

24L’approche retenue pour l’introduction à l’algèbre a ici une influence sur le choix des contextes, comme le montre l’auteure. Ainsi dans une approche plus fonctionnelle à l’algèbre, le recours aux contextes réels est plus fréquent (cas du manuel de 1993), dans une approche axée sur la généralisation et les suites numériques (cas du manuel de 2005), le recours aux contextes mathématiques occupe également une certaine place. Une analyse complète de l’ensemble des situations-problèmes, sur d’autres contenus, rendrait mieux compte ainsi de la progression.

25La diffusion de cette épreuve a été autorisée préalablement.

26On va, en ce sens, avoir recours à des termes descriptifs, à une manière de structurer les phrases qui permette de visualiser, à un texte décrivant les faits dans un ordre chronologique de telle sorte qu’on puisse se représenter la scène, comme le montre par exemple le problème suivant : « On part en voyage avec 4 gallons d’essence, on en achète 8 en route, on parcourt 160 milles et il reste encore 5 gallons. Combien a-t-on fait de milles avec un gallon ?».

27Par contre, elle y est encore de manière implicite, comme en témoigne l’extrait suivant : « Leur objet [les situations] renvoie à des situations pratiques plus ou moins familières, réelles ou fictives, réalistes ou fantaisistes, ou encore purement mathématiques. Ces situations s’inspirent, entre autres, des domaines généraux de formation, des repères culturels, des éléments du contenu de formation, d’un événement survenu en classe, dans l’école ou dans la société. Suivant les objectifs poursuivis, les situations comportent des données complètes, superflues, implicites ou manquantes. Elles peuvent conduire à un ou plusieurs résultats ou, au contraire, ne mener nulle part. » (MELS, 2003, p. 15)

28Les concepts mathématiques sont ici utilisés dans leur fonction d’outil (on utilise chacune des opérations ou leur combinaison par exemple pour calculer le coût associé) mais il n’y a pas d’exigence de réflexion sur ces concepts, de raisonnement les impliquant, de mise en relation entre ces concepts.

29Voir, dans ce livre, les entrevues de Gisèle Lemoyne et Renée Caron.

30Les seules références didactiques que nous avons trouvées en lien avec la résolution de problèmes sont celles à Descaves (Citation1992), Mason (Citation1994) et Poirier-Proulx (Citation1999).

31Aucune référence explicite à des travaux de recherche en didactique des mathématiques n’apparaissant dans les documents analysés, si une telle influence existe, elle est forcément indirecte. Celle-ci peut être liée à des lectures qu’auraient pu faire les concepteurs, aux présentations auxquelles auraient pu assister des membres des comités ayant participé à l’élaboration des programmes ou encore à des discussions lors des séances de consultation multiples liées au processus de construction du curriculum (voir à ce sujet Bednarz, Maheux, et Proulx, 2012)

32Notons qu’Astolfi n’est pas en didactique des mathématiques, confirmant que les sources d’influence ont transité, dans le cas des documents ministériels, par d’autres sources que la didactique des mathématiques.

33Malgré cela, la référence à Astolfi, elle, est complètement disparue.

34Il est à noter que cette caractéristique est disparue des documents officiels.

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